Naissance de la RĂ©publique italienne
La naissance de la République italienne marque la fin du royaume d'Italie et constitue un événement majeur dans l'histoire contemporaine du pays.
Autre nom | Abolition de la monarchie en Italie |
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Date | 1946 |
Lieu | Italie |
RĂ©sultat | Fin du royaume d'Italie et naissance de la RĂ©publique italienne |
Arrestation de Mussolini par Victor-Emmanuel III | |
Occupation de l'Italie du nord par l'Allemagne nazie et fuite du roi Ă Brindisi | |
DĂ©but de la Guerre civile italienne, qui oppose fascistes et anti-fascistes | |
Proclamation de la RĂ©publique sociale italienne par Mussolini. Elle dure jusqu'au . | |
Victor-Emmanuel III proclame son fils Umberto lieutenant-général du Royaume | |
mars-avril 1946 | Victoire des républicains aux élections locales |
Abdication de Victor-Emmanuel III en faveur de son fils, qui devient Umberto II | |
2 et | Référendum institutionnel |
Publication des résultats partiels et victoire des républicains | |
13 et | Alcide De Gasperi devient chef provisoire de l'Ătat et Umberto II quitte pacifiquement l'Italie |
Proclamation définitive de la victoire des républicains par la Cour de cassation | |
La nouvelle constitution interdit à l'ancien roi et à ses héritiers de pénétrer en Italie |
Au XIXe siÚcle, la maison de Savoie joue un rÎle important dans l'unification italienne. Au XXe siÚcle, elle laisse cependant le parti fasciste de Mussolini imposer sa dictature et jeter le pays dans la Seconde Guerre mondiale, ce qui ravive les idées républicaines. La République italienne est fondée sur les résultats du référendum institutionnel du . Toutefois, une controverse sur l'organisation et le dépouillement du référendum accompagne cet événement.
L'élection d'une assemblée constituante, concomitamment au référendum sur la question institutionnelle, fait émerger un nouvel échiquier politique : un bloc de gauche dominé par le parti socialiste et le parti communiste réunit dix millions d'électeurs ; les partis de droite, libéraux, monarchistes et populistes rassemblent sur leurs idées quatre millions d'électeurs et, en position centrale, la démocratie chrétienne mobilise huit millions d'électeurs. Le Conseil des Ministres italien désigne alors, dans la nuit du 12 au , le démocrate-chrétien Alcide De Gasperi comme chef du gouvernement provisoire, bien que les résultats de la consultation ne soient pas encore définitifs. Le dernier roi d'Italie, Umberto II, quitte le pays le . La transition se déroule de façon pacifique, malgré quelques violences locales et un climat de forte tension.
Le nouvel Ătat rĂ©publicain se met en place sous l'impulsion des gouvernements successifs animĂ©s par Alcide De Gasperi. Ă leur gauche, le bureau central du parti communiste italien et son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, Palmiro Togliatti, choisissent d'inscrire leur combat politique dans le respect de la lĂ©galitĂ©, facilitant le dĂ©marrage des nouvelles institutions. Ă sa premiĂšre session, le , l'AssemblĂ©e constituante italienne Ă©lit au premier tour Enrico De Nicola nouveau chef de l'Ătat provisoire. Celui-ci prend le titre de PrĂ©sident de la RĂ©publique italienne Ă partir du , avec l'entrĂ©e en vigueur de la nouvelle constitution de la RĂ©publique italienne, Ă©laborĂ©e en dix-huit mois.
Préludes à la naissance de la République
Idée républicaine en Italie
L'histoire de la péninsule italienne est riche en périodes de gouvernements dits « républicains ». La République romaine antique a ainsi marqué l'histoire. De Cicéron à Machiavel, les philosophes italiens ont imaginé les bases de la science politique et du républicanisme[note 1]. Mais au XIXe siÚcle, c'est Giuseppe Mazzini qui relance l'idée républicaine en Italie[1].
En , en exil à Marseille, Giuseppe Mazzini, fonde le mouvement Giovine Italia, qui a à la fois pour objectif de transformer l'Italie en une république démocratique unifiée, selon les principes de la liberté, de l'indépendance et de l'unité, mais aussi d'en chasser les régimes monarchiques préexistant à l'unification, y compris le Royaume de Sardaigne. La fondation de Giovine Italia constitue un moment-clé du Risorgimento italien et ce programme républicain précÚde dans le temps les propositions pour l'unification de l'Italie d'un Vincenzo Gioberti, visant à réunir ce territoire sous la présidence du pape, ou du piémontais Cesare Balbo[2]. Par la suite, le philosophe milanais Carlo Cattaneo devient le promoteur d'une Italie laïque et républicaine dans le prolongement des idées d'un Mazzini, mais organisée en république fédérale[3].
Les projets politiques de Mazzini et Cattaneo sont contrecarrĂ©s par l'action du Premier ministre piĂ©montais Camillo Benso, comte de Cavour, et de Giuseppe Garibaldi. Ce dernier met entre parenthĂšses ses idĂ©es rĂ©publicaines pour privilĂ©gier l'unitĂ© italienne[4]. AprĂšs avoir rĂ©alisĂ© la conquĂȘte de presque toute l'Italie du Sud lors de l'expĂ©dition des Mille, Garibaldi apporte les territoires ralliĂ©s au roi de Sardaigne Victor-Emmanuel II, aprĂšs un plĂ©biscite. Ceci lui vaut de lourdes critiques de nombre de rĂ©publicains qui l'accusent de trahison[5]. Tandis que commence une laborieuse unification administrative, un premier parlement italien est Ă©lu et, le , Victor-Emmanuel II est proclamĂ© roi d'Italie[6].
De 1861 à 1946, l'Italie est une monarchie constitutionnelle fondée sur le Statut albertin, du nom de Charles-Albert de Sardaigne, le roi qui le promulgua, en 1848, pour ses sujets du royaume de Sardaigne. La Couronne est héréditaire. Le parlement comprend un Sénat, dont les membres sont désignés par le roi et une Chambre des députés, élue au suffrage censitaire[7]. 2 % seulement des Italiens possÚdent le droit de vote en 1861[6]. Une frange républicaine (mais aussi anarchiste) subsiste, se manifeste ponctuellement et a rapidement ses martyrs, notamment le militaire Pietro Barsanti, fusillé le pour avoir refusé de réprimer une émeute[8].
Statut albertin et Italie libérale
L'équilibre des pouvoirs entre la Chambre et le Sénat a d'abord basculé en faveur du Sénat, constitué essentiellement de nobles et de personnalités issues de l'industrie. Peu à peu, la Chambre des députés prend plus d'importance avec l'évolution de la bourgeoisie et des grands propriétaires, soucieux de progrÚs économique, mais partisans de l'ordre et d'un certain conservatisme social[9].
Les rĂ©publicains, qui, en 1853, forment, autour de Mazzini, le parti d'action (il Partito d'Azione), participent aux Ă©lections du Parlement italien. Bien qu'Ă©tant en exil, Mazzini est Ă©lu en 1866, mais il refuse de siĂ©ger. Carlo Cattaneo est Ă©lu dĂ©putĂ© en 1860 et en 1867, mais il refuse Ă©galement cette charge afin de ne pas avoir Ă jurer fidĂ©litĂ© aux Savoie. En 1869, il finit par cĂ©der sous la pression de ses amis, puis renonce au dernier moment. Le problĂšme du serment de fidĂ©litĂ© Ă la monarchie, nĂ©cessaire pour ĂȘtre Ă©lu, est un sujet de controverses au sein des forces rĂ©publicaines. En 1873, Felice Cavallotti, un des hommes politiques italiens les plus engagĂ©s contre la monarchie, fait prĂ©cĂ©der son serment d'une dĂ©claration rĂ©affirmant ses convictions rĂ©publicaines[10]. En 1882, la loi Ă©lectorale abaisse le cens et fait passer le nombre d'Ă©lecteurs Ă plus de deux millions, soit 7 % de la population[11]. La mĂȘme annĂ©e est crĂ©Ă© le parti ouvrier italien, qui devient en 1895 le parti socialiste italien[9]. En 1895, les rĂ©publicains purs et durs acceptent de participer Ă la vie politique du Royaume, formant le parti rĂ©publicain italien. Deux ans plus tard, l'extrĂȘme gauche obtient son plus haut niveau historique au Parlement avec 81 dĂ©putĂ©s, pour les trois composantes radical-dĂ©mocratique, socialiste et rĂ©publicaine. Avec la mort de Felice Cavallotti en 1898, la gauche radicale renonce Ă mettre en avant le problĂšme institutionnel[12].
Dans l'Ă©chiquier politique italien, le parti socialiste se partage progressivement en deux tendances : l'une maximaliste, animĂ©e entre autres par Arturo Labriola et Enrico Ferri, prĂ©conise le recours Ă la grĂšve ; l'autre, rĂ©formiste et pro-gouvernementale, est dirigĂ©e par Filippo Turati. Un mouvement nationaliste Ă©merge, conduit notamment par Enrico Corradini, ainsi qu'un mouvement catholique social et dĂ©mocratique, la Ligue dĂ©mocratique nationale, animĂ©e par Romolo Murri. Le pape Pie X autorise en 1904 les catholiques Ă participer Ă titre individuel Ă la vie politique[13], mais condamne en 1909 la Ligue dĂ©mocratique nationale crĂ©Ă©e par Romolo Murri, qui est excommuniĂ©[14]. Enfin, une loi du marque l'Ă©volution de l'Italie vers un certain libĂ©ralisme politique en instaurant le suffrage universel masculin. En 1914, lors du dĂ©clenchement de la PremiĂšre Guerre mondiale, l'Italie peut ĂȘtre comptĂ©e parmi les dĂ©mocraties libĂ©rales[13].
Fascisme
AprÚs la PremiÚre Guerre mondiale, la vie politique italienne est animée par quatre grands mouvements. Deux de ces mouvements sont favorables à une évolution démocratique dans le cadre des instituions existantes : les socialistes réformistes et le parti populaire italien (résurgence en 1918 d'un mouvement catholique, social et démocratique, précurseur de la démocratie chrétienne). Deux autres mouvements remettent en cause ces institutions : le parti républicain d'une part, et les socialistes maximalistes (enthousiasmés par l'arrivée au pouvoir des bolcheviks en Russie). Lors des élections de 1919, les partis les plus imprégnés de l'idéologie républicaine (les socialistes maximalistes et le parti républicain) remportent, au sein de la Chambre des députés, 165 siÚges sur 508[15]. En 1921, aprÚs la fondation du parti communiste italien, les trois partis républicains, socialistes maximalistes et communistes réunissent 145 députés sur 535. Globalement, au début de la période de l'entre-deux-guerres, moins de 30 % des élus sont favorables à l'instauration d'un régime républicain[16]. Dans ce contexte, la montée du mouvement fasciste de Mussolini s'appuie sur l'amertume engendrée par la « victoire mutilée », la peur de l'agitation sociale et le refus de l'idéologie révolutionnaire, républicaine, voire marxiste. Le systÚme politique libéral et une partie de l'aristocratie choisissent d'ériger le fascisme comme un rempart[17].
En , la nomination, par le roi Victor-Emmanuel III, de Benito Mussolini en tant que prĂ©sident du Conseil, Ă la suite de la Marche sur Rome, ouvre la voie Ă l'Ă©tablissement de la dictature. Le Statut albertin est progressivement vidĂ© de son contenu. Le Parlement est soumis Ă la volontĂ© du nouveau gouvernement[note 2]. L'opposition lĂ©gale se dĂ©sunit. Les catholiques populaires hĂ©sitent. Le , 127 dĂ©putĂ©s quittent le Parlement et se retirent sur l'Aventin, une manĆuvre maladroite qui laisse, de fait, le champ libre aux fascistes. Ceux-ci disposent pour deux dĂ©cennies du sort de l'Italie[17].
Non seulement Victor-Emmanuel III fait appel Ă Mussolini pour former le gouvernement en 1922 et le laisse procĂ©der Ă la domestication du Parlement, mais il ne tire pas non plus les consĂ©quences de l'assassinat de Giacomo Matteotti en 1924. Il accepte le titre d'empereur en 1936 Ă l'issue de la guerre d'Ăthiopie, puis l'alliance avec l'Allemagne nazie et l'entrĂ©e en guerre le [18].
Partis antifascistes en Italie et Ă l'Ă©tranger
Avec la mise en place des lois fascistissimes (arrĂȘtĂ© royal du ), tous les partis politiques opĂ©rant sur le territoire italien sont dissous, Ă l'exception du parti national fasciste. Certains de ces partis se dĂ©placent et se reconstituent Ă l'Ă©tranger, principalement en France. Une coalition antifasciste se forme ainsi, le , Ă Paris. Il s'agit de la « Concentration antifasciste », rĂ©unissant le PRI (parti rĂ©publicain italien), le PSI (parti socialiste italien), le PSULI (Partito Socialista Unitario dei Lavoratori Italiani, ou parti socialiste unitaire des travailleurs italiens, nom pris par les socialistes rĂ©formistes de Turati), la Ligue italienne des droits de l'homme et la reprĂ©sentation Ă l'Ă©tranger de la CGIL (ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale italienne du travail). Quelques mouvements restent en dehors, dont le parti communiste italien, le mouvement des catholiques populaires et d'autres mouvements libĂ©raux[19]. Cette coalition Ă©clate le et, en aoĂ»t de la mĂȘme annĂ©e, le pacte d'unitĂ© d'action entre le parti socialiste et le parti communiste italiens constitue une nouvelle tentative de rassemblement[20].
Pendant ce temps, en Italie, des noyaux clandestins antifascistes se créent, en particulier à Milan avec Ferruccio Parri et à Florence avec Riccardo Bauer[20]. Sous l'impulsion de ces groupes, le parti d'action, ancien parti de Mazzini, se reconstitue[20] - [note 3]. En fin d'année 1942, début d'année 1943, Alcide De Gasperi écrit Le idee ricostruttive della Democrazia Cristiana, qui pose les bases de son futur parti catholique, la Démocratie chrétienne. Il regroupe autour de lui des anciens du Parti populaire italien de Luigi Sturzo et des jeunes d'associations catholiques, notamment de la Fédération universitaire[21].
Crise institutionnelle (1943-1944)
Le , les AlliĂ©s dĂ©barquent en Sicile : c'est l'opĂ©ration Husky. Le , Victor-Emmanuel III rĂ©voque le mandat de Mussolini et le fait arrĂȘter, en confiant le gouvernement au marĂ©chal Pietro Badoglio. Le nouveau gouvernement prend contact avec les AlliĂ©s pour parvenir Ă un armistice. Lors de l'annonce de l'armistice de Cassibile, le , les Allemands rĂ©agissent en mettant sous leur contrĂŽle toute la partie du territoire italien Ă©chappant encore Ă l'avance alliĂ©e et en dĂ©sarmant l'armĂ©e italienne. Victor-Emmanuel III et le gouvernement de Badoglio s'enfuient de Rome et gagnent Brindisi, en Italie du Sud. La guerre continue, mais elle s'accompagne Ă©galement d'une guerre civile, avec la crĂ©ation par Mussolini de la RĂ©publique sociale italienne, fortement dĂ©pendante des Allemands[22], et la division de la pĂ©ninsule en deux territoires antagonistes, l'un occupĂ© par les forces alliĂ©es, l'autre par l'Allemagne[23]. Dans ces circonstances dramatiques, l'administration civile doit cĂ©der le pas Ă une administration militaire et policiĂšre dans les deux territoires. Pour autant, les partis existant avant le fascisme se reconstituent, au cĂŽtĂ© de formations nouvelles[24].
Au nord, le , un ComitĂ© de libĂ©ration nationale (CLN), rĂ©unissant les partis et les mouvements opposĂ©s au fascisme et Ă l'occupation allemande, est crĂ©Ă© Ă Rome (toujours occupĂ©e). Il est composĂ© de reprĂ©sentants du parti communiste italien, de membres du parti d'action, de dĂ©mocrates-chrĂ©tiens, de libĂ©raux, de socialistes et de dĂ©mocrates-progressistes. Le CLN donne la prioritĂ© Ă la lutte, repoussant aprĂšs la victoire la question des institutions italiennes, mais il fait de l'abdication du roi en faveur de son fils un prĂ©alable Ă la mise en place dâun gouvernement antifasciste[25]. La guerre de libĂ©ration patriotique menĂ©e par le CLN est aussi, pour une partie significative de ses partisans, une guerre de libĂ©ration sociale, une guerre contre une Ă©lite collaborationniste[26]. Pour autant, les AmĂ©ricains et les Britanniques, soucieux de prĂ©parer l'aprĂšs-guerre, facilitent l'entrĂ©e en territoire occupĂ© par les Allemands de militants dĂ©mocrates et rĂ©publicains italiens susceptibles de contrebalancer l'influence communiste au sein de la direction du CLN. C'est le cas par exemple de Leo Valiani[27], futur membre du triumvirat responsable de l'insurrection en PiĂ©mont et en Lombardie[28].
TrĂȘve institutionnelle
Le , Ă Salerne, Palmiro Togliatti, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Parti communiste italien, appelle Ă la formation d'un gouvernement d'unitĂ© nationale et ne pose plus en prĂ©alable l'abdication du roi. Ce virage politique, ouvrant la porte aux monarchistes, serait la consĂ©quence d'un entretien, dĂ©but mars, entre Togliatti et Staline Ă Moscou, les SoviĂ©tiques ayant besoin de fronts militaires plus actifs Ă l'Ouest pour soulager l'ArmĂ©e rouge. Cette dĂ©claration pousse les partis du CLN Ă se rallier Ă un compromis Ă©laborĂ© par Enrico De Nicola, prĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s jusqu'en 1924, Benedetto Croce du parti libĂ©ral, et l'entourage du roi. Comme prĂ©vu dans cet accord, dĂšs la libĂ©ration de Rome, le , Victor-Emmanuel III proclame son fils Umberto lieutenant gĂ©nĂ©ral du royaume, et les partis reprennent en main le jeu politique[29], mĂȘme si la guerre continue, le front se stabilisant sur la ligne gothique jusqu'en [23].
De au , trois gouvernements provisoires de coalition se succÚdent. Le premier est animé par Ivanoe Bonomi, du Parti socialiste italien. Son cabinet comprend les libéraux antifascistes Carlo Sforza et Benedetto Croce, ainsi que Palmiro Togliatti. Bien que temporairement mise de cÎté, la question des institutions italiennes reste l'une des principales questions politiques ouvertes. La plupart des forces soutenant le CLN sont ouvertement républicaines et considÚrent que la monarchie, surtout Victor-Emmanuel III, a une responsabilité dans la réussite du mouvement fasciste[24]. L'accord final entre les partis est d'appeler à la fin de la guerre et dÚs que les conditions rendront des élections possibles, à un référendum et à la formation d'une assemblée constituante[30]. D'ici là , le , le Conseil des ministres, présidé par Ivanoe Bonomi, émet un décret reconnaissant le droit de vote des femmes[31].
Aux gouvernements Bonomi (II puis III) succĂšde le gouvernement Parri en , puis le gouvernement De Gasperi en [32]. La question de la forme future de l'Ătat, monarchie ou rĂ©publique, absorbe les esprits des milieux politiques. Une majoritĂ© des militants dĂ©mocrates-chrĂ©tiens, et en particulier les jeunes, se dĂ©tache de plus en plus nettement de la monarchie. Au cours de rĂ©unions locales de dirigeants de ce parti, Ă Rome et Ă Milan, des motions sont prĂ©sentĂ©es tendant Ă le faire se prononcer pour une rĂ©publique dĂ©mocratique. Le bureau politique central s'emploie Ă refrĂ©ner ces impatiences et Ă garder une position mĂ©diane[33].
Organisation du référendum institutionnel et résultats
Organisation
La mise en Ćuvre de l'accord sur un rĂ©fĂ©rendum institutionnel doit attendre que la situation intĂ©rieure italienne se clarifie. Le , le prince Umberto dĂ©crĂšte, comme prĂ©vu en 1944, que la question de la forme institutionnelle de l'Ătat va ĂȘtre tranchĂ©e par un rĂ©fĂ©rendum organisĂ© simultanĂ©ment avec l'Ă©lection d'une assemblĂ©e constituante. La date est fixĂ©e au [note 4]. Socialistes et communistes tentent d'imposer un renforcement des pouvoirs de la Constituante, mais De Gasperi refuse. Enfin, le vote est rendu obligatoire, sachant que la sanction consiste en l'affichage public des absentĂ©istes. La Cour de cassation est chargĂ©e d'examiner les recours. Son rĂŽle doit se borner au constat du dĂ©roulement des opĂ©rations Ă©lectorales, et Ă la consolidation des bordereaux Ă©mis par les bureaux centralisant les votes dans chaque circonscription. Le dĂ©pouillement des bulletins des candidats Ă la dĂ©putation doit prĂ©cĂ©der celui du rĂ©fĂ©rendum. Si la monarchie l'emporte, c'est la Constituante qui doit choisir le chef de l'Etat[34].
Abdication et départ du roi Victor-Emmanuel III
Comme souhaité par les Alliés pour vérifier qu'un vote peut se dérouler dans ce pays déchiré il y a quelques mois à peine par une guerre civile, des élections municipales et provinciales partielles se déroulent en mars-avril 1946 dans la moitié des communes et des provinces italiennes[35]. Ces élections, qui concernent plutÎt des villes de gauche, font ressortir trois partis, avec un net avantage pour la démocratie chrétienne, menée par De Gasperi, qui dépasse en suffrages exprimés la somme de ceux exprimés pour le parti communiste et le parti socialiste italiens. Les monarchistes, déjà donnés battus au référendum, sont encore plus découragés aprÚs ces élections locales[36].
Mais un Ă©vĂ©nement politique change la donne en cours de campagne. Un mois avant le rĂ©fĂ©rendum, Victor-Emmanuel III abdique en faveur de son fils Umberto, qui est proclamĂ© roi et prend le nom d'Umberto II. L'acte d'abdication, rĂ©digĂ© en privĂ©, est datĂ© du . Cette abdication a Ă©tĂ© souhaitĂ©e par les monarchistes, le prince hĂ©ritier Ă©tant moins compromis que son pĂšre dans l'accession au pouvoir de Mussolini et la cohabitation avec les forces fascistes. Il est possible que le commandement des forces alliĂ©es prĂ©sentes ait Ă©galement encouragĂ© le souverain Ă abdiquer en faveur de son fils[37]. L'ancien roi quitte immĂ©diatement son royaume pour Alexandrie, en Ăgypte. Umberto II confirme sa promesse de respecter la dĂ©cision populaire concernant la constitution. Les reprĂ©sentants des partis en faveur de la RĂ©publique protestent, faisant valoir que la prise en charge des pouvoirs royaux par le lieutenant gĂ©nĂ©ral entre en conflit avec un article du dĂ©cret lĂ©gislatif du prĂ©voyant une stabilitĂ© des institutions avant la proclamation des rĂ©sultats. De leur cĂŽtĂ©, les monarchistes reprennent espoir. Umberto II parcourt l'Italie durant le mois de mai. Un rapprochement s'Ă©bauche avec les fascistes, avec la promesse d'une amnistie. Pour les observateurs, l'Ă©cart entre rĂ©publicains et monarchistes se resserre, ce qui fait monter la tension durant la fin de la campagne Ă©lectorale. Quelques Ă©chauffourĂ©es Ă©clatent entre militants des deux camps, de plus en plus nerveux[38].
DĂ©pouillement
Le vote pour le choix entre monarchie ou république se déroule dans la journée du et la matinée du . Les bulletins de toute l'Italie et les procÚs-verbaux des 31 circonscriptions sont transférés à Rome. Les résultats sont prévus le [37]. Le , des résultats encore provisoires sont annoncés mais les résultats définitifs sont conditionnés à la prise en compte de données manquantes sur quelques bureaux de vote, et à l'examen des nombreux recours. En effet, 21 000 contestations sont émises, dont une grande partie est rapidement éliminée. Pour autant, la période d'incertitude entre la fin du vote et la proclamation définitive des résultats renforce les tensions dans le pays[35]. Dans la ville de Naples, dans les Pouilles, en Calabre et en Sicile, les monarchistes procÚdent à des démonstrations de force[37]. Ainsi à Naples, à partir du , ils tiennent la rue sans faiblir. Les manifestants défilent en criant : « Vive le Royaume des Deux-Siciles ! ». Le 7, un étudiant monarchiste, vite transformé en martyr, est tué[39].
Une des contestations soumises Ă la Cour de cassation se rĂ©vĂšle particuliĂšrement dĂ©licate. Cette contestation porte sur l'Ă©tablissement de la majoritĂ©. Des monarchistes estiment qu'il faut prendre en compte non pas la majoritĂ© des votes exprimĂ©s, mais « la majoritĂ© des votants », comme stipulĂ© dans un article de la loi Ă©lectorale passĂ© inaperçu. Le procureur de la Cour de cassation, Massimo Pilotti, juge recevable cette contestation qui peut faire perdre aux votes rĂ©publicains la majoritĂ© absolue. Dans son rĂ©quisitoire, Pilotti estime que l'esprit et la lettre des dĂ©crets ainsi que la jurisprudence prĂ©voient le dĂ©compte des votants, sans exclure les votes blancs ou nuls. Mais la Cour lui donne tort, s'exprimant Ă 12 contre 7[40] - [37]. D'une part, elle considĂšre que le vote, comme acte juridique, manifeste une volontĂ© et que le vote blanc ou nul peut ĂȘtre assimilĂ© Ă l'absence de manifestation de volontĂ©. D'autre part, elle identifie un autre dĂ©cret prĂ©cisant que seuls les votes « validement exprimĂ©s » sont Ă retenir. Enfin, elle rappelle qu'il n'est nulle part fait mention de la nĂ©cessitĂ© d'une majoritĂ© absolue[40].
Les résultats définitifs sont proclamés le [41]. D'aprÚs ces résultats, 24 947 187 personnes ont participé au vote, soit 89 % du corps électoral. Les résultats officiels du référendum comptabilisent 12 718 641 votes pour la république, soit 54,3 % des voix exprimées, et 10 718 502 votes pour la monarchie, soit 45,7 %. 1 498 136 bulletins ont été annulés. L'analyse des données par région montre une Italie pratiquement divisée en deux : la République l'emporte dans le Nord avec 66,2 % des voix exprimées, et la monarchie au Sud avec 63,8 % des voix[42].
Toutefois, certains Ă©lecteurs n'ont pu voter. Avant la clĂŽture de la liste Ă©lectorale en , ils Ă©taient encore en dehors du territoire national, dans des camps de dĂ©tention ou d'internement Ă l'Ă©tranger[43]. Les citoyens des provinces de Bolzano, Gorizia, Trieste, Pola, Fiume et Zara se trouvant sur un territoire non administrĂ© par le gouvernement italien, ou objet de discorde internationale[note 5], ont Ă©galement Ă©tĂ© exclus du vote[44]. Ces provinces, cependant, sont toutes situĂ©es dans le nord du pays, zone oĂč le vote rĂ©publicain a rĂ©coltĂ© une assez large majoritĂ©[45].
Détails des résultats du référendum
RĂ©sultats par circonscription[46] :
Circonscription | RĂ©publique | Monarchie |
---|---|---|
Vallée d'Aoste | 28 516 | 16 411 |
Turin | 803 191 | 537 693 |
Coni | 412 666 | 381 977 |
GĂȘnes | 633 821 | 284 116 |
Milan | 1 152 832 | 542 141 |
CĂŽme | 422 557 | 241 924 |
Brescia | 404 719 | 346 995 |
Mantoue | 304 472 | 148 688 |
Trente | 192 123 | 33 903 |
VĂ©rone | 648 137 | 504 405 |
Venise | 403 424 | 252 346 |
Udine | 339 858 | 199 019 |
Bologne | 880 463 | 213 861 |
Parme | 646 214 | 241 663 |
Florence | 487 039 | 193 414 |
Pise | 456 005 | 194 299 |
Sienne | 338 039 | 119 779 |
AncĂŽne | 499 566 | 212 925 |
PĂ©rouse | 336 641 | 168 103 |
Rome | 711 260 | 740 546 |
L'Aquila | 286 291 | 325 701 |
Bénévent | 103 900 | 241 768 |
Naples | 241 973 | 903 651 |
Salerne | 153 978 | 414 521 |
Bari | 320 405 | 511 596 |
Lecce | 147 376 | 449 253 |
Potenza | 108 289 | 158 345 |
Catanzaro | 338 959 | 514 344 |
Catane | 329 874 | 708 874 |
Palerme | 379 831 | 594 686 |
Cagliari | 206 192 | 321 555 |
Total | 12 718 641 | 10 718 502 |
Provinces exclues du vote
Seulement 556 députés sur 573 sont élus, en l'absence de certaines provinces.
Province | Population |
---|---|
Zara | 25 000 |
Vénétie julienne-Trieste | 1 300 000 |
Bolzano | 300 000 |
Résultats de l'élection de l'Assemblée constituante
La répartition des votes est la suivante[46] :
Parti | Pourcentage de votes | Nombre de siĂšges |
---|---|---|
Démocratie chrétienne | 37,2 % | 207 |
Parti socialiste | 20,7 % | 115 |
Parti communiste | 18,7 % | 104 |
Union démocratique nationale | 7,4 % | 41 |
Fronte dell'Uomo Qualunque | 5,4 % | 30 |
Parti républicain | 4,1 % | 23 |
Bloc national de la liberté | 2,9 % | 16 |
Parti d'action | 1,3 % | 7 |
Divers | 2,3 % | 13 |
Analyse des résultats du vote
à premiÚre vue, le référendum semble partager l'Italie en deux, entre Nord et Sud. Les circonscriptions situées au nord de Rome donnent la majorité à la république. Le Sud choisit la monarchie. La circonscription de Rome est trÚs partagée et donne une légÚre majorité au choix du régime monarchique[18]. Le choix républicain tourne au plébiscite, avec plus de 80 % des suffrages exprimés dans la circonscription de Bologne, et plus encore dans celle de Trente. à l'inverse, dans le Sud, le choix de la monarchie frÎle les 80 % dans la circonscription de Naples. Mais, dans les autres régions, le vote est quelquefois aux deux tiers/un tiers ou trÚs partagé. Il n'y a pas une coupure totale mais une interférence entre les deux choix possibles, qui ont pu s'exprimer partout[18].
L'occupation du Nord par l'armĂ©e allemande et la pĂ©riode de guerre civile, avec les derniers soubresauts du mouvement fasciste, ont sans doute favorisĂ© un accroissement de l'importance des partis socialistes et communistes dans cette rĂ©gion. Durant ces annĂ©es noires, les populations concernĂ©es ont placĂ© une partie de leurs espĂ©rances dans des rĂȘves de rĂ©volution, ou tout au moins de changement. Le Sud, ou Mezzogiorno, n'ayant pas connu cette situation et ayant accueilli Victor-Emmanuel III et son gouvernement, s'est peut-ĂȘtre montrĂ© plus mĂ©fiant envers ces partis et a mĂ©nagĂ© une certaine continuitĂ© au rĂ©gime monarchique, prĂ©fĂ©rant la continuitĂ© au « saut dans l'inconnu ». Le clientĂ©lisme qui prĂ©valait dans le Sud a pu Ă©galement favoriser un vote conservateur[18]. L'influence de l'Ăglise catholique ou de la presse catholique est citĂ©e Ă©galement par certains analystes[37]. D'autres auteurs ont mis en avant des facteurs plus structurels, telles que les diffĂ©rences d'organisations familiales ou de production par rĂ©gion. Ainsi Carlo Bacetti a mis en parallĂšle, en Toscane, l'importance du mĂ©tayage (mezzadria) dans l'organisation du travail de la terre, et le poids du Parti communiste dans cette rĂ©gion[47].
Conséquences du référendum
Lecture des premiers résultats et événements de Naples
Le , Ă 18 h, dans la salle de la Louve du Palais Montecitorio Ă Rome, la Cour de cassation donne une lecture de rĂ©sultats partiels du rĂ©fĂ©rendum, renvoyant la proclamation dĂ©finitive des rĂ©sultats au , aprĂšs dĂ©cisions sur les contestations, les protestations et les plaintes. Dans le mĂȘme temps, des manifestations rĂ©publicaines ont lieu dans de nombreuses villes. Le journal milanais, Corriere della Sera, du mardi , titre : « La RĂ©publique italienne est nĂ©e ». La Stampa, quotidien turinois, dĂ©clare plus sobrement : « Le gouvernement sanctionne la victoire des rĂ©publicains », et complĂšte son propos en s'interrogeant : « la question est de savoir si oui ou non la rĂ©publique a Ă©tĂ© proclamĂ©e »[48].
Ă Naples, une ville Ă la population largement favorable Ă la monarchie, un drame se produit dĂšs le . Un cortĂšge de partisans de la monarchie s'avance vers les bĂątiments de la municipalitĂ© puis change d'objectif et se dirige vers le siĂšge du parti communiste italien. La foule y aperçoit un drapeau rouge, mais aussi un drapeau tricolore d'oĂč le blason royal a Ă©tĂ© dĂ©coupĂ©. MalgrĂ© la prĂ©sence de blindĂ©s, les manifestants tentent de prendre d'assaut les locaux. Des coups de feu sont Ă©changĂ©s. Selon le rapport du prĂ©fet, les manifestants tirent les premiers. Quoi qu'il en soit, la rĂ©plique est meurtriĂšre, avec des tirs de mitrailleuses. On dĂ©nombre neuf morts parmi les manifestants et un grand nombre de blessĂ©s[49]. Le calme ne revient dans la ville que le [39].
Mise en place anticipée du nouveau régime et départ du roi
Dans la nuit du , le gouvernement est rĂ©uni Ă l'invitation de De Gasperi. Le prĂ©sident du Conseil a reçu une communication Ă©crite du roi, se disant prĂȘt Ă respecter le verdict du vote des Ă©lecteurs, mais ajoutant qu'il attend la dĂ©claration finale de la Cour de cassation, ce qui prolonge la pĂ©riode d'incertitude. La lettre et les protestations des monarchistes, comme les Ă©vĂ©nements sanglants de la veille Ă Naples, ainsi que de nouvelles manifestations annoncĂ©es par les monarchistes prĂ©occupent les ministres. Le , le Conseil des ministres, prolongeant la rĂ©union commencĂ©e la veille, dĂ©cide que, Ă la suite de l'annonce des rĂ©sultats provisoires du , les fonctions de chef provisoire de l'Ătat doivent ĂȘtre exercĂ©es par le prĂ©sident du Conseil Alcide De Gasperi, sans attendre l'annonce officielle dĂ©finitive par la Cour de cassation. Le prĂ©sident du Conseil a rĂ©uni tous les suffrages des membres du gouvernement, Ă l'exception du ministre libĂ©ral Leone Cattani. Bien que certains membres de son entourage l'incitent Ă s'opposer Ă cette dĂ©cision, le roi, informĂ©, dĂ©cide de quitter le pays le lendemain, rendant ainsi possible un transfert pacifique des pouvoirs[50], non sans avoir dĂ©noncĂ© le « geste rĂ©volutionnaire » de De Gasperi[51].
Proclamation définitive des résultats
Le à 18 h, dans la salle de la Louve du palais Montecitorio à Rome, la Cour de cassation procÚde à la proclamation des résultats du référendum, sans accompagner cette officialisation de réserves comme elle l'avait fait précédemment[41]. Bien des années plus tard, en 1960, le président de cette Cour, Giuseppe Pagano, déclare que la loi établissant l'organisation du référendum était incompatible avec la lenteur du dépouillement et la transmission trÚs inégale des procÚs-verbaux, ne donnant pas à la Cour le temps de mener à bien toutes les investigations[52].
Recomposition de l'Ă©chiquier politique italien
Les Ă©lections Ă la Constituante, menĂ©es concomitamment au rĂ©fĂ©rendum, dĂ©bouchent sur une recomposition de l'Ă©chiquier politique, crĂ©ant, pour plusieurs dĂ©cennies, de nouveaux rapports de forces. En tĂȘte des suffrages, le parti de la dĂ©mocratie chrĂ©tienne obtient 37,2 %. Ă gauche, les socialistes obtiennent 20,7 % des suffrages exprimĂ©s et les communistes 18,7 %. Trois hommes sont mis en exergue, voyant leur stratĂ©gie rĂ©compensĂ©e par le poids Ă©lectoral de leur formation : Alcide De Gasperi, qui permet Ă la dĂ©mocratie chrĂ©tienne d'acquĂ©rir le premier rĂŽle, Palmiro Togliatti pour le Parti communiste italien, qui va consolider la position de son parti les annĂ©es suivantes et passer devant le parti socialiste, et Pietro Nenni pour le Parti socialiste italien, qui cherche Ă acquĂ©rir une place d'arbitre et oscille entre les deux autres. La dĂ©mocratie chrĂ©tienne s'installe dans une position centrale, entre un bloc de droite, fractionnĂ©, de quatre millions de voix et le bloc de gauche rassemblant plus de 10 millions de voix[18] - [53]. La position modĂ©ratrice de ce parti pendant la pĂ©riode de transition et l'ambiguĂŻtĂ© qu'il a longtemps maintenue sur le choix institutionnel lui ont Ă©tĂ© profitables[37] - [53].
Parmi les perdants, il y a bien entendu les coalitions pro-monarchistes, l'Union dĂ©mocratique nationale, le Bloc national de la libertĂ© et le Fronte dell'Uomo Qualunque, qui vont se dĂ©composer, les militants ralliant d'autres formations, dont le Parti libĂ©ral italien de Benedetto Croce. Mais cette consultation aboutit Ă©galement Ă l'Ă©croulement du Parti d'action, ce parti rĂ©publicain, rĂ©formiste et laĂŻc, hĂ©ritier des idĂ©es de Giuseppe Mazzini. Et ceci au moment oĂč le rĂ©gime que Mazzini appelait de ses vĆux se met en place. Une page se tourne dans le paysage politique italien[54].
Premiers pas de la RĂ©publique italienne
Ă la premiĂšre session de l'AssemblĂ©e constituante, le , Enrico De Nicola est Ă©lu chef de l'Ătat provisoire, au premier tour par 396 voix sur 501. Outre ses qualitĂ©s personnelles, le choix d'un homme nĂ© Ă Naples et longtemps monarchiste[50], est un signe d'apaisement et d'union vers les populations du Sud de l'Italie, dans cette transition qui s'accĂ©lĂšre vers la RĂ©publique. Il n'est que chef de l'Ătat provisoire et non prĂ©sident de la RĂ©publique italienne, puisque cette derniĂšre n'a pas encore de constitution[55]. Le gouvernement de De Gasperi lui remet sa dĂ©mission. Elle est acceptĂ©e formellement avant qu'Enrico De Nicola ne sollicite Ă nouveau De Gasperi pour former le premier gouvernement de la RĂ©publique italienne[55].
L'annĂ©e 1947 est dĂ©cisive. En fĂ©vrier, le traitĂ© de Paris est signĂ©. Il s'agit d'un moment douloureux pour les anciens combattants antifascistes qui doivent supporter les consĂ©quences de l'alliance entre le rĂ©gime fasciste italien et l'Allemagne nazie. Le philosophe et homme politique libĂ©ral Benedetto Croce Ă©crit ainsi avec amertume : « Nous Italiens, nous avons perdu la guerre, et nous l'avons perdue tous, y compris ceux qui s'y sont opposĂ©s de toutes leurs forces, et mĂȘme ceux qui ont Ă©tĂ© persĂ©cutĂ©s par le rĂ©gime qui l'avait dĂ©clarĂ©e, comme ceux qui sont morts en s'opposant Ă ce rĂ©gime ». Ce traitĂ© rĂšgle provisoirement la situation des territoires du nord-est, Trieste, Gorizia, Pola, Fiume et Zara, situĂ©s depuis des siĂšcles Ă la frontiĂšre des mondes latin et slave. La zone nord du Territoire libre de Trieste n'est pas rattachĂ©e Ă la RĂ©publique[note 6] bien que majoritairement peuplĂ©e d'Italiens et de populations italiennes en provenance de l'Istrie, devenue partie de la Yougoslavie. Ceci provoque l'exode de 250 000 personnes qui fuient, aprĂšs bien des atrocitĂ©s entre les communautĂ©s[44]. En , dans un contexte international marquĂ© par le dĂ©but de la Guerre froide, le bureau exĂ©cutif du parti dĂ©mocrate-chrĂ©tien autorise Alcide De Gasperi Ă constituer un cabinet sans les communistes et les socialistes de l'aile gauche. C'est la fin d'une union des forces antifascistes et antimonarchistes, et le retour Ă un jeu politique plus traditionnel[56]. Alcide De Gasperi fait Ă©galement appel, au sein de son Ă©quipe gouvernementale, Ă des techniciens comme l'Ă©conomiste Luigi Einaudi[30].
Le nouveau ministre de l'IntĂ©rieur d'Alcide De Gasperi, Mario Scelba, s'emploie Ă normaliser la gestion administrative et Ă affirmer son autoritĂ© sur la totalitĂ© du territoire. Il remplace les derniers prĂ©fets nommĂ©s par le CLN. Ce faisant, il dĂ©clenche une insurrection Ă Milan, le . Les ex-partisans antifascistes occupent le siĂšge de la prĂ©fecture. Les anciens commandants des brigades communistes de la rĂ©sistance sont tous prĂ©sents. Les pistolets et les mitraillettes, non rendus aux autoritĂ©s, rĂ©apparaissent. Des barricades isolent le quartier. La CGIL lance une grĂšve gĂ©nĂ©rale dans la capitale lombarde. Dans le bureau du prĂ©fet, qu'il a investi, le patron local du Parti communiste appelle Mario Scelba, au ministĂšre de l'IntĂ©rieur, et s'amuse de la situation : « Maintenant tu as une prĂ©fecture en moins », lui dit-il avec bravade. Puis, il joint, toujours triomphant, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Parti communiste, Palmiro Togliatti : « On tient la prĂ©fecture de Milan. » La rĂ©ponse douche son enthousiasme : « Et qu'est-ce que tu comptes en faire ? » Palmiro Togliatti et le prĂ©fet dĂ©missionnĂ© calment les esprits et arrĂȘtent le mouvement[57]. Dans cette pĂ©riode cruciale oĂč l'Ătat rĂ©publicain doit s'affirmer, Palmiro Togliatti pĂšse de tout son poids sur sa base, Ă©cartant les aventures et les idĂ©es de rĂ©volution pour miser sur une conquĂȘte lĂ©gale du pouvoir, dans le cadre des institutions. Son influence est dĂ©terminante sur le cours des Ă©vĂ©nements[58].
Le , la constitution républicaine, dont le contenu a été débattu au sein de l'Assemblée constituante, entre en vigueur. Elle proclame notamment que « L'Italie est une république démocratique fondée sur le travail » et que « L'entrée et le séjour sur le territoire national sont interdits aux anciens rois de la maison de Savoie, à leurs épouses et à leurs descendants mùles ». Enrico De Nicola prend enfin le titre de président de la République[30] - [59].
Notes
- (it) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en italien intitulĂ© « Nascita della Repubblica Italiana » (voir la liste des auteurs).
- Jean-Jacques Rousseau note, dans le Contrat Social, à propos de Machiavel et de son ouvrage Le Prince : « En feignant de donner des leçons aux rois, il en a donné de grandes aux peuples. Le Prince est le livre des républicains ».
- La Chambre des députés est remplacée en janvier 1939 par la Chambre des Faisceaux et Corporations.
- Le parti d'action, reformé en 1942, constitue en 1944-1945 la deuxiÚme force au sein du CLN (Comité de Libération Nationale). Le parti politique disposant du plus grand nombre de groupes de partisans est alors le parti communiste italien.
- Jour anniversaire de la mort de Giuseppe Garibaldi.
- Zara, Pola et Fiume ne rejoindront pas l'Ătat italien.
- Elle l'est en 1954, aprÚs le rÚglement de la « question triestine ».
Références
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Voir aussi
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Séquences cinématographiques
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- Journaux du ;
- Le ministre de l'Intérieur Giuseppe Romita annonce à la presse le résultat du référendum institutionnel ;
- Salle de la Louve, Palais Montecitorio à Rome, la Cour de Cassation annonce les résultats du référendum ;
- Manifestation républicaine Piazza del Popolo à Rome ;
- Discours de Giuseppe Romita ;
- Images de la foule ;
- Membres du gouvernement De Gasperi sur le balcon ;
- Milan, Piazza del Duomo bondée ;
- Florence, Piazza della Signoria ;
- L'ancien roi Umberto II dans la cour du Palais du Quirinal sur le départ ;
- Le roi salue une derniĂšre fois la garde et des membres de son entourage ;
- Le drapeau tricolore italien avec le blason royal sur le Palais du Quirinal ;
- Départ de Umberto II à l'aéroport de Rome Ciampino ;
- Palais du Quirinal, derniÚre cérémonie des couleurs.