PĂ©riphrase (linguistique)
« PĂ©riphrase » est, Ă lâorigine, un terme de rhĂ©torique. Dans ce domaine, la pĂ©riphrase fait partie des figures de style et dĂ©signe un groupe de mots qui remplace un mot unique, dans divers buts. Lâun de ceux-ci est dâobtenir plus dâexpressivitĂ©. Des exemples pour cela sont, en français, la Ville LumiĂšre pour Paris ou la grande bleue pour la mer[1], en anglais the Emerald Isle « lâĂźle dâĂ©meraude » pour lâIrlande[2], en hongrois ĂrpĂĄd fiai « les fils dâĂrpĂĄd » pour les Magyars[3]. La pĂ©riphrase peut aussi ĂȘtre utilisĂ©e dans un but ironique (ex. boucherie hĂ©roĂŻque pour guerre)[4], euphĂ©mique (Il est parti pour un monde meilleur pour il est mort[5]), ou pour remplacer un mot considĂ©rĂ© comme malsĂ©ant ou tabou : (hu) szĂŒksĂ©gĂ©re megy « aller faire ses besoins »[3].
En linguistique, on a adoptĂ© le terme « pĂ©riphrase » dans lâacception ci-dessus, mais aussi dans un sens plus large. PremiĂšrement, on y inclut tous les types de locutions[6]. DeuxiĂšmement, on applique ce terme Ă toutes les formes grammaticales analytiques en opposition avec les formes synthĂ©tiques[7]. Cette application part dâun point de vue diachronique, le remplacement dâune forme synthĂ©tique par une forme analytique pour exprimer le mĂȘme sens grammatical correspondant Ă la dĂ©finition originaire de la pĂ©riphrase (groupe de mots qui remplace un mot unique). Ainsi, par exemple, en français, jâai fait correspond au latin feci[1].
PĂ©riphrases lexicales
Dans les grammaires de certaines langues, comme le français ou le roumain, pour les pĂ©riphrases lexicales il y a un terme Ă part, « locution ». Câest un groupe de mots qui constitue une unitĂ© lexicale, ayant un sens unitaire et se comportant, du point de vue grammatical, comme un mot unique appartenant Ă une certaine partie du discours[8] - [9] - [10].
PĂ©riphrases grammaticales
Les pĂ©riphrases grammaticales sont appelĂ©es autrement formes grammaticales analytiques. Elles expriment surtout des traits grammaticaux du verbe, mais dâautres parties du discours aussi.
PĂ©riphrases verbales
Les formes verbales périphrastiques se forment avec des verbes auxiliaires et semi-auxiliaires[11].
PĂ©riphrases modales et temporelles
En français il y a relativement beaucoup de formes modales et temporelles pĂ©riphrastiques. Traditionnellement, dans les grammaires de cette langue, on appelle « temps composĂ©s » ceux formĂ©s avec les verbes auxiliaires avoir et ĂȘtre et le participe passĂ© du verbe Ă sens lexical, par exemple le passĂ© composĂ© : Nous avons bien ri, Le train est parti[12]. On appelle « temps pĂ©riphrastiques » ceux construits avec des verbes appelĂ©s semi-auxiliaires et lâinfinitif du verbe Ă sens lexical, tel le futur proche : Le bĂ©bĂ© va sâendormir[13].
En anglais, sauf deux formes (le présent simple et le passé simple), toutes les autres sont périphrastiques : le présent continu (We are playing cards now « Nous sommes en train de jouer aux cartes »), le passé continu (We were playing cards at the time « Nous étions en train de jouer aux cartes à ce moment-là »), etc.[14].
En roumain aussi, la plupart des formes sont pĂ©riphrastiques : le prĂ©sent du conditionnel (aÈ vorbi « je parlerais »), le passĂ© composĂ© (am vorbit « jâai parlĂ© »), les formes de futur : voi vorbi « je parlerai »[6], etc.
En BCMS[15] il y a comme formes pĂ©riphrastiques le prĂ©sent du conditionnel (Morali bismo ga poĆetiti « Nous devrions lui rendre visite »[16]), le passĂ© (Jeste li Äuli? « Avez-vous entendu ? »[17]), le futur : Jednog dana on Äe zavrĆĄiti studije « Un jour il finira ses Ă©tudes »[18], etc.
En hongrois il y a deux telles formes : le futur (élni fog « il/elle vivra ») et le passé du conditionnel : kért volna « il/elle aurait demandé »[19].
Périphrases exprimant des diathÚses (voix), des aspects, des modalités et des sens pragmatiques
Dans les langues romanes, la voix passive, par exemple, se forme de façon pĂ©riphrastique, avec le verbe auxiliaire ĂȘtre et le participe passĂ© du verbe Ă sens lexical :
- (fr) Le vaccin contre la rage a été découvert par Pasteur[13] ;
- (ro) CÄrÈile vor fi puse la loc « Les livres seront mis Ă leur place »[20].
Dâautres pĂ©riphrases verbales sont aspectuelles. Elles expriment, par exemple en français[21] :
- le dĂ©but de lâaction :
- En entandant cette histoire, tout le monde sâest mis Ă rire ;
- Il était sur le point de se coucher, lorsque nous sommes arrivés ;
- le dĂ©roulement de lâaction : Ne dĂ©range pas Stanislas ! Il est en train de travailler ;
- la fin de lâaction :
- Au bout de trois jours, la pluie a enfin cessé de tomber ;
- Tu peux prendre le journal. Jâai fini de le lire.
Certains linguistes incluent parmi les pĂ©riphrases aspectuelles celles appelĂ©es factitives ou causatives, qui expriment la participation indirecte du sujet Ă lâaction. Parfois, lâaction est causĂ©e par le sujet. Dans ce cas le verbe semi-auxiliaire est lâĂ©quivalent de faire :
- (fr) Lâopium fait dormir, Il fait faire ses costumes Ă Londres[22] ;
- (en) She makes him eat « Elle le fait manger »[23].
Dâautres fois on exprime le fait que lâaction nâest pas empĂȘchĂ©e par le sujet, avec le semi-auxiliaire Ă©quivalent de laisser : Sa mĂšre lâa laissĂ© dormir jusquâĂ dix heures, Il a laissĂ© battre son petit frĂšre[22].
En anglais, les formes temporelles continues (voir plus haut) expriment en mĂȘme temps lâaspect continu (action en dĂ©roulement).
En hongrois aussi il y a une pĂ©riphrase dâaspect, avec le semi-auxiliaire szokott (au sens lexical « il/elle avait lâhabitude de »), qui exprime une action rĂ©pĂ©tĂ©e de temps en temps, soit dans le passĂ©, soit dans le prĂ©sent, malgrĂ© sa forme de passĂ©, le moment de lâaction pouvant ĂȘtre dĂ©duit du contexte : EstĂ©nkĂ©nt olvasni szokott « Le soir, il/elle a/avait lâhabitude de lire »[24].
Les pĂ©riphrases de modalitĂ© expriment la façon dont le locuteur considĂšre lâaction comprise dans son propre Ă©noncĂ© (comme obligatoire, probable, possible, Ă©ventuelle, etc.) :
- action presque réalisée :
- action fortuite : (hu) Ha el talĂĄlod ĂĄrulni a titkot, megharagszom « Sâil arrive que tu divulgues le secret, je me fĂąche »[24] ;
- action voulue :
- apparence : (fr) Le temps semble sâamĂ©liorer[25] ;
- capacité à faire quelque chose :
- éventualité :
- obligation, nécessité :
- possibilité : (sr) Ja ovde mogu studirati/da studiram « Ici je peux étudier »[29] ;
- probabilité : (fr) Quelle chaleur ! Il doit faire au moins 35 °C[21].
Les grammaires du hongrois prennent en compte une pĂ©riphrase pragmatique, avec le semi-auxiliaire tetszik, dont le sens lexical est « plaire », utilisĂ©e dâordinaire pour exprimer la politesse Ă lâĂ©gard dâune personne plus ĂągĂ©e que le locuteur : Tetszett mĂĄr venni a sĂŒtemĂ©nybĆl? « Avez-vous dĂ©jĂ pris du gĂąteau ? » (littĂ©ralement « Vous a-t-il dĂ©jĂ plu prendre du gĂąteau ? »)[24].
Les degrés de comparaison
Dans certaines langues, tous les degrĂ©s de comparaison des adjectifs et des adverbes, dans dâautres certains sont exprimĂ©s de façon analytique, donc pĂ©riphrastique.
En français, tous le sont ainsi, Ă lâexception du comparatif et du superlatif de quelques adjectifs et adverbes : plus facile, aussi facile, moins facile[30], le plus grand, la moins chĂšre[31].
En roumain, tous les degrĂ©s de comparaison de tous les adjectifs et adverbes qui en ont sont pĂ©riphrastiques : mai Ăźnalt « plus haut », la fel de / tot aÈa de / tot atĂąt de Ăźnalt « aussi haut », mai puÈin Ăźnalt « moins haut », cel mai Ăźnalt « le plus haut », cel mai puÈin Ăźnalt « le moins haut »[32].
En anglais, les degrĂ©s de comparaison de la plupart des adjectifs et adverbes sont pĂ©riphrastiques (ex. more interesting « plus intĂ©ressant »), certains ont le comparatif de supĂ©rioritĂ© et le superlatif relatif de supĂ©rioritĂ© seulement synthĂ©tiques, câest-Ă -dire formĂ©s avec des suffixes (bigger « plus grand »), quelques autres peuvent avoir ces degrĂ©s formĂ©s avec les deux procĂ©dĂ©s : more happy ou happier « plus heureux », the most happy ou the happiest « le plus heureux »[7].
En hongrois, seuls le comparatif dâĂ©galitĂ© et celui dâinfĂ©rioritĂ©, ainsi que le superlatif relatif dâinfĂ©rioritĂ© sont construits de façon pĂ©riphrastique : kevĂ©sbĂ© rossz « moins mauvais » ugyanolyan rossz « aussi mauvais », a legkevĂ©sbĂ© jĂł « le moins bon »[33].
Références
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- Bussmann 1998, p. 879.
- Hangay 2007, p. 545.
- Affirmation de Hangay 2007, p. 545, exemple de Voltaire, Candide, chapitre 3.
- Dubois 2002, p. 189.
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- Constantinescu-Dobridor 1998, article locuÈiune.
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- Delatour 2004, p. 91.
- Delatour 2004, p. 99.
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Sources bibliographiques
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