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PGM-19 Jupiter

Le PGM-19 Jupiter est un missile balistique de portĂ©e intermĂ©diaire de l'armĂ©e de l'air amĂ©ricaine, initialement dĂ©veloppĂ© dans les annĂ©es 1950 dans le cadre d'un programme commun de l'armĂ©e de terre et de la Marine. Cette dernière se retire du projet fin 1956, alors que les spĂ©cifications sont figĂ©es. Le Jupiter est une Ă©volution du missile Ă  courte portĂ©e PGM-11 Redstone ; comme celui-ci, il est conçu par l'ingĂ©nieur d'origine allemande Wernher von Braun. Pour rĂ©pondre Ă  des contraintes de manipulation Ă  bord des navires, c'est un missile au gabarit assez trapu, avec une hauteur de seulement 18 mètres pour un diamètre de 2,7 mètres. Ă€ terre, il est tirĂ© depuis des installations mobiles, malgrĂ© sa masse qui atteint 50 tonnes. Son Ă©tage unique est propulsĂ© par un moteur-fusĂ©e Rocketdyne S-3D produisant 667 kN de poussĂ©e et alimentĂ© par des ergols constituĂ©s d'oxygène liquide et de RP-1 (un dĂ©rivĂ© très raffinĂ© du kĂ©rosène).

Un missile balistique Jupiter.

Il est déployé à compter de 1959 en Italie puis en Turquie, mais est retiré du service opérationnel en 1963, dans le cadre d'une clause secrète du règlement de la crise des missiles de Cuba passée entre les gouvernements américain et soviétique. Le missile Jupiter a une brève carrière comme lanceur sous l'appellation Juno II entre 1958 et 1961. Pour répondre aux besoins d'un lanceur civil plus puissant en attendant la Saturn V, von Braun développe les fusées Saturn I et IB, dont le premier étage est constitué d'un assemblage du corps d'un missile Jupiter, placé en position centrale, et de huit corps de missiles Redstone.

Historique

Coupe d'un missile Jupiter.
Comparaison des deux missiles dérivés du Redstone, dont le Jupiter.
Une fusée Juno-II dérivée du lanceur Jupiter lance le satellite Explorer 7 (1959).

La création du missile Jupiter est liée à l'existence du missile Redstone. La conception de celui-ci remonte à 1948, lorsque l'armée américaine contacte la société General Electric pour le développement d'un missile à courte portée.

En 1952, après diffĂ©rentes Ă©tudes, le projet est figĂ© et baptisĂ© « Redstone ». Le missile Redstone est mis au point par une Ă©quipe d'ingĂ©nieurs allemands amenĂ©s aux États-Unis après la dĂ©faite allemande de 1945 (OpĂ©ration Paperclip) : les ingĂ©nieurs, encadrĂ©s par Wernher von Braun, sont ceux qui ont conçu le cĂ©lèbre missile V2 quelques annĂ©es auparavant.

En , Wernher von Braun se voit confier la mise au point du Jupiter, un missile de portĂ©e intermĂ©diaire (2 400 km) que l'ingĂ©nieur propose de rĂ©aliser en faisant Ă©voluer le concept du missile Redstone. L'annĂ©e suivante, le Jupiter est tirĂ© pour la première fois depuis la base de lancement de Cap Canaveral.

En , les secrétaires américains de l'Armée et de la Marine annoncent un programme commun d'armement terrestre et naval, afin d'équiper les bases de missiles balistiques. Le Jupiter est un missile plus court, conçu pour être embarqué sur les bateaux. La Marine se retire du projet en pour développer le missile Polaris, qui utilise des propergols solides, à la mise en œuvre plus facile à bord de navires. Malgré le retrait de la Marine, l'IRBM Jupiter, dont le développement a débuté, conserve ses faibles dimensions qui rendent difficile son transport par les avions cargos de l'époque.

Peu après, en , le ministère de la Défense nationale américaine décide que l'armée de l'air américaine aura la responsabilité de tous les missiles stratégiques jusque-là développés par l'armée de terre ; l'armée de terre américaine ne conserve que les missiles de champ de bataille à courte portée. Le programme Jupiter se trouve alors mis en concurrence avec un missile aux caractéristiques similaires que l'armée de l'air avait mis en chantier, le PGM-17 Thor, en ignorant délibérément l'existence du projet Jupiter déjà en cours.

Le missile Jupiter est parfois confondu avec une autre fusĂ©e de l'armĂ©e de l'air amĂ©ricaine, la Jupiter-C, Ă©galement appelĂ©e « Juno I ». Cette dernière est un missile Redstone transformĂ© en lanceur par ajout de trois Ă©tages supĂ©rieurs Ă  poudre. Conçue pour effectuer des tests de rentrĂ©e atmosphĂ©rique d'ogive nuclĂ©aire, elle atteint une altitude de 1 000 km et peut franchir une distance de 5 300 km. Après quelques modifications, elle sera utilisĂ©e pour lancer le premier satellite amĂ©ricain Explorer 1, Ă  la suite de la dĂ©faillance du lanceur Vanguard.

Le missile Jupiter, comme le missile Redstone, a été transformé en lanceur par ajout d'étages supérieurs à poudre. La carrière de la fusée résultant de cet assemblage et baptisée Juno II est toutefois relativement brève, avec seulement dix vols effectués entre 1958 et 1961.

Pour répondre aux besoins d'un lanceur civil plus puissant en attendant la Saturn V, von Braun développe les fusées Saturn I et IB, dont le premier étage est constitué du corps d'un missile Jupiter en position centrale et de huit corps de missile Redstone installés autour.

Les vols biologiques

Le missile Jupiter a Ă©tĂ© utilisĂ© dans le cadre d'une sĂ©rie de vols d'essai sous-orbitaux. Le , le Jupiter AM-13 fut lancĂ© de Cap Canaveral en Floride avec Ă  son bord un singe Ă©cureuil d'AmĂ©rique du Sud surnommĂ© « Gordo (en) ». Les donnĂ©es de tĂ©lĂ©mĂ©trie envoyĂ©es durant le vol dĂ©montrèrent que le singe rĂ©sista successivement Ă  10 g de poussĂ©e (100 m/s2), 8 minutes d'apesanteur, puis Ă  40 g (390 m/s2) soit 10 000 km/h (4,5 km/s) Ă  son entrĂ©e dans l'atmosphère. Malheureusement le parachute de secours de l'ogive ne fonctionna pas et Gordo ne survĂ©cut pas au vol. L'ogive coula Ă  1 302 milles nautiques (2 411 km) au large de Cap Canaveral et ne fut pas retrouvĂ©e.

Un autre vol biologique eut lieu le . Ă€ bord du Jupiter IRBM AM-18, furent embarquĂ©s un singe RhĂ©sus de 3,2 kg (7 livres) surnommĂ© « Able » et un singe Ă©cureuil d'AmĂ©rique du Sud de 310 g (11 onces) surnommĂ© « Baker ». Les singes ont Ă©tĂ© placĂ©s dans l'ogive du missile et envoyĂ©s Ă  une altitude de 360 milles (579 km) et Ă  une distance de 1 700 milles (2 700 km) au large de la base de Cap Canaveral. Ils ont rĂ©sistĂ© Ă  une accĂ©lĂ©ration 38 fois supĂ©rieure Ă  la gravitĂ© normale et sont restĂ©s en apesanteur durant environ 9 minutes. Ils rĂ©sistèrent Ă  une vitesse supĂ©rieure Ă  10 000 km/h (4,5 km/s) durant 16 minutes de vol. Après l’amerrissage, l'ogive de Jupiter qui transportait Able et Baker fut rĂ©cupĂ©rĂ©e dans la mer par l'USS Kiowa (en).

Les singes ont survécu au vol mais, quatre jours après, Able succomba d'une réaction à l'anesthésie durant une intervention chirurgicale destinée à enlever une électrode médicale. Baker est mort le à l’Alabama Space and Rocket Center d'Huntsville en Alabama. Gordo, Able et Baker sont seulement trois des nombreux singes qui ont été envoyés dans l'espace.

Le déploiement militaire

Le singe Baker.
DĂ©ploiement des missiles Jupiter en Italie entre 1961-1963, Gioia Colle.

En avril 1958, le département de la défense des États-Unis informa l'armée de l'air des États-Unis qu'elle avait, à titre d'essai, l'intention de déployer les trois premières batteries de missiles Jupiter (45 missiles) en France. Les négociations entre la France et les États-Unis échouèrent en juin 1958. Charles de Gaulle, nouveau président français, refusa d'accueillir les missiles Jupiter sur le territoire national. Les États-Unis étudièrent les autres possibilités de les déployer en Europe et en Asie mineure. Ils négocièrent avec l'Italie et la Turquie.

Dès 1959, l'USAF déploya quatre batteries (60 missiles) de missiles Thor en Grande-Bretagne autour de Nottingham. Dans la même année, en avril 1959, l'armée de l'air américaine déploya deux batteries d'IRBM Jupiter en Italie. Les trente missiles ont été installés sur dix sites italiens entre 1961 et 1963. Ils étaient actionnés par l'armée de l'air italienne, mais les ogives nucléaires étaient armées et commandées par le personnel de l'USAF. Les missiles ont été déployés dans la campagne italienne et étaient actionnés par la 36e Aerobrigata Interdizione Strategica, installée à l'extérieur de la base aérienne de Gioia del Colle en Italie. On rapporte qu'en 1962, un avion bulgare de reconnaissance MiG-17 s'écrasa dans une oliveraie près d'un des emplacements de lancement de missiles Jupiter en Italie, après avoir survolé le site.

Durant l'administration Eisenhower, en octobre 1959, la Turquie et le gouvernement américain signèrent un accord sur l'installation d'IRBM Jupiter sur les bases militaires de l'OTAN dans le sud du pays.

Quinze missiles furent déployés sur cinq sites près d'Izmir en Turquie entre 1961 et 1963. Ils étaient servis par le personnel de l'armée de l'air des États-Unis. Le premier vol de trois missiles Jupiter a été réalisé en à l'initiative de la Türk Hava Kuvvetleri (l'armée de l'air turque) durant la crise des missiles de Cuba. Le personnel de l'armée de l'air américaine commandait et armait les ogives nucléaires.

L'emplacement des missiles Jupiter en Turquie reste secret et ce, plus de 40 ans après leur installation. Il semblerait que d'après ceux qui ont participé à l'installation des missiles turcs en 1961, un des cinq sites était dans les montagnes près de Manisa et un autre était dans les montagnes près d'Akhisar. La base centrale était la base aérienne de Cigli.

Ă€ quatre occasions, entre la mi-octobre 1961 et la mi-aoĂ»t 1962, des missiles mobiles Jupiter portant des ogives nuclĂ©aires de 1,4 mĂ©gatonne (5,9 PJ) ont Ă©tĂ© frappĂ©s par la foudre dans des bases italiennes. Dans chaque cas, les batteries thermiques ont Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©es, et Ă  deux occasions, le gaz de « poussĂ©e » de tritium-deutĂ©rium a Ă©tĂ© injectĂ© dans les ogives, les armant partiellement. Pour protĂ©ger les diffĂ©rents sites italiens et turcs de la foudre, l'armĂ©e de l'air des États-Unis a dĂ©cidĂ© de placer des tours-paratonnerre autour des installations.

Bien avant que les Jupiter turcs ne soient installés, les missiles, capables d'atteindre le territoire soviétique, étaient déjà en grande partie obsolètes et de plus en plus vulnérables face à d'éventuelles attaques soviétiques. Dès 1961, le président John Fitzgerald Kennedy ordonna le démantèlement de tous les Jupiter IRBM. L'armée de l'air prit cependant du retard dans les opérations de retrait. Le président fut très en colère d'apprendre que plus d'un an après, les missiles n'avaient toujours pas été enlevés.

La totalité des IRBM Jupiter furent mis hors service au mois d'avril 1963. Cette décision contribua à désamorcer la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. En effet, dans le cadre d'accords secrets entre les Soviétiques et les Américains, le retrait des missiles Jupiter était une clause du retrait des missiles balistiques installés à Cuba par l'Union soviétique.

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