AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Causatif

En linguistique, le causatif est une diathÚse qui permet d'exprimer un sujet qui est cause de l'action effectuée par un agent distinct et décrite par le verbe. Techniquement, on observe que la construction augmente d'un actant causateur la valence d'un verbe. En français, on emploie typiquement faire, par exemple : Je lui ai fait repeindre le mur. Je lui ai fait faire un tour. Cela donne aussi parfois faire faire.

Certains linguistes[1] font une distinction entre factitif et causatif strict selon la transitivitĂ© du verbe affectĂ© : le factitif s'applique alors Ă  un verbe transitif et indique que le sujet fait effectuer une action par un autre agent que lui-mĂȘme, tandis que le causatif s'applique Ă  un verbe intransitif et indique que le sujet dĂ©termine une transformation affectant le second actant. D'autres traitent ces deux termes comme synonymes.

L'expression du causatif varie fortement selon la langue Ă©tudiĂ©e, et plusieurs mĂ©thodes peuvent coexister : elle peut se faire au niveau de la morphologie ou de la syntaxe. Toutes les langues possĂšdent par ailleurs des causatifs lexicalisĂ©s, oĂč la distinction est directement encodĂ©e sous forme de lexĂšmes distincts, de façon figĂ©e et non productive (par exemple en français tuer est un causatif de mourir).

Causatifs morphologiques

De trĂšs nombreuses langues possĂšdent des procĂ©dĂ©s rĂ©guliers de dĂ©rivation d'un causatif Ă  partir d'un verbe. Ils peuvent ĂȘtre plus ou moins gĂ©nĂ©raux ou productifs ; dans certains cas, le causatif a pu prendre des sens particuliers dans l'Ă©volution de la langue et se dĂ©tacher quelque peu du verbe sur la base duquel il fut formĂ© (phĂ©nomĂšne de lexicalisation).

En sanskrit, le causatif (n.ijanta) s'emploie quand le sujet d'une proposition (grammaire) oblige l'objet Ă  effectuer une action : c'est un factitif au sens strict. Il se forme par alternance vocalique et ajout du suffixe -ay.

  • bhĆ« « ĂȘtre, exister » → bhāv-ay ; ex. bhāvayati « il fait exister = il crĂ©e »
  • khad « manger » → khād-ay ; ex. khādayati « il fait manger = il nourrit »

En allemand, le causatif se forme par la voyelle changeant à un « Umlaut » ou de « i » à « e »

  • saugen « sucer » → sĂ€ugen « allaiter »
  • sinken « s'enfoncer, baisser » → senken « faire couler, baisser »

En persan, le causatif se forme en ajoutant le suffixe -ùn(i)dan au radical du présent.

  • xordan « manger » → xor (radical du prĂ©sent) → xorĂąndan « faire manger »
  • xandidan « rire » → xand (radical du prĂ©sent) → xandĂąndan « faire rire »

Dans la plupart des langues sĂ©mitiques, le verbe possĂšde une flexion causative par alternance vocalique et ajout d'un prĂ©fixe ; la linguistique comparĂ©e permet de le reconstruire comme ĆĄ- en proto-sĂ©mitique, devenant plus tard ʔa-, hi- ou Ä«- selon les langues.

  • syriaque : kəξav « il a Ă©crit » → ʔaxtev « il a composĂ© »
  • arabe : ʕalima « il a su » → ʔaʕlama « il a informĂ© »
  • hĂ©breu : dɑrax « il a marchĂ© » → hidrix « il a guidĂ© »
  • kabyle : yeláž„a « il a marchĂ© » → yesseláž„a « il a fait marcher »

En japonais, les verbes forment réguliÚrement des causatifs avec le suffixe -saseru (pour les verbes en -ru) ou -aseru (pour les verbes en -u).

  • taberu « manger » → tabesaseru « faire manger, nourrir »
  • yomu « lire » → yomaseru « faire lire »

Il y existe aussi bon nombre de paires de verbes intransitif / causatif-transitif dérivés l'un de l'autre par des alternances plus ou moins réguliÚres.

  • agaru « monter » → ageru « lever »
  • magaru « tourner » → mageru « courber »
  • kowareru « ĂȘtre cassĂ© » → kowasu « casser »
  • kaeru « retourner, repartir » → kaesu « renvoyer »

Le maori de Nouvelle-ZĂ©lande fait de mĂȘme par ajout du prĂ©fixe whaka-.

  • ako « apprendre » → whakaako « enseigner (= faire apprendre) »

Le guarani, une langue amérindienne, utilise également un préfixe variable selon le type de base verbale : mbo- pour les bases orales, mo- pour les bases nasales.

  • puka « rire » → mbopuka « faire rire »
  • guata « marcher » → mboguata « guider »
  • pu'ĂŁ « monter » → mopu'ĂŁ « Ă©lever »

Le finnois forme des causatifs à partir de verbes, mais aussi de noms et d'adjectifs (avec l'idée de transformation).

  • syödĂ€ « manger » → syöttÀÀ « nourrir »
  • haihtua « s'Ă©vaporer » → haihduttaa « vaporiser »
  • olla « ĂȘtre » → olettaa « supposer » (et non « crĂ©er » : c'est un cas de lexicalisation par dĂ©rive du sens)
  • kirja « livre » → kirjoittaa « Ă©crire »
  • tĂ€ysi « plein » → tĂ€yttÀÀ « remplir »

En hongrois on trouve tout une sĂ©rie de verbes formant des paires passifs/intransitifs-causatifs/transitifs, construits de la mĂȘme maniĂšre qu'en finnois, le plus souvent avec le suffixe -Ă­t:

  • Ă©p « entier, intact » → Ă©pĂŒl « est construit » – Ă©pĂ­t « construire » – d'oĂč le factitif: Ă©pĂ­ttet « faire construire »
  • szĂ©p « beau » → szĂ©pĂŒl « s'embellir » – szĂ©pĂ­t « embellir »
  • tan- « connaissance » → tanul « Ă©tudier » – tanĂ­t « enseigner »
  • esik « tomber » – ejt « laisser tomber »
  • durr « pan! » → durran « dĂ©toner » intransitif – durrant « dĂ©toner » transitif.

L'indonĂ©sien a deux façons de former des verbes causatifs sur des adjectifs : 1) En ajoutant le circonfixe me--i ou me--kan (avec nasalisation de l’initiale).

  • terang « clair » → menerangi « Ă©clairer » (un endroit) et menerangkan « expliquer » (littĂ©ralement « rendre clair »)

2) En ajoutant le préfixe composé memper-.

  • besar « grand » → memperbesar « agrandir »

Il en est de mĂȘme dans les langues aux Philippines comme le tagalog et l'ilocano, qui emploient Ă  cet effet le prĂ©fixe pa-.

  • dakkel « grand » → padakkelen « agrandir » (ilokano)
  • kain « manger » → pakainin « faire manger, nourrir » (tagalog)

En espéranto, le causatif se forme sur toute sorte de base par le suffixe -ig- :

  • veni « venir » → venigi « faire venir »
  • blanka « blanc » → blankigi « rendre blanc, blanchir »
  • vitro « verre » → vitrigi « vitrifier »

En lingala, le causatif se forme sur la racine ou une racine déjà affixée par le suffixe -is- :

  • koyĂ©ba « savoir » → koyĂ©bisa « informer »
  • kokwĂą ou kokwĂ©ya « tomber » → kokwĂ©isa « faire tomber »
  • kitana « succĂ©der » (de kokita « descendre ») → kitanisa « alterner »

Il en est de mĂȘme en pandunia :

  • jana « savoir » → janisa « informer »
  • nota « noter » → notisa « notifier »

Causatifs syntaxiques

La majorité des langues d'Europe ne comportent pas de causatif morphologique et l'expriment par des périphrases basées sur l'emploi de certains verbes semi-auxiliaires. Il y a donc les langues qui utilisent les causatifs syntaxiques et les causatifs morphologiques comme l'anglais et l'allemand.

En français, c'est typiquement faire qui s'emploie, suivi de l'infinitif du verbe concernĂ©. Ce tour exprime plus spĂ©cifiquement le factitif, au sens strict dĂ©fini plus haut. Le causateur exerce la fonction de sujet tandis que l'agent effectif du processus peut ĂȘtre exprimĂ© sous forme de complĂ©ment d'objet direct ou de complĂ©ment d'agent.

  • Le roi fait venir son valet.
  • Marie fait manger des Ă©pinards Ă  ses enfants.
  • Il a fait repeindre la grille par son fils.

Le semi-auxiliaire peut cependant ĂȘtre aussi laisser, avec un contenu modal diffĂ©rent : la construction dĂ©note dans ce cas la possibilitĂ© laissĂ©e Ă  l'agent plutĂŽt que l'injonction.

  • Pierre laissa son ami prĂ©parer le voyage.
  • Le professeur laissa faire Ă  l'Ă©lĂšve le reste de l'exercice.

L'anglais emploie comme semi-auxiliaires causatifs les verbes make « faire, fabriquer », have « avoir » et let « laisser ».

  • She made me eat the soup. « Elle m'a fait manger la soupe ».
  • I had John close the window. « J'ai fait fermer la fenĂȘtre Ă  Jean ».
  • I'll let you finish washing the dishes. « Je te laisse finir la vaisselle ».

L'allemand exprime réguliÚrement le causatif par lassen « laisser » accompagné de l'infinitif. Aux temps composés, lassen est alors soumis à la rÚgle du « double infinitif » et ne prend pas le préfixe ge- au participe passé.

  • Silke lĂ€sst mich immer ihren Koffer tragen. « Silke me fait / me laisse toujours porter sa valise ».
  • Er hat seinen Wagen reparieren lassen. « Il a fait rĂ©parer sa voiture ».

Un exemple pour le causatif morphologique est le mot verschwinden « disparaßtre », qui devient verschwenden « laisser disparaßtre », normalement avec la connotation « dilapider ».

L'espagnol utilise le semi-auxiliaire hacer « faire » suivi d'une proposition subordonnée complétive au subjonctif.

  • Él hizo que la siguieran. « Il la leur fit suivre ». LittĂ©ralement, « Il fit [de sorte] qu'ils la suivissent ».
  • Hicimos que el perro comiera pescado. « Nous fĂźmes manger du poisson au chien ». LittĂ©ralement, « Nous fĂźmes [de sorte] que le chien mangeĂąt du poisson ».

Causatifs lexicaux

Les causatifs ne sont pas tous formĂ©s grammaticalement : certains verbes non dĂ©rivĂ©s peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s par leur sĂ©mantique comme des causatifs d'autre verbes, sans en ĂȘtre rĂ©guliĂšrement dĂ©rivĂ©s :

  • mourir → tuer
  • manger → nourrir
  • aller → envoyer
  • voir → montrer
  • comprendre → expliquer

Par ailleurs, d'un point de vue syntaxique, les procédés de dérivation lexicale qui, à partir d'adjectifs, produisent des verbes signifiant « rendre X » ont un caractÚre causatif. En français, par exemple, les suffixes verbaux -iser et -ifier souvent à cet effet :

  • simple → simplifier
  • pur → purifier
  • rĂ©el → rĂ©aliser
  • rentable → rentabiliser

Notes et références

  1. Lazard 1994, p. 164

Voir aussi

Bibliographie

  • Gilbert Lazard, L'Actance, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Linguistique nouvelle », , xiv-285, 22 cm (ISBN 2-13-045775-4 et 978-2-13-045775-6, OCLC 33131670, BNF 35719390, LCCN 94233276, prĂ©sentation en ligne)
  • (en) Masayoshi Shibatani (Ă©d.), The grammar of causation and interpersonal manipulation, 8th biennial Rice symposium on linguistics, April 6-9, 2000, John Benjamins, Amsterdam & Philadelphia, 2001, 549 p., 22 cm (ISBN 90-272-2952-X et 1-58811-119-9)
  • (en) Jae Jung Song, Causatives and causation : A universal-typological perspective, Longman, coll. « Longman linguistics library », London & New York, 1996, 196 p., 22 cm. (ISBN 0-582-28918-1 et 0-582-28919-X)

Articles connexes

–

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.