Milliard ennuyeux
Le Milliard ennuyeux (de l'anglais Boring billion), ou Grande discordance (Great unconformity), désigne une période de l'histoire de la Terre d'environ un milliard d'années, entre 1,8 et 0,8 Ga, caractérisée par une stabilité tectonique, une stase climatique (relative stabilité de l'environnement atmosphérique) et une évolution biologique apparemment lente avec des niveaux d'oxygÚne trÚs bas et aucune preuve de glaciation.
Description
En 1995, les gĂ©ologues Roger Buick, Davis Des Marais et Andrew Knoll passent en revue l'apparent dĂ©faut d'Ă©vĂ©nements biologiques, gĂ©ologiques et climatiques majeurs pendant l'Ăšre mĂ©soprotĂ©rozoĂŻque, il y a entre 1,6 et 1 milliard d'annĂ©es (Ga), la dĂ©crivant comme « le moment le plus ennuyeux de l'histoire de la Terre »[1]. L'expression « Milliard ennuyeux » (en anglais Boring Billion) est crĂ©Ă©e par le palĂ©ontologue Martin Brasier pour dĂ©signer la pĂ©riode comprise entre 2 et 1 Ga, caractĂ©risĂ©e par une stase gĂ©ochimique et une stagnation glaciaire[2]. En 2013, le gĂ©ochimiste Grant Young utilise l'expression « Milliard stĂ©rile » (en anglais Barren Billion) pour dĂ©signer la pĂ©riode d'apparente stagnation glaciaire et l'absence d'excursions isotopiques du carbone comprise entre 1,8 et 0,8 Ga[3]. En 2014, les gĂ©ologues Peter Cawood et Chris Hawkesworth dĂ©signent la pĂ©riode entre 1,7 et 0,75 Ga par l'expression « le Moyen-Ăge de la Terre » Ă cause de l'absence de preuve de mouvement tectonique[4].
Le Milliard ennuyeux est maintenant largement défini comme compris entre 1,8 et 0,8 Ga, au sein de l'éon Protérozoïque, principalement au cours de l'Úre Mésoprotérozoïque. Le Milliard ennuyeux est caractérisé par une stase géologique, climatique et dans l'ensemble évolutionnaire, avec une faible abondance de nutriments[3] - [5] - [6] - [7] - [8].
Il est précédé par la Grande Oxydation, due à l'évolution de la photosynthÚse oxygénique des cyanobactéries, et la glaciation huronienne qui en résulte (Terre boule de neige), la formation de la couche d'ozone bloquant les rayonnements solaires ultraviolets, et l'oxydation de plusieurs métaux[9]. Ce dernier s'achÚve avec la fracture du supercontinent Rodinia lors de la période du Tonien (1000-720 Ma), un second événement d'oxygénation et une autre Terre boule de neige lors de la période du Cryogénien[4] - [10].
Spécificités
Stase de l'activité tectonique
L'Ă©volution de la biosphĂšre, atmosphĂšre et hydrosphĂšre terrestre a longtemps Ă©tĂ© liĂ©e Ă la succession des supercontinents (en), oĂč les continents s'agrĂšgent puis se sĂ©parent en dĂ©rivant. Le Milliard ennuyeux voit la formation de deux supercontinents : Columbia (ou Nuna) et Rodinia[5] - [11].
Columbia se forme entre 2 et 1,7 Ga et reste intact jusqu'au moins 1,3 Ga. Des preuves géologiques et paléomagnétiques suggÚrent que Columbia n'aurait subi que des changements mineurs pour former le supercontinent Rodinia entre 1,1 et 0,9 Ga. Des reconstructions paléogéographiques suggÚrent que l'assemblage supercontinental était situé dans des zones climatiques équatoriales et tempérées, et il n'y a que peu, voire aucune, preuves de présence de fragments continentaux dans les régions polaires[11].
Compte tenu de l'absence de preuve de sĂ©dimentation sur les marges passives, qui serait le rĂ©sultat de la rupture de la croĂ»te continentale (rifting)[12], le supercontinent ne se serait pas sĂ©parĂ©, et aurait simplement Ă©tĂ© un assemblage de proto-continents et de cratons superposĂ©s. Il n'y a pas de preuve de rifting jusqu'Ă la formation de Rodinia, il y a 1,25 Ga au nord de Laurentia, et 1 Ga en Baltica et au sud de la SibĂ©rie[5] - [4]. Cependant, la rupture n'a lieu qu'en 0,75 Ga, marquant la fin du Milliard ennuyeux[4]. Cette stase de l'activitĂ© tectonique est peut-ĂȘtre liĂ©e Ă la chimie atmosphĂ©rique et ocĂ©anique[5] - [7] - [4].
Il est possible que l'asthénosphÚre, la partie ductile du manteau supérieur terrestre sur laquelle les plaques tectoniques flottent et bougent, était alors trop chaude pour soutenir une tectonique des plaques moderne. Ainsi, au lieu d'un intense recyclage des plaques dans les zones de subduction, les plaques restent liées les unes aux autres jusqu'à ce que le manteau se refroidisse assez. L'initiation de la subduction, élément de la tectonique des plaques, peut avoir été déclenchée par le refroidissement et l'épaississement de la croûte terrestre. Ces deux facteurs rendent la subduction, une fois initiée, particuliÚrement forte, marquant la fin du Milliard ennuyeux[4].
Cependant, d'importants événements magmatiques ont toujours lieu, comme la formation (par un panache) du bloc de Musgrave (en) d'une surface de 220 000 km2 en Australie centrale entre 1,22 et 1,12 Ga[13] et le grande province ignée de Mackenzie (en) au Canada, d'une surface de 2 700 000 km2, il y a 1,27 Ga[14]. La tectonique est par ailleurs suffisamment active pour former de nouvelles montagnes, avec plusieurs orogenÚses ayant lieu à cette époque, telle que l'orogenÚse grenvillienne[15].
Stabilité climatique
Il y a peu d'indication de variabilitĂ© climatique significative pendant cette pĂ©riode[3] - [16]. Le climat n'est probablement pas principalement dictĂ© par la luminositĂ© solaire, le Soleil Ă©tant 5 Ă 18% moins lumineux qu'aujourd'hui, mais il n'y a pas d'Ă©lĂ©ment permettant d'affirmer que la Terre Ă©tait significativement plus froide[17] - [18]. En fait, le Milliard ennuyeux manque de preuves de glaciations prolongĂ©es, comme observĂ©es Ă intervalles rĂ©guliers dans d'autres parties de l'histoire gĂ©ologique de la Terre[18]. Les concentrations en CO2 n'expliquent pas cette absence : leur niveau aurait dĂ» ĂȘtre 30 Ă 100 fois plus haut que pendant l'Ăšre prĂ©-industrielle[17] pour entraĂźner une importante acidification des ocĂ©ans[18] empĂȘchant la formation de glace. Les niveaux de CO2 du MĂ©soprotĂ©ozoĂŻque peuvent avoir Ă©tĂ© comparables Ă ceux de l'Ă©on PhanĂ©rozoĂŻque, peut-ĂȘtre 7 Ă 10 fois supĂ©rieurs aux niveaux actuels[19].
La premiĂšre trace de glace de cette pĂ©riode est rapportĂ©e en 2020 et provient de la formation de Diabaig (en) dans le groupe de Torridon (en) en Ăcosse datant d'il y a 1 Ga, oĂč des formations de dropstones ont probablement Ă©tĂ© constituĂ©es par des dĂ©bris transportĂ©s par radeaux de glace. La zone, alors situĂ©e entre le 35e parallĂšle et le 50e parallĂšle sud, Ă©tait un lac (possiblement de montagne) que l'on estime gelĂ© en hiver, le transport des dĂ©bris ayant lieu lors de la fonte printaniĂšre[20].
Composition des océans
Les océans ne semblent contenir que de faibles concentrations en nutriments clés que l'on estime nécessaires pour une vie complexe (en particulier le molybdÚne, le fer, l'azote et le phosphore) dues en grande partie au manque d'oxygÚne pour entraßner les oxydations essentielles à ces cycles géochimiques (en)[21] - [22] - [23]. Les nutriments sont cependant plus abondants dans les environnements terrestres, comme dans les lacs ou proche des cÎtes, à proximité des ruissellements continentaux[24].
Autres
Le Milliard ennuyeux a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© et suivi de pĂ©riodes de grands bouleversements, matĂ©rialisĂ©es par des Ă©pisodes de grandes glaciations (ou Terre boule de neige) et par une transformation radicale de la morphologie des ĂȘtres vivants (apparition des premiers eucaryotes en amont, apparition des premiers ĂȘtres multicellulaires en aval).
La stagnation de l'évolution, souvent considérée comme une anomalie, est généralement attribuée à un faible taux d'oxygÚne qui, aprÚs la Grande oxydation, se maintient autour de 0,1 % de sa teneur actuelle[25] - [26] et aurait entravé l'élaboration de formes de vie complexes.
Le Milliard ennuyeux suscite un regain d'intĂ©rĂȘt depuis le dĂ©but des annĂ©es 2010 : « Les chercheurs s'aperçoivent que la stabilitĂ© caractĂ©ristique du Milliard ennuyeux â qui n'a aucun prĂ©cĂ©dent et demeure inĂ©dite dans l'histoire de la Terre â est bien plus difficile Ă expliquer que les changements environnementaux qui ponctuent d'autres pĂ©riodes »[27]. Le rĂŽle stabilisateur du faible taux d'oxygĂšne est notamment reconsidĂ©rĂ© : de nouvelles recherches Ă©mettent l'hypothĂšse d'une causalitĂ© inversĂ©e oĂč l'Ă©mergence d'animaux multicellulaires complexes aurait contribuĂ© Ă accroĂźtre ce taux, plus qu'elle n'en serait la rĂ©sultante.
Métallogénie
Contrairement aux autres supercontinents, il n'existe que des indices limitĂ©s sur la rupture et la dĂ©rive des continents lors de la transition de la rupture de Columbia Ă l'assemblage de Rodinia. Il s'est agi d'un rĂ©gime tectonique de type « accordĂ©on », caractĂ©risĂ© par de faibles dĂ©formations et des pĂ©riodes intermittentes d'extension, de rifting et de remontĂ©e asthĂ©nosphĂ©rique de degrĂ© variable, suivies d'une compression et de la fermeture des bassins d'extension. Cette tectonique anormale a entraĂźnĂ© une mĂ©tallogĂ©nie tout aussi anormale mais particuliĂšrement intense, largement prĂ©servĂ©e jusqu'Ă nos jours. Le magmatisme intermittent dĂ» Ă la fonte du manteau et aux circulations hydrothermales a crĂ©Ă© une variĂ©tĂ© de gisements gĂ©ants, prĂ©servĂ©s sur les marges de la lithosphĂšre obductĂ©e pendant les Ă©pisodes de compression modĂ©rĂ©e. La mĂ©tallogĂ©nie a Ă©tĂ© Ă©pisodique, avec des pics Ă environ 1,7â1,6, 1,4 et 1,1 Ga. Les plus grands gisements mondiaux de fer, de cuivre et d'or (en), de terres rares (dans des carbonatites), de diamant (dans des lamproĂŻtes), d'uranium (en discordance), de zinc et de plomb (dans des gĂźtes exhalatifs (en) ou de type Broken Hill (en)) datent de cette pĂ©riode. C'est semble-t-il le manque relatif d'activitĂ© tectonique et de dĂ©rive des continents qui est responsable de cette mĂ©tallogĂ©nie spectaculaire et unique dans l'histoire de la Terre, au cours d'un milliard d'annĂ©es somme toute « pas aussi ennuyeux qu'il n'y paraĂźt »[28].
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Boring Billion » (voir la liste des auteurs).
- (en) R. Buick, D. J. Des Marais et A. H. Knoll, « Stable isotopic compositions of carbonates from the Mesoproterozoic Bangemall group, northwestern Australia », Chemical Geology, vol. 123, nos 1â4,â , p. 153â171 (DOI 10.1016/0009-2541(95)00049-R)
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Voir aussi
Bibliographie
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