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Louise Servicen

Louise Servicen, née à Constantinople le et morte à Boulogne-Billancourt le [1], est une traductrice d'origine arménienne. Elle fut en particulier la traductrice française de Thomas Mann et de Luigi Pirandello.

Louise Servicen
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Nom de naissance
Louise MĂ©line Servicen
Pseudonymes
Louis Vic, Pierre Vence, Louis Eze
Nationalités
Activités
ParentĂšle
Servitchen (grand-pĂšre)
Autres informations
Genres artistiques
Distinctions

Biographie

Origines et enfance

Louise Servicen (Serviçen ou Servitchen, selon la translittĂ©ration) voit le jour dans une famille de patriciens armĂ©niens. Sa mĂšre, Astine (nĂ©e Vahan, 1870-1964), Ă©tait une des petites-filles d’Arakel Bey Dadian (1824-1912) et une des nombreuses arriĂšre-petites-filles de Boghos Bey Dadian. Les princes Dadian Ă©taient des amiras[2], c’est-Ă -dire des grands seigneurs, de grands aristocrates armĂ©niens de l’Empire ottoman. Ils dĂ©tenaient un monopole sur les poudriĂšres impĂ©riales et sur l’armement, et jouĂšrent un rĂŽle de premier ordre dans le processus d’industrialisation de l’Empire ottoman. Cette dynastie compta Ă©galement de grands financiers, des banquiers, des bailleurs de fond dĂ©vouĂ©s aux hauts dignitaires musulmans, des hauts fonctionnaires, etc. Ils reprĂ©sentaient l’intelligentsia armĂ©nienne, faisaient leurs Ă©tudes secondaires en France et habitaient de vastes demeures au bord du Bosphore, dans les banlieues huppĂ©es de Constantinople (San Stefano, par exemple). Le pĂšre d’Astine se nommait Hovhannes Sarkis Vahanian (1832-1891) - ou Vahan Efendi, selon son titre honorifique - et fut un haut fonctionnaire de l’Empire ottoman : aprĂšs des Ă©tudes de chimie en France (1848-1853), Vahanian Ă©tait devenu sous-secrĂ©taire de plusieurs ministĂšres d’Empire, au Commerce, Ă  l’Éducation, Ă  la Justice enfin.

Le pĂšre de Louise Servicen, Gabriel Servicen (1858-1931), Ă©tait ingĂ©nieur, diplĂŽmĂ© de l'École Centrale de Paris et sous-secrĂ©taire du MinistĂšre des Travaux publics Ă  Constantinople : dans ce cadre, il fut chargĂ© de rĂ©diger une Ă©tude minutieuse sur la Bagdad-Bahn, la ligne ferroviaire reliant Konya Ă  Bagdad. Gabriel Servicen Ă©tait par ailleurs le fils d'un riche et Ă©minent mĂ©decin armĂ©nien, Serovpe Viçenyan (1815-1897)[3] qui, dans les annĂ©es 1830, avait effectuĂ© ses Ă©tudes de mĂ©decine Ă  Paris et Ă  Pise et occupa, de retour dans l'Empire ottoman, diverses fonctions professorales, administratives et politiques, en plus de s'engager en faveur du peuple armĂ©nien et des pauvres et de dĂ©velopper parallĂšlement une activitĂ© de journaliste et d'Ă©crivain.

Petite-fille de haut fonctionnaire et de grand mĂ©decin et fille d'un ingĂ©nieur sous-secrĂ©taire d'État, Louise Servicen naĂźt donc dans un milieu oĂč les pouvoirs politique, administratif et Ă©conomique Ă©taient intimement mĂȘlĂ©s, mais oĂč le goĂ»t pour les langues, la littĂ©rature, la musique et les humanitĂ©s n'Ă©tait pas sacrifiĂ©. L'historienne d'origine armĂ©nienne Anahide Ter Minassian dĂ©crit bien dans son article consacrĂ© Ă  la dynastie des princes Dadian[4] les stratĂ©gies maritales de cette grande famille du XIXe siĂšcle, mais Ă©galement l’éducation des enfants dans ces familles nombreuses. Les garçons de cette Ă©lite armĂ©nienne recevaient d’abord l’enseignement de prĂ©cepteurs (ainsi, Serovpe Viçenyan apprit le français, l'italien et le grec auprĂšs de ce genre de professeurs privĂ©s), puis accompagnaient leur pĂšre dans ses tournĂ©es europĂ©ennes et Ă©taient alors inscrits dans les Ă©tablissements secondaires ou Ă  l’universitĂ© en France ou au Royaume-Uni. Leur formation effectuĂ©e, ils retournaient dans l’Empire ottoman pour s’établir dans la vie professionnelle. Les filles de cette intelligentsia armĂ©nienne Ă©taient quant Ă  elles confiĂ©es Ă  des gouvernantes et Ă  des prĂ©ceptrices françaises ou anglaises, lisaient des romans français, pratiquaient le chant, le piano, la mandoline, frĂ©quentaient les institutions europĂ©ennes ou armĂ©niennes pour jeunes filles et apprenaient les langues Ă©trangĂšres. Elles servaient occasionnellement d’interprĂštes lors des visites de hauts dignitaires Ă©trangers. Ces informations sur l'Ă©ducation des jeunes ArmĂ©niens et ArmĂ©niennes sont extrĂȘmement importantes dans la comprĂ©hension des dons de polyglotte de Louise Servicen. Astine Servicen maĂźtrisait elle-mĂȘme plusieurs langues (outre l'armĂ©nien et surtout le français qui Ă©tait la langue quasi maternelle de l'intelligentsia armĂ©nienne) et, forte d'un tempĂ©rament Ă©minemment littĂ©raire, tenait salon Ă  Constantinople. Fille unique, Louise grandit dans cet univers oĂč l’on dĂ©battait de la littĂ©rature mondiale. Outre les connaissances que put lui transmettre essentiellement sa mĂšre - une femme d'une intelligence et d'une culture immenses Ă  qui elle devait tout, selon ses propres mots -, la jeune fille reçoit exclusivement l’enseignement de gouvernantes anglaises et allemandes, puis, plus tard, de professeurs de lycĂ©e qui venaient lui donner des leçons particuliĂšres. Elle apprend ainsi l’italien, l’allemand et l’anglais, sans s’ĂȘtre jamais rendue « sur le terrain », au contact direct de ces pays Ă©trangers. Dans un article consacrĂ© en 1973 Ă  la traductrice, Jacques Brenner souligne d'ailleurs cet aspect de l'Ă©ducation de Louise Servicen : « On imagine Louise Servicen bardĂ©e de diplĂŽmes. Il n’en est rien. Pas plus que Thomas Mann, elle n’a passĂ© son baccalaurĂ©at. Mais elle est, comme lui, issue d’une grande famille bourgeoise amie des arts et de culture internationale »[5].

En 1929, plusieurs annĂ©es aprĂšs le gĂ©nocide armĂ©nien et les massacres qui durĂšrent de 1915 Ă  1922, les Servicen, qui avaient Ă©chappĂ© au drame, mais perdu tous leurs biens, comme nombre d'autres Dadian, dĂ©cident d'Ă©migrer Ă  Paris oĂč ils s'installent dans un petit appartement du 10 square du Thimerais (XVIIe arrondissement). Louise et sa mĂšre, veuve dans les annĂ©es 1930, mĂšnent lĂ  une existence extrĂȘmement modeste. MalgrĂ© l’exiguĂŻtĂ© de ce petit logement amĂ©nagĂ© Ă  l’orientale, AstinĂ© Servicen s’efforce de recrĂ©er au fil des ans un petit salon littĂ©raire, entreprise facilitĂ©e par la carriĂšre de traductrice que Louise Ă©tait alors en train d'embrasser, Ă  la grande satisfaction de sa mĂšre, qui avait Ă©tĂ© son initiatrice en la matiĂšre.

PremiĂšres traductions, premiĂšres commandes

Louise Servicen, qui peut donc compter sur de solides connaissances dans cinq langues, accomplit ses premiers travaux de traduction Ă  la fin des annĂ©es 1920. Sa premiĂšre traduction, ainsi qu'elle le confie Ă  Jacques Brenner, est celle d'un essai de Bertrand Russell, Ă  l'usage exclusif de son pĂšre : « Je n’étais pas sĂ»re de trĂšs bien comprendre ce que je traduisais »[6], avouera-t-elle.

En 1928, par l'entremise du critique Benjamin CrĂ©mieux (1888-1944), grand connaisseur de la littĂ©rature italienne et premier traducteur, avec sa femme, de Luigi Pirandello, la jeune femme fait ses premiers essais de traduction de l'italien dans le cadre d'une anthologie de littĂ©rature italienne publiĂ©e par Kra / Le Sagittaire : Panorama de la littĂ©rature italienne. CrĂ©mieux est aussitĂŽt sĂ©duit par ce premier travail qu’il qualifie, Ă  en croire une dĂ©dicace adressĂ©e Ă  la traductrice (fonds privĂ©), de « coup de maĂźtre ». Deux ans plus tard, Louise Servicen traduit pour Gallimard, sans doute toujours sur la recommandation de CrĂ©mieux, le roman Un, personne et cent mille de Pirandello, devenu dans l'intervalle prix Nobel de littĂ©rature (1934).

Les commandes pour la NRF-Gallimard se multiplient dans la premiĂšre moitiĂ© des annĂ©es 1930, cette fois-ci majoritairement dans le domaine anglo-saxon. Louise Servicen livre la traduction d'une biographie, d’un roman de littĂ©rature populaire et d’une Ă©tude Ă©conomique : La Vie d’Ibsen le constructeur, d’A. E. Zucker (1931), puis de Fleurs et ÉlĂ©phants (1933), un roman sur l’Inde de l’auteure britannique Constance Sitwell, et enfin Mexique : Etude comparĂ©e de deux AmĂ©riques (1935), une histoire du Mexique par l’économiste amĂ©ricain Stuart Chase. ParallĂšlement Ă  ces commandes, elle effectue Ă©galement jusqu'en 1935 des traductions « alimentaires » de romans Ă  feuilletons dans le journal Le Figaro.

1935 : l'année Thomas Mann

Pour la carriĂšre de la traductrice, l'annĂ©e 1935 reprĂ©sente un tournant dĂ©cisif. La raison n'en rĂ©side pas dans sa traduction de l'Ă©tude de l'Ă©conomiste Chase ni dans ses activitĂ©s alimentaires au service du Figaro, mais dans l'exigeante et prestigieuse mission que lui confie Gallimard dans le courant de 1933 : traduire Les Histoires de Jacob, le premier volume de la vaste tĂ©tralogie de Thomas Mann portant sur la fin de la GenĂšse, Joseph et ses frĂšres. Thomas Mann est aurĂ©olĂ© du prestigieux prix Nobel de littĂ©rature, obtenu quelques annĂ©es plus tĂŽt (1929), et jouit d'une popularitĂ© grandissante auprĂšs des Ă©diteurs et lecteurs français, grĂące aux efforts d'importation de nombreux mĂ©diateurs du champ littĂ©raire et universitaire français (tels FĂ©lix Bertaux, ami et correspondant des frĂšres Mann, Maurice Boucher, Charles du Bos, Edmond Jaloux et sa fameuse rubrique « L'Esprit des Livres », dans Les Nouvelles littĂ©raires, AndrĂ© Gide, Jean Giraudoux, etc.), ainsi qu'Ă  plusieurs visites en France, Ă  Paris en particulier, oĂč Thomas Mann tient des confĂ©rences Ă  l'invitation d'universitaires germanistes et d'Ă©crivains français : une premiĂšre visite, retracĂ©e en dĂ©tail dans l'essai Pariser Rechenschaft[7] a lieu en , Ă  l'occasion de laquelle l'Ă©crivain est solennellement reçu Ă  la Sorbonne et dans diverses institutions (le PEN-Club par exemple) ; une seconde[8] a lieu en , lors de laquelle Thomas Mann tient une confĂ©rence Ă  Strasbourg, puis Ă  Paris, Ă  l'I.I.C.I. (un organe de la Commission Internationale de CoopĂ©ration Intellectuelle, situĂ©e au Palais-Royal) et Ă  l'Institut germanique de la Sorbonne, et rencontre, outre FĂ©lix Bertaux, AndrĂ© Gide, François Mauriac, Paul Morand, Jean Giraudoux, Jean Schlumberger et Jean Cocteau - autant de personnalitĂ©s Ă©troitement liĂ©es Ă  la NRF.

Jusqu'en 1935, l'Ɠuvre de Thomas Mann a Ă©tĂ© traduite par des traducteurs de statuts diffĂ©rents, pour diffĂ©rentes maisons. Chronologiquement, les ouvrages de l'Ă©crivain allemand passĂšrent entre les mains de Stock (en 1923, la traductrice GeneviĂšve Maury livre une version de Tonio Kröger et de quatre autres nouvelles), de Simon Kra, puis de Fayard. Parmi les premiers traducteurs, on trouvait d'un cĂŽtĂ© les germanistes de mĂ©tier, particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©s[9] de Thomas Mann, comme nous le rĂ©vĂšle aujourd'hui la correspondance publiĂ©e dans la Große Frankfurter Ausgabe (Ă©ditions Fischer) : FĂ©lix Bertaux, correspondant de Heinrich Mann, traduisit avec la collaboration de Charles Sigwalt, agrĂ©gĂ© d'allemand, professeur et figure Ă©minente des langues vivantes, La Mort Ă  Venise, pour les Ă©ditions du Sagittaire de Simon Kra ; GeneviĂšve Bianquis traduisit quelques nouvelles et deux romans de jeunesse, Altesse royale − publiĂ© en 1931 par Delagrave − et Les Buddenbrook (Fayard, 1932) ; Joseph Delage, directeur de la fameuse Revue rhĂ©nane (Mayence), traduisit enfin Les Confessions du chevalier d’industrie Felix Krull, prĂ©cĂ©dĂ©es de deux nouvelles restituĂ©es par G. Bianquis (DĂ©sordre, suivi de MaĂźtre et Chien, Kra, 1929). Face Ă  ces germanistes de mĂ©tier se trouvaient des traductrices et traducteurs professionnels, dont certains sont aujourd’hui tombĂ©s dans l’oubli : GeneviĂšve Maury ; Gabrielle ValĂšre-Gille, traductrice des nouvelles Au temps de l'inflation (titre français, au demeurant apprĂ©ciĂ© de Thomas Mann, de sa nouvelle Unordnung und frĂŒhes Leid, publiĂ©e pour la premiĂšre fois dans La Revue de France en octobre 1926 sous la plume de G. ValĂšre Gille et retraduite quelques annĂ©es plus tard par G. Bianquis) et Tristan (paru en prĂ©publication dans La Revue de France en , puis publiĂ© par Kra en 1930), pressentie pour d'autres nouvelles et le roman Altesse royale, mais finalement Ă©vincĂ©e ; Denise van MoppĂšs, essentiellement traductrice de l’anglais, signa la traduction de la nouvelle Sang rĂ©servĂ©[10] en 1931 (Grasset) ; AndrĂ© Gailliard, traducteur de Mario et le magicien en 1932 (Stock) ; Maurice Betz enfin, le plus connu d'entre eux, rĂ©vĂ©lĂ© par son statut de traducteur attitrĂ© de Rilke, accomplit une traduction - jugĂ©e inĂ©gale - du fameux roman La Montagne magique (Fayard, 1931), alors qu'il menait de front une activitĂ© intense de traducteur, d'Ă©crivain et de conseiller Ă©ditorial des Ă©ditions Emile-Paul frĂšres.

Thomas Mann dut Ă©prouver quelque rĂ©confort lorsqu'en 1931-1932, ses deux grands romans, La Montagne magique et Les Buddenbrook, furent traduits et commercialisĂ©s par Fayard (sous la houlette du directeur de la collection Ă©trangĂšre, AndrĂ© Levinson), puis lorsqu'en , les prestigieuses Ă©ditions Gallimard acquirent les droits de la tĂ©tralogie de Joseph, aprĂšs le dĂ©sistement de Fayard et de Plon[11]. Simon Kra et ses Ă©ditions du Sagittaire s'Ă©taient, il faut dire, avĂ©rĂ©s Ă  la longue une affaire peu prometteuse : aprĂšs avoir Ă©voquĂ© en , lors de la visite de Thomas Mann Ă  Paris, la possibilitĂ© d'Ă©diter dans sa maison tous les travaux de l'Ă©crivain allemand[12], LĂ©on Pierre-Quint avait brusquement dĂ©couvert l'ampleur des Buddenbrook et surtout de La Montagne magique qui, malgrĂ© un succĂšs certain dans les pays de langue allemande, fut en 1927 jugĂ© trop Ă©pais et donc invendable par le directeur littĂ©raire du Sagittaire, sauf coupures importantes dans le texte original[13]. En 1927, les deux romans-phares de Thomas Mann n'avaient donc ni Ă©diteur, ni traducteur attitrĂ©s en France. Comme le rĂ©vĂšle la correspondance de Thomas Mann avec FĂ©lix Bertaux, le romancier redoutait en outre le risque d'Ă©parpillement et d'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© que constituaient certaines traductions Ă  quatre mains acceptĂ©es par Kra. Le cas de Gabrielle ValĂšre-Gille illustre tout Ă  fait cette apprĂ©hension : la traductrice se chargea, toujours pour Le Sagittaire, de la traduction de plusieurs nouvelles (Tristan, DĂ©sordre) et fut mĂȘme pressentie pour le roman Altesse royale ; mais Thomas Mann, qui gardait un Ɠil sur les traductions de ses ouvrages (par le truchement de F. Bertaux, mais aussi celui de sa propre femme Katia, qui comprenait et parlait trĂšs bien français), ne fut pas satisfait du manuscrit de la traductrice et demanda en Ă  son ami Bertaux de rĂ©viser ces traductions[14]. Gabrielle ValĂšre-Gille fut finalement laissĂ©e de cĂŽtĂ© : mĂȘme si sa traduction de Tristan fut publiĂ©e, aprĂšs avoir Ă©tĂ© peut-ĂȘtre rĂ©visĂ©e Ă  son tour par Bertaux ou Bianquis (qui signe par ailleurs une traduction de la nouvelle Le Chemin du cimetiĂšre, contenue dans le mĂȘme volume), ce fut justement la germaniste Bianquis qui, avec l'aide de « collaboratrices » anonymes ou presque (seul subsiste le nom de son amie d'Ă©tudes licenciĂ©e d'allemand Jeanne Choplet), assure finalement la traduction de DĂ©sordre et d'Altesse royale, puis, plus tard, des Buddenbrooks[15]. Aussi la perspective d'une politique de traduction suivie, chez Fayard, voire, mieux encore, chez Gallimard, dissipe vraisemblablement les craintes de morcellement qu'Ă©prouvait Thomas Mann vers la fin des annĂ©es 1930.

À partir de 1933, Gallimard, reprĂ©sentĂ© par son jeune et cĂ©lĂšbre directeur de collection AndrĂ© Malraux, se rapproche donc de Thomas Mann par le truchement d'Antonina Vallentin-Luchaire (1893-1957) : cette Polonaise, nĂ©e Silberstein Ă  Lwow, en Galicie, avait, en qualitĂ© de journaliste et d'Ă©crivain, frĂ©quentĂ© dans le Berlin de la RĂ©publique de Weimar les avant-gardes artistiques et nombre de personnalitĂ©s des sphĂšres politique (Stresemann notamment, dont elle fut la secrĂ©taire et amie), scientifique (Albert Einstein) et littĂ©raire (les frĂšres Mann, Stefan Zweig, H. G. Wells, etc.). AprĂšs avoir Ă©pousĂ© Julien Luchaire, ancien prĂ©sident de la C.I.C.I., en 1929 et acquis la nationalitĂ© française, cette femme de lettres polyglotte, qui traduisait vers l'allemand, se rapproche des exilĂ©s allemands et envisage en 1933 de crĂ©er, sous l'Ă©gide des Ă©ditions Gallimard et Hachette, une collection populaire bilingue d'ouvrages d'exilĂ©s, dont le fleuron aurait Ă©tĂ© Thomas Mann. Si l'entreprise ne voit jamais le jour, c'est « Tosia » qui, comme nous l'apprend une annotation de Mann dans son journal intime (), transmet Ă  l'Ă©diteur Gallimard et Ă  ses directeurs de collection Ă©trangĂšre le premier volume de la tĂ©tralogie de Joseph.

Gallimard confie donc cette mission de traduction exclusivement Ă  Louise Servicen, qui s'acquitte de sa tĂąche en fort peu de temps : alors que l'Ă©diteur parisien faisait parvenir le le contrat pour la traduction de Joseph Ă  Thomas Mann, Louise Servicen, alias Louis Vic, annonce cinq mois plus tard () Ă  l'Ă©crivain que la traduction du premier volume est achevĂ©e. Comment expliquer ce choix de Louise Servicen pour traduire une valeur montante de la littĂ©rature allemande ? Certes, Louise Servicen s'est dĂ©jĂ  fait la main sur quelques ouvrages commandĂ©s par la NRF, mais demeure, comparĂ©e Ă  d'autres noms plus prestigieux tels que Maurice Betz, FĂ©lix Bertaux ou GeneviĂšve Bianquis, pour ne citer que ces exemples, relativement peu connue Ă  l'Ă©poque. Outre les relations dĂ©jĂ  existantes entre Servicen et Gallimard, on peut expliquer cette dĂ©cision de Gallimard par une volontĂ© de rompre avec les traductions et traducteurs (largement universitaires, et peut-ĂȘtre par crainte, donc, du « français d'agrĂ©gĂ© » des universitaires) du Sagittaire, mais aussi par le talent, l'efficacitĂ© et l’instinct littĂ©raire certains qui caractĂ©risent la jeune traductrice et qui firent en quelques annĂ©es seulement sa rĂ©putation. En un temps oĂč l'on faisait si peu confiance aux traducteurs, la mĂ©diocritĂ© des traductions « industrielles » rejaillissant sur l’image de la traduction en gĂ©nĂ©ral, le choix de Gallimard pouvait donc s’expliquer par l’efficacitĂ©, les qualitĂ©s littĂ©rale et littĂ©raire et la rigueur dont faisait preuve Louise Servicen (et, dans l’ombre, sa mĂšre AstinĂ©). À cet Ă©gard, lorsqu’en 1969 elle s’aperçoit, alors mĂȘme que le volume allait ĂȘtre envoyĂ© sous presse Ă  20000 exemplaires, d’un contresens dans ses traductions de nouvelles de Henry James pour Aubier-Montaigne, Louise Servicen est vĂ©ritablement mortifiĂ©e et Ă©crivit aussitĂŽt Ă  Madeleine Aubier-Gabail, fille de Fernand Aubier : « ChĂšre Madame, je suis plongĂ©e dans la consternation et viens battre ma coulpe ! Le petit volume de Henry James se prĂ©sente trĂšs joliment mais je suis terrifiĂ©e de dĂ©couvrir, Ă  la p. 145, lignes 14 Ă  17, un absurde contresens qui, hĂ©las, m’est imputable, rĂ©sultat d’une lecture trop hĂątive ! Je suis atterrĂ©e et vous supplie de bien vouloir faire mettre au plus vite un erratum, naturellement Ă  mes frais. C’est la premiĂšre fois que je relĂšve un contresens dans une de mes traductions, et il a fallu que cela arrive dans une Ă©dition bilingue
 »[16]. Cette rĂ©action est tout Ă  fait caractĂ©ristique de l'extrĂȘme rigueur dans le travail de Louise Servicen.

En 1936 et 1938 paraissent respectivement les tomes 2 et 3 de cette tĂ©tralogie de Joseph, toujours sous la plume de Louise Servicen : Le Jeune Joseph et Joseph en Égypte. En , Thomas Mann cĂšde d'ailleurs, Ă  en croire une annotation de son journal intime, une partie de ses honoraires Ă  la traductrice afin qu'elle puisse poursuivre et achever sa besogne. Le dernier tome, Joseph le Nourricier, n'est malgrĂ© tout publiĂ© que dix ans plus tard. Ce travail de haute volĂ©e sur la tĂ©tralogie de Thomas Mann qui, tous tomes confondus, dĂ©passe la volumineuse Montagne magique, n'empĂȘche pas la traductrice d'accomplir parallĂšlement des traductions plus « alimentaires ». Ainsi, en 1937, elle donne une version d'un livre de souvenirs d’EugĂ©nie Schumann sur son pĂšre, le compositeur Robert Schumann, puis, en 1939, un roman noir de l’auteure britannique Dorothy L. Sayers pour la collection du Masque : Lord Peter et l'Inconnu, Librairie des Champs-ÉlysĂ©es).

Louise Servicen, Louis Vic, Pierre Vence, Louis Eze ? La question des pseudonymes

Fait surprenant, Les Histoires de Jacob est la seule traduction de Thomas Mann que Louise Servicen ne signe pas de son propre nom, mais du pseudonyme de Louis Vic. Il est probable que Louise Servicen se servit de ce pseudonyme masculin pour contacter pour la premiĂšre fois Thomas Mann, en . Jacques Brenner Ă©crit pour sa part qu'elle signa du nom de Louis Vic « parce que certains passages du livre Ă©taient ce qu'on appelait Ă  l'Ă©poque « osĂ©s » et qu'elle ne voulait pas risquer de scandaliser quelques vieux amis de sa famille »[17]. L'Ă©crivain allemand, manifestement convaincu du sexe de son traducteur, mentionne ainsi dans son journal intime, Ă  la date du : « Lettres du traducteur français des Histoires de Jacob qui m'annonce l'achĂšvement de son travail et me pose quelques questions »[18]. On peut se demander ce qui pousse la traductrice Ă  pareil choix, quand on sait qu’elle n’a fait aucun mystĂšre de son patronyme pour les traductions prĂ©cĂ©dentes - abstraction faite de sa collaboration anonyme au Panorama de la littĂ©rature italienne de CrĂ©mieux. On pourrait Ă©galement se demander si, au-delĂ  de la question de la moralitĂ© de l'ouvrage, Louise Servicen ne chercha pas ponctuellement Ă  adopter la stratĂ©gie de certaines femmes traductrices ou Ă©crivaines qui, comme Aline Mayrisch (alias Saint Hubert), Barbara Church (alias Germain Landier) ou Suzanne Clauser[19] (nĂ©e von Adler, alias Dominique AuclĂšres ), optĂšrent pour un nom de plume masculin, billet d'entrĂ©e peut-ĂȘtre plus efficace dans le monde littĂ©raire ?

Cette question du recours au pseudonyme est Ă  un autre Ă©gard problĂ©matique : sous l’Occupation, Louise Servicen qui, comme d'autres traducteurs (Armand Pierhal, Raymond Henry ou Paul Genty), accomplissait des lectures de lecture germanique chez Albin Michel, traduisit sous son propre nom, pour la collection des maĂźtres Ă©trangers de cette mĂȘme maison, Le Naufrage de l’Anna-Hollmann de Gustav Frenssen, romancier patriotique particuliĂšrement apprĂ©ciĂ© des nazis et lui-mĂȘme proche du national-socialisme. Ainsi que le prouve le dossier Fallada contenu dans les archives de la maison d'Ă©dition (IMEC), Albin Michel, lancĂ© dans sa politique de traduction et de publication d'Ɠuvres romanesques de Hans Fallada, avait en outre confiĂ© dĂšs 1941 Ă  Louise Servicen la lecture et la traduction de Gustave-de-fer, vaste roman-scĂ©nario populiste que son auteur Hans Fallada avait dĂ» retravailler partiellement Ă  la demande de Goebbels, afin de greffer un passage en faveur des nazis. Louise Servicen, dont le nom figure explicitement dans les courriers et contrats relatifs Ă  l'Ă©dition de Gustave de Fer (la traductrice accusa rĂ©ception du forfait de 10 000 francs pour la traduction, remit son travail Ă  l'Ă©tĂ© 1942 et soumit deux versions du priĂšre d'insĂ©rer Ă  l'Ă©diteur), signa cependant son travail sous le nom de Pierre Vence, qui est Ă©galement le nom utilisĂ© pour signer, en 1943, toujours chez Albin Michel, la traduction de Jörn Uhl de G. Frenssen. Ce nom de Pierre Vence comporte Ă©videmment, comme celui de Louis Vic, certaine parentĂ© onomastique avec celui de Servicen. Pourquoi la traductrice aurait-elle pris soin de camoufler son identitĂ© dans le cas de Fallada et de laisser imprimer en toutes lettres son nom sur la couverture du roman de Frenssen ? Le mystĂšre demeure entier, mais certaines rĂ©ticences de la traductrice Ă  la fois face Ă  la censure allemande, Ă  certaines allusions politiques et Ă  la moralitĂ© des Ɠuvres traduites (Louise Servicen Ă©crit ainsi, dans un rapport de lecture sur Gustave de Fer : « J'ai marquĂ© d'un papier bleu certains passages contenant des apprĂ©ciations ou allusions politiques pĂ©nibles pour le lecteur français et qui pourraient facilement ĂȘtre attĂ©nuĂ©es. De mĂȘme, deux brefs passages relatant des scĂšnes assez dĂ©plaisantes (et d'un parallĂ©lisme pour le moins inutile) entre deux femmes - dont une Française - d'une part et deux hommes d'autre part. On pourrait Ă©galement les attĂ©nuer (ou mĂȘme supprimer le premier) sans que l'intelligence ou l'intĂ©rĂȘt du rĂ©cit en souffre », archives Albin Michel, IMEC), expliquent ce recours au pseudonyme. Louise Servicen adopte par ailleurs, bien des annĂ©es plus tard, le pseudonyme de Louis Eze pour cosigner, avec son amie Jeanne Naujac, une traduction d'essais du trĂšs controversĂ© Ernst JĂŒnger (Rivarol et autres essais, Grasset, 1974).

Une chose est sĂ»re : avec la mise au ban de Thomas Mann, sous l'Occupation allemande, Louise Servicen doit, en attendant des temps meilleurs, se procurer quelques traductions alimentaires afin d'assurer sa subsistance immĂ©diate. C'est ce que prouve cette lettre du Ă  Robert Esmenard, gendre d'Albin Michel : « J'ai terminĂ© la traduction du petit livre de Willy Kramp, et je la laisse dormir avant de la revoir avec des yeux nouveaux et de l'envoyer Ă  la dactylographe - puisque vous m'avez dit que rien ne pressait. Entretemps, si vous avez un autre travail...? » (archives Albin Michel, IMEC). SecrĂštement cependant, elle continue de traduire l’Ɠuvre de Thomas Mann : Gallimard achĂšte les droits de traduction de Lotte in Weimar en et, fin , le couple Mann demande depuis Pacific Palisades Ă  l'Ă©diteur Bermann Fischer d'envoyer Ă  Louise Servicen la fin du manuscrit de son roman sur Goethe[20], dont la sortie est initialement fixĂ©e Ă  .

L'aprĂšs-guerre : passage de Gallimard Ă  Albin Michel

La traduction française de Charlotte à Weimar ne paraßt toutefois ni en , ni en 1941 (date à laquelle Louise Servicen avait achevé son travail), mais quatre ans plus tard, à la Libération. En , Katia Mann tente de calmer l'inquiétude de Bermann Fischer qui, face au silence des éditions Gallimard, de toute évidence incapables d'honorer leur contrat d'édition sous l'Occupation, envisage de faire publier une traduction française du roman chez un éditeur canadien. La femme de Thomas Mann parvient finalement à rassurer l'éditeur en invoquant un revirement de situation, à tout moment possible en France[21]. Louise Servicen profite d'ailleurs de cet ajournement de la publication pour réviser et améliorer sa traduction avec l'aide de sa mÚre Astiné, ainsi qu'elle le confie de façon trÚs étonnante dans une interview de (cf. plus bas).

En 1948, Gallimard fait paraĂźtre en traduction française le dernier tome de la tĂ©tralogie de Joseph, Joseph le Nourricier, tandis que l'Ă©diteur de livres d'art Jean Porson publie en 1947 la traduction de Louise Servicen de Les Hauts de Hurlevent d'Emily BrontĂ«, sous le titre Les Hauts des TempĂȘtes (le roman avait Ă©tĂ© dĂ©jĂ  traduit par FrĂ©dĂ©ric Delebecque en 1925 sous le titre mĂ©morable: Les Hauts de Hurle-Vent).

1949 marque un passage plus prolongĂ© de la traductrice chez Albin Michel: la maison de la rue Huyghens rachĂšte ainsi Les Hauts des TempĂȘtes et publie Les TĂȘtes interverties, qui avait Ă©tĂ© auparavant proposĂ©, en mĂȘme temps que Das Gesetz, Ă  Grasset. Thomas Mann montre au lendemain de la guerre une certaine lassitude vis-Ă -vis de la maison Gallimard et suppose, dans une lettre Ă  Martin Flinker du , que ses ouvrages parus chez Gallimard, la tĂ©tralogie de Joseph comme Lotte Ă  Weimar, malgrĂ© le succĂšs annoncĂ© par l'Ă©diteur, ne gagnent guĂšre le public. Thomas Mann recherche donc un nouveau souffle auprĂšs d'autres Ă©diteurs, tels qu'Albin Michel, dont le directeur littĂ©raire, Robert Sabatier, annonce sa volontĂ© d'inscrire l'Ă©crivain au catalogue. En 1950, la puissante maison d'Ă©dition organise une soirĂ©e en l’honneur de Thomas Mann Ă  l’hĂŽtel Ritz et lui remet Ă  cette occasion la premiĂšre version française du « livre de [s]on cƓur, rĂ©sumĂ© de [s]a vie »[22], ainsi qu'il dĂ©finit lui-mĂȘme son Docteur Faustus dans le bref discours "Pariser EindrĂŒcke 1950"[23]. L’ouvrage remporte un franc succĂšs auprĂšs des critiques, qui, comme Thomas Mann dans son discours, soulignent la maĂźtrise tout Ă  fait Ă©tonnante de la traductrice et saluent sa patiente recherche stylistique (Louise Servicen recourt en effet Ă  une sorte de français mĂątinĂ© de Rabelais pour restituer l'allemand prĂ©cieux et archaĂŻque du hĂ©ros LeverkĂŒhn). Pour un peu, le roman n'aurait cependant pas Ă©tĂ© traduit par Louise Servicen qui, en 1947, recula devant l'ampleur de la tĂąche. FĂ©lix Bertaux s'Ă©tait proposĂ© comme traducteur en , mais ce fut finalement Thomas Mann lui-mĂȘme qui Ă©crivit Ă  "Mlle Servicen" afin de vaincre ses derniĂšres rĂ©ticences.

Les traductions se succĂšdent Ă  une cadence assez rapide chez Albin Michel : L’Élu (1952), Le Mirage (1954), Les Confessions du chevalier d’industrie Felix Krull (1956), DĂ©ception et autres nouvelles (1957), certaines de ces traductions Ă©tant soit prĂ©publiĂ©es dans diverses revues (La Table ronde, Lettres Nouvelles, etc.), soit reprises ultĂ©rieurement dans des collections populaires de club du livre.

Dans les annĂ©es 1950, Servicen renoue Ă©galement avec l’italien, depuis sa derniĂšre traduction, les Carnets de LĂ©onard de Vinci, publiĂ©s en 1942 par Gallimard et prĂ©facĂ©s par Paul ValĂ©ry. À partir de 1954, Gallimard fait paraĂźtre une Ă©dition intĂ©grale des piĂšces de Luigi Pirandello rassemblant, au sein de neuf volumes, des traductions de Benjamin CrĂ©mieux, de sa femme Marie-Anne ComnĂšne et de Louise Servicen.

Les années 1960-1970

Ces années, comme les précédentes au demeurant, sont jalonnées non seulement de traductions de valeurs de la littérature étrangÚre : Thomas Mann, mais aussi Henry James, V. S. Naipaul, F. S. Fitzgerald pour divers éditeurs, mais aussi de travaux plus alimentaires, comme un roman de Marguerite Steen, par exemple, ou plusieurs traductions en rapport avec l'art et la géographie pour Albin Michel, dans les années 1960.

De 1966 Ă  1973, Louise Servicen traduit les lettres de Thomas Mann sĂ©lectionnĂ©es par sa fille, Erika, et publiĂ©es par Fischer (1961-1965) : ce travail de longue haleine donne lieu Ă  quatre volumes chez Gallimard. À partir du dĂ©but des annĂ©es 1970, c’est l’Ɠuvre essayistique de Thomas Mann qui connaĂźt un regain d’intĂ©rĂȘt, chez Aubier et Grasset. En 1969-1970, alors que paraĂźt un recueil d’essais et discours de Thomas Mann chez Aubier, la fameuse maison dĂ©tentrice de la collection des bilingues Ă©trangers dĂ©sespĂšre de trouver des inĂ©dits de Thomas Mann Ă  faire traduire et publier et envisage − finalement sans succĂšs − de poursuivre une politique d’édition de textes de Thomas Mann : Madeleine Aubier-Gabail souhaite par exemple rĂ©Ă©diter en format bilingue Les TĂȘtes interverties dans la traduction de Louise Servicen, mais le directeur d’Albin Michel, Robert Sabatier, refuse la cession ; Louise Servicen propose pour sa part − lĂ  encore infructueusement − de donner une nouvelle traduction de Tristan, dont Fayard garde cependant jalousement les droits acquis auprĂšs de Kra. Dans la maison Grasset, cette nouvelle impulsion coĂŻncide avec l’arrivĂ©e de Jacques Brenner, qui devient rapidement un lecteur et un conseiller Ă©ditorial d’influence rue des Saints-PĂšres. À la mort de GeneviĂšve Bianquis, en 1972, Brenner, qui avait dĂ©jĂ  fait paraĂźtre des traductions de nouvelles de Thomas Mann en 1955 dans les Cahiers des saisons, rĂ©Ă©dite chez Grasset Altesse royale et charge au prĂ©alable Louise Servicen de rĂ©viser la version de l’universitaire traductrice de Dijon. L’annĂ©e suivante, le conseiller Ă©ditorial de Grasset prĂ©face et publie un recueil de nouvelles de Thomas Mann, comprenant la traduction de Mario et le magicien d'AndrĂ© Gailliard et des rĂ©cits inĂ©dits traduits par Louise Servicen. Les annĂ©es 1973 Ă  1979 sont ensuite consacrĂ©es Ă  divers essais et discours de Thomas Mann, toujours prĂ©facĂ©s par Jacques Brenner, mais traduits conjointement par Louise Servicen et Jeanne Naujac (disparue en 2001), ancienne Ă©lĂšve du germaniste Joseph-François Angelloz et agrĂ©gĂ©e d’allemand (1940) en poste au lycĂ©e Camille SĂ©e de Paris : L’Artiste et la sociĂ©tĂ© (1973), Les Exigences du jour (1976), Les MaĂźtres (1979).

En 1975, alors que paraĂźt sa traduction des ConsidĂ©rations d’un apolitique (effectuĂ©e lĂ  encore avec Jeanne Naujac) et qu’elle reçoit le prix de l’AcadĂ©mie française pour l’ensemble de son Ɠuvre, Louise Servicen disparaĂźt Ă  Boulogne-Billancourt Ă  l’ñge de 79 ans.

Quand Louise Servicen parle de Thomas Mann et de son travail de traductrice

D'une nature extrĂȘmement discrĂšte et modeste qui alimente l'image proverbiale de l'invisibilitĂ© du traducteur, Louise Servicen n'aimait guĂšre livrer des Ă©lĂ©ments d’ordre personnel sur son activitĂ© de traductrice, ses traductions ainsi que sur ses rapports avec Thomas Mann. Elle relativisait ses dons linguistiques par quelque bon mot (Jacques Brenner rapporte ainsi : « Si l’on devait admirer les gens qui parlent beaucoup de langues, il faudrait d’abord s’incliner devant les portiers des grands hĂŽtels », rĂ©pondait un jour Louise Servicen Ă  quelqu’un qui s’émerveillait de la voir connaĂźtre parfaitement cinq langues et avoir des lumiĂšres sur quelques autres) et dĂ©truisit la plupart de ses papiers, Ă  l'exception de sa correspondance avec Thomas Mann, confiĂ©e au fonds Thomas Mann de Zurich. Louise Servicen ne laisse dans ses archives que quelques rares coupures de presse relatives Ă  son travail - si l'on fait Ă©videmment abstraction de ses traductions que GĂ©rard Genette, dans Palimpsestes (1982), range au nombre des « chefs-d’Ɠuvre »[24]. Dans deux articles de 1975, elle revient, certes trĂšs briĂšvement, sur Thomas Mann et ses traductions: un entretien avec Nicole Casanova publiĂ© dans Le Quotidien de Paris (), Ă  l'occasion du centenaire de la naissance de Mann, et une courte contribution aux Cahiers de l'Herne Thomas Mann (sous la direction de F. Tristan), intitulĂ©e "Thomas Mann et la traduction" (p. 194-195).

C'est lorsqu'elle eut achevé sa traduction des Histoires de Jacob, en , qu'elle noue un premier contact épistolaire () avec l'écrivain allemand, afin de lui soumettre quelques points de traduction qu'elle évoque dans les deux documents précités. Elle rencontre Thomas Mann un peu plus tard, à Paris, lorsque ce dernier, en exil et définitivement déchu de sa nationalité depuis le , séjourne briÚvement à Paris, le . Louise Servicen explique ainsi à Nicole Casanova :

« Quand il est passĂ© par Paris, tout de suite aprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©chu de la nationalitĂ© allemande. Il m’avait dit alors : ‘Le travail, que deviendrions-nous si nous n’avions pas le travail ?’ Il Ă©tait assailli par les journalistes. Sa femme lui disait : ‘Tommy, il y a telle ou telle personne qui attend.’ Alors il rĂ©pondait : ‘Arbeiten muss ich, arbeiten
’ Il Ă©tait hantĂ© par cette pensĂ©e.[25] »

En , la traductrice compte également parmi les gens de lettres, membres de l'Académie française, germanistes, traducteurs, philosophes et poÚtes, invités à la réception mondaine donnée par Albin Michel[26], à l'occasion de la remise du premier exemplaire du Docteur Faustus à Thomas Mann. Le lendemain de cette réception de , Thomas Mann se livre à une séance de dédicace de trois heures Quai des OrfÚvres, dans la librairie de son ami l'Autrichien Martin Flinker et de son fils Karl[27], que Louise Servicen, comme de nombreux germanistes parisiens, fréquentait et connaissait trÚs bien. Elle évoquera ce séjour de 1950 dans les quelques lignes qu'elle confiera à Martin Flinker pour son volume Hommage de la France à Thomas Mann (1955). Elle écrit ainsi:

« D’autres parleront de son gĂ©nie. Je veux, moi, seulement dire sa grande bontĂ©, l’indulgence qu’il tĂ©moigne Ă  celle qui depuis plus de vingt ans a la fiertĂ© et la joie d’ĂȘtre sa traductrice, ses bienveillants encouragements quand la tĂąche semble particuliĂšrement ardue. Pour finir, une petite anecdote: en 1950, lorsqu’il vint faire Ă  Paris un bref sĂ©jour qui fut un triomphe, Ă  sa descente d’avion au Bourget, le douanier chargĂ© de la visite des bagages indiqua Ă  Mme Thomas Mann un certain nombre de valises et demanda si elles appartenaient Ă  l’illustre Ă©crivain. Sur la rĂ©ponse affirmative, il dit : ‘Il n’y a pas Ă  les visiter. Passez.’ Cet hommage d’un obscur gabelou en terre Ă©trangĂšre, n’est-ce pas cela, la gloire ? »

La traductrice lĂšve tout aussi rarement le voile sur sa façon de travailler, mais rĂ©vĂšle, par exemple, l’importante contribution de sa mĂšre, personnalitĂ© extrĂȘmement exigeante, dans la relecture, voire dans la traduction en soi (Jacques Brenner rapporte dans son article "Les Cent Livres de Louise Servicen" la "fiĂšre devise" de "madame AstinĂ©" : « Le mot bon n’a aucun sens quand existe le mot meilleur. »). Louise Servicen ne fait jamais mystĂšre de cette collaboration pour ses premiĂšres grandes traductions :

« Il vaut mieux la [l’aventure spirituelle de la traduction] vivre Ă  deux. Avant de travailler avec Mlle Naujac, qui est agrĂ©gĂ©e d’allemand et tout Ă  fait charmante, j’ai eu le bonheur d’avoir longtemps ma mĂšre auprĂšs de moi. Elle Ă©tait un guide incomparable. Quand j’ai donnĂ© Ă  Gallimard la traduction de Lotte Ă  Weimar, la guerre a Ă©clatĂ©. Ma mĂšre a dit : ‘C’est la plus affreuse catastrophe du monde, mais du moins nous allons pouvoir recommencer Lotte Ă  Weimar’. ‘Pourquoi donc, puisque Paulhan trouve que c’est bon ?’ ‘Le mot bon, a rĂ©pondu ma mĂšre, n’a aucun sens quand existe le mot meilleur’. Et nous avons recommencĂ©. Pendant quatre ans, nous avons travaillĂ©. La nuit, nous nous rĂ©veillions parfois, nous disions : ‘Tel mot serait peut-ĂȘtre plus juste, aurait plus de rĂ©sonance, serait plus musical, plus exact
’ C’était trĂšs passionnant.[28] »

Louise Servicen montre par ailleurs une attention aiguĂ« Ă  ce qu’elle nommait l’« orchestration » de l’Ɠuvre originale et Ă  la nĂ©cessitĂ© de restituer au plus prĂšs la « pianistique » [29] de l’Ɠuvre, sa musique, le rythme et la couleur des mots originaux. Dans une des seules anecdotes qu’elle livre de sa traduction des Histoires de Jacob, effectuĂ©e dans la premiĂšre moitiĂ© des annĂ©es 1930, la traductrice insiste sur la consubstantialitĂ© de la pensĂ©e et de la musique chez Thomas Mann et sur le pouvoir fulgurant d’inspiration de la simple « sonoritĂ© d’une phrase » :

« Rien n’est plus exaltant, et dĂ©cevant, pour un traducteur, que le corps-Ă -corps avec la langue allemande. Alors que l’italien, ou mĂȘme l’anglais, se transvasent avec une moindre difficultĂ© d’un idiome Ă  l’autre, les vocables germaniques, composĂ©s de plusieurs strates, prĂ©sentent Ă  chaque instant des problĂšmes dĂ©licats. Et dans cette langue si riche et complexe qu’est l’allemand, le ‘thomas-mannien’, si j’ose dire, forme Ă  son tour une langue en soi, avec son rythme musical, les rĂ©pĂ©titions wagnĂ©riennes de ses leitmotive, la cadence de sa longue phrase qui se dĂ©roule comme un fleuve aux innombrables affluents et plonge dans l’étonnement ses compatriotes eux-mĂȘmes, la richesse de son vocabulaire. Il faudrait, pour le restituer, disposer de mots Ă  multiples facettes, ou pouvoir les inscrire comme des portĂ©es musicales, des accords aux notes superposĂ©es. Lui-mĂȘme a toujours Ă©tĂ© d’une extrĂȘme bienveillance pour tous ses traducteurs ; mais au fond il n’en pensait pas moins, et dans ses Lettres, qui viennent rĂ©cemment de paraĂźtre, il commente avec une indulgence un peu dĂ©sabusĂ©e le problĂšme de la traduction, notamment lorsqu’il s’agit de poĂ©sie. C’est surtout, je crois, au rythme qu’il Ă©tait le plus sensible. Et aussi Ă  la couleur, au mot qui fait balle, qui Ă©clate en fanfare. Il a dit que parfois la sonoritĂ© d’une phrase l’incitait Ă  dĂ©velopper − musicalement − telle ou telle pensĂ©e.

Quant Ă  la traduction, il se souciait moins du mot Ă  mot que de l’impression produite. On m’excusera de citer un souvenir personnel, mais je me rappelle lui avoir jadis Ă©crit pour lui demander si der schöne Mond, la ‘belle lune’, un des leitmotive des Histoires de Joseph, avait une acception cachĂ©e. Il me rĂ©pondit que der schöne Mond signifiait bien ‘la belle lune’ et que c’était une expression babylonienne ; mais l’épithĂšte lui semblait trop plate en français et il suggĂ©ra d’y substituer ‘la lune radieuse’, plus farbvoll, plus colorĂ©e Ă  son sentiment. De mĂȘme pour Rachel, fille de Jacob, en allemand die Rechte. La Bible l’appelle la Droite. Or il Ă©tait Ă©galement question d’un des fils de Jacob surnommĂ© der gerade Gad. Gad le Droit. RĂ©pĂ©ter le mĂȘme mot ? Je fis part Ă  Thomas Mann de mon scrupule. Il me rĂ©pondit aussitĂŽt que peu lui importait la traduction littĂ©rale et remplaça incontinent Gad le Droit par l’honnĂȘte Gad
 [30] »

Distinctions

Publications

Louise Servicen est l’auteur d'une centaine de traductions, allant d’ouvrages de littĂ©rature populaire ou documentaire Ă  des chefs-d’Ɠuvre de la littĂ©rature mondiale, en passant par de simples articles.

Traductions

(classĂ©es par maisons d’édition)

Gallimard

  • A.E. Zucker (anglais), La Vie d’Ibsen le constructeur, 1931
  • Constance Sitwell (anglais), Fleurs et ÉlĂ©phants, 1933
  • Stuart Chase (anglais), Mexique : Étude comparĂ©e des deux AmĂ©riques, 1935
  • EugĂ©nie Schumann (allemand), Robert Schumann, 1937
  • LĂ©onard de Vinci (italien), Carnets, 1942
  • Thomas Mann (allemand)
    • Joseph et ses frĂšres : Les Histoires de Jacob, 1935
    • Le Jeune Joseph, 1936
    • Joseph en Égypte, 1938
    • Joseph le nourricier, 1948
    • Charlotte Ă  Weimar, 1945
    • Lettres, 4 volumes, avant-propos d’Erika Mann, 1966-1973
  • Luigi Pirandello (italien)
    • Un, personne et cent mille, roman, 1934
    • ThĂ©Ăątre, traductions de Benjamin CrĂ©mieux, Marie-Anne ComnĂšne et Louise Servicen, 1954
  • Hans Scholz (allemand), Aux abords verdoyants de la Spree, 1960
  • Elio Vittorini (italien), Journal en public, 1961
  • Gregor von Rezzori (allemand), L’Hermine souillĂ©e, 1961
  • V.S. Naipaul (anglais), Une maison pour monsieur Biswas, 1964
  • F.S. Fitzgerald (anglais), Les Heureux et les DamnĂ©s, 1964
  • David Lytton (anglais), Les Habitants du Paradis, 1966.
  • Oskar Kokoschka, Mirages du passĂ©, 1966
  • Erika Mann (allemand), La DerniĂšre AnnĂ©e, 1967
  • Lucy Boston, Les CheminĂ©es enchantĂ©es, 1968
  • N. Mosley (anglais), Assassins, 1969
  • Thomas Bernhard, La PlĂątriĂšre, 1974

Albin Michel

  • Gustav Frenssen (allemand), Le Naufrage de l’Anna-Hollmann, 1942
  • Gustav Frennsen, Jörn Uhl (allemand), traduction sous le pseudonyme de Pierre Vence?, 1943
  • Hans Fallada (allemand), Gustave-de-fer, traduction sous le pseudonyme de Pierre Vence ?, 1943
  • Hans Grieshaber, Vingt Ans de voyage autour du monde, 1946 (rĂ©Ă©dition en 1955 sous le titre : Trente ans de voyage autour du monde)
  • Thomas Mann (allemand)
    • Les TĂȘtes interverties, 1949
    • Docteur Faustus, 1950
    • L’Élu, 1952
    • Le Mirage, 1954
    • Les Confessions du chevalier d’industrie Felix Krull, 1956
    • DĂ©ception et autres nouvelles, 1957
  • Emily BrontĂ« (anglais), Les Hauts des TempĂȘtes, 1949
  • RenĂ© FĂŒlöp-Miller (anglais), DostoĂŻevski, l'intuitif, le croyant, le poĂšte, 1954
  • Henry James (anglais), Le Dernier des Valerii et autres nouvelles, 1959
  • Thubten Dschigme Norbu, Heinrich Harrer (allemand), Tibet, patrie perdue, 1963
  • Julius Meier-Graefe (allemand), Vincent Van Gogh : le roman de celui qui cherchait Dieu, 1964

Collection « L’Art dans le monde »

  • H.D. Disselhoff, AmĂ©rique prĂ©colombienne : les hautes civilisations du Nouveau monde, 1961
  • A. BĂŒhler, OcĂ©anie et Australie, 1962
  • I. Woldering, Égypte : l’art des pharaons, 1963
  • K. Jettmar, L’Art des steppes, 1965
  • P. Verzone, L’Art du haut Moyen Ăąge en Occident, 1975

Grasset

  • Thomas Mann (allemand)
    • Altesse royale, traduction de G. Bianquis, rĂ©visĂ©e par L. Servicen, prĂ©face de J. Brenner, 1972.
    • Mario et le magicien, et autres nouvelles, traductions d’A. Gaillard et L. Servicen, prĂ©face de J. Brenner, 1973.
    • L’Artiste et la SociĂ©tĂ©, prĂ©facĂ© par J. Brenner, 1973.
    • ConsidĂ©rations d’un apolitique, traduction de L. Servicen et J. Naujac, prĂ©face de J. Brenner, 1975.
    • Les Exigences du jour, traduction de L. Servicen et J. Naujac, prĂ©face de J. Brenner, 1976.
    • Les MaĂźtres, prĂ©cĂ©dĂ© de FrĂ©dĂ©ric et la Grande Coalition, traduction de L. Servicen et J. Naujac, prĂ©face de J. Brenner, 1979.
  • Ernst JĂŒnger, Rivarol et autres essais, traduction de Jeanne Naujac et Louis Eze, 1974.

Plon

  • Hugo von Hofmannsthal (allemand), Lettres : 1919-1929, 1960
  • Thomas Mann (allemand), Le Journal du Docteur Faustus, 1961
  • Reinhard Lettau (allemand), Promenade en carrosse, nouvelles, 1963

PUF

  • Thomas Mann (allemand), Essai sur Schiller, 1956

Aubier-Montaigne (Flammarion)

  • Friedrich Nietzsche (allemand), Ainsi parlait Zarathoustra, traduction de G. Bianquis, rĂ©visĂ©e et complĂ©tĂ©e par Louise Servicen, 1969
  • Henry James (anglais), Nouvelles, 1969
  • Henry James (anglais), Histoires de fantĂŽmes, 1970
  • Thomas Mann (allemand), Sur le mariage ; Freud et la pensĂ©e moderne ; Mon temps, 1970

Denoël

  • Henry James (anglais), Carnets, 1954
  • Henry James (anglais), La Maison natale et autres nouvelles, 1972
  • Klaus Mann (allemand), Mephisto, 1975

Calmann-LĂ©vy

  • E. Welty (anglais), La Fille de l'optimiste, 1974.

Éditions du Rocher

  • Friedrich Nietzsche (allemand), Lettres Ă  Peter Gast, 1957

Librairie des Champs-ÉlysĂ©es

Del Duca

  • Felice Bellotti (italien), Formose, l'Ăźle aux deux visages, 1959

Tallandier

  • R.L. Stevenson (amĂ©ricain), Le Roi de Babylone, 1932

Notes et références

  1. Transcription de l'acte de décÚs (avec date et lieu de naissance) à Boulogne-Billancourt, à la mairie de Paris 17e, n° 1534, vue 24/31.
  2. cf. Carmont, Pascal, les Amiras, seigneurs de l'Arménie ottomane, Paris, Salvator, 1999
  3. Cf. Hartmann, Elke, "The 'Loyal Nation' and its deputies: The Armenians in the first Ottoman parliament, in: Herzog, Christoph / Sharif, Malek, The first Ottoman experiment in democraty, WĂŒrzburg, Ergon Verlag, 2010
  4. Anahide Ter Minassian, « Une famille d'amiras arméniens : les Dadian », dans Daniel Panzac, Histoire économique et sociale de l'Empire ottoman et de la Turquie (1326-1960) : Actes du sixiÚme congrÚs international tenu à Aix-en-Provence du 1er au 4 juillet 1992, Peeters Publishers, , 882 p. (ISBN 978-9068317992)
  5. "Les Cent Livres de Louise Servicen", par Jacques Brenner, Le Figaro, 24-25 février 1973. Des parties de l'interview sont reprises dans: Brenner, Jacques, Tableau de la vie littéraire en France, Luneau Ascot éditeurs,1982, p. 265-266
  6. Le Figaro, 24-25 février 1973
  7. Mann, Thomas, "Pariser Rechenschaft", in: Über mich selbst, Autobiographische Schriften, Fischer Verlag, 2001, pp. 271-357.
  8. Sur ce second voyage, cf. Mann, Thomas, Briefe und Kommentar, II, Fischer, 2011.
  9. Quoique apprĂ©ciĂ©s, quelques-uns de ces germanistes ne reprĂ©sentaient pas nĂ©cessairement des valeurs sĂ»res en matiĂšre de traduction. La traduction de La Mort Ă  Venise par Bertaux et son ancien professeur Ch. Sigwalt pratique quelques raccourcis et frise la parodie grandiloquente du style thomas-mannien, comme l'atteste une lettre de Thomas Mann Ă  FĂ©lix Bertaux de mars 1924: traduisant "Grille" (l'idĂ©e fixe, la manie), Bertaux avait proposĂ© un "papillon noir que l'on chasse de la main", ce que l'auteur rectifia comme il se devait par "idĂ©e fixe". En 1970, lorsque La Mort Ă  Venise est rĂ©Ă©ditĂ©e chez Fayard, parallĂšlement Ă  la sortie du film de Visconti, Katia Mann reconnut elle-mĂȘme que la version de l'ami FĂ©lix Bertaux Ă©tait bien en deçà de celle de Philippe Jaccottet (Mermod, 1947), qu'il aurait fallu privilĂ©gier.
  10. Une vive polĂ©mique eut lieu autour de cette nouvelle dont on ignora bien longtemps le nom du traducteur. Par sa thĂ©matique (l'inceste entre frĂšre et sƓur d'une famille juive aux prĂ©noms pour le moins wagnĂ©riens) et les scandales pressentis, la nouvelle avait Ă©tĂ© retirĂ©e par Thomas Mann des Gesammelte Werke de 1925 (Fischer Verlag). Le livre fut donc pour la premiĂšre publiĂ© en français, en 1931, chez Grasset. Le scandale Ă©clata en aoĂ»t 1931 dans le journal Les Nouvelles littĂ©raires, Ă  l'initiative d'un certain Jacques Lobstein: le journaliste accusait ouvertement Thomas Mann d'avoir intĂ©grĂ© une part d'autobiographie Ă  cette scabreuse histoire et l'Allemagne de donner Ă  publier aux Ă©diteurs français ce qu'elle jugerait trop scandaleux ou intolĂ©rable pour son propre marchĂ©. Thomas Mann rĂ©pondit lui-mĂȘme Ă  cette incrimination dans les pages des Nouvelles littĂ©raires. L'absence du nom du traducteur allait sans doute de pair avec le caractĂšre sulfureux de ce rĂ©cit. Thomas Mann ayant en personne proposĂ© ce titre de "Sang rĂ©servĂ©" (pour "WĂ€lsungenblut"), d'aucuns Ă©mirent mĂȘme l'hypothĂšse que c'Ă©tait l'auteur qui avait lui-mĂȘme traduit son rĂ©cit.
  11. Mann, Thomas, Briefwechsel mit seinem Verleger Bermann Fischer (1932-1955), Fischer Verlag, 1973, p. 25: "Fayard hat sich durch die mutige Herausgabe meiner großen Romane um mich verdient gemacht, und einen plausiblen Grund, mich jetzt von ihm zurĂŒckzuziehen, habe ich eigentlich nicht. Ich habe ihm den 'Joseph' angeboten und er hat sein prinzipielles Interesse geĂ€ußert, wenn er auch freilich den ersten Band erst zu sehen wĂŒnscht. Es könnte ja sein, dass er ihn befremdet und ihm keinen Erfolg verspricht, und darum habe ich nichts dagegen, das Buch gleichzeitig auch der Librairie Plon anzubieten. Senden Sie also bitte auch ein Exemplar an Plon und schreiben Sie ihm, wie die Dinge liegen, das heißt, dass ich Fayard ein gewisses Vorrecht einrĂ€umen muss, dass aber er nach ihm in erster Linie in Betracht kommen soll. Sollten Sie allerdings Schwerwiegendes ĂŒber Fayards SoliditĂ€t gehört haben, so wĂ€re das natĂŒrlich bedenklich. Bisher habe ich keine schlechten Erfahrungen mit ihm gemacht, Sie mĂŒssten mir da schon Positives mitteilen."
  12. Mann, Thomas, "Pariser Rechenschaft", in: Über mich selbst: Autobiographische Schriften, Fischer Verlag, 2001, p. 352: "Vorerst kamen Bertaux und Monsieur Pierre-Quint, einer der Chefs des Verlagshauses Kra, bei dem der 'Tod in Venedig' erschien. Wir fuhren in die Champs-ElysĂ©es, wo die Firma Kra uns in einem Restaurant namens 'Cabaret' ein AusternfrĂŒhstĂŒck gab. Es galt die Besprechung grosser Dinge, der Übersetzung aller meiner Arbeiten, einer Art von französischer Gesamtausgabe, die Kra, ermutigt durch die Teilnahme, die 'La Mort Ă  venise' gefunden, im Laufe einiger Jahre zu bewerkstelligen gedenkt."
  13. Mann, Thomas, Lettre Ă  FĂ©lix Bertaux, 31 mars 1927, in: Mann, Thomas, Briefe II, Fischer Verlag, 2011, pp. 280-281: "Von Herrn Pierre-Quint hatte ich neulich den Brief, den ich im Stillen von ihm erwartet hatte. Er ist außer sich ĂŒber den Umfang von Buddenbrooks, deren Seiten- oder Wörterzahl er nun von Ihnen erfragt hat. Ist es nicht eigentlich ein bisschen komisch, dass ein Verleger es öffentlich und feierlich ĂŒbernimmt, BĂŒcher herauszubringen, die er nicht nur nicht kennt, sondern von deren Ă€ußerem Format er gar keine Vorstellung hat? Nun ist er verzweifelt, erklĂ€rt, dass es keine Form gibt, in der dieser Roman in Frankreich erscheinen kann, und will vorderhand zu Königliche Hoheit zurĂŒckkehren, was mir schon deshalb nicht lieb ist, als dadurch der Konflikt mit Madame ValĂšre-Gille wieder aktuell wĂŒrde. Da ich ihm nicht helfen kann,, wird mir wohl nichts ĂŒbrig bleiben, als die HĂ€nde in den Schoß zu legen und die Entwicklung meiner französischen Übersetzungsangelegenheiten passiv abzuwarten."
  14. Mann, Thomas, Lettre Ă  FĂ©lix Bertaux, 31 mars 1927, in: Mann, Thomas, Briefe II, Fischer Verlag, 2011, p. 280: "Ich muss Ihnen endlich doch noch vielmals danken fĂŒr die MĂŒhe, die Sie sich mit dem Gutachten ĂŒber die ÜbersetzungskĂŒnste der Madame ValĂšre-Gille gemacht haben. Ihre Äußerung kann sehr wichtig fĂŒr mich werden, wenn die Frau mich dazu herausfordert, schweres GeschĂŒtz gegen sie aufzufahren."
  15. Dans son compte-rendu critique pour la revue Europe, le germaniste FĂ©lix Bertaux Ă©crit ainsi le 15 avril 1933 Ă  propos de la traduction des Buddenbrook par Mlle Bianquis: "Que Mlle GeneviĂšve Bianquis, Ă  laquelle nous devons de savantes Ă©tudes sur la littĂ©rature allemande et sur Thomas Mann lui-mĂȘme, ait acceptĂ© de traduire Les Buddenbrook, c'Ă©tait une garantie de compĂ©tence et de probitĂ© de la traduction. Qu'elle se soit, pour le premier tome, adjoint deux collaboratrices, seule l'unitĂ© de ton en a un peu souffert." Dans une lettre adressĂ©e Ă  G. Bianquis, en janvier 1930, Thomas Mann exprime ses craintes relatives aux traductions en collaboration: "Ich höre mit einiger Beunruhigung, dass bei beiden Romanen [Altesse royale et Les Buddenbrook] die Übersetzung von mehreren Personen ausgefĂŒhrt werden soll, wobei natĂŒrlich die Gefahr der Uneinheitlichkeit des Stiles besteht. Ich hoffe, dass durch Ihre Oberkontrolle und Ïhre Überarbeitung des Ganzen diese Gefahr vermieden werden kann." In: Mann, Thomas, Briefe II, Fischer Verlag, 2011, p. 436.
  16. Lettre Ă  Madeleine Aubier-Gabail, 3-11-1969
  17. Jacques Brenner, Tableau de la vie littéraire en France d'avant-guerre à nos jours, Luneau Ascot éditeurs, , p. 266
  18. (de) Thomas Mann, TagebĂŒcher: 1933-1934, Fischer Verlag, , p. 329
  19. Sur Suzanne Clauser traductrice de Arthur Schnitzler, cf. Zieger, Karl, "EnquĂȘte sur une rĂ©ception: Arthur Schnitzler et la France: 1894-1938", Presses Universitaires du Septentrion, 2012
  20. (de) Thomas Mann, Briefwechsel mit seinem Verleger Bermann Fischer (1932-1955), Fischer Verlag, , p. 245-246
  21. Mann, Thomas, Briefwechsel mit seinem Verleger Bermann Fischer (1932-1955), Fischer Verlag, 1973, p. 290 (lettre du 1er septembre 1941): "Was Ihre Frage wegen der französischen Ausgabe in Canada betrifft, so hatten wir mit Gallimard nicht nur einen Vertrag wegen der 'Lotte', sondern die Übersetzung war vollkommen fertig gestellt - von derselben sehr guten Übersetzerin, die auch die 'Joseph'-BĂŒcher ĂŒbertragen hat - und stand unmittelbar vor dem Erscheinen. Wie nun die Rechtslage ist, weiß ich nicht, aber sogar abgesehen von dieser wĂ€re es, glaube ich, nicht sehr weise, jetzt eine französische Ausgabe in Canada zu veranstalten, da sich doch in absehbarer Zeit die Situation in Europa und damit auch in Frankreich grĂŒndlich Ă€ndern könnte, so dass die Möglichkeit, eine regulĂ€re Ausgabe in Frankreich herauszubringen, wieder bestĂŒnde."
  22. Mann, Thomas, "Pariser EindrĂŒcke 1950", in: Über mich selbst: Autobiographische Schriften, Fischer Verlag, 2001, p. 361: "Aber dies ist entschieden der Ort, meiner Freude Ausdruck zu geben ĂŒber die beinahe erregte Aufnahme, die mein 'Doktor Faustus' dank einer Übersetzung, deren Meisterschaft das Erstaunlichste an der Sache ist, beim Pariser Publikum, bei der französischen Kritik gefunden hat. Ich sage: es ist der rechte Ort, denn Flinkers, Vater und Sohn, haben viel getan, dies Buch meines Herzens, dies ResĂŒmee meines Lebens, so muss ich es wohl nennen, unter die Leute zu bringen, so dass der Mut Albin Michels mit Erfolg belohnt wurde."
  23. Mann, Thomas, "Pariser EindrĂŒcke 1950", in: Über mich selbst: Autobiographische Schriften, Fischer Verlag, 2001, pp. 360-361.
  24. GĂ©rard Genette, Palimpsestes, Le Seuil, , chapitre LXI
  25. (Le Quotidien de Paris, 29 mai 1975)
  26. Sur cette réception, cf. Delétang-Tardif, Yanette, "Visite à Thomas Mann", in: Sud Ouest, 21 mai 1950.
  27. Martin et Karl Flinker : de Vienne à Paris / textes réunis par Isabelle Pleskoff ; avec la collab. de Rohi Greenwald. - Paris : Musée d'art et d'histoire du judaïsme : IMEC, 2002
  28. Le Quotidien de Paris, 29 mai 1975
  29. Tristan, Frédérick, Réfugié de nulle part, Paris, Fayard, 2010.
  30. Servicen, Louise, « Thomas Mann et la traduction », in : Thomas Mann, Cahiers de l’Herne, sous la direction de F. Tristan, 1975, pp. 194-195

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