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Soi (spiritualité)

La notion de soi revĂȘt plusieurs sens. La rĂ©alitĂ© de ce qui est (la chose en soi en philosophie). L'image que l'on se fait de sa propre individualitĂ© (l'ego au regard du Moi). La rĂ©alitĂ© individuelle Ă  travers le self (psychanalyse). L'entiĂšretĂ© psychique de l'archĂ©type du Soi (psychologie analytique). Enfin, le Soi comme Être suprĂȘme, centre Ă©ternel de la conscience aux fondements essentiels et Ă  l'appartenance commune dans la continuitĂ© du vivant. De nombreux auteurs et traducteurs d'ouvrages de spiritualitĂ© ont pris le parti d'utiliser une majuscule pour distinguer le sens fondamental explorĂ© notamment dans la philosophie indienne et qui renvoie vers la rĂ©alisation d'une unitĂ© d'un ordre supĂ©rieur dans lequel le soi individuel et global se confondraient.

Le Soi avec un S majuscule (parfois appelĂ© « vrai soi » ou « Soi supĂ©rieur » par distinction avec l'ego, ou « soi » avec un s minuscule), dans l'acception spirituelle du terme et particuliĂšrement dans les courants issus du VĂ©danta tel que l'AdvaĂŻta VĂ©danta, dĂ©signe l'identitĂ© premiĂšre et ultime de l'ĂȘtre [1] - [2] - [3].

Qui suis-je ?

Le Soi constitue une rĂ©ponse proposĂ©e par certaines traditions spirituelles Ă  la question « Qui suis-je ? »[4]. Dans ce contexte, le Soi n’est pas celui qui dit « moi » ou « je ». Le Soi serait la nature essentielle de l’ĂȘtre humain, au-delĂ  de l’ego. Il serait aussi le pont entre l'homme et Dieu, « plus personnel que Dieu mais plus universel que l'homme »[5].

Cette distinction entre petit soi et grand Soi, entre nature profonde (parfois appelĂ©e « nature rĂ©elle ») et ego est un objectif fondamental des quĂȘtes spirituelles traditionnelles issues de la philosophie indienne selon lesquelles nous ne serions pas que cette partie infime et souffrante que nous percevons de nous-mĂȘmes : l’ego.

Mais le concept, couramment utilisĂ© de nos jours, et absorbĂ© par les courants du New Age[6], a portĂ© d’autres noms et se rapproche d’autres concepts philosophiques plus anciens.

Synonymes et concepts assimilés

L’Âme

L’Âme est un synonyme de Soi :

« À strictement parler, l'intemporel, transcendant toute forme est, selon Socrate, la suprĂȘme rĂ©alitĂ© de notre moi. C'est Ă  cela plutĂŽt qu'Ă  toute manifestation dĂ©rivĂ©e de l'affectivitĂ© ou de l'activitĂ© mentale qu'appartiendrait vraiment le nom d'Ăąme. »[7]

La Conscience

La Conscience est un autre synonyme de Soi :

« Paix, amour, bĂ©atitude, connaissance, anĂ©antissement du moi au sein de la toute-puissante vĂ©ritĂ©, ces multiples affirmations issues du niveau psychique expriment seulement la rĂ©ponse des fonctions affectives et intellectuelles qu'irradie la clartĂ© axiale. Quant Ă  la conscience Ă©tablie en son foyer, elle ne prend appui ni sur l'amour, ni sur la paix des sens ou de l'intellect. Son rĂšgne est au-delĂ  du silence mĂȘme, perdu Ă  notre regard dans une intangible plĂ©nitude. »[8]

L’Être

L'Être est un autre synonyme de Soi :

« À vrai dire, il ne peut y avoir une connaissance authentique que de l'immuable, mais ici sujet et objet cessent de s'opposer et se rĂ©sorbent dans l'indivisible unitĂ© de l'Être. »[9].

Le TĂ©moin

Expression frĂ©quente dans les Yoga-sĂ»tra, elle dĂ©signe le principe conscient au-delĂ  de l’activitĂ© du mental.

« Chaque fois que vous ĂȘtes l'observateur de votre mental, vous dĂ©gagez votre conscience des formes du mental et celle-ci devient alors ce qu'on appelle l'observateur ou encore le tĂ©moin. Par consĂ©quent, le tĂ©moin - conscience pure au-delĂ  de toute forme - se renforce et les Ă©laborations du mental faiblissent. »[10].

La Connaissance de soi

« Connais-toi toi-mĂȘme ! » Socrate.

À l'instar du « Connais-toi toi-mĂȘme ! » de Socrate, la Connaissance de soi est une connaissance d'un type particulier dans la mesure oĂč le sujet connaissant et l'objet Ă  connaĂźtre s'y confondent. Ainsi, l'expĂ©rimentateur Ă©tablit son champ de recherches dans les profondeurs de sa propre psychĂ© (psychologie) oĂč il va entreprendre un travail de discernement (le terme "discrimination" est parfois employĂ© abusivement) entre ce qu’il "est" rĂ©ellement et ce qu’il croit ĂȘtre.

« ManƓuvrant avec souplesse les commandes de ses propres fonctions psychiques, l'expĂ©rimentateur sera simultanĂ©ment :
  • Un observateur et tĂ©moin impartial,
  • Un instrument de recherche,
  • Le terrain d'observation. »[11].

Une telle dĂ©marche demanderait d'abandonner les prĂ©jugĂ©s de toutes sortes, les modes de penser familiers, d'aborder chaque instant d'une maniĂšre neuve, pour qu'alors puisse Ɠuvrer une conscience originelle « inconditionnĂ©e », vierge de tout dogme ou d’idĂ©e prĂ©conçue. Au terme de cette quĂȘte, l'instrument de la recherche et le terrain d’observation se rĂ©sorberaient alors en totalitĂ© dans le TĂ©moin, cette rĂ©alitĂ© transcendantale, au-delĂ  des catĂ©gories de l'espace, du temps et de la CausalitĂ©.

Quelques méthodes sont proposées à cet effet.

Les méthodes de la connaissance de soi

Les approches spirituelles proposent généralement des exercices de purification, de priÚres, de méditation.

« Il n'existe point de psychotechniques vĂ©ritables conduisant Ă  la libĂ©ration - MokáčŁa. La psychĂ© peut ĂȘtre soumise Ă  des psychotechniques ; mais celles-ci ne constituent qu'un prĂ©lude, une phase prĂ©paratoire qui la rend plus rĂ©ceptive et permĂ©able Ă  la vĂ©ritĂ©. »[12].

Les psychotechniques en question ne seraient pas aptes Ă  conduire au Soi mais s’avĂšreraient souvent incontournables Ă  cause de la confusion et du conditionnement qui rĂšgnent dans l’esprit humain et apportent leur lot de souffrance/plaisir, dĂ©sir/rĂ©pulsion, violence/calme relatif. Ces mĂ©thodes seraient donc "prĂ©paratoires", elles permettraient un dĂ©sencombrement.

La rĂ©vĂ©lation du Soi est parfois comparĂ©e Ă  l'effet d’un interrupteur Ă©lectrique : la piĂšce qui Ă©tait dans la pĂ©nombre est soudainement et sans transition baignĂ©e de lumiĂšre.

« L'expérience libératrice se situant par-delà l'ultime frontiÚre de la psyché ; elle ne peut en conséquence comporter ni degrés ou transitions, ni approximations. Elle est ou n'est pas. »[13].

L’introspection

L'introspection est une approche qui consiste Ă  explorer le mystĂšre personnel et la mĂ©canique mentale a posteriori. Cette Ă©tude amĂšne le mental Ă  s’auto-analyser rĂ©troactivement ; cette activitĂ© du mental n'est donc pas perçue par un principe supĂ©rieur, indĂ©pendant et immĂ©diat. Ainsi lorsque Saint Augustin propose : « Au lieu d'aller dehors, rentre en toi-mĂȘme : c'est au cƓur de l'homme qu'habite la vĂ©ritĂ©. » l’introspection constitue un tout premier prĂ©ambule pour permettre Ă  la psychĂ© de se connaĂźtre elle-mĂȘme, tout en restant bien averti du risque de partialitĂ© qu’entraine la position de juge et partie assignĂ©e au mental.

Cette phase introspective, qui conduit notamment à repérer en soi des déséquilibres, ne peut cependant conduire à une véritable connaissance de soi que si elle s'accompagne d'un travail de rééquilibrage. Tel est le point de vue exprimé par Bahram Elahi dans un chapitre qu'il consacre à la connaissance de soi[14] : « Pour se connaßtre, on doit commencer, via une introspection rigoureuse, pour connaßtre les différentes instances qui constituent notre soi, puis repérer comment elles se manifestent au niveau de notre conscient. Au fur et à mesure que l'on prend conscience de nos déséquilibres caractériels, notre moi doit réduire ces déséquilibres en imposant sa volonté. Pour cela, il faut disposer de repÚres et de modÚles fiables, et capter l'aide divine directe (énergie métacausale) afin d'obtenir un résultat définitif ». C'est dire que le travail de connaissance de soi va de pair avec un travail de transformation de soi, un effort pour maßtriser en soi les déséquilibres ou défauts caractériels : des déséquilibres qui nous conduisent à nuire aux autres et nous maintiennent dans une ignorance de notre nature véritable.

Le rappel de soi

La Connaissance de soi peut se fonder sur ce qui est parfois appelĂ© "le rappel de soi"[15] tel que l'enseignait Gurdjieff, par exemple. Gurdjieff affirme que l'homme est endormi et vit dans un univers illusoire de songes, se croyant libre et pensant, qu'il reprĂ©sente le sommet de la crĂ©ation, alors qu'en rĂ©alitĂ©, tel qu'il est, il n'est qu'un esclave prisonnier et inconscient. Mais l'homme aurait potentiellement la possibilitĂ© de cesser d'ĂȘtre une machine, de se rĂ©veiller, de recouvrer un Ă©tat d'esprit sain et de s'Ă©vader de la prison et de son esclavage. En premier lieu, il lui faudrait rĂ©aliser au-delĂ  de tout doute, qu'il n'est pas libre. Et il lui faudrait possĂ©der le dĂ©sir impĂ©rieux de s'Ă©chapper et de recouvrer sa libertĂ© Ă  n'importe quel prix[16]. Il s'agirait alors de se donner des rendez-vous selon des actes, des lieux ou des heures prĂ©cises pour s'efforcer d'ĂȘtre conscient de ses actes. Ces rendez-vous, rĂ©ussis comme manquĂ©s, permettraient quantitĂ© de dĂ©couvertes sur la maniĂšre d'agir ou de rĂ©agir. Des pans importants de la personnalitĂ© pourraient ĂȘtre explorĂ©s, mais il subsisterait les problĂšmes de la rĂ©itĂ©ration menĂ©e par la volontĂ© et de la perpĂ©tuation d'un manque de spontanĂ©itĂ©.

L'observation de soi

Jiddu Krishnamurti dans les années 1920.

Krishnamurti Ă©voquait la fragmentation de l'ĂȘtre humain[17]. Ces "fragments" sont des rĂŽles que l'ego emprunte le temps d'une affirmation de son autoritĂ©. Pour se connaĂźtre, Krisnamurti invitait Ă  observer la succession, parfois incohĂ©rente, des diffĂ©rents « fragments », mettant ainsi l'accent sur la notion d'observation [18]. Un premier niveau Ă©lĂ©mentaire de l'observation porte sur l'objet perçu (trait de caractĂšre, routines, situation), puis ultimement sur le principe mĂȘme de l'observation dans l'instant prĂ©sent Ă  savoir : la pleine conscience (niveau, altĂ©ration).

La connaissance de soi permettrait de prendre conscience des habits dont l'ego aime se parer, de la dualité de positions inconciliables, des habitudes, des objets concrets du monde matériel mais aussi des objets subtils tels que les pensées, les émotions et les perceptions.

Finalement la connaissance de soi serait une prĂ©paration Ă  la rĂ©vĂ©lation du Soi, car elle aurait le pouvoir de rĂ©vĂ©ler tout ce qui est connaissable, elle diffĂšrerait fondamentalement d’une hypothĂ©tique connaissance du Soi, car le Soi n’est pas connaissable, il se vit. Ainsi se trace la frontiĂšre classique dans la tradition grecque entre noumĂšne et phĂ©nomĂšne et par analogie dans la tradition indienne : entre PuruáčŁa et Prakáč›ti, sujet connaissant et objet de connaissance, Conscience et objet qui se manifeste Ă  la Conscience.

Les confusions possibles

Les illusions

Il existe des états modifiés de conscience qui ont l'apparence de la quiétude fascinante du Soi mais ne seraient souvent qu'une savoureuse évasion.

« Intérieurement, il se retranche dans une jouissance spirituelle qui ressemble fort à une narcose profonde ; il s'y complaßt et recherche ardemment à nouveau de telles « expériences». »[19].

Le mental pris pour le Soi

Lorsque la pensĂ©e rationnelle et sa force de projection deviennent les seuls moyens d’approche ; les textes anciens qui dĂ©crivent le Soi deviennent d’un Ă©sotĂ©risme impĂ©nĂ©trable et rĂ©barbatif, car le Soi ne pourrait pas ĂȘtre pensĂ©. Pour ainsi dire, fonctionnant principalement par la raison, nous en venons a sous-estimer nos autres facultĂ©s mentales, et Ă  voir notre cogito comme la totalitĂ© de notre conscience.

L’intelligence perceptible Ă  l’état pur avant la formulation lorsqu’elle n’est pas confondue avec sa traduction sous forme de pensĂ©e, correspondrait Ă  cet aphorisme :

« Le Soi est uniquement conscience et d’une puretĂ© totale et inaltĂ©rable, bien qu’il perçoive Ă  travers les contenus du mental. »[20].

Cette confusion n’est pas sans consĂ©quence :

« - Les problÚmes du mental ne peuvent pas se résoudre sur le plan du mental. »
« - Le mental n'est pas dysfonctionnel en lui-mĂȘme, c'est un outil merveilleux. Le dysfonctionnement s'installe quand vous y cherchez votre moi et que vous le prenez pour vous. Il devient alors l'ego et prend totalement le contrĂŽle de votre vie. »[21].

La dualité

« Les termes antithĂ©tiques sont fermement posĂ©s. L'observateur de leur jeu n'est jamais pris au piĂšge d'une pensĂ©e dualistique. La voie est ouverte devant l'Ă©lan qui portera le dialecticien de ruptures en ruptures de niveaux jusqu'Ă  cette Ă©vidence transcendante et « anhypothĂ©tique » qui se suffit Ă  elle-mĂȘme et oĂč toute parole s'Ă©teint. »’’[22].

L’ego

Dans ses dĂ©buts, la quĂȘte du Soi pourrait s'accommoder de compromis ou de nĂ©gociations, mais lorsqu’elle deviendrait l’axe principal de l’accomplissement d’une vie, elle se transformerait en une ascĂšse prĂȘte Ă  rompre avec tous les attachements : pouvoir, puissance, argent, renommĂ©e, sĂ©duction, sensualitĂ©, tout ce qui entretient la survie de l’orgueil et perpĂ©tue l’agitation du mental devrait se dissoudre dans l'Ă©clairage de la discrimination.

« Tant que persiste le sens du moi individuel - fût-il camouflé ou refoulé sur un niveau de latence - l'asservissement demeure ; la conscience, captive de ses propres illusions et de ses créations mentales, est soumise aux lois ordinaires de l'ego. »[13].

Ainsi les Yoga sutras donnent une dĂ©finition laconique de l’ego :

« L’égo, c’est confondre l’énergie du tĂ©moin avec celle de son instrument le mental. »[23].
Mais cette confusion n’est pas sans consĂ©quence :
« La confusion est la source des autres souffrances, qui peut ĂȘtre latente, faible, intermittente ou trĂšs Ă©levĂ©e. »[24].

Les Yoga Sƫtra proposent la discrimination et la méditation comme moyen de révélation du Soi et de libération de la souffrance.[25].

[réf. nécessaire]

L'Ă©go rĂ©volu, l'ĂȘtre libĂ©rĂ© ne devient pas un superman, sa voie restant toujours une voie d'humilitĂ© :

« Apparemment, le jivanmukta ne se singularise en rien ; il parle, agit et se comporte avec ses contemporains d'une façon parfaitement naturelle. Il se refuse Ă  transparaĂźtre en spectaculaire exhibition. Sa sagesse est intĂ©rieure. Elle donne ses fruits Ă  ceux qui approchent le Sage Ă  cƓur ouvert (telle l'aspiration dĂ©sintĂ©ressĂ©e et totale Ă  la connaissance, Ă  l'amour sans phrase de la vĂ©ritĂ© pour la VĂ©ritĂ©.). »[26].

L’accompagnement

Cette approche spirituelle serait l'objet de convoitises et pourrait gĂ©nĂ©rer des abus. Pendant un temps, l'ami spirituel[27] est celui qui permet au chercheur de s'appuyer sur son expĂ©rience pour Ă©luder les leurres et divagations possibles. Son crĂ©dit serait fondĂ© dans une pratique authentique et une humilitĂ© se caractĂ©risant par l'absence de recherche de richesse, d'emprise en vue de manipulation, et toute autre forme de malhonnĂȘtetĂ© qui appartiennent aux multiples "commerces de l'Ăąme". Ainsi les amis spirituels authentiques seraient rares et discrets car fuyant le tapage de toute publicitĂ©.

L'ami spirituel

Certains fervents aspirants, tel Ramana Maharshi seraient parvenus seuls, par leurs propres moyens Ă  cette rĂ©vĂ©lation du Soi mais ils sont considĂ©rĂ©s comme rares. Cette ascĂšse demandant de remettre en cause des certitudes si puissamment ancrĂ©es, qu'un guide compĂ©tent serait nĂ©cessaire. De cette relation d’une qualitĂ© exceptionnelle, pourrait naĂźtre une petite lumiĂšre sur le chemin [28].

« Il ne s'inspire pourtant d'aucune doctrine, ni théorie, d'aucun systÚme préconçu. Avec la sûre intuition de l'artiste accompli il sait comment « percuter » l'interlocuteur afin que se révÚle en lui l'évidence intime, par l'anamnÚse. Chacun est abordé à travers les modes d'approches qui lui sont appropriés. »[29]

Le guide intérieur

Mais par quelle démarche l'homme peut-il s'extraire du cercle du devenir et à son incessante mobilité intellectuelle pour atteindre la paix du "Soi" ou le "Nouç grec" sans l'aide de quiconque ?

« Être plus fort que soi-mĂȘme, c'est aussi ĂȘtre plus faible ; rien n'est plus vrai que cette dĂ©couverte, car le triomphe du fort sur le faible n'est jamais final, et le vaincu sait prendre Ă  l'occasion de terribles revanches sur son vainqueur. L'exercice d'une technique de contrĂŽle sur les fonctions psychosomatiques exige avant tout pour ĂȘtre fructueuse le dĂ©voilement de la vĂ©ritĂ©. DĂšs lors l'ascĂšse s'accomplit sous le regard de cet instructeur invisible et impersonnel qu'est la Sagesse en nous ; elle en rĂ©fĂšre - au-delĂ  des dynamismes de la psychĂ© - Ă  une instance que nulle contradiction dualistique n'affecte. Il s'emprisonne dans un rĂȘve et se condamne Ă  un sommeil sans fin celui qui s'en remet Ă  un autre guide que Cela (Nouç) pour la conduite de sa vie dans la recherche du vrai. (Cf. RĂ©publique, Livre V, 475 et suivants et Livre VI, 508 d, e) »[29]

Les Ă©tapes de la manifestation du Soi

En raison de son caractĂšre subjectif et incommunicable, le Soi ne pourrait fournir la preuve absolue de sa validitĂ© qu'Ă  celui qui l'a expĂ©rimentĂ©e en lui-mĂȘme.

« Elle présente plusieurs caractéristiques remarquables :

  1. Sa venue est soudaine, fulgurante et parfois inattendue,
  2. Elle opÚre, à cet instant, une perception du monde trÚs claire et sereine, car désentravée des interprétations habituellement délivrées par les capacités cognitives usuelles,
  3. Elle est dépourvue entiÚrement de contenu intellectuel et d'images ; le pouvoir d'intuition conféré par elle s'appliquerait au problÚme ontologique et philosophique,
  4. L’établissement dĂ©finitif du Soi se caractĂ©rise par sa permanence et son irrĂ©versibilitĂ© dans un plan de transcendance, oĂč les notions de temps et d'espace n'ont plus cours. »[29].

Les plans de transcendance

Jean Klein, Ramana Maharshi, Jiddu Krishnamurti, Nisargadatta Maharaj, Adi Shankara, Swami Prajnanpad expriment que dans le champ de la pure conscience, les notions de temps, d'espace, d'Ă©nergie, de causalitĂ© n'auraient plus cours. Pour les mystiques, les scientifiques et les philosophes, cette notion est dĂ©routante car le pan usuel de la rĂ©flexion intellectuelle nĂ©cessite du temps et de l’énergie, cette atemporalitĂ© remet en cause toute approche par le chemin de la pensĂ©e, sans pourtant l'exclure tout Ă  fait.

« La conscience se manifeste nécessairement à l'homme sous l'apparence d'une fonction conditionnée : la pensée. Or, la pensée, comme toute forme d'énergie, correspond à un niveau déjà dégradé du principe initial. »[30].

Le Soi, dont la nature n'est pas phĂ©nomĂ©nale, n'use pas d’énergies spatio-temporelles. Ainsi, mĂȘme si le chercheur s'attend Ă  percevoir des manifestations du Soi, ou croit pouvoir tenir la preuve d'une rĂ©alisation du Soi, il serait dĂ©routĂ©, car :

« L'observateur situé dans la relativité des niveaux psychiques croit en percevoir fonctionnellement les effets comme tels. »[31].

Ne se situant pas sur plan matériel, rien ne peut "l'objectiver" :

« L'expĂ©rience du jivanmukta, par contre, transcende toutes les provinces de la psychĂ©. Elle est Ă©tablie par-delĂ  les frontiĂšres du psychisme, rĂ©sorbant en elle-mĂȘme les catĂ©gories de l'espace, du temps et de la causalitĂ©. »[32].

Quelle reprĂ©sentation de l'espace opĂ©rationnel du Soi serait alors possible, puisqu'il est hors du temps et de l'espace ? Pour les philosophes et les mathĂ©maticiens de notre Ă©poque, les notions de temps et d'espace peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des catĂ©gories mentales au mĂȘme titre que toutes les expĂ©riences sensorielles et motrices inhĂ©rentes Ă  la structure biologique humaine :

  • Les modalitĂ©s perceptives, se traduisent par un certain mode de contact et d'enregistrement, qui nĂ©cessitent temps et espace.
  • L’estimation de l'espace et celle de la durĂ©e varient sans cesse, se dilatent ou se contractent pendant le rĂȘve, le sommeil profond, l'Ă©motion forte, l'ennui, l’attente, mais aussi selon les exigences de nos spĂ©culations intellectuelles.
« Peut-on s'Ă©tonner, alors, si les barriĂšres du temps et de l'espace disparaissent aussitĂŽt qu'est suspendue ou dĂ©passĂ©e l'activitĂ© de l'ego ? L'entrĂ©e en jeu de l'ego avec ses processus perturbateurs : imagination, rationalisation, passion, altĂšre le cours de l'expĂ©rience. Cela peut dĂ©concerter. Mais n'en est-il pas de mĂȘme du mathĂ©maticien de notre Ă©poque ? Pour lui, le monde physique perd tous les attributs et qualitĂ©s selon lesquels il se manifeste Ă  notre sens commun comme Ă  notre intellect. L'univers n'est plus qu'Ă©nergie pure, ou mieux reprĂ©sentation mathĂ©matique, une Ă©quation. »[33].

L'homme qui aurait connu l'éveil spirituel dépasserait donc le flux du monde phénoménal et impermanent, tout comme le physicien ferait évanouir les apparences de la matiÚre.

« Dans ce mystérieux territoire transpsychique, l'expérience du temps et de l'espace a cessé d'avoir cours. Aucun substrat ne s'offre donc plus à l'exercice des sens, de l'émotion, de l'intellect, car ceux-ci se déroulent sur le plan relatif de la durée et de l'étendue. Les émotions et les processus intellectuels se fondent en effet sur des changements d'états électro-chimiques - dépolarisation et repolarisation, modulations vibratoires à fréquences multiples - en cheminement le long des neurones ; ces phénomÚnes ne peuvent se produire que dans le temps et l'espace. »[34].

L’aboutissement

Dans la vie quotidienne, lorsque certains objectifs sont atteints, une paix provisoire et relative peut apparaĂźtre le temps qu’un autre objectif s’installe. Étant subordonnĂ©e aux Ă©vĂ©nements de la vie, cette paix ne serait pas un attribut de la rĂ©alisation du Soi, lequel est par nature inconditionnĂ©.

« La joie que nous investissons et situons à tort dans les objets (animés ou inanimés), est captée dans un mécanisme aveugle de projection psychique. C'est une joie fugace car elle est tombée sous la loi du temps, adultérée et voilée parce qu'elle est erronément attribuée au monde extérieur, alors qu'elle réside en nous. »[35].

Lorsque le Soi n’est plus entravĂ©, une paix Ă©pisodique surgit lors d’épisodes imprĂ©vus de la vie, mais elle peut s’établir dĂ©finitivement lors de l’étape finale ou rĂ©alisation (mokáčŁa, Éveil, Samādhi, Bodhi etc.).

« La paix suprĂȘme de l'esprit Ă©chappe Ă  toute description ; Ă©mergeant du cƓur mĂȘme de l'expĂ©rience elle imprĂšgne l'ĂȘtre et le submerge en totalitĂ©, dans son dĂ©ploiement bĂ©atifique. DĂšs lors et pour toujours, son intensitĂ© demeure invariable, contrairement Ă  ce qui se produit dans les extases ou phĂ©nomĂšnes transitoires. Aucune contingence n'affecte l'homme qui vit le Soi, il peut vaquer aux occupations de la vie quotidienne sans que cet Ă©tat bĂ©atifique subisse aucune Ă©clipse. »[35].

Terminologie de la philosophie indienne

Le concept du Soi selon la philosophie hindoue

Les Upanishad expriment parfois la réalisation du Soi de maniÚre poétique :

« De mĂȘme qu'un homme embrassĂ© par sa bien-aimĂ©e ne sait plus rien du « je » et du « tu », ainsi le soi embrassĂ© par le Soi omniscient (solaire) ne sait plus rien d'un « moi-mĂȘme » au-dedans ou d'un « toi-mĂȘme » au-dehors Ă  cause de l'« unitĂ© ». »[36]

L'hindouisme partitionne le Soi, en soi non individualisé et Soi universel :

  • L'Âtman dĂ©signe le corrĂ©lat de brahman, principe immortel et libre dans l'homme. C'est le concept hindouiste de soi non individualisĂ© Ă  ne pas confondre avec le soi individualisĂ© (jÄ«va), l'Ăąme individuelle ou encore l'ĂȘtre incarnĂ© (jÄ«vātman)[37] - [38].
  • Le brahman est le Soi suprĂȘme de l'hindouisme. Il ne peut se dĂ©finir qu'en Ă©nonçant ce qu'Il n'est pas (neti-neti, en sanskrit : ni ceci, ni ceci). Brahman est dĂ©crit comme la rĂ©alitĂ© infinie, omniprĂ©sente, omnipotente, incorporelle, transcendante et immanente qui est la base divine de toute existence. Il est vĂ©ritĂ© infinie, conscience infinie et bonheur infini.

La négation du concept du Soi selon la philosophie bouddhiste

Le concept du Soi n'est pas retenu dans le bouddhisme car il reviendrait Ă  magnifier une manifestation Ă©gotique. Ceci se retrouve dans les deux concepts suivants :

  • Anātman, est le concept bouddhique d'impersonnalitĂ©, par opposition en la croyance hindouiste en l'ātman. Il n'existe selon cette vue aucune Ăąme, aucune essence Ă  trouver, mais une simple agrĂ©gation de phĂ©nomĂšnes conditionnĂ©s (voir skandha).
  • Vijñāna pouvant se traduire par Ă©tat de conscience, est le concept bouddhique de conscience. Il ne s'agit pas de la conscience comme caractĂ©ristique Ă  un ĂȘtre, Vijñāna ne dĂ©signe pas la conscience en tant qu'essence : le bouddhisme refuse le concept d' « ātman », considĂ©rant au contraire tout phĂ©nomĂšne comme impersonnel. Vijñāna dĂ©signe donc la conscience comme simple phĂ©nomĂšne psychique.

Notes et références

  1. « Le Soi qui observe toute chose est habituellement appelé Soi avec un S majuscule, ou le Témoin, ou la Pure Présence, ou la Pure Conscience ». Ken Wilber, A Brief History of Everything, ch. 12, p. 197-199
  2. « Certains Bouddhistes sectaires se sont empressés de considérer que le texte de Bouddha niait l'existence du "grand Soi", créant ainsi une opposition doctrinale irréductible entre le Bouddhisme et l'Hindouisme ». MÎhan Wijayaratna - Sermons du Bouddha, éditions du Cerf La Maïeutique Transcendante
  3. Immortelle conscience Paul Brunton p. 27 dans « Le Soi et le monde manifesté » : « La finalité de l'univers, c'est le Soi »
  4. Larry Culliford « Who am I, Self or self-less ? »
  5. Wouter Hanegraaff, New Age and Western Culture, SUNY Press 1998 p. 211.
  6. «Le Soi est une autre part de moi-mĂȘme, plus vaste que ma personnalitĂ©. C'est un Soi plus profond qui participe Ă  l'Ă©ternitĂ© de la mĂȘme maniĂšre que mon soi quotidien participe au temps » David Spangler dans "La renaissance du sacrĂ©" 1984 »
  7. page 45, (fr) Roger Godel, Socrate et le Sage Indien, Éditions Belles Lettres, 1982, 216 p. (ISBN 2251325387).
  8. page 275, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  9. page 60, (fr) Roger Godel, Socrate et le Sage Indien, Éditions Belles Lettres, 1982, 216 p. (ISBN 2251325387).
  10. page 96 : (fr) Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment prĂ©sent, Éditions Ariane, 2000, 240 p. (ISBN 2920987461).
  11. page 38, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  12. page 40, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  13. page 249, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  14. B. Elahi, La Voie de la perfection, chapitre 38, p. 235-244, Coll. Spiritualités vivantes, Albin Michel. La voie de la perfection, une pensée en perfectionnement - e-ostadelahi.fr
  15. Lorsque, en mĂȘme temps, j'essaie de me rappeler moi-mĂȘme, mon attention est dirigĂ©e Ă  la fois vers l'objet observĂ© et vers moi-mĂȘme. Page 177, (fr) P.D. Ouspensky, Fragments d'un enseignement inconnu, Éditions Stock, 1974, 583 p. (ISBN 2234001374).
  16. page : 26, Nicolas Tereshchenko, Gurdjieff et la quatriÚme voie, Ed. Guy Trédaniel, 1991, 301 p. (ISBN 2857073917)
  17. Krishnamurti, « Se libérer du connu », chapitre « la fragmentation de la pensée »
  18. Krishnamurti « Se libérer du connu » chapitre « L'observateur et l'observé »
  19. page 248, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  20. Yoga sutra II-20.
  21. pages : (fr) Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment prĂ©sent, Éditions Ariane, 2000, 240 p. (ISBN 2920987461).
  22. name="Godel page 54"
  23. Yoga sutras II-6.
  24. Yoga sutra II-5.
  25. Yoga sutras II-4.
  26. page 250, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  27. Kalyana Mitra, terme du Bouddhisme, utilisé par exemple par Chögyam Trungpa, maßtre spirituel tibétain ou par Arnaud Desjardins.
  28. Traduction du titre d’un texte classique du yoga : Hatha yoga pradipika.
  29. page 54, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  30. page 46, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  31. page 39, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  32. page 44, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  33. page 45, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  34. page 274, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  35. page 42, Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2901696104).
  36. Brihad Aranyaka Upanishad, cité par A. K. Coomaraswamy, Hindouisme et bouddhisme.
  37. The Sanskrit Heritage Dictionary de GĂ©rard Huet
  38. The other side of death: UpaniáčŁadic eschatology. NumĂ©ro 2 de Studies in Indian tradition. William Borman. Éd. Sri Satguru Publications, 1990, page 72

Bibliographie

  • (fr) Jean Monbourquette, De l'estime de soi Ă  l'estime du Soi : De la psychologie Ă  la spiritualitĂ© Bayard, 2003.
  • (fr) Roger Godel, Essais sur l'expĂ©rience libĂ©ratrice, Éditions PrĂ©sence, 1976, 275 p. (ISBN 2-90169-610-4).
  • (fr) Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment prĂ©sent, Éditions Ariane, 2000, 240 p. (ISBN 2-92098-746-1).
  • (fr) Arnaud Desjardins, 4 tomes : À la recherche du Soi - Adhyatma Yoga, Éditions de la Table Ronde, (ISBN 2-71030-106-7).
  • (fr) Stephen Jourdain, Voyage au centre de soi, Éditions Accarias - L'Originel, 2000, (ISBN 2-86316-080-X).
  • (fr) SvĂąmi ShantĂąnanda Puri, Soi, l'expĂ©rience de l'absolu selon l'AsthĂąvakra-GĂźtĂą suivi de Le saut quantique dans l'absolu, Accarias, 2004.
  • (fr) Jean-Pierre Coutard, Le soi, le temps et l'autre, autour de Husserl, Maine de Biran et Ricoeur, L'Harmattan, 2013, 232 p.

Voir aussi

Articles connexes

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