FĂȘte du 1er mars en Europe du Sud-Est
La FĂȘte du 1er mars en Europe du Sud-Est est une fĂȘte traditionnelle bulgare, roumaine et moldave qui symbolise lâarrivĂ©e du printemps. Elle porte le nom de Martenitsa (bulgare : ĐŒĐ°ŃŃĐ”ĐœĐžŃĐ°, pluriel martenitsi-ĐŒĐ°ŃŃĐ”ĐœĐžŃĐž), MĂ rtis (ÎÎŹÏÏÎ·Ï en Grec) ou MÄrÈiÈor (pluriel mÄrÈiÈoare en roumain).
Les pratiques culturelles associées au 1er mars *
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Vendeurs de mÄrÈiÈor Ă ChiÈinÄu. | |
Pays * | Bulgarie Macédoine du Nord Moldavie Roumanie |
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Liste | Liste représentative |
AnnĂ©e dâinscription | 2017 |
* Descriptif officiel UNESCO | |
Ătymologie et origines
- Principaux pays
- Autres endroits
Les dĂ©nominations de Martenitsa, MĂ rtis et MÄrÈiÈor dĂ©rivent du latin matronalia cĂ©lĂ©brĂ©es le 1er mars, qui Ă©tait le premier jour du printemps chez les Thraco-Romains et sont considĂ©rĂ©es aujourdâhui comme une « fĂȘte des mĂšres » balkanique ; elles cĂ©lĂ©braient le jour oĂč les femmes amadouaient le dieu de la guerre et de lâagriculture, Mars, sous lâĂ©gide de Junon, protectrice des jeunes Ă©pouses honorĂ©es avec des perce-neige. Le nom de matronalia vient de matrona, « mĂšre de famille ». Ces traditions prĂ©-chrĂ©tiennes mettent en scĂšne aujourdâhui les personnages homologues de Baba Marta chez les Bulgares/MacĂ©doniens et de Baba Dochia chez les Roumains/Moldaves[1].
Cette tradition persiste aujourdâhui en Bulgarie, MacĂ©doine du Nord, GrĂšce du Nord, Serbie orientale, Roumanie, Moldavie et Ukraine du sud-ouest (Bucovine et Boudjak), ainsi quâen Valaquie morave dans lâest de la RĂ©publique tchĂšque. Les ethnologues la considĂšrent, Ă lâinstar des traditions des colinde et des vrykolakas Ă©galement communes Ă ces pays, comme un hĂ©ritage des Thraco-Romains de la MĂ©sie et de la Dacie aurĂ©lienne. Lâorigine de cet hĂ©ritage est Ă rechercher, selon eux, dans les fĂȘtes de printemps qui ont perdurĂ© Ă travers les siĂšcles quelles que soient les influences ultĂ©rieures, latine chez les Roumains/Moldaves ou slave chez les Bulgares/MacĂ©doniens[2] - [3] - [4].
Quoi quâil en soit, les martenitsi/mÄrÈiÈoare sont aujourdâhui des talismans que lâon Ă©pingle Ă la poitrine, portĂ©s pendant huit jours, formĂ©s dâun fil rouge et dâun fil blanc tressĂ©s ensemble, auquel on peut attacher des objets dĂ©coratifs : des fleurs ou des animaux en bois, en cĂ©ramique, en verre ou en mĂ©tal[5] - [6].
Traditions et légendes anciennes
Les traditions anciennes dĂ©crites ci-dessous varient lĂ©gĂšrement dâune rĂ©gion historique Ă lâautre et sont les mĂȘmes dans chaque rĂ©gion, fut-elle aujourdâhui partagĂ©e entre plusieurs Ă©tats modernes (cas de la Dobroudja, de la MacĂ©doine ou de la Moldavie historiques)[5].
Dans les premiers jours de mars, les Bulgares/MacĂ©doniens et les Roumains/Moldaves sâoffrent les uns les autres des martenitsi/mÄrÈiÈoare (le plus souvent, ce sont les hommes qui en offrent aux femmes) formĂ©es dâun fil rouge et dâun fil blanc parfois tressĂ©s ensemble et se terminant par des pompons en Bulgarie, par des toupillons en Roumanie et Moldavie, et parfois par de petites poupĂ©es de laine de mĂȘmes couleurs en Bulgarie (Pizho et Penda) et Moldavie (Ionel et Ionutsa). Les deux couleurs peuvent avoir plusieurs symboliques :
- la santé et la force du sang, le blanc d'une longue vie ;
- la chaleur du soleil printanier et la neige hivernale qui fond ;
- la lumiĂšre et lâeau, deux Ă©lĂ©ments essentiels Ă la vie ;
- lâamour (ou lâamitiĂ©) et la puretĂ© (ou la droiture, le respect) ;
- la vie et la paixâŠ
GĂ©nĂ©ralement, on attache Ă ces fils un petit symbole : cĆur, lettre, fleur ou, en Bulgarie, les poupĂ©es traditionnelles Pizho et Penda, les deux Martenitsi.
Ă lâorigine, le martenitsa/mÄrÈiÈor Ă©tait portĂ© attachĂ© au cou ou au poignet. Maintenant, il est le plus souvent Ă©pinglĂ© Ă la poitrine, au cĂŽtĂ© du cĆur, ou au poignet des enfants. Ils ne doivent ĂȘtre retirĂ©s que lorsque son porteur aperçoit, au mois dâavril, une cigogne, une hirondelle, ou un arbre en fleur, symboles du printemps.
Le personnage traditionnel de Baba Marta ("Đаба ĐĐ°ŃŃĐ°", Grand-mĂšre Marta en Bulgarie et MacĂ©doine du Nord) ou Baba Dochia (Grand-mĂšre Dokia en Roumanie et Moldavie) est une vieille femme acariĂątre qui change rapidement dâhumeur et que des prĂ©sents en laine doivent apaiser. Dans la croyance populaire, les martenitsi/mÄrÈiÈoare, portĂ©s sur la poitrine, attestent que Baba Marta/Dochia a Ă©tĂ© satisfaite et protĂšgent contre les forces malignes. Les ethnologues considĂšrent quâil sâagit dâune rĂ©miniscence des divinitĂ©s antiques de lâagriculture, de la germination, de la fertilitĂ© et du renouveau, et des sacrifices quâon leur adressait, rĂ©miniscence Ă lâorigine des lĂ©gendes associĂ©es.
Il existe plusieurs lĂ©gendes en rapport avec les martenitsi/mÄrÈiÈoare :
- Lâune dit que le Soleil et le Vent sont tombĂ©s amoureux de la mĂȘme Source. Mais la belle nymphe nâaimait ni lâun ni lâautre. Chacun de son cĂŽtĂ©, les deux amoureux dĂ©cident dâenlever la nymphe, le 1er mars, car le Soleil jugea que le Vent sâaffaiblissait aprĂšs lâhiver, tandis que le Vent Ă©tait convaincu que le Soleil nâĂ©tait pas encore assez fort Ă cette pĂ©riode. La nymphe demande lâaide au Conseil des Dieux. Ceux-ci lui offrent un talisman Ă porter pendant tout le mois de mars pour la protĂ©ger des assiduitĂ©s de ses prĂ©tendants. Ce talisman Ă©tait conçu pour que le Soleil et le Vent se poursuivent dans une lutte sans fin, ne se prĂ©occupant plus de la jeune fille et oubliant ainsi dâassĂ©cher, brĂ»ler ou geler les semis, pour le plus grand profit de lâagriculture[7].
- Une autre oppose Baba Marta/Dochia, symbolisant le froid, la vieillesse, le passĂ©, Ă sa belle-fille : Penda (« la cinquiĂšme » en grec), Penda ou Tchintcha chez les Bulgares, Tsintsa chez les Aroumains, A Cincea (prononcĂ© a tchintcha, « la cinquiĂšme ») chez les Roumains/Moldaves, symbolisant le cinquiĂšme jour de Mars rĂ©putĂ© apporter apporte le chaud, le printemps, lâavenir. Marta/Dochia lui ordonne dâaller cueillir des fraises de bois mĂ»res Ă la fin fĂ©vrier. La jeune fille, aidĂ©e par des fĂ©es, par Dieu, par la vierge Marie, ou par une sainte selon les versions, en trouve quand mĂȘme et les rapporte Ă sa belle-mĂšre. Voyant cela, Marta/Dochia croit que le printemps est arrivĂ© et part en transhumance avec ses chĂšvres et ses ovins Ă la montagne. Par prĂ©caution elle enfile tout de mĂȘme neuf manteaux en mouton retournĂ©. Les caprices du printemps font quâelle se dĂ©barrasse peu la peu de ses neuf manteaux. Le neuviĂšme jour, le gel la surprend avec ses bĂȘtes, et Baba Marta/Dochia est transformĂ©e par le froid en pierre. Dans une variante, la belle-fille est envoyĂ©e, dans un jour froid dâhiver, laver un manteau trĂšs sale dans une riviĂšre. La riviĂšre Ă©tait loin et la pauvre fille ne pouvait rentrer quâune fois le manteau entiĂšrement blanc et sec. Elle ne rĂ©ussit pas Ă le nettoyer et se met Ă pleurer. Un homme nommĂ© Pizho ou MÄrÈiÈor arrive et lui a donnĂ© une fleur aux pĂ©tales rouges et blancs qui produit un miracle : le manteau est devenu blanc. Quand Baba Marta/Dochia voit sa belle-fille rentrer heureuse avec le manteau blanc, et la fleur aux pĂ©tales rouges et blancs dans ses cheveux, elle croit le printemps arrivĂ© et part en transhumance, pour finir, comme dans la premiĂšre version, gelĂ©e et pĂ©trifiĂ©e.
- Une troisiĂšme lĂ©gende se dĂ©cline ainsi : un jour, le perce-neige sâest fĂąchĂ© avec la jonquille car elle a fleuri avant lui. Les deux fleurs ont alors commencĂ© Ă se battre. La jonquille a blessĂ© le perce-neige et du sang sâĂ©coula sur la neige. Ă lâendroit oĂč est tombĂ© le sang, un autre perce-neige blanc a poussĂ©, mais il avait des taches rouges. Une jeune fille trouve la fleur et lâattache Ă sa poitrine.
- Une autre lĂ©gende encore affirme quâun vaillant jeune homme est allĂ© retrouver le Soleil, prisonnier des nuages et du vent (ou, selon les variantes, dâun dragon). AprĂšs trois mois trĂšs sombres et froids, il parvint Ă lâendroit oĂč le Soleil Ă©tait prisonnier. Il le dĂ©livre et une lumiĂšre rouge perce le ciel, ou, selon les versions, le sang du dragon coula sur la neige fraĂźche et câest depuis que le rouge et blanc sâentrelacent pour annoncer le retour de la nature Ă la vie.
Dans les villages de Transylvanie, le mÄrÈiÈor est suspendu aux portes, aux fenĂȘtres, aux cornes dâanimaux, aux enclos des moutons, aux anses des seaux pour Ă©loigner les mauvais esprits.
En Dobroudja, Ă lâarrivĂ©e des cigognes, les martenitsi/mÄrÈiÈoare Ă©taient jetĂ©s vers le ciel pour que la chance soit grande et ailĂ©e.
Jadis en Valachie et Bulgarie septentrionale, les martenitsi/mÄrÈiÈoare Ă©taient jetĂ©s dans le Danube, attachĂ©s Ă des arbres fruitiers ou placĂ©s sous des pierres. Dans ce dernier cas, la croyance veut que la petite faune (insectes, cloportes, mille-pattes, araignĂ©es ou mĂȘme petits mammifĂšres) qui trouve refuge sous la pierre dĂ©termine le dĂ©roulement de lâannĂ©e Ă venir pour celui qui y a dĂ©posĂ© lâoffrande (ce qui est une forme de divination). Ă travers les insectes rouges et noirs ou les mammifĂšres, Baba Marta assure alors que lâhiver ne durera pas trop longtemps et que le printemps reviendra rapidement.
Traditions et légendes modernes
Dâautres lĂ©gendes apparaissent Ă partir du milieu du XIXe siĂšcle dans la littĂ©rature pour enfants ou scolaire : diffĂ©rentes dans chaque pays actuel, ces lĂ©gendes relient le martenitsa/mÄrÈiÈor aux origines de chaque nation moderne. Ainsi, la lĂ©gende bulgare fait rĂ©fĂ©rence Ă la fondation du premier royaume bulgare en 681, tandis que les lĂ©gendes roumaines/moldaves Ă©voquent la Rome antique et la conquĂȘte de la Dacie par les Romains[5].
La légende historique bulgare
Au VIIe siĂšcle, les Bulgares, commandĂ©s par le Khan Asparoukh, arrivent par vagues successives dans le bassin du bas-Danube, oĂč ils fonderont leur premier Ătat. Le peuple bulgare vit alors sous la menace des invasions khazares.
Ainsi, en 681, les Bulgares arrivent aux portes des Balkans et de lâEmpire romain d'Orient : les khans Asparoukh, Kouber et Altsek, fils de Koubrat, envoyĂšrent vers le sud leur frĂšre Bayan et leur sĆur Houba, qui, ayant trouvĂ© des terres bonnes Ă conquĂ©rir, attachĂšrent un fil blanc Ă la patte du faucon quâils sâapprĂȘtaient Ă renvoyer vers leur frĂšre Asparoukh sur lâautre rive du Danube. Ă ce moment, lâarmĂ©e romaine sâapprocha et des flĂšches les blessĂšrent : leur sang colora le fil. Bayan et Houba arrivĂšrent finalement Ă retraverser le fleuve, mais ils Ă©taient gravement blessĂ©s. Asparoukh fit alors plusieurs morceaux du fil teintĂ© de blanc et de rouge, et en para ses soldats, afin de leur donner le cĆur Ă combattre lâEmpire romain. Bayan et Houba survĂ©curent encore assez longtemps pour voir leur frĂšre Asparoukh passer Ă son tour le Danube afin de conquĂ©rir le territoire de la Bulgarie actuelle, mais ils Ă©taient au seuil de la mort, et depuis lors, les martenitsi perpĂ©tuent leur souvenir.
La légende historique roumaine
Au printemps de lâan 106, au terme des guerres daciques, lâempereur romain Trajan poursuit Ă travers le pays le roi dace, DĂ©cĂ©bale, qui se suicide avec ses nobles pour ne pas ĂȘtre capturĂ©. Leur sang rougit les prairies proches de SarmizĂ©gĂ©tuse, la capitale dace, oĂč Ă travers les plaques de neige fondante, pointaient les premiers perce-neige. Ainsi nourris, ceux-ci poussĂšrent plus nombreux et plus grands que jamais : les habitants attristĂ©s les ramassĂšrent et, les reliant Ă lâaide dâĂ©cheveaux tressĂ©s avec la laine des manteaux des morts (tantĂŽt blanche, tantĂŽt rougie de sang), crĂ©Ăšrent ainsi les premiĂšres mÄrÈiÈoare.
Sous le régime communiste et aprÚs
Sous le rĂ©gime communiste, les martenitsi/mÄrÈiÈoare, bien que non-chrĂ©tiens, ont Ă©tĂ© « laĂŻcisĂ©s » câest-Ă -dire, concrĂštement, quâil Ă©tait interdit de faire rĂ©fĂ©rence aux « superstitions » les concernant, mais en Bulgarie les martenitsi ont Ă©tĂ© maintenus au 1er mars comme « tradition populaire », tandis quâen Roumanie les mÄrÈiÈoare ont Ă©tĂ© reportĂ©s au 8 mars par amalgame avec la journĂ©e internationale des femmes, pour « rendre hommage Ă (nos) camarades mĂšres, Ă©pouses, sĆurs et collĂšgues en lutte pour leur Ă©mancipation ». En 1990, ils sont revenus Ă la date du 1er mars et aux formes antĂ©rieures au communisme.
Aujourdâhui en Bulgarie, les martenitsi se dĂ©clinent en rubans rouges et blancs (parfois des rubans de chantier servant Ă dĂ©limiter la zone de travail) dont on entoure les troncs et branches des arbres, les rĂ©verbĂšres, les bancs publics, les porches dâimmeubles pour « porter chance » Ă la ville, au quartier, Ă lâentreprise, Ă une famille... et cette mode sâĂ©tend dans tout le pays dâannĂ©e en annĂ©e. De plus en plus on y ajoute du vert pour y retrouver les trois couleurs du drapeau bulgare. Par ailleurs, les martenitsi ornent le logotype de WikipĂ©dia en bulgare.
Depuis 2000, ils sont de plus en plus dématérialisés : on les envoie désormais sous forme d'images par courriel.
En Moldavie, le 1er mars marque le dĂ©but du festival musical MÄrÈiÈor qui dure dix jours[8].
Références
- Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l'article intitulĂ© « MÄrÈiÈor » (voir la liste des auteurs).
- T.J. Winnifruth : Badlands-Borderland, 2003, page 44, "Romanized Illyrians & Thracians, ancestors of the modern Vlachs", (ISBN 0-7156-3201-9)
- Dimitar Marinov, Rites et folklore, t.I et II, Sofia 1984
- Kristo Vakarelski, Ethnologie bulgare, Sofia, 1977
- Petar Skok, Slave et roumain in Revue des études slaves, Tome 3, fascicule 1-2, 1923. p. 59-77. Article disponible sur Persée.
- World of Moldova
- DonnĂ©es historiques sur le martenitsa/mÄrÈiÈor sur MÄrÈiÈor â date istorice
- Voir Paviro, 14, 6, sur LA LĂGENDE DU MÄRÈIÈOR
- Données sur