ForĂȘt alluviale
Une forĂȘt alluviale, qui est aussi souvent une « forĂȘt inondable » ou parfois partiellement une « forĂȘt inondĂ©e », est une forĂȘt croissant sur une zone alluviale, souvent riveraine de cours d'eau[1]. En ce qui concerne les services Ă©cosystĂ©miques, elle joue un rĂŽle de zone tampon pour l'eau[2].
Généralement, les racines de la plupart des arbres se développent mal sur et dans les alluvions saturées en eau ou le long d'un cours d'eau en fond de vallée alluviale ou dans le lit majeur de cours d'eau de basse montagne ou systÚmes collinaires. Toutefois, plusieurs familles d'arbres ont développé des adaptations à l'ennoiement.
La forĂȘt alluviale est le type de forĂȘt le plus riche pour ce qui est du nombre d'espĂšces par unitĂ© de surface, caractĂ©risĂ© par une mosaĂŻque complexe d'unitĂ©s prĂ©sentant des conditions de milieu et des Ăąges variables, des parties subaquatiques Ă la canopĂ©e avec des Ă©cotones souvent complexes et dynamiques.
C'est Ă©galement le type de forĂȘt devenu le plus rare en France et en Europe tempĂ©rĂ©e[3], ce qui renforce leur valeur intrinsĂšque (On leur accorde une haute valeur patrimoniale[4]), alors qu'elles comptent pour une part importante de la biodiversitĂ© forestiĂšre[5].
Ă la diffĂ©rence de la vĂ©gĂ©tation ripisylve qui en fait partie, mais qui reste relativement Ă©troite, la forĂȘt alluviale se dĂ©veloppe en « forĂȘt plus ou moins inondable[6] » et humide sur des dizaines Ă centaines de mĂštres du cours d'eau et autour de bras morts, comme dans la jungle rhĂ©nane en Europe. C'est aussi une forĂȘt riche en lianes (houblon, vigne sauvage (Vitis vinifera[7]), lierre grimpant arborescent[8] qui remplissent des fonctions particuliĂšres dans ces forĂȘts[9]).
Ces forĂȘts jouent un rĂŽle majeur pour l'Ă©puration naturelle de l'eau et de l'air, et offrent un habitat (dont frayĂšres pour les poissons) Ă de nombreuses espĂšces de plantes Ă©piphytes et lianes, champignons et animaux[10].
Adaptations spécifiques des arbres à l'environnement alluvial ou inondé
Une longue immersion est une cause de stress pour toutes les plantes non palustres et non aquatiques[11], mais de nombreuses plantes de zones humides ont développé des adaptations physiologiques[12], biochimiques, moléculaires, génétiques... à l'inondation plus ou moins durable[13] - [14], notamment sur le plan de l'écologie racinaire[15].
Dans les parties les plus humides ou lĂ oĂč la forĂȘt est inondĂ©es en permanence, seules certaines essences (variĂ©tĂ©s ou sous-espĂšces d'arbres (de chĂȘne par exemple[16]) et de buissons peuvent croĂźtre normalement, grĂące Ă des adaptations spĂ©cifiques permettant le transport d'oxygĂšne jusqu'aux racines.
Dans les sols immergĂ©s oĂč l'eau circule mal, les racines sont privĂ©es d'oxygĂšne et de tout ou partie de leurs symbiotes habituels.
Plusieurs adaptations des arbres et de leur systĂšme racinaire Ă un ennoiement plus ou moins permanent sont connues ; ce sont :
- la production de racines adventives sur le tronc, bien au-dessus du collet et au-dessus du niveau des sédiments (fréquent chez les saules en Europe). Des symbioses avec des bactéries ou champignons aquatiques peuvent remplacer les mycorhizations observées dans les sols aérés et non saturés en eau, notamment chez le saule, l'aulne et le peuplier dans l'hémisphÚre nord[17].
- la production d'aérenchymes (lacunes gazeuses dans le cortex des tissus formant une réserve d'oxygÚne[18] - [19] - [20].
- la production de lenticelles hypertrophiées qui permettent les échanges gazeux entre l'atmosphÚre et les tissus internes des végétaux (facile à observer sur une bouture de ficus dans de l'eau). Ces lenticelles peuvent absorber des gaz, (CO2 ou oxygÚne) et participer à des phénomÚnes de détoxication de l'arbre en situation d'anoxie racinaire[21] - [22] - [23] - [24] - [25].
- la biosynthÚse par l'arbre d'une protéine transporteuse de l'oxygÚne qui est une « hémoglobine non-symbiotique » dont le gÚne a été identifié[26] et qui pourrait jouer un rÎle important dans la gestion par l'arbre du monoxyde d'azote et dans le déclenchement de la cascade de modifications métaboliques nécessaires aux adaptations à l'inondation. Cette protéine est synthétisée dans les racines en conditions d'hypoxie (Taylor et al. 1994, Trevaskis et al. 1997, Lira Ruan et al. 2001, cités par C. Parent (2008)[21].
- production - chez quelques rares espĂšces - de pneumatophores.
- tolérance accrue à l'anoxie et à l'éthanol[27]
- tolérance accrue au chlore et au sel chez les espÚces de la mangrove (en zone saumùtre, un seul écosystÚme de type forestier subsiste, c'est la mangrove, dont les arbres sont également adaptées au sel).
L'Ă©tude des adaptations Ă l'inondation se poursuit, in situ ou en simulant[28] en laboratoire l'inondation de diverses espĂšces.
Caractéristiques écopaysagÚres
Elle est constituĂ©e d'une riche flore de berges suivies dâĂ©tagements plus ou moins marquĂ©s de buissons denses et lianes et d'arbres produisant des bois tendres. Ces arbres sont pour la plupart relativement fragiles, mais capables de rĂ©gĂ©nĂ©ration rapide aprĂšs une perturbation ; ce sont en France et en Europe principalement des saules et des peupliers. Mais elle tend climaciquement Ă Ă©voluer vers un stade de « forĂȘt alluviale mĂ»re » dite « Ă bois durs » (Querco-Ulmetum pour les phytosociologues) comme dans la forĂȘt alluviale de Leipzig oĂč cohabitent l'aulne glutineux, le frĂȘne et localement ou autrefois l'orme (dĂ©cimĂ© par la graphiose de l'orme Ă la fin du XXe siĂšcle)[10].
C'est une forĂȘt en rĂ©gĂ©nĂ©ration rapide et constante lĂ oĂč la dynamique du cours d'eau est la plus active. Cet Ă©cosystĂšme est totalement adaptĂ© aux fluctuations plus ou moins cycliques et importantes des niveaux d'eau[29] - [30]. Il en dĂ©pend mĂȘme, car les dĂ©placements de l'eau et de ses mĂ©andres, les effondrements de berges et l'apparition d'Ăźlots, en fonction des embĂącles naturels ou du travail de certaines espĂšces typique de ces milieux telles que le Castor (Castor canadensis en AmĂ©rique du Nord et Castor fiber, espĂšce-ingĂ©nieur qui reconstitue lentement ses populations en Europe aprĂšs avoir failli disparaĂźtre au XIXe siĂšcle en sont des Ă©lĂ©ments constitutifs.
En zone tempĂ©rĂ©e de l'hĂ©misphĂšre nord, ces forĂȘts sont gĂ©nĂ©ralement plus lumineuses et plus riches en essence que les forĂȘts de bois durs qui les jouxtent naturellement. Leur canopĂ©e est plus hĂ©tĂ©rogĂšne et variĂ©e.
Ceci est notamment expliquĂ© par l'absence de hĂȘtres (essence qui ne supporte pas les inondations de printemps et de dĂ©but d'Ă©tĂ©) qui permet la persistance de trouĂ©es de lumiĂšre plus frĂ©quentes (les chablis de tempĂȘtes plus nombreux ou frĂ©quents sur sols tourbeux ou gorgĂ©s d'eau). De mĂȘme les mĂ©andres, tresses et lacis de cours d'eau entretiennent de maniĂšre dynamique des trouĂ©es plus ou moins linĂ©aires[31]. En hiver et au printemps, le miroir que constitue la surface de l'eau renvoie aussi une partie de la lumiĂšre vers les sous-bois adjacents.
Le bois mort, souvent immergé ou partiellement ou périodiquement immergé, y présente des caractéristiques et fonctions particuliÚres, notamment importantes pour la biodiversité des champignons et des bryophytes, favorisant par exemple des mousses telles que Leptodictyum riparium et Hygroamblystegium varium[32].
« La prĂ©servation des boisements alluviaux est fortement recommandĂ©e Ă travers les diffĂ©rents SDAGE (...) liĂ©e notamment au caractĂšre relictuel de cet habitat et Ă son rĂŽle majeur dans lâĂ©crĂȘtement des crues »[33]
Menaces, pressions, expériences de restauration écologique
Ces forĂȘts sont biologiquement trĂšs productives et parfois habitĂ©es par l'Homme (chasseurs-collecteurs pygmĂ©es dans le bassin du Congo[34]), mais trĂšs difficiles Ă exploiter par la sylviculture, en raison de leur caractĂšre inondable et marĂ©cageux notamment. Communes depuis des millions d'annĂ©es et jusqu'Ă la fin de la prĂ©histoire, dans les zones anthropisĂ©es, elles ont souvent Ă©tĂ© peu Ă peu drainĂ©es ou rasĂ©es pour ĂȘtre plantĂ©es de Peupliers ou consacrĂ©e Ă la mise en culture ou pĂąturage.
Hormis dans quelques zones tropicales ou isolĂ©es oĂč elles font parfois l'objet d'une gestion spĂ©cifique (dans le delta du Niger au Mali par exemple[35], elles comptent ainsi aujourd'hui parmi les forĂȘts les plus rares, Ă la suite de l'amĂ©nagement des vallĂ©es et des cours d'eau, du drainage gĂ©nĂ©ralisĂ© des fonds de vallĂ©es pour leur mise en culture et la construction d'Ă©tablissements humains (villes, zones commerciales, zones industrielles...). Le drainage ou des amĂ©nagements empĂȘchant les inondations dĂ©truisent l'Ă©cosystĂšme de la forĂȘt alluviale dont la dynamique repose sur celle des cours d'eau et celle du plafond la nappe superficielle[36].
Elles sont vulnĂ©rables aux polluants non biodĂ©gradables apportĂ©es par le ruissellement vers les plaines d'inondation, la biodĂ©gradation peut y ĂȘtre ralentie et le cycle biogĂ©ochimique des Ă©lĂ©ments modifiĂ©s en raison d'un pH souvent plus acide et de l'anoxie du substrat[37].
Au Cambodge en 2004, il ne restait que 3 % de la forĂȘt inondable ;et « sa surface est passĂ©e de 600 000 hectares Ă 19 500 ha entre 1995 et 2004 »[38].
En France les reliques de la forĂȘt alluviale (rhĂ©nanes principalement) sont en grande partie protĂ©gĂ©es. La forĂȘt rhĂ©nane fait l'objet d'essai de restauration Ă©cologique/renaturation[39]. Quelques petites taches de forĂȘts alluviales ont aussi survĂ©cu ailleurs. Certaines se rĂ©gĂ©nĂšrent, en Alsace, dans le Bassin du RhĂŽne ou de la Loire, ou dans les Ardennes (ex : La forĂȘt alluviale du Mont-Dieu de 11 km2 dans la plaine alluviale de la Bar (bassin de la Meuse[40]par exemple), parfois en cours de rĂ©gĂ©nĂ©ration naturelle sur des zones de dĂ©prise agricole ou en zone pĂ©riurbaine (Bois de Santes dans le Parc de la DeĂ»le prĂšs de Lille). Il existe une expĂ©rience de rĂ©gĂ©nĂ©ration totale et volontaire de ce type de forĂȘt, Ă Proville (au sud de Cambrai) dans le haut-bassin de l'Escaut, sur la derniĂšre partie relativement naturelle de l'Escaut-RiviĂšre, sur une zone qui avait Ă©tĂ© durant plus d'un siĂšcle transformĂ©e en peupleraie et qui bĂ©nĂ©ficie aujourd'hui d'une gestion restauratoire et d'un classement en RĂ©serve naturelle rĂ©gionale.
Recherches
Ces forĂȘts patrimonialement remarquables sont parfois assez "mobiles". Elles comptent aussi (avec les forĂȘts de ravins et de fortes pentes) parmi les plus difficilement accessibles aux prospections et inventaires naturalistes.
Elles ont cependant fait l'objet de diverses études, y compris d'écologie rétrospective concernant leur physionomie aux époques préhistoriques (paléoécologie, paléopaysages, palynologie...)[41].
Un travail est également en cours concernant leur évaluation environnementale (état zéro et évaluation de la dynamique forestiÚre spécifique, ce qui nécessite des protocoles adaptés, notamment testés par le réseau des réserves naturelles de France[42], qui se base notamment sur la phytosociologie[43].
On s'est aussi intéressé à leur fonctionnement sédimentaire[44], hydrologique et hydrochimique[45] ou aux capacités d'espÚces telles que le ver de terre à s'adapter à leurs dynamiques d'évolution et en particulier à leur caractÚre inondable[46].
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Voir aussi
Articles connexes
Lien externe
- Cartographie des boisements alluviaux en Champagne-Ardenne (inventaire, non exhaustif, mis Ă disposition de tous).
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