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Prix du carbone

Le prix du carbone est un outil économique destiné à intégrer (internaliser) dans les prix de marché les coûts cachés (externalités) des dommages causés par les émissions de gaz à effet de serre, afin d'orienter les décisions des agents économiques vers des solutions à bas contenu en carbone.

Carte mondiale des pays ayant une législation fixant un prix au carbone (en 2019) Prix du carbone et taxe carbone dans le marché du carbone vers 2019

La forme la plus simple sous laquelle peut se matérialiser le prix du carbone est la taxe carbone ; une forme plus complexe est le système de quotas carbone (ou droits d'émission) qui peuvent s'échanger sur un marché du carbone.

Le protocole de Kyoto avait largement misé sur ce système, mais avec des résultats mitigés, voire contre-productifs (chute du prix du carbone).

Dans le cadre de la préparation de la COP21, de nombreuses initiatives ont promu des stratégies basées sur l'idée de donner un prix à la tonne de carbone émise, avec des modalités assez souples pour concilier clarté du signal, acceptabilité politique et prise en compte de la diversité des situations.

Éléments de définition du concept

Les travaux scientifiques du GIEC et de nombreuses équipes d'économistes ont mis en évidence les dommages considérables causés, dès maintenant et plus encore à long terme, par le réchauffement climatique découlant des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique.

Quelques tentatives de chiffrage ont été faites, dont par exemple le rapport Stern sur l’économie du changement climatique, rédigé par l'économiste Nicholas Stern pour le gouvernement du Royaume-Uni, publié le [1].

Les dommages affectent directement ou indirectement l'ensemble des habitants de la planète, et souvent Ă  long terme, mais les principaux responsables des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre ne supportent qu'une faible part des coĂ»ts induits, et ils n'en sont souvent pas mĂŞme conscients ; c'est ce que les Ă©conomistes dĂ©signent comme le phĂ©nomène du « passager clandestin » et les « Ă©missions grises Â». Ces coĂ»ts cachĂ©s sont dĂ©nommĂ©s « externalitĂ©s nĂ©gatives Â». Des Ă©conomistes cherchent la meilleure mĂ©thode pour rĂ©intĂ©grer ces externalitĂ©s dans les prix de marchĂ© des produits dont la production et la consommation entraĂ®nent des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre, en particulier les combustibles fossiles, la viande, etc.

C'est cette recherche d'internalisation des externalités qui est imagée par l'expression « donner un prix au carbone » : selon la Banque mondiale, « donner un prix au carbone contribue à faire peser le poids des dommages découlant des émissions de gaz à effet de serre sur ceux qui en sont responsables et qui sont en mesure de les faire baisser »[2].

En 2008-2010, le Centre d'Analyse StratĂ©gique (CAS) a estimĂ© que la valeur de la tonne de CO2 pourrait ĂŞtre de 100 â‚¬ en 2030 et de 200 â‚¬ en 2050 (scĂ©nario mĂ©dian dans une fourchette de 150 Ă  350 â‚¬/t)[3].

Il existe deux principaux types de mécanisme pour fixer ou faire émerger un prix du carbone :

  • les taxes carbone
  • les systèmes d’échange de quotas d’émission dans un concept plus large de marchĂ© du carbone.

Un signal prix carbone peut aussi être donné autrement :

CDC Climat Recherche fournit une carte « Panorama mondial des prix du carbone en 2014 »[4].

Le protocole de Kyoto prenait en compte l'ensemble des gaz à effet de serre (GES), mais la plupart des démarches de fixation de prix du carbone se limitent aux émissions de CO2 (au motif qu'il représente plus des trois quarts des émissions mondiales de GES mesurées en équivalent CO2), or le méthane en représente 15 % à horizon d'un siècle, mais beaucoup plus à court terme ; ce qui invite à le prendre en compte aussi, ce qui amènerait à donner plus d'importance à la réduction de la consommation de gaz naturel, à l'élimination des décharges d'ordures ménagères, à la lutte contre la déforestation, etc.[5].

Histoire

  • En 1997 le protocole de Kyoto prĂ©voir la crĂ©ation d'un marchĂ© du carbone oĂą pourront s'acheter et se vendre des permis d’émission : les Ă©metteurs ayant Ă©pargnĂ© des « unitĂ©s d’émissions Â» (Ă©missions permises mais non utilisĂ©es) pourraient y vendre cet « excès Â» Ă  d'autres ayant dĂ©passĂ© leurs objectifs d’émissions. Ce système s'est avĂ©rĂ© compliquĂ© Ă  mettre en place.
  • En 2005, pour Ă©viter une taxe impopulaire et/ou non consensuelle sur les Ă©missions de carbone, un marchĂ© du carbone est mis en place en Europe, la « matière première Â» y est la « tonne de carbone Ă©vitĂ©e Â» (Un crĂ©dit-carbone est l'unitĂ© correspondant Ă  une tonne d'Ă©quivalent CO2 sur les marchĂ©s du carbone).
    Son principe est de fixer des quotas d’émissions aux plus gros émetteurs européens, et permettre à ceux qui parviennent à réduire leurs émissions de revendre leurs quotas excédentaires aux industriels qui ne parviennent pas à réduire leurs émissions en dessous de leur allocation. Ce système est inspiré d’un outil américain développé dans les années 1990 pour réduire les émissions de dioxyde de soufre (SO2), qui avait permis de diviser par deux ces émissions en quelques années.
    Mais pour le marchĂ© europĂ©en du carbone, près de 12 000 installations Ă©taient concernĂ©es (production d'Ă©lectricitĂ©, cimenteries, aciĂ©ries, papeteries), contre seulement 2 000 dans le cas du mĂ©canisme amĂ©ricain. L'Europe a d'abord Ă©tĂ© trop gĂ©nĂ©reuse dans sa distribution de quotas, puis n’a pas anticipĂ© la crise Ă©conomique de 2008 ; la plupart des installations se sont alors trouvĂ©es excĂ©dentaires, et le prix du carbone s'est effondrĂ© : il fluctue ensuite entre 5 et €/tonne CO2 jusqu'en 2012. Or la plupart des analystes estiment qu’un prix minimum de 30 â‚¬ est nĂ©cessaire pour commencer Ă  produire un impact sur les comportements des industriels.
    Par ailleurs, de nombreuses fraudes ont été constatées sur ce marché : fraudes à la TVA, vols de quotas, installations fermées mais conservant leurs allocations, ainsi que des détournements du « mécanisme de développement propre »[n 1]. Dans les années 2010 des réformes visent à restaurer l'efficacité de ce marché[7].
    Une tendance est que « les sources fortement émettrices (production d’électricité à partir de combustibles fossiles, grosses industries) sont plus souvent incluses au sein d’un marché carbone, alors que les « petits émetteurs » (petites entreprises) ou les sources diffuses (véhicules, chauffage et eau chaude sanitaire dans les bâtiments, agriculture, etc.) seront plutôt concernés par une taxe carbone »[8].
  • En 2014, en septembre une "Coalition pour le prix du carbone" se prĂ©pare autour de 74 pays et plus de 1 000 entreprises volontaires, lors du sommet qui prĂ©pare la COP 21. Elle vise Ă  faciliter les discussions entre dĂ©cideurs publics et privĂ©s sur les opportunitĂ©s d’étendre les politiques de tarification du carbone[9]. La France, l'Allemagne, le Mexique, le Canada, le Chili ou l'Éthiopie, notamment en font partie[9].
  • En 2015, la coalition pour un prix du carbone est officiellement lancĂ©e lors de la COP21, oĂą la ConfĂ©rence de Paris sur le climat adopte un premier accord universel et contraignant visant Ă  ne pas dĂ©passer +2 °C en 2100. En France, avant une rĂ©vision de la directive du marchĂ© du carbone europĂ©en, le Gouvernement commande (pour ) un « rapport sur le prix du carbone au niveau europĂ©en, confiĂ© au PDG de Engie GĂ©rard Mestrallet, Ă  l'Ă©conomiste Alain Grandjean, et Ă  l'ancien ministre, expert du climat et directeur du WWF, Pascal Canfin », les deux derniers auteurs ayant dĂ©jĂ  mi-2015 produit pour François Hollande un rapport sur les financements en faveur de la lutte contre le rĂ©chauffement climatique. Il devrait « orienter les investissements des citoyens, des Ă©lus, des entreprises vers les projets et les produits les plus favorables au climat »[10].
  • En 2018, après avoir chutĂ© Ă  moins de 6 € en 2017, le prix moyen de la tonne de CO2 est remontĂ© pour atteindre environ 16 €, avec mĂŞme en fin d'annĂ©e un bref dĂ©passement de 25 €/t, sans toutefois atteindre le seuil de 30€ attendu par les Ă©conomistes du dĂ©veloppement durable, seuil qui favoriserait mieux les producteurs d'Ă©lectricitĂ© dĂ©carbonĂ©e. En 2018 les prix de gros ont aussi augmentĂ© (+23%), mais avec des disparitĂ©s fortes entre pays.

Émissions futures par rapport aux émissions passées

Un prix du CO2 vise à réduire les nouvelles émissions dans le futur. Cependant, un tel prix n’affecte pas les émissions passées, c’est-à-dire la concentration de CO2 déjà rejetée dans l’atmosphère depuis le début de l’industrialisation, qui est passée de bien en dessous de 300 ppm à plus de 415 ppm (2019)[11]. Sans interaction humaine, cette concentration ne fera que diminuer à long terme. Par conséquent, des émissions négatives sont nécessaires pour réduire la concentration de CO2 dans l'atmosphère. Les recettes publiques provenant du prix du carbone pourraient être utilisées pour subventionner les entreprises qui fournissent de telles émissions négatives. Selon la technologie de capture et séquestration de carbone, telle que PyCCS ou BECCS, le coût de production d'émissions négatives est d'environ 150 à 165 USD par tonne de CO2[12]. Pour qu'un tel modèle d'entreprise devienne attrayant, les subventions devraient donc dépasser cette valeur. Dans ce cas, une ouverture technologique pourrait être le meilleur choix, car une réduction des coûts due au progrès technique est prévisible. Déjà aujourd'hui, ces coûts de production d'émissions négatives pourraient être inférieurs aux coûts de CO2 estimés à 220 dollars par tonne par une étude parue en janvier 2015 dans Nature Climate Change[13], ce qui signifie qu'un modèle économique de création d'émissions négatives subventionné par l'État aurait déjà du sens sur le plan économique. En résumé, bien qu'un prix du carbone puisse potentiellement réduire les émissions futures, une subvention pour le carbone pourrait réduire les émissions passées.

Statistiques

En 2020, selon l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), 47 régions, pays ou groupements de pays, qui représentent ensemble 60 % du PIB mondial, disposent d'un prix du carbone. Les revenus générés par les taxes et les marchés carbone de la planète ont fortement augmenté : tirés à 52 % des taxes et à 48 % des marchés de quotas, ils ont atteint 56,8 milliards $ en 2020, contre 48 milliards $ en 2019, et moins de 17 milliards $ en 2016. Ces montants restent très faibles au regard des subventions aux énergies fossiles qui s'élèvent « encore a minima à 450 milliards de dollars » en 2020. Les prix du carbone vont de moins d'un dollar par tonne d'équivalent CO2 en Ukraine à 142 dollars en Suède ; près de la moitié des émissions régulées sont couvertes par un prix inférieur à 10 dollars, alors que le consensus scientifique estime que pour atteindre « le plein effet d'incitation », il faut qu'il soit compris entre 40 et 80 dollars par tonne. Au 1er janvier 2021, l'Allemagne a instauré un système national d'échanges de quotas pour les émissions de CO2 qui ne sont pas couvertes par le mécanisme européen. En juillet 2021, la Chine a lancé son marché carbone interne, devenu le plus grand au monde devant celui de l'UE[14].

En 2015, 38 pays et 23 villes, Ă©tats, rĂ©gions ou provinces ont fixĂ© un prix au carbone ou s'apprĂŞtent Ă  le faire. C’est trois fois plus que dix ans auparavant ; on peut citer en particulier le marchĂ© de quotas de la Californie, qui est reliĂ© Ă  celui du QuĂ©bec et bientĂ´t Ă  celui de l'Ontario, et le marchĂ© de la Chine, mis en place dans 7 provinces avant d'ĂŞtre gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  l’ensemble du pays en 2016[7]. Ces collectivitĂ©s reprĂ©senteraient 12 % des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre mondiales, mais les prix de la tonne de CO2 fixĂ©s par ces collectivitĂ©s sont de 1 dollar Ă  130 dollars avec près de 85 % des Ă©missions couvertes par un prix Ă  moins de 10 â‚¬/tonne, prix trop bas selon les modèles Ă©conomiques pour ne pas dĂ©passer 2 °C de hausse de tempĂ©ratures en 2100 : 75 â‚¬/tonne serait un minimum pour les pays dĂ©veloppĂ©s et 35 â‚¬/t pour les pays en dĂ©veloppement ; pour Ă©viter - selon les modèles - de 2,8 Ă  5,6 gigatonnes d'Ă©missions de CO2 en 2030[15].

L'OCDE a publiĂ© pendant la COP21 une Ă©tude sur les prix du carbone pratiquĂ©s dans 41 pays : les 34 pays membres de l'OCDE plus la Chine, l'Inde, la Russie, le BrĂ©sil, l'Argentine, l'IndonĂ©sie et l'Afrique du Sud ; ces pays regroupent 80 % de la consommation mondiale d'Ă©nergie ; l'Ă©tude recense les Ă©missions de CO2 dues Ă  l'utilisation des Ă©nergies fossiles et de la biomasse et Ă©value la « taxe carbone effective », c’est-Ă -dire la somme des taxes carbones, des taxes spĂ©cifiques sur l’énergie (droits d’accise sur la consommation d’énergie et autres taxes Ă  l’exclusion de la TVA) et les prix des permis d’émission de CO2 Ă©changĂ©s sur un marchĂ©. Les rĂ©sultats montrent que 60 % des Ă©missions de CO2 ne sont sujettes Ă  aucune taxe, 30 % ont un taux compris entre zĂ©ro et 30 € tandis que seulement 10 % ont un taux supĂ©rieur Ă  30 €. En excluant les Ă©missions liĂ©es au transport routier, la taxe carbone est nulle pour 70 % des Ă©missions et 96 % des Ă©missions sont soumises Ă  une taxe de moins de 30 â‚¬ la tonne. Dans le transport routier, 46 % des Ă©missions de CO2 sont tarifĂ©es au-dessus de 30 â‚¬ la tonne[16].

Campagnes sur le prix du carbone en vue de la COP21

La thématique du prix du carbone réapparaît avec force à l'approche de la conférence de Paris de 2015 sur le climat (COP21).

Carbon Pricing Leadership Coalition

En , la Banque Mondiale, le Forum économique mondial (Forum de Davos), et une série d'institutions internationales et d'associations ont lancé la Carbon Pricing Leadership Coalition (Coalition de décideurs pour la mise en œuvre du prix du carbone) à l'occasion du sommet des Nations unies sur le climat à Lima (COP20)[17]. Lors du sommet organisé par le secrétaire général des Nations unies à New-York en , 74 états, 23 juridictions infranationales et plus de mille entreprises ont alors apporté leur soutien au projet de fixation d'un prix du carbone[18] - [19].

Propositions d'Ă©conomistes

  • selon la Caisse des DĂ©pĂ´ts, le nouvel accord (COP21) ne visera pas Ă  fixer un prix du carbone international : en revanche, il devra, pour ĂŞtre un succès, faciliter sur le long terme l’émergence de signaux Ă©conomiques nationaux, rĂ©gionaux ou sectoriels pour inciter les dĂ©cideurs publics et privĂ©s Ă  rĂ©aliser leur transition Ă©cologique et Ă©nergĂ©tique et pour financer leurs actions ; un système de comptabilisation des Ă©missions de GES pour tous les États, harmonisĂ© Ă  l’échelle internationale, sera indispensable ; il devra s’appuyer sur les acquis de la CCNUCC ; pour permettre le dĂ©veloppement de signaux-prix carbone nationaux, rĂ©gionaux voire sectoriels, l’accord de Paris devra accorder de la flexibilitĂ© aux États quant au choix des instruments Ă©conomiques Ă  mobiliser pour parvenir Ă  atteindre leurs objectifs de rĂ©duction de GES ; l’accord de Lima indique ainsi la possibilitĂ© d’utiliser des mĂ©canismes de marchĂ© complĂ©mentaires aux actions nationales ; la reconnaissance mutuelle des efforts de chaque État pourra favoriser Ă  plus long terme la convergence de l’utilisation de certains instruments Ă©conomiques tels que le prix du carbone[4].
  • une tribune libre de Jean Tirole et Christian Gollier (École d'Ă©conomie de Toulouse), parue dans Le Monde, rappelle les bases de la doctrine Ă©conomique classique[n 2]. Les auteurs dĂ©plorent que lors de la confĂ©rence de Copenhague de 2009, l'idĂ©e d'un prix mondial du carbone ait Ă©tĂ© abandonnĂ©e et que la convention-cadre sur le changement climatique de l'ONU se soit transformĂ©e en une chambre d'enregistrement de promesses d’efforts Ă  venir pour lutter contre le rĂ©chauffement ; ce mĂ©canisme d’engagements volontaires, que les auteurs qualifient ce processus de « course de lenteur », sera certainement confirmĂ© Ă  Paris. Pour eux, l'idĂ©al serait une taxe carbone combinĂ©e avec un Fonds vert pour aider les pays en dĂ©veloppement. Mais ceci Ă©tant politiquement irrĂ©aliste, ils prĂ©conisent un système de marchĂ© de permis d’émission, dans lequel une organisation multilatĂ©rale attribuerait aux pays participants, ou leur vendrait aux enchères, des permis Ă©changeables ; un tel marchĂ© permettrait de dĂ©finir un prix du carbone unique au niveau mondial ; des mesures en faveur des pays en voie de dĂ©veloppement pourraient ĂŞtre mises en place par de simples attributions gratuites de permis ; deux types de sanctions pourraient ĂŞtre envisagĂ©es : l’Organisation mondiale du commerce devrait traiter le refus de mettre le mĂŞme prix que les autres sur le carbone comme une pratique de « dumping » entraĂ®nant des sanctions ; et une insuffisance de permis Ă  la fin de l’annĂ©e serait valorisĂ©e au prix de marchĂ© et s’ajouterait Ă  la dette publique du pays concernĂ© ; dans le mĂŞme esprit, les Ă©tats non signataires devraient ĂŞtre pĂ©nalisĂ©s par le biais de taxes prĂ©levĂ©es aux frontières et gĂ©rĂ©es par l’OMC[20].
  • une note de politique de Michel Aglietta et Étienne Espagne, du CEPII, propose pour l'application du paquet climat-Ă©nergie un outil pour gĂ©rer la transition vers un prix Ă©levĂ© du carbone : en effet toute augmentation forte et soudaine du prix du carbone aurait un impact majeur et politiquement insoutenable sur le reste de l'Ă©conomie ; il est donc nĂ©cessaire de parvenir Ă  crĂ©er une distinction transitoire entre le prix du carbone appliquĂ© au stock existant de capital et le prix du carbone appliquĂ© aux nouveaux investissements Ă  bas carbone ; ceci peut ĂŞtre rĂ©alisĂ© en utilisant un prix du carbone notionnel Ă©levĂ© pour fixer une valeur d'actif du carbone Ă©vitĂ© par les nouveaux investissements (« actif carbone ») ; ces actifs, certifiĂ©s par des agences indĂ©pendantes, seraient acceptĂ©s en remboursement par les banques avec la garantie de la Banque centrale europĂ©enne ; ceci Ă©viterait une trop forte dĂ©prĂ©ciation des capitaux existants tout en envoyant un « signal-prix » pertinent aux investisseurs bas-carbone. Dans une seconde Ă©tape, des mesures fiscales assureraient que le prix du carbone converge vers la valeur notionnelle, gĂ©nĂ©rant ainsi des revenus permettant le rachat de la dette carbone dĂ©tenue par les banques, garantissant la neutralitĂ© budgĂ©taire finale du processus[21].
  • En , le rapport « Mobiliser les financements pour le climat » rĂ©digĂ© par Pascal Canfin et Alain Grandjean sur commande du prĂ©sident de la rĂ©publique française suggère l'Ă©tablissement d'un « corridor carbone » avec un prix minimum de 15 Ă  20 $/tonne CO2 avant 2020 et un prix cible de 60 Ă  80 $/tonne CO2 en 2030/2035 ; les pays rejoignant de manière volontaire ce corridor carbone s’engageraient Ă  assurer le suivi des initiatives prises pour mettre en place le signal prix carbone ; ce dispositif allie la souplesse nĂ©cessaire pour permettre Ă  chaque pays de l'adapter Ă  sa situation particulière, et la clartĂ© d'un signal-prix explicite et mondial fournissant aux investisseurs l'Ă©clairage indispensable pour l'orientation de leurs dĂ©cisions d'investissement[22].
  • En , Vincent Champain, prĂ©sident de l'Observatoire du long terme, conteste l'idĂ©e d'un prix unique du carbone, car la dĂ©pendance aux gaz Ă  effet de serre varie fortement : 650 grammes de CO2 par dollar de revenu national en Chine, 340 aux États-Unis, 210 en Allemagne ou 140 en France ; de plus, un prix unique ne distingue pas les pays dĂ©veloppĂ©s,dont l’industrialisation a causĂ© une part significative du stock actuel de gaz Ă  effet de serre, et les pays en voie de dĂ©veloppement, qui revendiquent un « droit de tirage » Ă©quivalent. Enfin, ce prix prĂ©sente Ă  la fois un impact « incitatif » (en incitant au dĂ©veloppement de technologies bas carbone) et un impact « punitif » (en poussant Ă  la rĂ©duction, voire Ă  la fermeture, de secteurs Ă©metteurs). Il prĂ©conise donc de sĂ©parer d’une part, la dĂ©finition par des experts d'une valeur de rĂ©fĂ©rence carbone, qui permet d’informer chacun sur la valeur mondiale de ce que devrait coĂ»ter Ă  long terme une tonne de CO2, et d’autre part, la mise en place des prix carbone diffĂ©renciĂ©s qui donnent des signaux Ă©conomiques, incitatifs ou punitifs, poussant entreprises et mĂ©nages Ă  Ă©mettre moins, dĂ©cision politique qui dĂ©finit l’effort demandĂ© Ă  chaque pays et chaque secteur Ă©conomique[23].
  • En , la Commission de haut niveau sur le prix du carbone issue de la COP 22 et composĂ©e d’économistes internationalement reconnus issus de tous les continents sous la prĂ©sidence de Nicholas Stern et Joseph E. Stiglitz publie un rapport affirmant qu'une rĂ©duction efficace des Ă©missions de gaz a effet de serre ne peut se faire sans donner un prix au carbone. La commission prĂ©conise une fourchette de prix explicite d'au minimum 40-80 $/t CO2 en 2020 et de 50-100 $ en 2030, Ă  condition que des politiques d'accompagnement favorables soient mises en place. Les prix peuvent ĂŞtre diffĂ©rents selon les pays, mais doivent rester Ă  l'intĂ©rieur de la fourchette, les pays Ă  faible revenu Ă©tant autorisĂ©s Ă  dĂ©marrer Ă  des niveaux infĂ©rieurs Ă  40 $[24] - [25].

Interventions de dirigeants de multinationales

Les dirigeants revendiquent avant tout des signaux économiques clairs et une certaine stabilité du cadre institutionnel et réglementaire ; mais chaque groupe de pression met aussi en avant l'intérêt que présente pour lui la fixation d'un prix du carbone :

  • GĂ©rard Mestrallet, prĂ©sident d'Engie (ex-GDF Suez) : « Si nous ne faisons rien, c’est une facture que nous lĂ©guerons aux gĂ©nĂ©rations futures : le coĂ»t du changement climatique est estimĂ© jusqu’à 450 milliards d’euros par an en 2050, selon l’ONU » ; le secteur privĂ© reprĂ©sente plus de 70 % des investissements mondiaux de prĂ©vention et de limitation du changement climatique. « Les entreprises ont besoin de visibilitĂ© et d’un accord cohĂ©rent de long terme pour dĂ©finir leurs prioritĂ©s. Mais il leur faut Ă©galement des signaux de prix clairs pour orienter leur choix en faveur des solutions bas carbone. Ce signal, c’est une gĂ©nĂ©ralisation des prix du carbone, c’est-Ă -dire du prix Ă  payer pour couvrir l’impact sur l’environnement des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre. Ce signal est d’autant plus nĂ©cessaire que les effets conjuguĂ©s de la baisse du cours des Ă©nergies fossiles et de la rĂ©volution du gaz de schiste orientent aujourd’hui les prĂ©fĂ©rences vers les ressources fossiles, abondantes et compĂ©titives, au risque de compromettre les engagements internationaux de rĂ©duction des gaz Ă  effet de serre. GĂ©nĂ©raliser les mesures de tarification du carbone, auxquelles se rallie un nombre croissant d’États, comme la Chine, le BrĂ©sil, le Mexique, l’Afrique du Sud et la CorĂ©e du Sud ; rechercher de la flexibilitĂ© et coordonner les initiatives nationales, ce qui plaide pour des systèmes de marchĂ© aujourd’hui prĂ©sents dans 35 pays ; rĂ©parer sans attendre le marchĂ© europĂ©en des Ă©missions de carbone »[26] ;
  • Six majors pĂ©trolières europĂ©ennes ont appelĂ© « Ă  donner un prix au carbone , afin de se dĂ©tourner des options les plus Ă©missives, et d'apporter la visibilitĂ© nĂ©cessaire pour dynamiser les investissements dans les technologies bas carbone et les ressources les plus pertinentes au rythme adĂ©quat » , dans un communiquĂ© commun des dirigeants de Total, Shell, Statoil, BP, Eni et BG Group. Les pĂ©troliers « prĂ©fèrent un prix du CO2 qui rĂ©partisse la contrainte en la faisant d’abord peser sur les centrales au charbon plutĂ´t qu’une approche qui durcirait les normes d’émissions sur ses principaux clients que sont les constructeurs automobiles ». Patrick PouyannĂ©, directeur gĂ©nĂ©ral de Total, Ă©value autour de 40 dollars la tonne de CO2 le point d’équilibre entre gaz et charbon pour produire de l’électricitĂ© ; quant Ă  la technologie Ă©mergente de capture et stockage du carbone (CCS), elle nĂ©cessiterait un prix de 80 Ă  100 dollars la tonne pour ĂŞtre rentable[27].

Appels d'élus nationaux et de collectivités

En 2015, une alliance de chefs d'État, représentants de villes et provinces, soutenue par des dirigeants de grandes entreprises et encouragée par la Banque mondiale, le FMI, et l'OCDE, exhortent les pays et les entreprises du monde à fixer un prix carbone, ce que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) considèrent comme un pas en avant selon un communiqué du [15].

Un "panel pour un prix carbone" est lancĂ© par Jim Yong Kim (prĂ©sident de la Banque mondiale) et Christine Lagarde (directrice gĂ©nĂ©rale du FMI) rapidement rejoints par Angel Gurria (secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l'OCDE)[15]. Dans ce cadre, en octobre (6 semaines avant la COP 21), François Hollande, la chancelière Angela Merkel, la PrĂ©sidente chilienne Michelle Bachelet, le PrĂ©sident philippin Benigno Aquino III, le Mexicain Enrique Peña Nieto, le Premier ministre Ă©thiopien Haile Mariam Dessalegn, le gouverneur de Californie Jerry Brown et le maire de Rio de Janeiro Eduardo Paes ont conjointement lancĂ© un appel pour un prix carbone. Le groupe Engie, et CalPERS (fonds de pension des fonctionnaires de Californie), Mahindra (Inde) ou encore Royal DSM soutenant aussi cette initiative, qui promeut Ă  la fois le marchĂ© carbone et la taxe carbone qui cohabitent dĂ©jĂ  dans certains pays, mais Ă  des niveaux souvent très insuffisants (de 1 dollar Ă  130 dollars en 2015, selon les pays ou selon les instruments financiers)[15], mĂŞme si le nombre d'instruments installĂ©s ou programmĂ©s sur le prix carbone « a pratiquement doublĂ© depuis 2012, atteignant une valeur marchande globale proche de 50 milliards de dollars »[28].

Prix interne du carbone fixé par des entreprises

Convaincues que le prix du carbone est destiné à s'imposer, malgré des hésitations au niveau international et le peu d'efficacité des dispositifs existants, quelques grandes entreprises internationales se préparent à l'évolution des réglementations[29].

En , pour l'ouverture de la COP 22 à Marrakech, elles étaient ainsi plus de 500 à avoir mis en place un « prix carbone interne », sous diverses formes, pour se rendre plus résilientes dans le cadre de la transition énergétique.

  • Certaines, comme Veolia[30], se dotent d'un « prix directeur », ou « shadow price », une valeur appliquĂ©e aux Ă©missions de gaz Ă  effet de serre gĂ©nĂ©rĂ©es par les divers projets et intĂ©grĂ©e aux dĂ©cisions d'investissement et calculs des taux de retour sur investissements (comme on le fait dĂ©jĂ  pour le prix du pĂ©trole) afin de dĂ©courager les choix les plus « carbonĂ©s Â» ; c'est le cas Ă©galement de Suez et Engie, qui, sous la pression des ONG, ont dĂ©cidĂ© d'arrĂŞter d'investir dans le charbon[30] ;
  • d'autres appliquent une sorte de « taxe interne volontaire Â» (comme la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale ou LVMH[30]) pour rĂ©duire leurs Ă©missions tout en finançant leur transition Ă©nergĂ©tique ; c'est le cas de la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale et de la Poste[31].
  • D'autres encore (comme Saint-Gobain, Carrefour ou Engie en 2016) testent diffĂ©rents montants pour valider des hypothèses, ou pour s'adapter Ă  diffĂ©rentes situations gĂ©ographiques[30].

En France, selon une enquĂŞte de l'Institut Montaigne publiĂ©e en novembre 2021, les grandes entreprises françaises situent Ă  60 € par tonne en moyenne le prix interne du carbone qu'elles sont prĂŞtes Ă  instituer ou appliquent dĂ©jĂ  pour leurs dĂ©cisions d'investissement ; selon les entreprises, ce prix varie entre 30 € et 150 € par tonne. Dans le monde, selon un rapport publiĂ© au printemps 2021 par le CDP, un centre international d'Ă©tudes et de rĂ©flexion, plus de 2 000 entreprises sont prĂŞtes Ă  mettre en Ĺ“uvre un prix interne du carbone, si elles ne l'ont dĂ©jĂ  fait, contre 1 400 en 2017[32].

Notes et références

Notes

  1. Rappel : le mécanisme de développement propre consiste à utiliser des crédits carbone générés par des projets de réduction des émissions réalisés dans les pays en développement pour compenser les volumes d’émission excédentaires des industriels européens ; certaines entreprises auraient ainsi vendu leurs quotas distribués gratuitement pour acheter des crédits moins chers issus de projets pas toujours sérieux.
  2. le changement climatique relève de la gestion d’un « bien commun » à l’échelle mondiale ; à long terme, l’humanité bénéficierait massivement d’une coopération internationale sur le climat ; malheureusement, chaque pays est fortement incité à laisser aux autres la charge de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; l’approche consensuelle chez les économistes pour résoudre ce problème de « passager clandestin » consiste à imposer un prix uniforme sur les émissions ; une telle stratégie incite les pollueurs à engager tous les efforts de réduction des émissions dont les coûts sont en deçà de ce prix.

Références

  1. La “ Stern Review ” : l’économie du changement climatique - Note de synthèse, Archives du gouvernement britannique.
  2. Que signifie « donner un prix au carbone » ?, Banque mondiale, 11 juin 2014.
  3. Donner une valeur à l’environnement, revue du Commissariat général au développement durable, décembre 2010 (voir pages 47 et 49).
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