Lobby nucléaire
Le lobby nucléaire est un groupe d'intérêts exerçant une influence auprès des personnalités politiques, des médias et de l'opinion publique en vue de soutenir l'utilisation de l'énergie nucléaire.
Le lobby nucléaire est engagé dans le débat sur l'énergie nucléaire qui met en jeu de nombreux acteurs (industriels, technocrates, organisations étatiques, associations d'expert, associations écologiques…), en avançant les arguments pro-nucléaires.
Les mouvements antinucléaires dénoncent la collusion qui existe entre, selon eux, les exploitants d'installations nucléaires, les institutions internationales, les institutions étatiques, les grands médias et une partie du monde de la recherche[1] - [2] - [3] - [4] - [5] - [6].
Face au groupe de pression sur le nucléaire, des associations écologiques et d'experts développent des argumentaires à opposer aux avantages de l'énergie nucléaire.
Enjeux et faits
Le lobby nucléaire se compose des grandes institutions, entreprises et corps, maîtres d'œuvre de la filière organisant les recoupements entre les intérêts liés à la technologie civile du nucléaire, à son étude et utilisation scientifiques et industrielles, et ceux liés à ses applications militaires.
Pour les militants antinucléaires, les membres du lobby nucléaire, en particulier les plus influents, forme une élite de « nucléocrates » : fonctionnaires ou industriels pro-nucléaires, hommes politiques. Le lobby nucléaire contrôlerait selon eux tout débat sur le nucléaire et sur l’énergie, et diffuse un discours pro-nucléaire auprès des élus, dans les écoles et dans les médias, au bénéfice de l'industrie nucléaire.
Les partisans de l'énergie nucléaire dénoncent de leur côté les a priori des antinucléaires qui seraient atteints de « nucléophobie », c'est-à -dire une peur irraisonnée et idéologique de tout ce qui peut avoir trait à l'énergie nucléaire, assimilée immédiatement aux bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki ou aux catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima. Pourtant, selon une étude, la production d'électricité par le nucléaire ferait 350 fois moins de mort que celle au charbon, et 260 fois moins que celle au pétrole[7]. Une autre étude a estimé que le nucléaire faisait 2 500 fois moins de morts que le charbon, 900 fois moins que le pétrole, 600 fois moins que la biomasse, 100 fois moins que le gaz naturel, 35 fois moins que l'hydraulique, 11 fois moins que le solaire photovoltaïque posé sur toit et 3,75 fois moins que l'éolien[8] - [9]. Le nombre de victimes de la catastrophe de Tchernobyl fait cependant débat. Le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear) ne reconnaît officiellement qu’une trentaine de morts chez les opérateurs et pompiers tués par des radiations aiguës juste après l’explosion[10], les estimations varient de 8 000 à 60 000 morts[11].
Les nouveaux débats entre pro et anti nucléaires se positionnent autour des actions à mettre en œuvre pour lutter contre le dérèglement climatique, le nucléaire évitant 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial selon Greenpeace[12]. L'énergie nucléaire permet donc une production d'électricité bas-carbone.
Les liens entre l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sont mis en cause[13] - [14]. Selon Richard Horton dans The Lancet, « lorsqu’il s’agit de Tchernobyl ou Fukushima et de la menace de contamination radioactive, on n’a peut-être pas dit toute la vérité. Et l’OMS a la responsabilité d’établir cette vérité, aussi inconfortable soit-elle pour les États-membres ou les agences qui lui sont liées »[15] - [16].
France
En France, le lobby nucléaire s’incarne par des partisans présents aux postes clés de la fonction publique et de grandes entreprises. Ces partisans sont issus de formations telles que le corps des Mines, l'École polytechnique ou l'École nationale d'administration[17]. Issu notamment de grands corps de fonctionnaires, de centres de recherche et d'entreprises à participation publique, le lobby nucléaire a contribué dans les années 1950 à développer en France « l'excellence scientifique nucléaire à usage civil et militaire », en faisant « le pays le plus dépendant de l'atome au monde »[18].
Contexte
Les gouvernements successifs ont favorisé massivement l'équipement des logements en chauffage électrique, qui accentue la pointe de consommation électrique journalière, mais la France reste en 2012 le premier exportateur d'électricité au monde, grâce à ses 58 réacteurs nucléaires[18]. En 2022, selon RTE, si « le système électrique français est historiquement largement exportateur, les incertitudes persistantes sur la disponibilité du nucléaire et sur les dates et le rythme de mise en service de nouveaux moyens de production, combinées à des ambitions rehaussées en matière d’électrification et de réindustrialisation, pourraient à terme conduire à réduire largement les marges de production d’électricité en France ». Pour la première fois depuis les années 1980, les importations ont largement dépassés les exportations[19].
L'orientation vers le tout-électrique est confirmée par la réglementation environnementale pour les bâtiments neufs, dite « RE2020 » dans sa version de 2022. Les convecteurs électriques, qui ont marqué la construction depuis les années 1980, doivent disparaître au profit de modes de chauffage électrique à l'empreinte carbone réduite, notamment les pompes à chaleur[20].
En France, la vente des véhicules thermiques sera interdite en 2040[21]. Le passage du parc automobile au tout-électrique préconisé pour lutter contre le réchauffement climatique entraînera une augmentation de la consommation électrique qui ira dans le sens d'un mix de production électrique comprenant le nucléaire. « Pour répondre à ce défi, RTE rappelle que d’ici 2035, la France disposera de 615 TWh de productible décarboné (si l’on suit bien la trajectoire de la Stratégie nationale bas carbone-SNBC), principalement issu du nucléaire et de l’énergie renouvelable »[22] - [23]. « Ces diverses modélisations vont d’une option 100 % d’énergie renouvelable à une option 50% de nucléaire. Les trois premiers scénarios misent sur l’implantation des énergies renouvelables et un démantèlement progressif des centrales nucléaires. Les trois derniers scénarios envisagent une implantation des énergies renouvelables à un rythme moins soutenu, ce qui implique la création de nouveaux EPR »[24] - [25] - [26].
En octobre 2021, la Commission européenne travaille sur le classement des activités économiques en fonction de leurs émissions de CO2 et de leurs conséquences sur l’environnement. Classé « vert » en 2022, le financement du nucléaire en sera facilité[27].
Selon Le Monde, en 2021 « la filière nucléaire est confrontée à des défis majeurs : obtenir la prolongation d’une partie des réacteurs et convaincre les pouvoirs publics d’engager de nouveaux chantiers au plus vite »[28].
Groupes de pression
Le lobby nucléaire est l'un des réseaux les plus influents de la 5e République[29] et compte des membres à droite comme à gauche[30] - [28].
Le principal organisme du lobby nucléaire français est l'entreprise Électricité de France (EDF) dont une partie de l’activité est liée à l'exploitation prolongée des réacteurs déployés et la mise en chantier de nouvelles centrales[18] - [17] - [31] - [32] - [33]. Le lobby nucléaire comprendrait aussi :
- l'Agence internationale de l'Ă©nergie atomique (AIEA) ;
- le Commissariat Ă l'Ă©nergie atomique (CEA)[18] - [33];
- Orano entreprise spécialisée dans le cycle du combustible, le démantèlement et le transport de combustible neuf ou usé (ex. : Areva NC) ;
- Framatome filiale d'EDF, d’Assystem et du japonais Mitsubishi Heavy Industries ;
- la Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT[17]
- l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA)[34] ;
- le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) ;
- la Société française d'énergie nucléaire (SFEN)[33] ;
- les Voix du nucléaire.
Selon Corinne Lepage, « En France, le lobby nucléaire, c’est l’État ! » : « Les défenseurs de l’atome sont très présents au sein du gouvernement, très présents au Parlement, très présents dans l’administration française, très présents au sein des grands groupes industriels et économiques, et enfin dans une grande partie du monde académique »[35]. Selon elle, le lobby nucléaire pourrait recommencer ce qui a été fait en 1973, à savoir imposer sans débat démocratique un nouveau programme nucléaire pour au moins un demi-siècle[35], en poussant la commande publique de nouveaux réacteurs exploitant la technologie des EPR.
En , Greenpeace a représenté une cartographie du lobby nucléaire sur un site intitulé FaceNuke, ou le réseau social du nucléaire. Selon Greenpeace, le lobby nucléaire fait la politique énergétique de la France[36]. Le procédé n'a pas fait l’unanimité, en particulier l'association Sauvons le climat a dénoncé vivement à la fois la méthode, qui n'est d'autre qu'un fichage massif déguisé, et le fait que la liste inclut un nombre élevé de ses membres[37], ainsi que de chercheurs et autres personnes n'ayant qu'un lien anecdotique avec le domaine des technologies du nucléaire.
En France, plusieurs associations écologistes font partie du mouvement pro-nucléaire, par exemple Voix du nucléaire et Sauvons le climat.
Le 12 février 2021, un appel de l’Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat (PNC-France) de soutien à la filière nucléaire française est lancé, afin de faire pression sur les pouvoirs publics pour obtenir la construction de nouveaux réacteurs. Il est signé par une cinquantaine de personnalités. « La bataille du lobbying est déjà lancée »[28].
Selon le Canard enchaîné du , « l’Élysée veut réduire le rôle des expert de l'IRSN cloués au pilori par le lobby pro-atome », « avant de lancer le chantier de ses nouveaux EPR »[38].
Notes et références
- Philippe Pons, « Fukushima contamine la confiance dans le nucléaire », Le Monde, .
- « Au Japon, le lobby nucléaire se fissure », sur Mediapart, (consulté le ).
- « Lobby : ces élus de la République qui marchent à l'énergie nucléaire », Challenges, (consulté le ).
- « Dessin animé, musée... Le lobby nucléaire manipule les Japonais », sur Rue89, L'Obs, (consulté le ).
- « Le lobby nucléaire japonais plus puissant que jamais », sur Rfi.fr, (consulté le ).
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« L’Organisation mondiale de la santé a estimé, en 2005, que « jusqu’à 4 000 décès » pourraient intervenir à terme au sein des liquidateurs et des habitants évacués, et un nombre équivalent parmi les quelque 6 millions de personnes vivant dans les territoires fortement contaminés. (…) The Other Report on Chernobyl (Torch), publié en 2006, [évoque] jusqu’à 60 000 décès dus à un cancer. »
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- Martin Leers, « Corinne Lepage : « En France, le lobby nucléaire, c’est l’État ! » », sur journaldelenergie.com, (consulté le ).
- FaceNuke : le réseau social du nucléaire selon Greenpeace, Maxisciences, 20 avril 2012.
- Greenpeace "Face-nuke" un danger pour la démocratie, Sauvons le climat.
- Hervé Liffran, « Le gouvernement dérape dans sa course au nucléaire », Le Canard enchaîné,‎ .
Voir aussi
Bibliographie
- Corinne Lepage, L'État nucléaire, éditions Albin Michel, 2014, (ISBN 978-2-22624-549-6).
Articles connexes
Liens externes
- Nucléocrate ne rime pas avec démocrate, Réseau Sortir du nucléaire
- « Vidéo: lobby-nucleaire », sur sortirdunucleaire.org
- Nouveau coup de force du lobby nucléaire !, communiqué, groupes Ouest du réseau Sortir du nucléaire,
- Contamination radioactive des aliments : le lobby nucléaire doit revoir sa copie !, communiqué de presse, CRIIRAD,
- Les atomes crochus des politiques avec le nucléaire, Slate.fr,
- Parodie : si tu veux sauver la terre, choisis le nucléaire, Rue89, 9 avril 2012
- (en) Japan’s Nuclear Village, sur Japan Focus