Paradoxe du jeune Soleil faible
Le paradoxe du jeune Soleil faible désigne la contradiction apparente entre l'observation d'eau liquide tÎt dans l'histoire de la Terre et les estimations astrophysiques suggérant que le Soleil ne brillait, au début de la création du SystÚme solaire, qu'à 70 % de son intensité actuelle, n'augmentant que d'environ 7 % par milliard d'années[1]. Le problÚme a été soulevé par les astronomes Carl Sagan et George Mullen en 1972[2]. Pour résoudre ce paradoxe, il est habituellement invoqué un réchauffement par effet de serre, des influences astrophysiques ou une combinaison des deux.
La question non rĂ©solue est de savoir comment un climat propice Ă la vie, nĂ©cessitant a priori de l'eau Ă l'Ă©tat liquide, a Ă©tĂ© maintenu sur la Terre pendant un temps prolongĂ© en dĂ©pit des variations dâĂ©nergie solaire et des conditions terrestres[3].
Rayonnement solaire primitif et effet sur la Terre
Au début de l'histoire de la Terre, le Soleil avait une luminosité plus faible, représentant seulement 70 % de son intensité actuelle. En effet selon le modÚle solaire standard, les étoiles semblables au Soleil s'illuminent progressivement tout au long de la période de leur séquence principale, en raison de la contraction du noyau stellaire causée par la fusion[4].
Dans les conditions environnementales existantes à cette époque, ce rayonnement solaire aurait donc été insuffisant pour maintenir un océan liquide. Car avec la luminosité solaire d'il y a 4 milliards d'années, telle qu'estimée à ce jour, et les concentrations de gaz à effet de serre similaires à celles observées actuellement sur Terre, toute eau liquide exposée à la surface aurait gelé. Or les astronomes Carl Sagan et George Mullen soulignent en 1972 que cette supposition va à l'encontre des données géologiques et paléontologiques, qui indiquent la présence d'eau liquide[2], puisque l'histoire géologique de la Terre indique en permanence une surface relativement chaude dans le registre de température complet de la Terre, à l'exception d'une période glaciaire, la glaciation huronienne, il y a environ 2,4 à 2,1 milliards d'années. Des sédiments déposés par l'eau ont ainsi été trouvés datant au plus tÎt d'il y a 3,8 milliards d'années[5], et des traces de formes de vie primitives ont été trouvées dans des strates vieilles de 3,5 milliards d'années[6], dont les proportions en isotopes du carbone sont tout à fait conformes à ce qui se trouve aujourd'hui[7].
HypothÚses principales envisagées
HypothĂšse de l'effet de serre
Lors de sa formation, l'atmosphĂšre terrestre pourrait avoir contenu plus de gaz Ă effet de serre qu'aujourd'hui ce qui aurait compensĂ© la faible activitĂ© du Soleil et permis la prĂ©sence dâeau liquide et l'apparition de la vie. Ainsi pour contrecarrer ce manque d'Ă©nergie de la jeune Ă©toile, les concentrations de dioxyde de carbone devraient avoir Ă©tĂ© 1 000 fois plus Ă©levĂ©es qu'aujourd'hui, avec une pression partielle au moins autour de 39 kPa (0,39 bar).
En 2020, une étude passe en revue le problÚme à la lumiÚre des contraintes géologiques et géochimiques les plus récentes sur l'atmosphÚre de la Terre primitive, des modÚles climatiques mondiaux à trois dimensions et des modÚles du cycle du carbone. Elle conclut qu'une concentration élevée en CO2 est bien la bonne explication, et que le problÚme du jeune Soleil faible est essentiellement résolu, pour ce qui concerne la Terre. Des contraintes supplémentaires sur l'atmosphÚre archéenne et des modÚles 3D entiÚrement couplés atmosphÚre-océan restent cependant nécessaires pour valider cette conclusion[8].
Diazote
Une forte pression partielle de diazote aurait pu augmenter l'effet de serre[9] - [10], mais l' « analyse dâisotopes d'azote et d'argon trouvĂ©s dans les inclusions fluides piĂ©gĂ©s dans des cristaux de quartz hydrothermal datant de 3,0 Ă 3,5 milliards d'annĂ©es » en 2013 a permis de conclure que « le diazote n'avait vraisemblablement pas jouĂ© un rĂŽle significatif dans l'effet de serre de l'ancienne Terre. La pression partielle du CO2 archĂ©en Ă©tait par contre probablement juste infĂ©rieure Ă 0,7 bar ». Burgess, l'un des auteurs, indique que « la quantitĂ© d'azote dans l'atmosphĂšre Ă©tait trop faible pour accentuer l'effet de serre du dioxyde de carbone et entraĂźner un rĂ©chauffement de la planĂšte. Cependant, nos rĂ©sultats montrent que la quantitĂ© de dioxyde de carbone dans l'atmosphĂšre, Ă l'inverse des estimations basĂ©es sur des sols fossiles, pourrait avoir Ă©tĂ© assez Ă©levĂ©e pour contrer les effets du faible Soleil ». Ces rĂ©sultats nĂ©cessitent cependant d'ĂȘtre confirmĂ©s[11] - [12].
Volcanisme
Les volcans sont la source principale de CO2 atmosphérique à l'échelle géologique.
Certes cette injection de gaz carbonique dans l'atmosphÚre est normalement contrecarrée par différents mécanismes chimiques, tels que la photosynthÚse ou l'érosion des roches silicatées telles que les plagioclases, mais ces deux mécanismes n'étaient pas actifs lors de l'Hadéen, en effet :
- la photosynthÚse bactérienne permet, au phanérozoïque actuel, de convertir de grandes quantités de gaz CO2 en carbone organique et en oxygÚne gazeux, mais il y a 3,5 milliards d'années une telle photosynthÚse n'existait pas encore sur Terre.
- l'érosion des roches silicatées constitue le plus important puits de CO2 (processus chimique qui permet d'éliminer les plus grandes quantités de CO2 de l'atmosphÚre), mais la jeune Terre étant à l'Hadéen une planÚte-océan, il n'y avait pas encore de continents (les continents n'étant apparus qu'il y a environ 3 milliards d'années, ce qui coïncide justement avec une diminution des concentrations de CO2) et donc pas d'érosion des roches silicatées : en effet les gouttes de pluie chargées de CO2 ne peuvent éroder les silicates qu'en les atteignant au sol. Considérons par exemple l'altération de l'anorthite (silicate calcique) :
- CaAl2Si2O8 + 3 H2O + 2 CO2 Al2Si2O5(OH)4 (kaolinite) + Ca2+ + 2 HCO3â.
Deux moles de CO2 sont consommĂ©es pour altĂ©rer une mole d'anorthite. Lorsque HCO3â arrive en mer par dĂ©rive des plaques tectoniques, il se produit une prĂ©cipitation de calcite CaCO3 suivant la rĂ©action :
- Ca2+ + 2 HCO3â CO2 + H2O + CaCO3.
Cette réaction libÚre ainsi une mole de CO2 mais fixe la mole restante[13].
Il n'y avait donc pas de processus actifs identifiables Ă l'HadĂ©en permettant de rĂ©duire les concentrations de CO2 atmosphĂ©riques gĂ©nĂ©rĂ©es. De grandes quantitĂ©s de CO2 pouvaient donc sâaccumuler dans l'atmosphĂšre et produire ainsi un puissant effet de serre.
MĂ©thane et ammoniac
Dâautres gaz pourraient avoir contribuĂ© Ă l'effet de serre de la jeune Terre. Le mĂ©thane, un gaz Ă effet de serre trĂšs actif qui rĂ©agit avec l'oxygĂšne pour produire du dioxyde de carbone et la vapeur d'eau, pourrait avoir Ă©tĂ© plus rĂ©pandu quâaujourdâhui, avec des concentrations de lâordre de 100 parties par million en volume[14]. Or en lâabsence dâoxygĂšne, quasi absent dans l'atmosphĂšre Ă l'HadĂ©en, le mĂ©thane est plus stable (actuellement la durĂ©e de vie du mĂ©thane dans l'atmosphĂšre est d'environ 10 ans). La source du mĂ©thane pourrait avoir Ă©tĂ© les archaeas mais avant l'apparition de la vie il ne semble pas exister de sources Ă©videntes pour la prĂ©sence Ă©ventuelle de mĂ©thane[15] - [16].
L'ammoniac a également été proposé par Carl Sagan mais l'ammoniac comme le méthane sont des gaz fragiles qui sont dégradés par les ultraviolets du rayonnement solaire. Ces gaz ne peuvent donc pas avoir joué un rÎle majeur sans source importante. L'ammoniac est donc disqualifié.
Sulfures
BasĂ© sur une Ă©tude des isotopes gĂ©ologiques du soufre, un groupe de scientifiques comprenant Yuichiro Ueno de l'universitĂ© de Tokyo a proposĂ© en 2009 que le sulfure de carbonyle (OCS) fĂ»t prĂ©sent dans l'atmosphĂšre archĂ©enne. Le sulfure de carbonyle est un gaz Ă effet de serre efficace et les scientifiques estiment que l'effet de serre additionnel aurait Ă©tĂ© suffisant pour empĂȘcher la Terre de geler[17].
Chaleur radiogénique
Une seconde piste d'explication réside dans la chaleur radiogénique sur la jeune Terre :
Dans le passĂ©, la libĂ©ration de l'Ă©nergie gĂ©othermique issue de la chaleur de dĂ©sintĂ©gration Ă©mis par des isotopes du potassium 40, d'uranium 235 et d'uranium 238 Ă©tait considĂ©rablement supĂ©rieure Ă ce qu'elle est aujourd'hui[18]. La figure de droite montre que le rapport isotopique entre U238 et U235 Ă©tait Ă©galement considĂ©rablement diffĂ©rent de ce qu'il est aujourd'hui. Ce rapport est Ă©quivalent Ă celui de l'uranium faiblement enrichi moderne. Par consĂ©quent, le minerai d'uranium naturel sur la jeune Terre aurait Ă©tĂ© capable de former des rĂ©acteurs de fission nuclĂ©aire naturels avec de lâeau lĂ©gĂšre commune pour modĂ©rateur. Toute tentative d'explication du paradoxe du jeune Soleil doit donc tenir compte des contributions radiogĂ©niques, Ă la fois de la chaleur de dĂ©sintĂ©gration naturelle et de lâexistence potentielle de rĂ©acteurs de fission nuclĂ©aire naturels.
Effets de marée
La Lune était beaucoup plus proche de la Terre lors de sa genÚse il y a quelques milliards d'années[19]. Cette proximité a vraisemblablement produit des effets de marée importants qui pourraient avoir augmenté la chaleur interne de la Terre et contribué à son réchauffement[20].
Explications alternatives
Rayons cosmiques
Une explication alternative soutenue par une minorité de scientifiques et proposée par le physicien américano-israélien Nir Shaviv s'intéresse aux influences climatologiques du vent solaire. Cette hypothÚse s'appuie sur les travaux du physicien danois Henrik Svensmark sur les effets de refroidissement des rayons cosmiques[21]. Selon Shaviv, le jeune Soleil émettait un vent solaire plus intense qui pourrait avoir eu un effet protecteur contre les rayons cosmiques et donc une réduction de leurs effets refroidissant sur la Terre. Durant cet ùge précoce, un effet de serre modéré, comparable à celui que l'on connaßt aujourd'hui, aurait été suffisant pour expliquer une Terre vierge de glace d'aprÚs Nir Shaviv. La preuve de vents solaires plus soutenus aurait été trouvée dans des météorites[22].
La température minimale atteinte il y 2,4 milliards d'années semble corrélée avec un flux de rayons cosmiques plus intense lié à un taux de formation d'étoiles plus élevé dans la Voie lactée. La réduction d'intensité des vents solaires ultérieure aurait entraßné un impact plus fort du flux de rayons cosmiques (CRF), supposé conduire à des variations climatiques.
Perte de masse solaire
Un modĂšle alternatif d'Ă©volution solaire pourrait rĂ©soudre diffĂ©remment le paradoxe du jeune Soleil faible. D'aprĂšs ce modĂšle, le jeune Soleil aurait subi une pĂ©riode de production prolongĂ©e de vents solaires plus intenses, ce qui aurait entraĂźnĂ© une perte de masse du Soleil de l'ordre de 5 Ă 10 %. Or une masse plus importante du Soleil Ă lâorigine aurait assurĂ© une production d'Ă©nergie proportionnellement plus Ă©levĂ©e, et donc des niveaux plus cohĂ©rents de luminositĂ© solaire.
Cependant pour expliquer les conditions chaudes durant tout l'Ă©on archĂ©en, cette perte de masse doit d'ĂȘtre Ă©talĂ© sur un intervalle d'environ un milliard d'annĂ©es. Or les traces d'implantation ionique dans les mĂ©tĂ©orites et les Ă©chantillons lunaires montrent qu'un taux Ă©levĂ© de vent solaire n'a durĂ© que pendant une pĂ©riode de 0,1 milliard d'annĂ©es. De plus, des observations de la jeune Ă©toile similaire au Soleil Ï1 Ursae Majoris, ont montrĂ© le mĂȘme taux de dĂ©clin de production de vent stellaire (~ 0,1 milliard d'annĂ©es), ce qui soutient que le Soleil ne peut avoir perdu autant de masse que nĂ©cessaire pour rĂ©soudre le paradoxe[23].
Albédo de surface inférieur
L'examen des sĂ©diments archĂ©ens apparaĂźt incompatible avec l'hypothĂšse de fortes concentrations de gaz Ă effet de serre. Au lieu de cela, la plage de tempĂ©ratures modĂ©rĂ©es pourrait ĂȘtre expliquĂ©e par un albĂ©do de surface infĂ©rieur provoquĂ© par une surface continentale absente ou moindre et le « manque de noyaux de condensation de nuages induits biologiquement ». Ces phĂ©nomĂšnes auraient entraĂźnĂ© une augmentation de l'absorption de l'Ă©nergie solaire, compensant ainsi la production solaire infĂ©rieure[24].
Notes et références
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- Le diazote n'est pas un gaz à effet de serre, en effet, il est transparent en infrarouge aussi bien qu'en lumiÚre visible ; mais une pression partielle significative d'un gaz élargit les raies d'absorption/émission des gaz à effet de serre. Ce qui augmente en retour l'efficacité de l'effet de serre.
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