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Empire de Sokoto

L’empire de Sokoto ou califat de Sokoto a Ă©tĂ© fondĂ© par un djihad menĂ© entre 1804 et 1810 par le Peul Usman dan Fodio dans le nord du Nigeria. Il s'Ă©tendait principalement entre le nord du Nigeria et le nord du Cameroun actuels, et sa capitale Ă©tait la ville de Sokoto. L'Ă©conomie de cet empire peul Ă©tait fondĂ©e sur le commerce et l'esclavage.

Califat de Sokoto

1804–1903

Drapeau
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Califat de Sokoto au XIXe siĂšcle
Informations générales
Statut Califat
Capitale Gudu (1804)
Sokoto (1804-1850)
Birni N'Konni (1850)
Sokoto (1851-1902)
Burmi (1903)
Langue(s) Arabe (officielle)
Haoussa
Peul
Religion Islam sunnite
Monnaie Dirham
Superficie
Superficie ~ 400 000 km2
Histoire et événements
Fondation
Ėtablissement du protectorat du NigĂ©ria du Nord

Entités précédentes :

  • Sultanat de Kano
  • Sultanat de Katsina
  • Sultanat de Gobir
  • Liptako
  • Sultanat d'Agadez
  • Sultanat de Damagaram

Il fut le plus grand État d’Afrique (derriĂšre l'Empire ottoman) depuis l’effondrement de l’Empire songhaĂŻ (vers 1592), et le deuxiĂšme plus grand État musulman au monde jusqu’à la conquĂȘte europĂ©enne de 1897 à 1903[1].

Histoire

L'Ă©tablissement de l'empire de Sokoto s'inscrit dans la lignĂ©e des gouvernements musulmans mis en place Ă  partir du XVIIIe siĂšcle Ă  l'issue de luttes ouvertement prosĂ©lytes prĂ©sentĂ©es comme des actions de djihad, mouvement dans lequel il occupe une place centrale. Il succĂšde ainsi au djihad dans le Fouta Boundou (fin XVIIe siĂšcle)[1], dans le Fouta-Djalon (1725), et dans le Fouta Toro (entre 1769 et 1776)[2]. Ces djihads fortement sous l’influence de la confrĂ©rie soufiste Qadiriyya Ă©taient associĂ©s aux Peuls, particuliĂšrement Ă  leurs Ă©lites intellectuelles et religieuses, mĂȘme s'ils dĂ©passaient le phĂ©nomĂšne ethnique[1].

Le , l'imam peul Usman dan Fodio, menacĂ© par Younfa, roi du Gober, s’enfuit Ă  Gudu. Usman, qui compare sa fuite Ă  celle de l'hĂ©gire de Mahomet, prĂȘche la guerre sainte (djihad) contre les impies de toute sorte et en particulier contre les rois des citĂ©s haoussas, qu'il accuse de ne pas appliquer les vrais principes de l'islam. Son but, qu'il explique dans l'un de ses livres les plus importants, Kitab Al-Farq, est la purification de l'islam dans les territoires musulmans[1], qui passe par une observance stricte et la lutte contre la bid’ah (l’innovation)[1]. Il cherchait aussi Ă  Ă©liminer les injustices sociales introduites par des gouvernements oppressifs[1].

Des Peuls se joignent Ă  lui, mais aussi de nombreux Haoussas sĂ©duits par son discours, faisant d'ailleurs de son armĂ©e une troupe Ă  majoritĂ© haoussa. Le 21 juin 1804, il remporte la victoire sur l’armĂ©e de Younfa Ă  Tabkin Kwato. Il se proclame commandeur des croyants et rĂšgne sur le Gober jusqu'Ă  sa mort en 1817[3]. Ses douze plus fidĂšles disciples reçoivent des Ă©tendards bĂ©nits avec lesquels ils sont envoyĂ©s Ă  la conquĂȘte des territoires voisins.

La victoire attire de nombreux aventuriers du royaume du Fouta-Toro, de l'empire du Macina et du SonghaĂŻ qui viennent renforcer ses rangs. Avec eux, Usman s’empare de Kano dont il fait sa capitale. Ce nouveau succĂšs attire auprĂšs de lui les musulmans du Nigeria et du Cameroun septentrionaux, ainsi que des Peuls mĂ©tissĂ©s Ă©tablis depuis longtemps dans la rĂ©gion.

À la tĂȘte d’une armĂ©e puissante, Usman annexe tous les royaumes haoussa (Katsina, Zaria, NoupĂ©, Kebbi, Liptako) et le nord du Cameroun de 1804 Ă  1808. Il dĂ©signe des Ă©mirs pour administrer les territoires conquis, le plus souvent les souverains vaincus, confirmĂ©s dans leur fonction.

RĂšgne de Mohammed Bello

En 1815, Usman transmet le titre de sultan de Sokoto Ă  son fils Mohammed Bello. À cette Ă©poque, des troubles Ă©clatent dans plusieurs provinces de l’empire. Les Haoussa, encouragĂ©s par les Touareg de l’AĂŻr et par le souverain du Kanem et du Bornou, rejettent la suzerainetĂ© thĂ©ocratique de Sokoto et son islam rigoriste. Mohammed Bello rĂ©tablit le calme.

En 1823 Mohammed Bello soumet Ilorin au nord du royaume d’Oyo. Le 13 avril 1827 l’explorateur britannique Hugh Clapperton meurt Ă  Sokoto, oĂč il Ă©tait reçu par Mohammed Bello.

RĂšgne d'Atikou

Mohammed Bello meurt en 1837, marquant la fin de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration de dirigeants du djihad[1]. Son jeune frĂšre Ousmane (Atikou) lui succĂšde Ă  la tĂȘte de l’empire, au grand dĂ©pit d'El-Hadj Omar, originaire du Fouta Toro, qui avait Ă©pousĂ© la sƓur de Mohammed Bello et espĂ©rait lui succĂ©der[1].

Peuls du Sokoto (1900).

En 1840, les Peuls de Sokoto sont repoussĂ©s du royaume d’Oyo par les Yorubas Ă  la bataille d’Oshogbo. En 1841, Modibbo Adama, disciple d’Usman dan Fodio, s’installe Ă  Yola et Ă©tend sa puissance et son domaine au sud-est de l’empire de Sokoto. Jusqu’à sa mort en 1847, il combat les tribus animistes du nord du Cameroun et son adversaire, le roi de Mandara. Il rĂ©alise l’unitĂ© du Fombina (le sud), qui prend en son honneur le nom d’Adamaoua.

Atikou meurt en 1843.

RĂšgne d'Ali

En novembre 1842, Ali, fils de Mohammed Bello, prend le pouvoir Ă  Sokoto Ă  la mort d’Atikou, jusqu'en 1855. Son rĂšgne est marquĂ© par des rĂ©voltes et des attaques incessantes contre les territoires soumis par les Peuls, en particulier contre le Gober qui s'est affranchi entretemps et le dernier sultanat Haoussa indĂ©pendant de Zinder (autrement appelĂ© Damagaram) et la rĂ©gion de Maradi, zone forestiĂšre peuplĂ©e de rĂ©fugiĂ©s des guerres prĂ©cĂ©dentes et oĂč des survivants de la famille rĂ©gnante du Katsina s'Ă©taient rĂ©fugiĂ©s. Les citĂ©s qui composent l’empire reprennent leur indĂ©pendance en reconnaissant d’une façon nominale l’autoritĂ© du commandeur des croyants Ă©tabli Ă  Sokoto.

Intégration à l'Empire britannique

En fĂ©vrier 1903, les Britanniques occupent sans difficultĂ©s Kano, puis Sokoto en mars, et l’intĂšgrent Ă  leur protectorat du nord du Nigeria[3]. La frontiĂšre sĂ©parant actuellement le Niger et le Nigeria correspond peu ou prou aux limites entre territoires alors sous souverainetĂ© du Sokoto au sud et territoires indĂ©pendants (Gobir, Maradi, Zinder) au nord[4].

Les Britanniques dĂ©veloppent un modĂšle de gouvernement des populations colonisĂ©es Ă  travers les rois et les princes locaux, et conservent la pyramide hiĂ©rarchique en place : le sultan n’est plus sultan par la grĂące de Dieu, mais parce que les Britanniques lui ont donnĂ© un sceptre[3].

Descendant direct du premier calife, Muhammadu Sa'ad Abubakar III, 20e du titre, reste, aujourd'hui encore, le plus haut dignitaire musulman du Nigeria[5], tandis que l’émir actuel de Kano est Ă  la fois descendant de l’émir issu du djihad, et ancien gouverneur de la banque centrale du Nigeria, diplĂŽmĂ© des universitĂ©s de Khartoum et d'Oxford[3].

Pour autant, selon l'historien Vincent Hiribarren, il est inexact de prĂ©senter la colonisation britannique comme une « parenthĂšse » entre le califat de Sokoto et l’indĂ©pendance du Nigeria, car les Britanniques ont contribuĂ© Ă  homogĂ©nĂ©iser des pratiques juridiques issues du djihad en rendant possible l’administration de territoires.

GĂ©ographie

Le djihad n'est pas gĂ©ographiquement uniforme, mais prend la forme de conflits localisĂ©s, avec des circulations d’idĂ©es[3].

À son apogĂ©e, le califat de Sokoto est « le plus grand État d’Afrique depuis l’effondrement de l’Empire songhaĂŻ en 1591-1592, et le deuxiĂšme plus grand État musulman au monde jusqu’à la conquĂȘte europĂ©enne et la division du califat entre les Français, les Anglais et les Allemands, de 1897 à 1903, la Grande-Bretagne s’emparant des rĂ©gions les plus peuplĂ©es du centre »[1]. Il couvre principalement le nord du Nigeria et le nord du Cameroun contemporains[6] et s'Ă©tire du Burkina Faso moderne Ă  la RĂ©publique de Centrafrique[1].

Il couvre une superficie de l'ordre de 400 000 km2[7], ce qui le place nĂ©anmoins derriĂšre les provinces de l'Empire ottoman qui comprennent l’Égypte (un million de kilomĂštres carrĂ©s) et la Libye (1,7 million de kilomĂštres carrĂ©s). Sa population est de l'ordre de dix millions d'habitants.

Organisation

Le califat de Sokoto est un État fortement dĂ©centralisĂ© dirigĂ© par le calife, dont les compagnons sont placĂ©s comme Ă©mirs Ă  la tĂȘte de chaque subdivision territoriale[6]. Ceux-ci rĂ©pondent en thĂ©orie directement de leurs actions auprĂšs du calife mais en raison de la distance, le califat est de fait divisĂ© entre les Ă©mirats de l’ouest, directement dirigĂ©s depuis la ville de Sokoto, et les Ă©mirats de l’est plus ou moins autonomes[6].

Selon l'historien Paul Lovejoy (en), l'Ă©tablissement du califat en tant que fĂ©dĂ©ration Ă©tait rĂ©volutionnaire : « Le califat consolidait une rĂ©gion qui comptait de nombreux États et beaucoup d’ethnies diffĂ©rentes en un seul empire divisĂ© en 33 Ă©mirats, sous la direction de la capitale duale de Sokoto et de Gwandu aprĂšs 1817 ». Il incluait aussi plus de vingt sous-Ă©mirats dans l’empire d’Adamawa, Ă©galement connu sous le nom de Fombina, dont la capitale Ă©tait Yola sur la riviĂšre BĂ©nouĂ©[1].

Le djihad remplace les impĂŽts des dirigeants haoussas par des impĂŽts islamiques comme la zakĂąt[6]. Les impĂŽts dĂ©pendent largement de chaque Ă©mirat avec par exemple l’existence d’un impĂŽt foncier Ă  Kano et Zaria et non Ă  Sokoto[6].

L'exploitation des mines de sel du nord du califat était fondée sur le travail servile, tout comme les industries du fer, coton, indigo ou cuir des régions centrales du califat.

Le systĂšme Ă©conomique du califat de Sokoto repose sur l'esclavage, en particulier des populations animistes du centre de l'actuel Nigeria[8].

Influence et postérité

Selon l'anthropologue Murray Last, l'impact du califat de Sokoto en Afrique est comparable Ă  celui de la RĂ©volution française dans la reconfiguration de l’histoire europĂ©enne et du monde atlantique de la fin du XVIIIe siĂšcle et au-delĂ [1]. L'historien Paul Lovejoy (en) souligne que « le djihad de Sokoto engloba tout l’espace du Mali moderne jusqu’à la vallĂ©e du Nil », et que « son influence s’étendit encore plus largement et existe encore aujourd’hui »[1].

Le djihad de Dan Fodio reste une rĂ©fĂ©rence constante dans la rĂ©gion[2] et a connu de multiples interprĂ©tations historiques[3]. Si certains y ont vu le produit d'une simple querelle ethnique — une vision rĂ©ductrice dans la mesure oĂč les Peuls Ă©taient en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique dans la plupart des territoires conquis par Sokoto — d'autres y vu une rĂ©volution compte tenu du message religieux vantant une certaine forme d'Ă©galitĂ© et la fin de la corruption des Ă©lites dirigeantes haoussa[2].

Selon l'historien Vincent Hiribarren, Ousmane Dan Fodio est encore au Nigeria comme au Niger une rĂ©fĂ©rence historique, Ă  la fois parce qu’il a menĂ© ce djihad, mais aussi une rĂ©fĂ©rence intellectuelle, en raison de ses projets de rĂ©formateur sur les territoires qu'il envahissait[3]. À noter toutefois qu'il ne conquiert que des rĂ©gions dĂ©jĂ  musulmanes, la plupart depuis XIVe siĂšcle[3].

Notes et références

  1. Paul E. Lovejoy, « Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux XVIIIe-XIXe siĂšcles », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 128,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  2. Vincent Hiribarren, Un manguier au Nigeria, Plon, , 300 p. (ISBN 978-2259250863)
  3. Pierre Prier et Vincent Hiribarren, « Afrique. La mémoire vivante du califat d'Ousmane Dan Fodio », sur Orient XXI, (consulté le )
  4. Camille Lefebvre, « L'Afrique n'est pas victime de ses frontiÚres », Le Monde, 6 avril 2015, mise à jour du 19 août 2019 ; page consultée le 20 juillet 2020.
  5. « Au Nigeria, le “fantasme” d'un nouveau jihad peul », sur lepoint.fr, Le Point, (consultĂ© le ).
  6. Vincent Hiribarren, « Au XIXe siĂšcle, un État islamique africain de rĂ©fĂ©rence », sur libeafrica4.blogs.liberation.fr, (consultĂ© le ).
  7. (en) Paul E. Lovejoy, Jihād in West Africa during the Age of Revolutions, Ohio University Press, , 432 p. (ISBN 9780821445839, lire en ligne).
  8. Anouk Batard, « La « République pentecÎtiste » du Nigeria », sur Le Monde diplomatique,

Annexes

Bibliographie

Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article : document utilisĂ© comme source pour la rĂ©daction de cet article.

  • Camille Lefebvre, FrontiĂšres de sable, frontiĂšres de papier : histoire de territoires et de frontiĂšres, du jihad de Sokoto Ă  la colonisation française du Niger, XIXe – XXe siĂšcles, Publications de la Sorbonne, coll. « BibliothĂšque historique des pays d'islam », , 540 p., 17,3 Ă— 25 cm (ISBN 978-2859448837, OCLC 904949344).
  • (en) Paul E. Lovejoy, Slavery, commerce and production in the Sokoto Caliphate of West Africa, Trenton, Africa World Press, , 425 p. (ISBN 1-592-21254-9).
  • (en) Hussaini U. Malami, Economic principles and practices of the Sokoto caliphate, Sokoto, Institute of Islamic Sciences, , 145 p. (ISBN 978-34042-1-0).
  • Elikia M’Bokolo (prĂ©f. MichĂšle Gendreau-Massaloux), Afrique noire : histoire et civilisations, t. II : du XIXe siĂšcle Ă  nos jours, Paris, Hatier-AUF, coll. « UniversitĂ©s francophones », , 587 p., 26 cm (ISBN 978-2218750502, OCLC 492828141).
  • (en) Sean Stilwell, Paradoxes of Power : the Kano “mamluks” and male royal slavery in the Sokoto Caliphate, 1804-1903, Portsmouth (NH), Heinemann, , 281 p. (ISBN 0-325-07040-7).

Articles connexes

Liens externes

  • Vincent Hiribarren, « Au XIXe siĂšcle, un État islamique africain de rĂ©fĂ©rence », sur liberation.fr, LibĂ©ration, .
  • Marc-Antoine PĂ©rouse de Montclos, « Les esclaves invisibles de l'Islam : Ă  quand l'heure de vĂ©ritĂ© ? », Études, t. 396, no 6,‎ , p. 751-759 (lire en ligne).
  • Paul E. Lovejoy, « Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux XVIIIe – XIXe siĂšcles », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 128,‎ , p. 87-103 (lire en ligne, consultĂ© le ).
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