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ProcĂšs de Riom

Le procĂšs de Riom est un procĂšs jamais achevĂ© s’étant dĂ©roulĂ© durant la Seconde Guerre mondiale, du 19 fĂ©vrier au 15 avril 1942 dans la ville de Riom, Puy-de-DĂŽme.

Par ordre du maréchal Pétain, les journaux reçoivent la consigne d'annoncer, en gros caractÚres et sur cinq colonnes, « le chùtiment des responsables » présumés de la défaite, [1].

Voulu par les dirigeants du rĂ©gime de Vichy, et particuliĂšrement par PĂ©tain, il avait pour objectif de dĂ©montrer que certains dirigeants politiques de la IIIe RĂ©publique française Ă©taient responsables de la dĂ©faite de 1940, tout comme certains militaires, Ă  commencer par l’ancien gĂ©nĂ©ralissime Maurice Gamelin, qui figurait parmi les accusĂ©s.

Ce procĂšs ne rĂ©pondant pas aux exigences de l’occupant et ayant pris Ă  ses yeux, ainsi qu’aux yeux du gouvernement français, une mauvaise tournure, il ne fut finalement jamais terminĂ©. Les accusĂ©s, notamment les hommes politiques LĂ©on Blum et Édouard Daladier, par la qualitĂ© de leur dĂ©fense, retournĂšrent l'accusation contre les autoritĂ©s du rĂ©gime de Vichy et mirent en lumiĂšre le rĂŽle du haut commandement de l'ArmĂ©e française, incapable de prĂ©parer et conduire cette guerre.

L'accusation

La volonté de revanche

L'accusation, sous la pression de Vichy, voulait montrer que certains dirigeants politiques, notamment de gauche, avaient commis de graves fautes dans la préparation de la France durant les années précédant le conflit[2]. Suivant cette thÚse, on leur reprochait entre autres de ne pas avoir assez bien équipé l'armée. Plusieurs de ces erreurs, se cumulant, auraient été la cause de la défaite française face à l'armée allemande.

Il n'est pas le premier procÚs de la défaite organisé en France du fait du précédent historique du procÚs de François Achille Bazaine à la suite de la défaite de 1870.

Le procÚs devait surtout fournir une certaine légitimité au régime de Vichy, en démontrant que la IIIe République était un mauvais systÚme politique qui, notamment du fait de son instabilité gouvernementale et de ses compromissions, avait mené la France à la débùcle de 1940. Certains membres de l'armée voyaient en ce procÚs un moyen de rejeter la faute de la rapide défaite française sur d'autres qu'eux ; et enfin, le régime nazi était trop heureux de démontrer l'inefficacité de la démocratie et de désigner ses responsables politiques comme « fauteurs de guerre » (c'étaient en effet, aprÚs l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, la France et l'Angleterre qui avaient déclaré la guerre à l'Allemagne en 1939).

La Cour de justice

L'Acte constitutionnel no 5 du 30 juillet 1940, dans son article 2[3], institua une Cour suprĂȘme de justice, qui fut aussi chargĂ©e de l'instruction.

Le procĂšs devait « juger les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnĂ©s immĂ©diats (
) accusĂ©s d'avoir trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'Ă©tat de paix Ă  l'Ă©tat de guerre avant le et dans ceux qui ont ultĂ©rieurement aggravĂ© les consĂ©quences de la situation ainsi crĂ©Ă©e ».

La pĂ©riode des faits jugĂ©s par la cour allait de 1936 (qui correspond Ă  l'arrivĂ©e du Front populaire au pouvoir) Ă  1940 (qui correspond Ă  la date Ă  laquelle le marĂ©chal PĂ©tain se vit confier les pleins pouvoirs constituants par les deux assemblĂ©es rĂ©unies en AssemblĂ©e nationale). Il fallait Ă©viter de remonter avant 1936, faute de quoi certaines autoritĂ©s de Vichy pourraient ĂȘtre mises en cause (dont PĂ©tain, ministre de la Guerre en 1934 dans le gouvernement Doumergue).

Les « crimes » commis ont été définis rétroactivement (c'est-à-dire qu'à l'époque des faits, les crimes prétendument commis n'en étaient pas selon la loi), ce qui est contraire à tous les principes juridiques français et internationaux (lors du procÚs de Nuremberg, certaines accusations ont été basées sur des notions antérieures du droit, et peu, telles que le crime contre l'humanité, ont été appliquées de façon rétroactive).

La Cour prit ses fonctions le mois suivant, le 8 août à Riom. Elle était composée de neuf juges dont le président Pierre Caous, et un procureur général, Gustave Cassagnau. Maurice Gabolde y était avocat général[4].

La condamnation

Alors que l'instruction piĂ©tine et que la tension monte dans le conflit, notamment aprĂšs l'invasion de l'Union soviĂ©tique par l'Allemagne le , le marĂ©chal PĂ©tain annonce Ă  la radio[5] qu'il condamnera lui-mĂȘme les coupables, en vertu de l'Acte constitutionnel no 7 du 27 janvier 1941[6], aprĂšs avoir Ă©coutĂ© l'avis d'un Conseil de justice politique qu'il instaure. Ce nouvel organe rend ses conclusions le . PĂ©tain dĂ©cide alors :

  • d'abandonner les poursuites contre Paul Reynaud et Georges Mandel. Ces derniers seront tout de mĂȘme incarcĂ©rĂ©s arbitrairement au fort du Portalet. Ils seront enlevĂ©s par les Allemands plus tard, et ne seront pas remis Ă  la France, malgrĂ© les protestations officielles de PĂ©tain pour qui cette « affaire » Ă©tait du ressort de l'État français et non de l'occupant ;
  • les cinq autres accusĂ©s sont inculpĂ©s et condamnĂ©s Ă  la peine maximale prĂ©vue Ă  l'article 7, la dĂ©tention Ă  vie dans une enceinte fortifiĂ©e[7].

AprÚs que Pétain eut condamné les responsables politiques, ce sont les hommes, en tant que citoyens, qui furent jugés à Riom (conformément à l'article 4 de l'Acte constitutionnel no 7 qu'il avait décrété). C'est ainsi que le président Caous précisa au début du procÚs que les accusés seraient considérés comme de simples prévenus et que « pour la cour, le procÚs n'est pas et ne sera jamais un procÚs politique ».

Les accusés

Plusieurs lois furent instaurées par le régime de Vichy pour pouvoir effectuer des internements administratifs d'anciens responsables politiques.

Les cinq personnes déférées furent :

LĂ©on Blum, Édouard Daladier et le gĂ©nĂ©ral Maurice Gamelin furent Ă©galement dĂ©tenus au chĂąteau de Chazeron et au fort du Portalet, Guy La Chambre et Robert Jacomet au chĂąteau de Bourrassol sur la commune de MĂ©nĂ©trol dans le Puy-de-DĂŽme.

Les deux autres inculpés qui ne furent pas poursuivis étaient :

Le procĂšs

Les audiences

L'ouverture du procĂšs a finalement lieu le .

Plus de quatre cents tĂ©moins sont appelĂ©s Ă  comparaĂźtre ; nombreux sont des militaires devant prouver que l'armĂ©e n'Ă©tait pas assez Ă©quipĂ©e et que seuls les responsables sont en cause dans la reddition française. La loi instaurant la semaine de 40 heures de travail fut prĂ©sentĂ©e comme l'une des fautes des gouvernements de l'ancien rĂ©gime de la IIIe RĂ©publique (alors qu'elle n'avait jamais Ă©tĂ© appliquĂ©e dans toute sa rigueur)[2]. Les congĂ©s payĂ©s et les nationalisations furent, en outre, pointĂ©s du doigt pour avoir freinĂ© le rĂ©armement du pays[8]. De mĂȘme, la faiblesse dans la rĂ©pression des « Ă©lĂ©ments subversifs et rĂ©volutionnaires » fut Ă©galement prĂ©sentĂ©e comme une faute. Autant de raisons, selon Vichy, de condamner les accusĂ©s responsables.

D'ailleurs dĂšs le 20 juin 1940, avant la signature de l'armistice, le marĂ©chal PĂ©tain avait dĂ©clarĂ© : « Depuis la victoire, l'esprit de jouissance l'a emportĂ© sur l'esprit de sacrifice. On a revendiquĂ© plus qu’on a servi. On a voulu Ă©pargner l’effort, on rencontre aujourd’hui le malheur »[9]. Avant le dĂ©but du procĂšs, il rappela que la sentence « marquera[it] la fin d’une des pĂ©riodes les plus douloureuses de la vie de la France frappant les personnes, mais aussi les mĂ©thodes, les mƓurs, le rĂ©gime
 »[8].

Gamelin muet

Gamelin, commandant en chef des armĂ©es françaises au moment du conflit avec l'Allemagne, fut accusĂ© de « la division du quartier gĂ©nĂ©ral en pleine guerre ». Il adopta une dĂ©fense basĂ©e sur le silence : « Me taire, c'est encore servir », rĂ©pĂ©tait-il ; il annonça « qu'il ne s’exprimera[it] pas et refusera[it] de rĂ©pondre aux interrogatoires, estimant que les commentaires des dĂ©positions qu'il a[vait] adressĂ©es Ă  la Cour, au fil de l'instruction, suffis[ai]ent Ă  sa dĂ©fense ».

Faute du tĂ©moignage du seul militaire prĂ©sent Ă  ce procĂšs, on ne parlera donc pas « des troupes de valeur massĂ©es derriĂšre la ligne Maginot (notamment les 3e, 4e, 5e et 8e armĂ©es[10]), de l'Ă©tirement du front de la Suisse Ă  la mer du Nord, des sites stratĂ©giques allemands non bombardĂ©s, de la ligne Siegfried non attaquĂ©e
 » et de la stratĂ©gie « tout dĂ©fensif-attentisme » adoptĂ© par l'Ă©tat-major français. L'armĂ©e, Ă  Riom, va donc ĂȘtre absente et muette.

En parallĂšle, Guy La Chambre, ministre de l'Air, et Robert Jacomet, contrĂŽleur gĂ©nĂ©ral des armĂ©es sous Édouard Daladier durant 4 ans, demeurĂšrent pour le moins timides dans leur dĂ©fense. DĂšs lors, l'accusation voulut pointer le rĂŽle exclusif des hommes politiques dans la responsabilitĂ© de la dĂ©faite française.

Défense offensive de Daladier et Blum : les carences révélées du haut commandement militaire français

Il en alla tout autrement d'Édouard Daladier et de LĂ©on Blum, lesquels, par leur dĂ©fense acharnĂ©e furent les vĂ©ritables vedettes de ce procĂšs. Tous les deux tentĂšrent de dĂ©montrer les incohĂ©rences et le manque de prĂ©cision flagrant des preuves Ă  charges (un tĂ©moin passa de 7 000 Ă  6 000 chars allemands en cinq minutes) et le non-respect des rĂšgles de base d'un procĂšs Ă©quitable et juste. En effet, ils n'eurent accĂšs aux 100 000 pages du dossier que trois semaines avant le dĂ©but du procĂšs[8].

Ils mĂȘlĂšrent mĂȘme le marĂ©chal PĂ©tain aux dĂ©bats (« aujourd'hui Gambetta serait en prison et Bazaine au gouvernement », dĂ©clara Daladier sur le ton de l'ironie). Blum dĂ©fendit la politique menĂ©e durant sa prĂ©sidence du Conseil (plus gros effort de guerre depuis la PremiĂšre Guerre mondiale, alors que les gouvernements auxquels participaient Laval et PĂ©tain avaient rĂ©duit le budget de l'armĂ©e) et mĂȘme celle des communistes. Il fera notamment rĂ©fĂ©rence Ă  Jean-Pierre Timbaud : « J'ai Ă©tĂ© souvent en bataille avec lui. Seulement, il a Ă©tĂ© fusillĂ© et il est mort en chantant la Marseillaise
 Alors, en ce qui concerne le PCF, je n'ajouterai rien ». Blum note, en outre, que les gouvernements qui lui ont succĂ©dĂ© et qui ont prĂ©cĂ©dĂ© celui de Daladier en 1937-38 ne sont pas concernĂ©s, sans doute parce que leur chef s'est ralliĂ© Ă  Vichy. Il eut FĂ©lix Gouin pour avocat.

Bien que la question des opĂ©rations militaires de septembre 1939 Ă  juin 1940 n'eĂ»t pas dĂ» ĂȘtre abordĂ©e durant le procĂšs, l'Ă©volution de ce dernier mit de plus en plus en lumiĂšre la vĂ©ritĂ©, Ă  savoir que la responsabilitĂ© de la dĂ©faite incombait principalement Ă  la dĂ©ficience et aux carences manifestes du haut commandement militaire et qu'il en allait de mĂȘme en ce qui concernait le choix de l'armistice du 22 juin 1940, et non de la capitulation[10], Ă  la diffĂ©rence de tous les autres pays envahis (Belgique, Pologne, Hollande, NorvĂšge) et de la reddition qui s'ensuivit[2].

De fait, la dĂ©fense de Blum et Daladier dĂ©montra que le chef de l'État, le marĂ©chal PĂ©tain, avait Ă©tĂ© Ministre de la DĂ©fense et qu'au titre de membre du Conseil supĂ©rieur de la Guerre, en 1934 sous le gouvernement Doumergue, il avait donc une grande part de responsabilitĂ©s dans l'imprĂ©paration de l'armĂ©e. En effet, il avait ainsi rĂ©duit le budget militaire de 20%, alors que le rĂ©gime de l'Allemagne nazie relançait son programme d'armement, et stoppĂ© la construction de la ligne Maginot aux Ardennes affaiblissant le systĂšme de dĂ©fense de la France[8]. Le Front populaire, au contraire, avait dĂšs 1936, fortement augmentĂ© les crĂ©dits militaires.

MĂȘme si les chiffres citĂ©s par la dĂ©fense des deux accusĂ©s sont exacts, ils occultent complĂštement le fait que les politiques budgĂ©taires gĂ©nĂ©rales des gouvernements de Gaston Doumergue et de LĂ©on Blum Ă©taient diamĂ©tralement opposĂ©es. En effet, alors que le premier a conduit une politique dĂ©flationniste l’amenant Ă  rĂ©duire drastiquement les budgets de l’ensemble des ministĂšres, dont celui de la Guerre, le second a menĂ© une politique keynĂ©sienne faisant que tous les budgets des ministĂšres ont Ă©tĂ© fortement augmentĂ©s, parmi lesquels celui de la Guerre.

LĂ©on Blum : un homme averti

Dans le rĂ©tablissement du service militaire par l'Allemagne hitlĂ©rienne le 16 mars 1935, LĂ©on Blum et Édouard Daladier virent « tout Ă  la fois une provocation qui pouvait difficilement demeurer sans rĂ©plique, et une menace qui exigeait impĂ©rieusement des prĂ©cautions »[9].

LĂ©on Blum avait Ă©tĂ© informĂ© des propositions du lieutenant-colonel de Gaulle prĂ©voyant une tactique nouvelle fondĂ©e sur l’emploi massif de grandes unitĂ©s cuirassĂ©es mobiles. C’est pourquoi, devenu PrĂ©sident du Conseil, il le reçut le 14 octobre 1936. Aussi Blum avait-il conclu « que l’état-major » qui avait participĂ© Ă  la dĂ©finition de ce programme d’armement se destinait Ă  entrer dans la voie tracĂ©e par le lieutenant-colonel de Gaulle.

Toutefois, Ă  l’automne 1939, chez Paul Reynaud, il rencontra Ă  nouveau le colonel de Gaulle, qui l'informa de la rĂ©alitĂ© du terrain concernant la constitution d'unitĂ©s de blindĂ©s, dont la sienne : « Ce que j'ai n’est rien. Absolument rien. Le cƓur serrĂ©, je joue mon jeu dans une atroce mystification. Je n'ai pas, sous mes ordres, des divisions cuirassĂ©es pour la bonne raison qu'il n'en existe pas une seule. Les quelques douzaines de chars lĂ©gers qui sont rattachĂ©s Ă  mon commandement sont une poussiĂšre. Je crains que l'enseignement de la Pologne, pourtant si clair, n'ait Ă©tĂ© rĂ©cusĂ© de parti pris. On ne veut pas que ce qui a rĂ©ussi lĂ -bas, soit exĂ©cutable ici. Croyez-moi, tout reste Ă  faire chez nous et si nous ne rĂ©agissons pas Ă  temps, nous perdrons misĂ©rablement cette guerre. Nous la perdrons par notre faute »[9]. Et de Gaulle de prĂ©ciser plus tard Ă  LĂ©on Blum : « Si vous ĂȘtes en mesure d'agir de concert avec Paul Reynaud, faites-le, je vous en conjure. J'ai rĂ©digĂ© le plus nettement que j'ai pu mes idĂ©es sur l'Ă©tat actuel de l'armĂ©e et sur les mesures immĂ©diates qu'il faudrait prendre. Cela fait une note de quelques pages ».

LĂ©on Blum reçut quelque temps plus tard « La guerre mĂ©canique », dans lequel le colonel de Gaulle rappelait Ă  nouveau « l’urgence de l’adoption d’une tactique appropriĂ©e Ă  la guerre nouvelle ». Quelle suite a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  tous ces efforts de persuasion dĂ©ployĂ©s par de Gaulle ? LĂ©on Blum nota que dans les premiers mois de 1940 « sont formĂ©es hĂątivement trois divisions cuirassĂ©es. Mai 1940 arrive. Alors seulement on confie, au colonel de Gaulle, un groupe de cuirassĂ©s supplĂ©mentaire improvisĂ© sur le champ de bataille Ă  la tĂȘte duquel il fit des prodiges. HĂ©las, l’arrĂȘt de la progression des unitĂ©s mĂ©caniques allemandes ne dure qu’un moment. Et on connaĂźt la suite »[9].

Édouard Daladier : « il cogne comme un bĂ»cheron »

Édouard Daladier, qui avait eu la responsabilitĂ© du portefeuille de la DĂ©fense Nationale et de la Guerre qu’il conservera sans interruption du 4 juin 1936 jusqu'Ă  fin avril 1940, avait menĂ© le programme dit « de 14 milliards », dĂ©cidĂ© par LĂ©on Blum[9]. Il connaissait les dossiers de la dĂ©fense et proposait une dĂ©fense solide et Ă©tayĂ©e par des donnĂ©es chiffrĂ©es.

Lors des Ă©changes avec la cour, il prouva chiffres Ă  l'appui, de maniĂšre opposĂ©e Ă  ce qu'affirme le rĂ©quisitoire, indiquant « que la Wehrmacht ait Ă©tĂ© supĂ©rieure en nombre et bien mieux Ă©quipĂ©e que l'armĂ©e française », que le nombre de blindĂ©s Ă©tait « Ă  peu prĂšs Ă©quivalent de part et d'autre » dĂ©montrant « que c'est l'emploi des Divisions CuirassĂ©es qui fut nĂ©gligĂ© par l'État-major »[9].

Ainsi, lorsque le prĂ©sident de la cour l'interrogea sur ce point : « Combien y avait-il de chars modernes en 1936 ? Puis en mai 1940 ? », Daladier rĂ©pondit : « 34 en 1936. 3 500 en 1940 ! ». À une nouvelle question du prĂ©sident : « En 36 ou 37 combien de canons aĂ©riens basse altitude pour la protection des troupes ? Et en 1939 ? ». Daladier rĂ©pondit : « 0 en 1936. 2 500 en 1939 »[9].

De mĂȘme, Édouard Daladier indiqua qu'il s'Ă©tait heurtĂ© d'ailleurs Ă  une opposition active de la part de l'Ă©tat-major de l'armĂ©e concernant sa dĂ©cision de crĂ©er dĂšs 1938 une division cuirassĂ©e. Ce dernier, qui raisonnait en vertu des concepts tactiques de front continu, hĂ©ritĂ©s de la guerre 1914-1918[10], recommandait toujours une stratĂ©gie dĂ©fensive pure et affirmait que « le front contenu pouvait rĂ©sister Ă  toute tentative de percĂ©e par une colonne de chars »[9] lĂ  oĂč les gĂ©nĂ©raux de la Wehrmacht raisonnaient en guerre de mouvement et par la concentration de moyens mĂ©caniques pour percer les lignes ennemies[10].

De mĂȘme, sur le plan de la doctrine militaire, Édouard Daladier mit en avant les carences stratĂ©giques du haut commandement français et notamment par le biais du conseil supĂ©rieur de la guerre dont le vice-prĂ©sident avait Ă©tĂ© Philippe PĂ©tain lui-mĂȘme. En effet, dĂ©jĂ  de 1929 Ă  1935, 5 milliards de francs avaient Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©s pour renforcer les fortifications. Or, le conseil supĂ©rieur de la guerre (CSG), s'Ă©tait alors opposĂ© Ă  l'extension de la ligne Maginot sur la frontiĂšre Nord, de la Lorraine jusqu'Ă  la mer et ce, dĂšs 1927. DemandĂ©e Ă  nouveau en 1932 par le ministre de la guerre Pietri, elle fut refusĂ©e Ă  nouveau par le CSG[9]. PĂ©tain avait justifiĂ© ainsi la position du haut commandement par rapport Ă  cette rĂ©gion : « parce qu’elle rĂ©unissait de nombreuses implantations industrielles mĂȘlĂ©es Ă  une dense population ». De mĂȘme en 1936, Édouard Daladier, ministre de la guerre, sollicita Ă  nouveau l'Ă©tat-major de l'armĂ©e française afin « de prĂ©parer sans retard une Ă©tude sur l’organisation d'une tĂȘte de pont en avant de Sedan et de protĂ©ger les Ardennes », action qu'il va poursuivre durant les annĂ©es suivantes. Il va se heurter Ă  une opposition doctrinaire bien ancrĂ©e au sein de l'armĂ©e française.

En effet, le marĂ©chal PĂ©tain dĂ©clarait Ă  nouveau devant le sĂ©nat « nous arrivons du secteur Ardennes et des fortifications Ă  partir de MontmĂ©dy. Les forĂȘts des Ardennes sont impĂ©nĂ©trables. Si on y fait des amĂ©nagements spĂ©ciaux, nous considĂ©rerons cela comme une zone de destruction. Naturellement les lisiĂšres du cĂŽtĂ© de l'ennemi seraient protĂ©gĂ©es. On y installerait des blockhaus. Mais comme ce front n'aurait pas de profondeur, l'ennemi ne pourrait pas s’y engager. Et s'il s'y engage, on le repincera Ă  la sortie des forĂȘts. Donc ce secteur n’est pas dangereux »[9].

Face Ă  cette opposition doctrinale, Édouard Daladier constatait : « Alors on fit Ă  minima. Et pourtant depuis que la France existe, c'est par ce secteur que sont passĂ©es tant d'invasions. J'ai essayĂ© de barrer tout cela. J'ai prodiguĂ© des crĂ©dits. Je me suis constamment engagĂ©. Mais pire l'État-major s'obstina Ă  agglutiner hors la ligne Maginot 20 divisions, dont on savait bien qu'elles n'avaient pas la meilleure capacitĂ© comme celle des troupes figĂ©es derriĂšre les fortifications. L’État-major, que ce soit en septembre 39, ou que ce soit en mai 1940, Ă©tait persuadĂ© que le secteur Ardennes n’était pas dangereux »[9].

Finalement, LĂ©on Blum et Édouard Daladier dĂ©montrĂšrent donc que la dĂ©faite n'Ă©tait « pas venue, faute de moyens, mais de la longue application d'une politique dĂ©fensive et des erreurs stratĂ©giques du haut commandement »[9] de l'armĂ©e française.

La couverture par la presse alliée et la censure de Vichy

PrĂ©sents durant tout le procĂšs, les journaux Ă©trangers relatĂšrent avec justesse les mots et les faits. La presse française, quant Ă  elle, en parla de moins en moins : les accusateurs se retrouvant accusĂ©s, il ne fallait surtout pas mettre dans l'embarras le nouveau rĂ©gime, ce dernier ayant fait passer des consignes trĂšs claires de censure sur la façon dont on devait prĂ©senter l'affaire[2] comme notamment de ne pas diffuser « l’exposĂ© sur la responsabilitĂ© des ministres de la guerre depuis 1930 et surtout 1934 (marĂ©chal PĂ©tain) », ou par exemple de « supprimer toute la partie qui met en cause les gouvernements de 1929 Ă  1936 » dans l'intervention de LĂ©on Blum ou encore de supprimer le passage de la dĂ©claration de M. Édouard Daladier « indiquant qu’il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© par le marĂ©chal PĂ©tain de ne pas fortifier le front du Nord et des Ardennes » ou encore « sur l'opinion du marĂ©chal PĂ©tain sur les fortifications des Ardennes : non ce secteur n’est pas dangereux
 »[9].

Ces mesures de censure sont contournées par la presse alliée et diffusées notamment dans l'émission radiophonique diffusée à Londres : « Les Français parlent aux Français ». La plaidoirie de Léon Blum, relayée par la presse étrangÚre, lui valut une grande sympathie auprÚs des Américains. L'ancien président du Conseil reçoit en 1942 un télégramme pour son anniversaire, signé par Eleanor Roosevelt, l'épouse du Président Roosevelt. Et le 9 avril 1942, le New York Times titre un article « Pour Léon Blum ».

La plaidoirie[11]

« Messieurs, j'ai achevĂ©. Vous pourrez naturellement nous condamner. Je crois que, mĂȘme par votre arrĂȘt, vous ne pourrez pas effacer notre Ɠuvre. Je crois que vous ne pourrez pas effacer notre Ɠuvre. Je crois que vous ne pourrez pas – le mot vous paraĂźtra peut ĂȘtre orgueilleux – nous chasser de l'histoire de ce pays. Nous n'y mettons pas de prĂ©somption, mais nous y apportons une certaine fiertĂ© : nous avons dans un temps bien pĂ©rilleux, personnifiĂ© et vivifiĂ© la tradition authentique de notre pays, qui est la tradition dĂ©mocratique et rĂ©publicaine. De cette tradition, Ă  travers l'histoire, nous aurons malgrĂ© tout Ă©tĂ© un moment. Nous ne sommes pas je ne sais quelle excroissance monstrueuse dans l'histoire de ce pays, parce que nous avons Ă©tĂ© un gouvernement populaire ; nous sommes dans la tradition de ce pays depuis la RĂ©volution Française. Nous n'avons pas interrompu la chaĂźne, nous ne l'avons pas brisĂ©e, nous l'avons renouĂ©e et nous l'avons resserrĂ©e. Naturellement, il est facile quand on dispose de tous les moyens qui agissent sur l'opinion de dĂ©figurer notre Ɠuvre, comme on peut dĂ©figurer notre personne ; notre visage. Mais la rĂ©alitĂ© est lĂ  et elle se fera jour. La durĂ©e de l'effort humain ne commande pas le rendement d'un appareil industriel, le loisir n'est la paresse ; la libertĂ© et la justice n'ont pas fait de la patrie une proie dĂ©sarmĂ©e ; avec les ilotes on ne fait pas plus des ouvriers que des soldats. Qu'il s'agisse de manier l'outil ou de manier l'arme, ce sont la libertĂ© et la justice qui engendrent les grandes vertus viriles, la confiance, l'enthousiasme et le courage. Quand on nous dit : « Vous avez eu tort, il fallait agir autrement » on nous dit nĂ©cessairement, forcĂ©ment, « il fallait briser et trahir la volontĂ© exprimĂ©e par le peuple ». Nous ne l'avons ni trahie, ni brisĂ©e par la force, nous y avons Ă©tĂ© fidĂšles. Et Messieurs, par une ironie bien cruelle, c'est cette fidĂ©litĂ© qui est devenue une trahison. Pourtant cette fidĂ©litĂ© n'est pas Ă©puisĂ©e, elle dure encore et la France en recueillera le bienfait dans l'avenir nous plaçons notre espĂ©rance et que ce procĂšs, ce procĂšs dirigĂ© contre la RĂ©publique, contribuera Ă  prĂ©parer »

.

Les avocats

L'ajournement

Face Ă  la qualitĂ© de la dĂ©fense de LĂ©on Blum et d'Édouard Daladier, qui affaiblissait gravement la thĂšse de la dĂ©faite et donc la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme du rĂ©gime de Vichy, une vraie contre-propagande se mit en place notamment parmi les soutiens Ă  ce dernier. Ainsi, Marcel DĂ©at, le 24 fĂ©vrier 1942, Ă©crivait qu’il « ne fallait pas ouvrir la boĂźte de Pandore
 le procĂšs n’est pernicieux que pour le gouvernement. Il reste pestilentiel pour l'opinion Ă  qui il aurait dĂ» ĂȘtre salutaire ». Dans Le Petit Parisien du 3 mars 1942, AndrĂ© Algarron soulignait de mĂȘme que « Les accusĂ©s se transforment en accusateurs ».

De mĂȘme, la presse allemande et les diplomates du Reich expriment leur mĂ©contentement sur le dĂ©roulement du procĂšs tandis que les militaires allemands voyaient leur victoire de mai 1940 nettement dĂ©valorisĂ©e, face Ă  l'armĂ©e française victorieuse du conflit de 1914-1918 et encore considĂ©rĂ©e avant le conflit comme la meilleure du monde. Plus dĂ©licat encore, comment Ă©tait-il possible d'expliquer Ă  l'opinion publique allemande « qu’un juif puisse mettre Ă  mal la rĂ©putation d’un marĂ©chal de France cautionnĂ© par le FĂŒhrer ? »[9].

Adolf Hitler fut exaspĂ©rĂ© par la tournure des Ă©vĂ©nements et dĂ©clara le 15 mars 1942 : « Ce que nous attendions de Riom, c'est une prise de position sur la responsabilitĂ© du fait mĂȘme de la guerre ! ». L'Allemagne fait alors pression sur le rĂ©gime de Vichy pour mettre fin au procĂšs et tenter ainsi de limiter les dĂ©gĂąts. Benito Mussolini dĂ©clara : '« Ce procĂšs est une farce typique de la dĂ©mocratie »[2].

Le 14 avril 1942, aprÚs vingt-quatre audiences, le procÚs est suspendu pour un « supplément d'information ».

L'affaire est définitivement clÎturée le .

Le destin des accusés

En mars 1943, Blum est transféré aux autorités allemandes et déporté dans une petite maison forestiÚre à Buchenwald, séparée de quelques centaines de mÚtres du camp. Le 3 avril 1945, Léon Blum et sa femme sont emmenés dans un convoi de prisonniers et au bout d'un mois de pérégrinations, ils se retrouvÚrent dans un hÎtel du Tyrol italien, et libérés le 4 mai par l'armée américaine.

Daladier est placé en mars 1943 en résidence surveillée au chùteau d'Itter (Tyrol) en compagnie du président Albert Lebrun, du général Maurice Gamelin, de Léon Jouhaux et sa compagne Augusta Bruchlen, de Paul Reynaud et sa collaboratrice Christiane Mabire, du général Weygand, du colonel de La Rocque, de Michel Clemenceau et de Jean Borotra. Ils seront libérés en avril 1945, à l'issue de la bataille du chùteau d'Itter, durant laquelle les prisonniers combattent aux cÎtés de soldats de la Wehrmacht, de forces américaines et d'éléments de la résistance autrichienne, contre des troupes de la Waffen-SS.

Notes et références

  1. Christian Delporte, Claire Blandin et François Robinet, Histoire de la presse en France, XXe – XXIe siĂšcles, Paris, Armand Colin, coll. « U. Histoire », , 350 p. (ISBN 978-2-200-61332-7).
  2. « ProcÚs de Riom : comment Pétain s'est tiré une balle dans le pied », sur lepoint.fr, (consulté le )
  3. Acte constitutionnel n°5 du 30 juillet 1940
  4. J.Richardot, « GABOLDE (Maurice) » dans Dictionnaire de biographie française, Paris, 1932-2005 [détail des éditions]
  5. Discours « du vent mauvais », 12 août 1941.
  6. Acte constitutionnel n°7 du 27 janvier 1941
  7. in J. Lacouture, L. Blum, p. 463.
  8. « 19 février 1942 : Ouverture du procÚs de Riom », sur herodote.net, (consulté le )
  9. Paul Burlet, « LE PROCÈS DE RIOM - 1942 », sur tracesdhistoire.fr (consulté le )
  10. Jean Lopez, « La Seconde Guerre mondiale : 1940 : la France au fond du Gouffre », Science et vie Junior : Dossier Hors SĂ©rie 38,‎ , p. 34-40
  11. Jean-Denis Bredin, L'infamie : Le procĂšs de Riom, Grasset, 2012 [lire en ligne]
  12. Samuel Spanen dans La grande bibliothĂšque du droit.

Annexes

Ouvrages

  • Julia Bracher (prĂ©sentĂ© par), Riom 1942 : le procĂšs, Paris, Omnibus, , XXI-1043 p. (ISBN 978-2-258-09141-2).
    Contient des extraits des MĂ©moires de LĂ©on Blum, du Journal de captivitĂ© d'Édouard Daladier, ainsi que les rĂ©quisitoires et interrogatoires du procĂšs.
  • Jean-Denis Bredin, L'infamie : le procĂšs de Riom, fĂ©vrier-avril 1942, Paris, Bernard Grasset, , 177 p. (ISBN 978-2-246-78423-4).
  • Henri Michel, Le ProcĂšs de Riom : le procĂšs du Front populaire et la dĂ©faite de 1940, Paris, Albin Michel, , 407 p. (ISBN 978-2-226-00761-2, prĂ©sentation en ligne).
  • FrĂ©dĂ©ric Pottecher (comptes rendus prĂ©sentĂ©s et commentĂ©s par), Le ProcĂšs de la dĂ©faite : Riom, fĂ©vrier-avril 1942, Paris, Fayard, , 253 p. (ISBN 2-213-02151-1).

Articles

  • Jean-Pierre AzĂ©ma, « Il y a cinquante ans Le procĂšs de Riom », Le Monde, 17 fĂ©vrier 1992, lire en ligne.
  • Jean Touzet, « Un procĂšs quelque peu oubliĂ© : le procĂšs de Riom (1942-1943) », Travaux de l'AcadĂ©mie Nationale de Reims, vol. 183 « MĂ©langes acadĂ©miques et Annales »,‎ , p. 261-287.

Filmographie

  • 2014 : Blum-PĂ©tain, duel sous l'Occupation, documentaire rĂ©alisĂ© par Julia Bracher et Hugo Hayat pour France 5.
  • 1979 : Le ProcĂšs de Riom, tĂ©lĂ©film du rĂ©alisateur et scĂ©nariste Henri Calef.
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