Sleeping Giants
Sleeping Giants (« Les GĂ©ants endormis ») est un collectif de militants agissant sur les rĂ©seaux sociaux dont l'objectif est la lutte « contre le financement des discours de haine » sur internet et dans les mĂ©dias[1] - [2] - [3] - [4] - [5]. Leur mode d'action est d'interpeller publiquement sur les rĂ©seaux sociaux les annonceurs dont les publicitĂ©s apparaissent dans des mĂ©dias considĂ©rĂ©s comme d'extrĂȘme droite ou dans des Ă©missions relayant des discours jugĂ©s racistes ou sexistes. Le collectif naĂźt en aux Ătats-Unis peu aprĂšs la victoire de Donald Trump Ă l'Ă©lection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine, avec le lancement d'un compte Twitter visant Ă boycotter Breitbart News.
L'organisation agit principalement depuis son compte Twitter mais elle dispose également d'un compte Facebook. Au fil du temps, diverses antennes régionales sont montées en Australie, en Belgique, au Brésil[6] - [7] - [5], au Canada, en Finlande, en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, en NorvÚge, en Espagne, en SuÚde, en Suisse et enfin au Royaume-Uni (antennes possédant aussi leurs propres comptes Twitter).
Campagnes
Actions contre Breitbart News
Le collectif naĂźt en aux Ătats-Unis[8] peu aprĂšs la victoire de Donald Trump Ă l'Ă©lection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine de 2016, avec le lancement d'un compte Twitter visant Ă boycotter Breitbart News[9] - [10]. Le premier message (sur Twitter) cible la sociĂ©tĂ© de gestion financiĂšre SoFi[8] (compagnie spĂ©cialisĂ©e dans la gestion financiĂšre). La plupart des messages de l'organisation sur le rĂ©seau social Twitter sont destinĂ©s aux entreprises fournissant de la publicitĂ© Ă la chaĂźne Breitbart News. La majoritĂ© de leurs messages incitent Ă participer au boycott de l'entreprise, tant que celle-ci n'aura pas rejoint la lutte contre Breitbart. L'essentiel de l'activitĂ© du rĂ©seau ne provient pas du compte lui-mĂȘme, mais de « retweets » de celui-ci ; cette mĂ©thode donne Ă l'organisation un trĂšs grand impact sur les utilisateurs des rĂ©seaux sociaux.
En février 2017, 820 entreprises ont rejoint le mouvement et avaient cessé de fournir de la publicité (et donc de l'argent) à Breitbart News, selon les statistiques fournies par l'organisation[8]. Un peu plus tard, en mai 2017, on décompte plusieurs milliers d'annonceurs qui ont cessé de placer leurs produits sur la chaßne Breitbart News[10] (les publicités sont la source de revenus principales des chaßnes de télévision), considérant cette campagne comme un moyen de protester ouvertement contre la politique de Donald Trump[10] ainsi que de se garantir la confiance des militants (et par conséquent celle des personnes qui suivent l'organisation sur les réseaux sociaux).
La liste des entreprises ayant rejoint le mouvement s'agrandit. On peut retenir parmi les marques les plus célÚbres AT & T, Kellogg's, BMW, Visa, Autodesk, Lenovo, HP Inc., Vimeo, Deutsche Telekom, Lyft, Allstate, Nest et Warby Parker (société spécialisée dans la vente de lunettes sur internet)[8] - [11] - [12]. Le gouvernement canadien cesse également de fournir de la publicité à Breitbart News, aprÚs avoir estimé que son contenu « n'est pas conforme au code de valeur et d'éthique du gouvernement »[13]. La stratégie de Sleeping Giants consiste à faire pression sur les annonceurs en associant méthodes traditionnelles (manifestations, etc.) et méthodes numériques (activisme en ligne), dans le but de recruter et de mobiliser une large population d'utilisateurs des réseaux sociaux. Selon Slate, la stratégie de Sleeping Giants est similaire à celle adoptée en 2014 par le mouvement Gamergate contre Gawker Media[14].
La décision de Kellogg's de se joindre à l'initiative de Sleeping Giants provoque la colÚre de Breitbart News. Le média lance alors une campagne de boycott des produits Kellogg's en décembre 2016[15].
Autres actions aux Ătats-Unis
En , Sleeping Giants mÚne une campagne visant à pousser les entreprises à ne plus fournir de publicités à The O'Reilly Factor, aprÚs la publication de l'affaire de cinq accords de harcÚlement sexuel visant l'animateur Bill O'Reilly sur la chaßne de télévision conservatrice Fox News. Sleeping Giants finit par l'emporter, entraßnant l'annulation de l'émission[16].
L'identitĂ© de l'instigateur de Sleeping Giants reste inconnue jusqu'en juillet 2018, date oĂč Matt Rivitz, un publicitaire, ancien employĂ© des sociĂ©tĂ©s TBWA\Chiat\Day et Goodby, Silverstein & Partners, confirme quâil est le fondateur du groupe, aprĂšs avoir Ă©tĂ© identifiĂ© par le mĂ©dia conservateur Daily Caller[17] - [18].
Actions au Canada
Ă partir de , l'antenne locale canadienne utilise les mĂȘmes moyens pour interpeller les sociĂ©tĂ©s fournissant de la publicitĂ© au mĂ©dia conservateur canadien The Rebel Media. La rĂ©ussite de l'opĂ©ration est confirmĂ©e quelques mois aprĂšs le dĂ©but de celle-ci[19].
Actions en France
La branche française de Sleeping Giants apparaĂźt le [17] - [3] - [20] avec pour seules mentions lĂ©gales « HĂ©bergement : Google Sites 1600 Amphitheatre Parkway in Mountain View California, United States ». Elle prend d'abord pour cible deux sites d'extrĂȘme droite : le site d'information gĂ©nĂ©raliste Boulevard Voltaire, fondĂ© par Robert MĂ©nard et Dominique Jamet, et le blog Breiz atao, crĂ©Ă© par Boris Le Lay[3], lesquels perdent alors presque tous leurs annonceurs : plus de 1 000 bloquent Boulevard Voltaire, tandis que Breiz atao est Ă©galement banni de Google Ads[20] - [21] - [22].
En , l'antenne française interpelle la société Ferrero, qui retire l'émission Zemmour & Naulleau de la liste de diffusion des publicités Nutella[21].
En , le collectif lance une action contre Valeurs actuelles, dont selon lui « la plupart des articles reprenaient telles quelles la rhĂ©torique, les thĂ©ories complotistes, l'intolĂ©rance et l'accumulation de faits divers orientĂ©s que nous n'avions rencontrĂ©s que sur les pires blogs extrĂ©mistes », concluant que « beaucoup de ses titres ou articles n'ont rien Ă envier Ă Boulevard Voltaire, Minute ou Rivarol ». Le collectif informe plusieurs marques que leur publicitĂ© figure sur le magazine au cĂŽtĂ© de contenus qui pourraient nuire Ă leur image, et les incite Ă retirer leur publicitĂ© du magazine en ligne[3] - [23]. Le 3 dĂ©cembre, le magazine Valeurs actuelles publie « le mur de la honte », qui recense un millier de marques qu'il dĂ©nonce comme Ă©tant « contre le dĂ©bat d'idĂ©e », et encourage ses lecteurs Ă interpeller ces marques en leur en envoyant un message prĂ©-rĂ©digĂ©. Selon Capital, ce « mur » prĂȘte Ă confusion car la liste utilisĂ©e recense en rĂ©alitĂ© les entreprises qui ont retirĂ© leurs publicitĂ©s du site Boulevard Voltaire Ă l'initiative de Sleeping Giants, lequel dĂ©nonce en retour la « stratĂ©gie de victimisation » de Valeurs actuelles. Toujours selon Capital, les marques Red by SFR et Frichti auraient renoncĂ© Ă boycotter Valeurs actuelles, sans toutefois en prĂ©ciser la raison[24]. En 2019, le syndicat des Ă©diteurs de la presse magazine (SEPM) dĂ©nonce une « campagne diffamatoire et discriminatoire » de Sleeping Giants, dĂ©clarant que « Valeurs actuelles a le statut de presse d'information politique et gĂ©nĂ©rale (IPG) accordĂ© par l'Ătat, afin d'assurer l'existence d'une offre de presse pluraliste, seule garante du caractĂšre dĂ©mocratique du dĂ©bat public »[25].
Le directeur adjoint de la rĂ©daction, Tugdual Denis, reconnaĂźt que Sleeping Giants fait « perdre beaucoup dâargent » Ă son magazine. En dĂ©but d'annĂ©e, lâentreprise de publicitĂ© en ligne Taboola avait rompu son contrat avec le magazine Ă la suite de la publication du feuilleton donnant Ă voir la dĂ©putĂ©e DaniĂšle Obono reprĂ©sentĂ©e en esclave, le privant dâun revenu de « trois millions dâeuros sur trois ans ». Le 4 juin 2021, la sociĂ©tĂ© Valmonde et Cie, Ă laquelle appartient Valeurs actuelles, dĂ©pose une plainte contre Sleeping Giants, visant Ă dĂ©noncer « des faits de discrimination, Ă raison des opinions politiques, et de nature Ă entraver lâexercice normal dâune activitĂ© Ă©conomique ». InterrogĂ©e par Le Monde, une militante de Sleeping Giants dĂ©clare : « ces procĂšs bĂąillons sont dâabord faits pour nous intimider »[26].
Critiques
Des médias visés par Sleeping Giants ont notamment qualifié les membres de l'organisation de « trolls numériques » intolérants cherchant à censurer les points de vue différents des leurs par l'intimidation et le chantage[27] - [28] - [29].
Pour le philosophe Yves Michaud, les sections des Sleeping Giants sont proches d'un fascisme de gauche. Il dĂ©nonce l'impĂ©rialisme donneur de leçon, l'ingĂ©rence amĂ©ricaine et le collectif anonyme. Il considĂšre que leurs actions doivent faire l'objet de poursuites. Yves Michaud dĂ©plore la lĂąchetĂ© ambiante et rappelle quâil existe un dĂ©lit de dĂ©nigrement qui peut entraĂźner de trĂšs lourdes amendes[30].
Selon John Tierney (en) dans un article paru dans le City Journal (en), les actions de Sleeping Giants s'inscrivent dans un mouvement plus large de censure, Ă mettre en parallĂšle avec les actions parfois violentes dans des universitĂ©s, visant Ă empĂȘcher la venue de certains confĂ©renciers[31].
Ă lâautomne 2021, le collectif Les Corsaires apparaĂźt dans le but de faire contrepoids aux actions des Sleeping Giants sur les rĂ©seaux sociaux francophones[32]. DâaprĂšs Le Monde, une enquĂȘte de StreetPress[33] rĂ©vĂšle les liens Ă©troits existant entre ce groupe, dotĂ© de moyens consĂ©quents, et le militant conservateur Ămile Duport[32].
Références
- Les activistes de Sleeping Giants sâattaquent aux annonceurs de « Valeurs actuelles », L'Obs, 2 dĂ©cembre 2019.
- "Pourvoyeur de haine" : aprÚs CNews, Sleeping Giants s'attaque à "Valeurs actuelles", L'Express, 2 décembre 2019.
- Pierre Plottu, AprÚs CNews, Valeurs actuelles est la nouvelle cible des Sleeping Giants, Slate, 2 décembre 2019.
- Sacha, « La droite dure et extrĂȘme au secours de CNews contre Decathlon - LibĂ©ration », sur LibĂ©ration, (consultĂ© le )
- (en) Raphael Tsavkko Garcia, « Anonymous Twitter accounts in Brazil are pressuring advertisers to drop conservative media campaigns », sur Insider, (consulté le )
- Giovanna Fleck, « Quatre actions qui ont mobilisé les internautes brésiliens contre le racisme et la corruption · Global Voices en Français », sur Global Voices en Français, (consulté le )
- Chantal Rayes, « Une doublette à l'assaut de la fachosphÚre brésilienne », sur Libération.fr, (consulté le )
- (en) Dara Kerr, « Tech companies' newest cause celebre? Boycott Breitbart », CNET,â (lire en ligne)
- (en) Pagan Kennedy, « How to Destroy the Business Model of Breitbart and Fake News », The New York Times,â (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Mattea Kramer, « These Protesters Are Hitting Trump Where It Actually Hurts », The Nation,â (lire en ligne)
- (en) Jeremy Quittner, « Shopify Won't Remove Breitbart's Online Shop, Claiming Free Speech. », sur fortune.com, (consulté le )
- (en) Steven Perlberg, « Breitbart Takes Aim at Kellogg in ad Dispute », Wall Street Journal,â (ISSN 0099-9660, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Sara Guaglione, « Various Companies, Canadian Government Pull Ads From 'Breitbart News' », sur mediapost.com, MediaPost, (consulté le )
- (en) Osita Nwanevu,, « Sleeping Giants" Is Borrowing Gamergateâs Tactics to Attack Breitbart », Slate,â (ISSN 1091-2339, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Nicky Woolf, « Breitbart declares war on Kellogg's after cereal brand pulls advertising from site », The Guardian,â (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) David Pierson, « How a social media campaign helped drive Bill O'Reilly out of Fox News », Los Angeles Times,â (lire en ligne)
- Sandrine Cassini, Contre la haine, ces militants qui sâattaquent Ă la pub, Le Monde, 21 novembre 2019.
- Sleeping Giants on Breitbart and brand safety: 'It's not our job to police your ads'
- (en) Daniel Tencer, « Rebel Media Has Lost 300 Advertisers In Past 3 Months: Group », Huffington Post,â (lire en ligne)
- Pierre Plottu, Ils veulent priver les sites d'extrĂȘme droite de "l'argent de la haine", France Soir, 10 juillet 2019.
- Hakima Bounemoura, Qui sont les « Sleeping Giants », ces citoyens qui luttent contre la propagation de la haine en ligne ?, 20 Minutes, 14 octobre 2019.
- Romain Jeanticou, « Boulevard Voltaire, le site fondé par Robert Ménard, lùché par ses annonceurs », sur telerama.fr, Telerama, (consulté le )
- ThĂ©o Moy, "Sleeping Giants"â: ces militants qui intimident les annonceurs des mĂ©dias qui leur dĂ©plaisent, marianne.net, 14 juin 2021.
- BarthĂ©lĂ©my Philippe, « Coca-Cola, LâOrĂ©al, Monoprix⊠que font ces marques sur le âMur de la honteâ de Valeurs actuelles ? », sur capital.fr,
- « Le SEPM à la rescousse de Valeurs actuelles contre le collectif Sleeping Giants », sur cbnews.fr,
- Publicité : CNews et « Valeurs actuelles » déposent plainte contre le collectif Sleeping Giants, Le Monde, 13 juin 2021.
- (en) Jennifer Duke, « Alan Jones lashes corporate cowardice over activist 'blackmail' », sur The Sydney Morning Herald, (consulté le ) : « Just because you have a difference of opinion that you go out and you blackmail and vandalise people. You can't run a society like this »
- « We canât give in to trolls », sur www.theaustralian.com.au, (consultĂ© le ) : « these digital trolls are increasingly wanting to shut down legitimate public debate and discussion beacause they hate view alternative to their own being expressed »
- (en-US) The Washington Times http://www.washingtontimes.com, « Language app Babbel says itâs âdeeply sorryâ its ad ran on ârepugnantâ Tucker Carlson program », sur The Washington Times (consultĂ© le ) : « Fox News fired back at Babbel in a statement, saying it would not allow Mr. Carlson to be censored by âagenda-driven intimidation efforts.â from the intolerant partisan activists Media Matters, Sleeping Giants and Moveon.org whose only goal is to silence conservative thought they donât agree with,â the statement said. »
- « Boycotts pub : bien pire que lâactivisme des Sleeping Giants, la lĂąchetĂ© des marques qui cĂšdent Ă la pression », sur atlantico.fr,
- (en) John Tierney is a contributing editor of City Journal et a contributing science columnist for the New York Times, « Journalists Against Free Speech », sur City Journal, (consulté le )
- Samuel Laurent, « « Sleeping Giants » contre « Corsaires » : bataille autour du boycottage publicitaire de mĂ©dias conservateurs », Le Monde,â (lire en ligne )
- Maxime MacĂ©, Pierre Plottu, « Les Corsaires : derriĂšre « lâarmada numĂ©rique », un publicitaire trĂšs Manif pour Tous », sur Streetpress