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Système de Law

Le système de Law — prononcé à l'époque /lɑs/ (« Lass »)[1] —, imaginé par l'Écossais John Law, a été mis en place en France, sous la régence de Philippe d'Orléans, de 1716 à 1720, dans le but de liquider la dette laissée par Louis XIV. Une de ses particularités consiste à développer l'utilisation du papier-monnaie au lieu d'espèces métalliques[2], afin de faciliter le commerce et l'investissement.

Caricature de John Law de Lauriston et de son système (1720).

Créée par Law, la Banque générale — société par actions — va s'appuyer sur l'activité coloniale de sa société sœur, la Compagnie perpétuelle des Indes, pour finalement absorber presque tout le commerce colonial de la France, puis la majorité des impôts (bail de la ferme générale, recettes particulières). Mais ce quasi-monopole, joint à une intense propagande, entraîne une spéculation effrénée sur les actions, et une hausse immodérée des cours. À l'origine des premières grandes émissions de titres boursiers, le système de Law est une étape incontournable de l'histoire des bourses de valeurs.

Law avait probablement un objectif plus ambitieux, une refonte complète du système fiscal, mais les intéressés s'y opposèrent efficacement. La spéculation qui se joue sur les actions des différentes sociétés de Law va finalement ruiner le système, lorsque le cours retombe aussi vite qu'il était monté, à la suite d'un mouvement de panique. Quand les actionnaires et porteurs de billets, à partir de juillet 1720, demandent subitement à récupérer leur or, les richesses coloniales ne sont pas encore arrivées (elles ont été volontairement surestimées par une propagande fallacieuse) et le numéraire fait défaut. Law a créé trois fois plus de billets qu'il n'en peut acquitter : le système doit alors admettre sa banqueroute.

Naissance du système

Alors qu'il avait dĂ©jĂ  tentĂ© d'approcher le roi Louis XIV dix ans plus tĂ´t, John Law revient en France en 1714. Il est reçu par le duc d'OrlĂ©ans, qui le recommande Ă  Desmarets, contrĂ´leur gĂ©nĂ©ral des finances. En septembre 1715, Louis XIV meurt et, Louis XV Ă©tant encore enfant, le duc d'OrlĂ©ans devient RĂ©gent. Les finances du royaume sont alors dans un Ă©tat dĂ©sastreux après des dĂ©cennies de guerre. La dette s'Ă©lève alors Ă  2,8 milliards de livres, soit l'Ă©quivalent d'une dizaine d'annĂ©es de recettes, un record absolu. Le RĂ©gent reçoit une nouvelle fois John Law et, convaincu par son système, l'impose Ă  ses conseillers, Noailles et RouillĂ© du Coudray, directeur et membre du Conseil des Finances, et Gournay, directeur du Conseil de Commerce. RouillĂ© du Coudray, financier perspicace, avait vu le point faible du projet de Law : la sĂ©curitĂ© de l'encaisse en cas de retraits soudains et massifs.

Le , Law est autorisĂ© par Ă©dit Ă  crĂ©er une banque privĂ©e, sur le modèle de la banque d'Angleterre, qui prend le nom de « Banque gĂ©nĂ©rale », Ă©tablie Ă  Paris, rue Vivienne, dans une partie de l'ancien palais Mazarin. Mais bientĂ´t la rue Quincampoix fut le centre de cet agiotage. Son capital s'Ă©lève alors Ă  1 million de livres, rĂ©parti en 2 000 actions de 500 livres, payables pour un quart en espèces et pour le reste en « papiers d'État ». La banque connaĂ®t un succès immĂ©diat du fait de l'annuitĂ© très Ă©levĂ©e (7,5 %). Le , un nouvel Ă©dit Ă©largit les privilèges de la banque : les billets qu'elle Ă©met, convertibles Ă  vue, peuvent ĂŞtre reçus en paiement des impĂ´ts. Le capital est portĂ© Ă  6 millions.

DĂ©veloppements

John Law contrôleur de la Banque Royale – Gravure de Georg Frederick Schmidt (1738 d'après Hyacinthe Rigaud (v. 1719-1720).

Le , Law obtient la rĂ©trocession des privilèges de la Compagnie de la Louisiane, cĂ©dĂ©e par le financier Antoine Crozat pour acquitter une dette vis-Ă -vis de l'État Ă  la suite de l'opĂ©ration du visa. Le , Law crĂ©e la Compagnie d'Occident, pour les colonies françaises d'AmĂ©rique et du SĂ©nĂ©gal, rapidement surnommĂ©e la Compagnie du Mississippi. Dès lors, il dĂ©tient le monopole commercial de la Louisiane pour vingt-cinq ans, avec l'objectif de peupler la colonie de 6 000 Blancs et de 3 000 Noirs en dix ans, pour concurrencer l'Espagne et l'Angleterre.
Son capital s'Ă©lève Ă  100 millions de livres, rĂ©parties en 200 000 actions payables en papier d'État, comportant 4 % de dividendes. LĂ  encore, c'est un succès : Law prĂ©sente la Louisiane comme un pays de cocagne pour attirer les capitaux, mais les colons ne sont pas suffisamment nombreux au dĂ©part et la plupart le font pour Ă©chapper aux galères. L'opĂ©ration permet d'Ă©ponger 60 millions de livres de dette publique.

« Pour peupler le territoire on commença par faire arrêter tous les mauvais sujets et les filles publiques détenus dans les prisons. La mesure aurait été bonne si l'on se fut borné à faire disparaître cette écume, mais on abusa bientôt de cette épuration. On s'empara d'une assez grande quantité d'honnêtes artisans. Des femmes, dans l'espoir de vivre sans crainte avec leurs amants, payèrent des archers pour envoyer promener leurs maris au Mississipi. Des fils, pour jouir plus vite des biens de leurs pères, usèrent du même moyen[3]. »

Law entend faire de ses deux établissements des institutions publiques. Dans son esprit, les deux sont liés : il s'agit d'attirer l'encours métallique circulant dans le royaume, pour écouler, en remplacement, du papier-monnaie gagé sur la puissance économique de la France. Selon Law, cette dernière est virtuellement illimitée : elle est assise sur l'exploitation des colonies françaises. Si le Régent est gagné à ces théories, elles ne rencontrent que peu d'appui ailleurs. Seuls l'abbé Dubois et le duc de Saint-Simon en sont les partisans, à vrai dire, un peu tièdement.

La Banque générale devient Banque royale le avec effet le : les billets de banque sont désormais garantis par le roi. En 1719, la compagnie absorbe la Compagnie française des Indes orientales, la Compagnie de Chine et d'autres sociétés commerciales rivales. Elle devient ainsi la Compagnie perpétuelle des Indes. Law obtient en sus la ferme du tabac et rachète de façon arbitraire la ferme des impôts indirects aux frères Pâris. En , la compagnie reçoit la Surintendance des monnaies et donc le monopole d'émission en France. En octobre, enfin, elle reçoit les recettes générales.

Toutes ces institutions dirigĂ©es par Law font que, dĂ©sormais, un seul homme possède la mainmise complète sur l'ensemble du commerce extĂ©rieur et du système fiscal de la France. L'Ă©mission des actions de la compagnie permet de convertir les anciennes rentes et autres papiers de l'État et donc de les liquider : le niveau de la dette publique baisse. Law espère alors qu'un meilleur contrĂ´le du système et une meilleure gestion permettront de substantiels profits. En outre, la compagnie prĂŞte 1,2 ou 1,6 milliard de livres au RĂ©gent, au taux de 3 %, en vue de rembourser une sĂ©rie de dettes publiques[4] - [5]. Un second prĂŞt de 200 millions sert au remboursement des offices dits « inutiles ». Ces prĂŞts entraĂ®nent des augmentations successives de capital, laissant ainsi libre cours Ă  la spĂ©culation qui dĂ©marre en : ce sont les fameuses scènes de la rue Quincampoix, largement romancĂ©es par Le Bossu de Paul FĂ©val.

La crise

À en juger par les nombreux trous d'aiguille, les derniers billets émis par la Banque royale ont beaucoup circulé.

En 1720, la banque et la compagnie fusionnent. Law, converti au catholicisme par l'abbĂ© de Tencin qui le seconde efficacement, est nommĂ© contrĂ´leur gĂ©nĂ©ral des finances le , pour attirer les capitaux. La situation s'emballe : pour briser la traditionnelle thĂ©saurisation française de l'or et de l'argent, Law interdit la possession de plus de 500 livres de mĂ©taux prĂ©cieux par foyer, sous peine de confiscation et d'amende. Une rĂ©compense est promise aux dĂ©nonciateurs, et des perquisitions ont lieu, mĂŞme chez les ecclĂ©siastiques. Le , pour dĂ©courager le public de la monnaie mĂ©tallique, il suspend la valeur libĂ©ratoire de l'or, Ă  dater du . Alors que l'opinion publique gronde, il fait arrĂŞter les « semeurs de faux bruits », qui sont dĂ©portĂ©s aux colonies, ce qui crĂ©e un scandale. Dès le , la rumeur d'une banqueroute est rĂ©pandue par quelques initiĂ©s (ce qui constituerait aujourd'hui encore un dĂ©lit).

Parallèlement, la propagande orchestrĂ©e par Law sur « l'Eldorado de la Louisiane » s'Ă©puise et ne trouve plus preneur. Des grands comme le prince de Conti, ou le duc de Bourbon, viennent en personne retirer de l'or au siège de la banque, rue Quincampoix, ce qui entraĂ®ne des Ă©meutes. Le cours des actions chute, sans que Law parvienne Ă  le contrĂ´ler. Le , 17 morts sont ramassĂ©s Ă  la suite des Ă©meutes rue Quincampoix. Le , un arrĂŞt institue une semi-banqueroute. Le Parlement, qui tente de rĂ©sister, est exilĂ© Ă  Pontoise. Ceci prĂ©cipite la chute du système, qui est supprimĂ© par paliers entre septembre et octobre. Le , enfin, on annonce la suspension des billets de la Banque royale Ă  compter du .

Le système de Law n'est plus. John Law lui-même, qui a démissionné de ses fonctions ministérielles, s'enfuit de Paris le , avant de s'exiler à Venise. Il est remplacé par Le Peletier de La Houssaye dès le [6].

La liquidation

Le Diable d'argent, gravure satirique reprenant un thème de foire, et symbolisant l'effondrement du système de Law (exécutée chez Jacques Chéreau le jeune, Paris, vers 1720).

La liquidation du système est confiée aux frères Pâris, anciens munitionnaires enrichis pendant la guerre de Succession d'Espagne devenus banquiers. Un arrêt du oblige les détenteurs d'actions à les faire timbrer (le « visa ») au siège de la société. Ceux jugés « de bonne foi » les reçoivent sous huitaine, les autres sous trois ans.

La commission du visa s'Ă©tale du Ă  . Elle concerne 2,5 milliards de livres de papier, pour un total de 511 000 dĂ©posants. Cette recension permet d'estimer la population concernĂ©e par le système de Law : environ 2 millions de personnes, soit 10 % de la population. Parmi les dĂ©posants, 251 000 dĂ©tiennent moins de 500 livres (environ 6 500 euros de 2022) et 100 000 plus de 10 000 livres (environ 130 000 euros de 2022). Ă€ la fin du visa, la dette du royaume est ramenĂ©e Ă  1,7 milliard de livres (environ 22 milliards d'euros de 2022). 185 spĂ©culateurs ont Ă©tĂ© frappĂ©s d'amende, pour un total de 187 millions de livres. Les deux cinquièmes des « visĂ©s » ont Ă©tĂ© totalement indemnisĂ©s. Sous 400 livres, tous l'ont Ă©tĂ©. Les moins riches, contrairement aux idĂ©es reçues, n'ont donc pas Ă©tĂ© pĂ©nalisĂ©s par la chute du système.

Bilan

Le système de Law a permis de prendre en charge une partie de la dette de l'État, qui, momentanément plus libre de ses mouvements, a pu soutenir la guerre contre l'Espagne. Plus discrètement, cette bouffée d'air financière lui a permis de corrompre certains ministres autrichiens, et sans doute les troupes irlandaises envoyées par l'Espagne pour appuyer la conspiration de Pontcallec.

Cependant, la chute du système rend la France durablement méfiante à l'égard du papier-monnaie : il a ruiné bon nombre d'actionnaires, tout en enrichissant considérablement ceux qui avaient su revendre à temps. Le système de Law a donc permis une certaine mobilité sociale, mais a également suscité des rancœurs tenaces. Le comportement désinvolte et les dépenses scandaleuses de certains financiers enrichis alimentent le ressentiment populaire.

Dans le domaine purement Ă©conomique, la meilleure circulation de la monnaie a dynamisĂ© le commerce extĂ©rieur, principalement vers les colonies. Dans la pĂ©riode qui suit, les nĂ©gociants prennent conscience que l'offre de monnaie peut augmenter et surtout que la vitesse de circulation des capitaux est Ă  la base de la croissance. La Compagnie des Indes envoya par la suite 10 Ă  11 bateaux par an aux Indes sur la pĂ©riode 1720-1770, contre seulement 3 ou 4 sur la pĂ©riode 1664-1719. Près de la moitiĂ© des produits qui reviennent de l'Orient, en valeur, sont des mĂ©taux prĂ©cieux, qui se recyclent dans le circuit Ă©conomique[7].

Sur le plan intérieur, le Système a provoqué une forte inflation, notamment sur le prix des terres et valeurs.

Une expérience imitée avec prudence

En 1745, le prince Charles-Emmanuel est confrontĂ© Ă  une grave crise financière Ă  Turin. Le cours du blĂ© flambe et l'argent se rarĂ©fie. Ses conseillers, se souvenant du Système, tentent de lancer une monnaie papier mais en ne reproduisant pas les mĂŞmes erreurs : le papier sera gagĂ© sur le TrĂ©sor ducal. Ce sont lĂ  les premiers billets imprimĂ©s en langue italienne. Des coupures de 100, 200, 500, 1 000 et 3 000 lires sortent des presses pour un montant total de 6 millions, garanti par le duchĂ© de Savoie et le royaume de Sardaigne, remboursables sur 5 ans et donnant droit Ă  un intĂ©rĂŞt de 4 %. L'Ă©metteur est la Regie Finanze di Torino, alors l'une des banques les plus solides d'Europe. Par la loi du , les billets ont cours lĂ©gal et doivent ĂŞtre obligatoirement acceptĂ©s comme monnaie. La situation financière rentre dans l'ordre Ă  la fin de l'annĂ©e 1746[8].

Notes et références

  1. Prononciation à l'anglaise, où le nom s'écrivait Law's. Les pamphlétaires français le faisaient rimer avec "Las !" ou "hélas !"
  2. Gildas Salaün, « Le louis d'or au Saint-Esprit, l'écu de France-Navarre et John Law », Monnaie magazine,‎ , p. 52-56 (ISSN 1626-6145)
  3. Félix Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, Paris, Éditions Maisonneuve & Larose, (lire en ligne), p. 577
  4. « 2 mai 1716 - Le système Law - Herodote.net », sur www.herodote.net (consulté le )
  5. Conférence de M. Pierre Tabatoni à l'Institut française d'administration publique en mars 2000
  6. Hubert Méthivier, Le siècle de Louis XV, PUF, 2000.
  7. From Louis XIV to Napoleon: the fate of a great power, par Jeremy Black, p. 91.
  8. (it) C. Gamberini di Scarfea, Storia e descrizione della carta monetata in Italia, Bologna, 1967.

Bibliographie

  • Christian Chavagneux, Brève Histoire des crises financières : des tulipes aux subprimes, Paris, La DĂ©couverte, 2011, (ISBN 978-2-7071-6969-3).
  • Marc Cheynet de BeauprĂ©, Joseph Pâris-Duverney, financier d'État (1684-1770) - Les sentiers du pouvoir (1684-1720), HonorĂ© Champion, 2012, (ISBN 978-2-7453-2411-5).
  • Nicolas Dutot, RĂ©flexions politiques sur les finances et le commerce, La Haye, 1738, deux volumes in-12.
  • Edgar Faure, La Banqueroute de Law, , Paris, Gallimard, coll. « Trente journĂ©es qui ont fait la France », Paris, 1977.
  • Paul Harsin, Les Doctrines monĂ©taires et financières en France du XVIIe au XVIIIe siècle, F. Alcan, Paris, 1928.
  • Steven Kaplan, Le Pain, le peuple et le roi. La bataille du libĂ©ralisme sous Louis XV, Perrin, Paris, 1986 (ISBN 978-2-2620-0399-9).
  • Émile Levasseur, Recherches historiques sur le système de Law, Guillaumin et cie, 1854.
  • BarthĂ©lemy Marmont du Hautchamp, Histoire du système des finances sous la minoritĂ© de Louis XV, tomes I-VI, La Haye, Pierre de Hondt, 1739.
  • Jean Meyer, Le RĂ©gent, Ramsay, Paris, 1985 (ISBN 978-2-8595-6404-9).
  • Adolphe Thiers, Histoire de Law, Hetzel, Paris, 1858.
  • Arnaud Orain, La Politique du merveilleux. Une autre histoire du système de Law, 1695-1795, Fayard, 2018.

Articles connexes

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