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Saturn I

Saturn I est un lanceur spatial moyen amĂ©ricain. Contrairement Ă  tous les autres lanceurs de l'Ă©poque il ne dĂ©rive pas d'un missile balistique mais est conçu dès sa crĂ©ation pour placer des engins spatiaux en orbite. Il s'agit initialement d'une fusĂ©e dĂ©veloppĂ©e par l’Army Ballistic Missile Agency dirigĂ©e par Wernher von Braun pour placer en orbite des satellites militaires lourds. Ă€ la suite de la crĂ©ation de la NASA puis du dĂ©marrage du programme Apollo, la fusĂ©e Saturn I devient un jalon intermĂ©diaire permettant de roder concepteurs et constructeurs avant le dĂ©veloppement du lanceur lourd Saturn V. Avec son second Ă©tage propulsĂ© par six moteurs RL-10 capables de placer en orbite un satellite de 9 tonnes, elle permet pour la première fois Ă  la NASA de disposer d'un lanceur plus puissant que ceux alignĂ©s par l'Union soviĂ©tique. Dix fusĂ©es Saturn I seront lancĂ©es avec succès par la NASA entre 1961 et 1965, avant qu'elle ne soit remplacĂ©e par la Saturn IB dotĂ©e d'un Ă©tage supĂ©rieur plus puissant.

Saturn I
Lanceur moyen
La Saturn I SA-4 sur son pas de tir.
La Saturn I SA-4 sur son pas de tir.
Données générales
Pays d’origine Drapeau des États-Unis États-Unis
Premier vol
Dernier vol
Lancements (Ă©checs) 10 (0)
Hauteur 51 m
Diamètre 6,52 m
Masse au dĂ©collage 510 tonnes
Étage(s) 2
PoussĂ©e au dĂ©collage 6,7 MN
Base(s) de lancement Centre spatial Kennedy
Charge utile
Orbite basse 9 tonnes
Orbite lunaire 2,2 tonnes
Motorisation
1er étage 8 moteurs H-1 LOX/Kérosène
2e Ă©tage 6 moteurs RL-10 LH2/LOX

Contexte

Un lanceur lourd pour les satellites militaires

Les dĂ©buts de la famille de lanceurs Saturn sont antĂ©rieurs au programme Apollo et Ă  la crĂ©ation de la NASA. DĂ©but 1957, le DĂ©partement de la DĂ©fense (DOD) amĂ©ricain identifie un besoin pour un lanceur lourd permettant de placer en orbite des satellites de reconnaissance et de tĂ©lĂ©communications allant jusqu'Ă  18 tonnes et des sondes spatiales interplanĂ©taires d'une masse comprise entre 2,7 et 5,4 tonnes. Les lanceurs amĂ©ricains les plus puissants en cours de dĂ©veloppement peuvent tout au plus lancer 1,5 tonne en orbite basse car ils dĂ©rivent de missiles balistiques beaucoup plus lĂ©gers que leurs homologues soviĂ©tiques. En leur ajoutant des Ă©tages supĂ©rieurs utilisant des ergols performants (oxygène/hydrogène), la charge utile peut atteindre au plus 4,5 tonnes. Mais ces lanceurs ne seront pas près avant 1959 et leur version avec Ă©tage supĂ©rieur performant avant 1961 ou 1962. Or le DOD estime que le besoin est urgent et qu'il faut donc dĂ©velopper une nouvelle famille de lanceurs lourd en imposant un calendrier très serrĂ©[1].

À l'époque, Wernher von Braun et son équipe d'ingénieurs, venus comme lui d'Allemagne, travaillent à la mise au point des missiles balistiques à courte portée Redstone et Jupiter au sein de l'Army Ballistic Missile Agency (ABMA), service de l'Armée de Terre situé à Huntsville (Alabama). En , le Département de la Défense (DOD) a décidé de confier à l'Armée de l'Air le développement des missiles balistiques intercontinentaux, et von Braun, qui guignait ce projet, a décidé en conséquence de se tourner vers le développement de lanceurs spatiaux lourds répondant au besoin de lanceur lourd du DOD. L'équipage de l'ABMA décide de travailler sur un projet de lanceur propulsé par un moteur unique de 450 tonnes de poussée en cours d'étude chez Rocketdyne à la demande de l'Armée de l'Air. Mais la date de mise au point de ce moteur-fusée (le futur F-1 propulsant la fusée Saturn V) est trop éloignée dans le temps pour répondre au besoin urgent du DoD et de toute façon sa poussée est inférieure aux 680 tonnes exigées pour répondre au besoin. Rocketdyne étudie également un moteur baptisé E-1 (en) dont la poussée est de 160-170 tonnes et l'ABMA évalue un premier étage propulsé par quatre moteurs de ce type. Sans avoir adopté un moteur précis, von Braun est désormais certain que le premier étage sera propulsé par plusieurs moteurs-fusées et il fait une réponse à l'appel d'offres de la DoD dans ce sens. Mais cette proposition reste à l'état de papier. Tout s'accélère fin 1957 et début 1958 avec le lancement de Spoutnik 1 qui, en lançant la course à l'espace entre Union soviétique et États-Unis, va mobiliser les dirigeants américains sur la question spatiale et la réorganisation du Département de la Défense qui aboutit à la création de l'Agence des projets de recherche avancée (ARPA) qui va permettre d'optimiser les procédures administratives et budgétaires[2].

Après avoir renoncĂ© Ă  recourir au moteur-fusĂ©e E-1 dont la mise au point est trop tardive, von Braun propose d'utiliser une version dĂ©rivĂ©e du moteur-fusĂ©e propulsant les missiles Jupiter. La fusĂ©e, qui est baptisĂ©e Super-Jupiter comporte un premier Ă©tage, constituĂ© de 8 Ă©tages Redstone regroupĂ©s en fagot autour d'un Ă©tage Jupiter. Huit moteurs H-1 fournissent les 680 tonnes de poussĂ©e nĂ©cessaires pour lancer les satellites lourds. Le DĂ©partement de la DĂ©fense, après examen de projets concurrents, se dĂ©cide Ă  financer en le dĂ©veloppement de ce nouveau premier Ă©tage rebaptisĂ© Juno V puis finalement Saturn (en anglais la planète situĂ©e au-delĂ  de Jupiter). Le lanceur utilise, Ă  la demande du DOD, 8 moteurs-fusĂ©es H-1, simple Ă©volution du propulseur utilisĂ© sur la fusĂ©e Jupiter, ce qui doit permettre une mise en service rapide.

La récupération du projet Saturn par la NASA

Durant l'été 1958, la NASA, l'agence spatiale civile américaine qui vient d'être créée, identifie le lanceur comme un composant clé de son programme spatial. Mais début 1959, le Département de la Défense décide d'arrêter ce programme coûteux dont les objectifs sont désormais couverts par d'autres lanceurs en développement. La NASA obtient le transfert du projet et des équipes de Wernher von Braun fin 1959. Cette affectation est effective au printemps 1960 et la nouvelle entité de la NASA prend le nom de Centre de vol spatial Marshall (George C. Marshall Space Flight Center MSFC).

La question des étages supérieurs du lanceur était jusque-là restée en suspens : l'utilisation de composants existants trop peu puissants et d'un diamètre trop faible n'était pas satisfaisante. Fin 1959, un comité de la NASA travaille sur l'architecture des futurs lanceurs de la NASA : son animateur, Abe Silverstein, responsable du centre de recherche Lewis et partisan de la propulsion par le couple hydrogène/oxygène en cours d'expérimentation sur la fusée Atlas-Centaur, réussit à convaincre un Von Braun réticent d'en doter les étages supérieurs de la fusée Saturn. Le comité identifie dans son rapport final six configurations de lanceur de puissance croissante (codés A1 à C3) permettant de répondre aux objectifs de la NASA tout en permettant de procéder à une mise au point progressive du modèle le plus puissant[3].

Configuration définitive de la famille Saturn

Lorsque le prĂ©sident Kennedy accède au pouvoir dĂ©but 1961, les configurations des versions plus puissantes du lanceur Saturn sont toujours en cours de discussion, reflĂ©tant l'incertitude sur les missions futures du lanceur. Toutefois, dès , Rocketdyne, sĂ©lectionnĂ© par la NASA, avait dĂ©marrĂ© les Ă©tudes sur le moteur J-2, retenu pour propulser les Ă©tages supĂ©rieurs grâce Ă  plus de 105 tonnes de poussĂ©e obtenus en consommant hydrogène et oxygène. Le mĂŞme motoriste travaillait depuis 1956, initialement Ă  la demande de l'ArmĂ©e de l'air, sur l'Ă©norme moteur F-1 (690 tonnes de poussĂ©e) retenu pour le premier Ă©tage. Fin 1961, la configuration du lanceur lourd (C-5 futur Saturn V) est figĂ©e : le premier Ă©tage est propulsĂ© par cinq F-1, le deuxième Ă©tage par cinq J-2 et le troisième par un J-2. L'Ă©norme lanceur peut placer 113 tonnes en orbite basse et envoyer 41 tonnes vers la Lune. Deux modèles moins puissants doivent ĂŞtre utilisĂ©s durant la première phase du projet :

  • la C-1 (ou Saturn I), utilisĂ©e pour tester des maquettes des vaisseaux Apollo, est constituĂ©e d'un premier Ă©tage propulsĂ© par huit moteurs H-1 couronnĂ© d'un second Ă©tage propulsĂ© par six RL-10 ;
  • la C-1B (ou Saturn IB), chargĂ©e de qualifier les vaisseaux Apollo sur l'orbite terrestre, est constituĂ©e du 1er Ă©tage de la S-1 couronnĂ© du troisième Ă©tage de la C-5[4].
Caractéristiques des lanceurs Saturn
LanceurSaturn ISaturn IBSaturn V
Charge utile
en orbite basse (LEO)
injection vers la Lune (TLI)
t (LEO)18,6 t (LEO)118 t (LEO)
47 t (TLI)
1er Ă©tage S-I (poussĂ©e 670 t.)
8 moteurs H-1 (LOX/Kérosène)
S-IB (poussĂ©e 670 t)
8 moteurs H-1 (LOX/Kérosène)
S-IC (PoussĂ©e 3 402 t)
5 moteurs F-1 (LOX/Kérosène)
2e Ă©tage S-IV (PoussĂ©e 40 t.)
6 RL-10 (LOX/LH2)
S-IVB (PoussĂ©e 89 t)
1 moteur J-2 (LOX/LH2)
S-II (PoussĂ©e 500 t.)
5 moteurs J-2 (LOX/LH2)
3e Ă©tage --S-IVB (PoussĂ©e 100 t.)
1 moteur J-2 (LOX/LH2)
Vols 10 (1961-1965)
Satellites Pegasus,
maquette du CSM
9 (1966-1975)
Qualification CSM,
relève Skylab,
vol Apollo-Soyouz
13 (1967-1973)
missions lunaires
et lancement Skylab

Développement et carrière opérationnelle

Le lanceur Saturn I constitue un jalon intermĂ©diaire qui doit permettre aux ingĂ©nieurs et aux constructeurs d'acquĂ©rir une première expĂ©rience dans le dĂ©veloppement des fusĂ©es de forte puissance avant de se lancer dans la rĂ©alisation de la fusĂ©e Saturn V. Il doit ĂŞtre dĂ©veloppĂ© rapidement et reprend donc des Ă©lĂ©ments existants ou dont le dĂ©veloppement est bien avancĂ©. Le premier Ă©tage, baptisĂ© S-I, est celui du Super-Jupiter. Pour le second Ă©tage, on choisit d'utiliser six moteurs RL-10 brĂ»lant un mĂ©lange d'hydrogène et d'oxygène liquide en cours de dĂ©veloppement pour l'Ă©tage Centaur et qui fournissent ensemble 40 tonnes de poussĂ©e. Le dĂ©veloppement de cet Ă©tage, baptisĂ© S-IV, est confiĂ© le après appel d'offres au constructeur Douglas Aircraft Company. Les Ă©lĂ©ments de l'Ă©tage S-IV les plus complexes Ă  construire sont les deux rĂ©servoirs contenant les ergols cryogĂ©niques dont la taille et l'architecture (paroi commune) constituent une première.

Les vols du lanceurs Saturn I

La fusée Saturn I avait été conçue alors que le cahier des charges du programme lunaire n'était pas encore figé. Sa capacité d'emport s’avère finalement trop faible même pour remplir les objectifs des premières phases du programme. Néanmoins, dix des douze fusées commandées sont construites et lancées dont six avec l'ensemble des étages. Le premier lancement de la fusée sans deuxième étage a lieu dès le . Après cinq vols consacrés à la mise au point de la fusée (missions SA-1, SA-2, SA-3, SA-4 et SA-5), Saturn I est utilisée pour lancer quatre maquettes du vaisseau Apollo (missions SA-6 et SA-7). Les missions A-103, A-104 et A-105 sont utilisées pour placer en orbite des satellites chargés d'évaluer la menace représentée par les micrométéorites pour les vaisseaux et astronautes en orbite terrestre (programme Pegasus).

La construction et le lancement des dix fusées Saturn I sont un succès total et permirent d'aborder le développement de fusées plus ambitieuses. La fusée Saturn IB, dotée d'un second étage plus puissant propulsé par le moteur J-2, qui jouera un rôle crucial dans la mission lunaire, effectua son premier vol dès le .

Les 10 lancements de la fusée Saturn I, de SA-1 à SA-10.
Numéro de série Mission Date de lancement Remarques
SA-1 SA-1 Premier test. Bloc I. Vol suborbital. ApogĂ©e 136,5 km, Distance 398 km. Masse Ă  l'apogĂ©e 65,6 tonnes.
SA-2 SA-2 Second test. Bloc I. Vol suborbital. 86 tonnes sont libĂ©rĂ©es lorsque le lanceur atteint son apogĂ©e Ă  145 km d'altitude.
SA-3 SA-3 Troisième test. Bloc I. Vol suborbital. 86 tonnes sont libĂ©rĂ©es lorsque le lanceur atteint son apogĂ©e Ă  167 km d'altitude.
SA-4 SA-4 Quatrième test. Bloc I. Vol suborbital. Second Ă©tage SIV factice. ApogĂ©e 129 km, Distance 400 km.
SA-5 SA-5 Premier lancement avec un second Ă©tage S-IV fonctionnel. Premier Bloc II. Première mise en orbite (760 Ă— 264 km). Masse placĂ©e en orbite 17,55 tonnes. RentrĂ©e atmosphĂ©rique le . Premier tir oĂą la NASA dispose d'une capacitĂ© de lancement supĂ©rieure Ă  celle des soviĂ©tiques.
SA-6 A-101 Première maquette du vaisseau Apollo. Bloc II. Orbite 204 Ă— 179 km. Masse 17 650 kg. RentrĂ©e atmosphĂ©rique de Apollo BP-13 le .
SA-7 A-102 Seconde maquette du vaisseau Apollo. Bloc II. Orbite 203 Ă— 178 km. Masse 16 700 kg. Apollo BP-15 effectue sa rentrĂ©e atmosphĂ©rique le .
SA-9 A-103 Troisième maquette du vaisseau Apollo; premier satellite Pegasus. Orbite 523 Ă— 430 km. Masse 1 450 kg. RentrĂ©e atmosphĂ©rique de Pegasus 1 le et de Apollo BP-26 le .
SA-8 A-104 Quatrième maquette du vaisseau Apollo; Deuxième satellite Pegasus. Orbite 594 Ă— 467 km. Masse 1 450 kg. RentrĂ©e atmosphĂ©rique de Pegasus 2 le et de Apollo BP-16 le .
SA-10 A-105 Troisième satellite Pegasus. Orbite 567 Ă— 535 km. Masse 1 450 kg. RentrĂ©e atmosphĂ©rique de Pegasus 3 le et de Apollo BP-9A le .

Caractéristiques techniques

Premier Ă©tage S-I

L'étage S-I long de 24,44 mètres a une diamètre de 6,53 mètres (12,43 mètres avrec les ailerons). Sa masse au décollage est de 460,85 tonnes et sa masse à sec (sans ergols) est de 46,72 tonnes. Il est propulsé par huit moteurs-fusées H-1 alimentés par les ergols stockés dans neuf réservoirs. Huit de ces réservoirs provenant du missile Redstone sont agencés autour du réservoir d'un missile Jupiter rempli d'oxygène liquide : 4 d'entre eux contiennent de l'oxygène liquide, quatre autres du kérosène. Les quatre moteurs externes peuvent être orientés pour mieux guider la fusée[5] .

Deuxième étage S-IV

Le deuxième étage S-IV, construit par Douglas Aircraft est long de 12,62 mètres a une diamètre de 5,57 mètres. Sa masse au décollage est de 51,709 tonnes et sa masse à sec (sans ergols est de 5,896 tonnes. Il est propulsé par six moteurs-fusées RL-10 A-3 d'une poussée unitaire dans le vide de 66,7 kiloNewtons. Ces moteurs mis au point pour l'étage Centaur en cours de développement sont les premiers à utiliser le mélange hydrogène/oxygène particulièrement performant mais difficile à mettre en œuvre. Bien que développés pour l'étage Centaur, ils volent pour la première fois sur la fusée Saturn I[5].


Caractéristique S-I – 1er étage S-IV – 2e étage
Hauteur (m) 24,48 12,19
Diamètre (m) 6,52 5,49
Masse (kg) 432 681 50 576
Masse Ă  vide (kg) 45 267 5 217
Moteur 8 Ă— H-1 6 Ă— RL-10
Poussée (kN) 7582 400
Impulsion spécifique (secondes) 288 410
Impulsion spécifique (kN·s/kg) 2,82 4,02
Durée de fonctionnement (s) 150 482
Ergols LOX/RP-1 LOX/LH2

Références

Bibliographie

  • (en) Robert E. Bilstein, Stages to Saturn a technological history of Apollo/Saturn Launch vehicles, University Press of Florida, (ISBN 0-16-048909-1, lire en ligne)
  • (en) Dennis R. Jenkins et Roger D Launius, To reach the high frontier : a history of U.S. launch vehicles, The university press of Kentucky, (ISBN 978-0-8131-2245-8)
  • (en) J.D. Hunley, US Space-launch vehicle technology : Viking to space shuttle, University press of Florida, , 453 p. (ISBN 978-0-8130-3178-1)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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