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Clearview AI

Clearview AI est une entreprise amĂ©ricaine spĂ©cialisĂ©e dans la reconnaissance faciale. Elle fournit un logiciel basĂ© sur une technologie qu'elle dĂ©veloppe permettant de rechercher un visage parmi une base de donnĂ©es de plus de vingt milliards d'images, obtenues via web scraping sur Internet et notamment sur les rĂ©seaux sociaux. CensĂ© n'ĂȘtre commercialisĂ© qu'aux forces de l'ordre pour rĂ©soudre des affaires criminelles, diverses enquĂȘtes ont rĂ©vĂ©lĂ© depuis 2020 que l'usage de ce logiciel Ă©tait bien plus vaste, suscitant plusieurs controverses notamment autour de la menace que l'entreprise fait peser sur la vie privĂ©e, et ayant donnĂ© lieu Ă  des condamnations judiciaires multiples.

Technologie

Afin de constituer sa base de données, le logiciel de Clearview AI aspire automatiquement, via web scraping, le contenu de milliards de pages Internet telles que des profils publics hébergés sur les réseaux sociaux ou autres sites web sans le consentement ni de ces plateformes, ni des personnes dont les photos ont été récupérées[1] - [2].

Son service Smartchecker permet ainsi, pour ses utilisateurs, de comparer — via l'architecture client-serveur du logiciel, Ă  partir d'un smartphone ou d'un ordinateur — la photographie d'une personne avec une base de donnĂ©es estimĂ©e Ă  plus de trois milliards de photographies dĂ©but 2020[3] - [4], Ă  plus de dix milliards d'images en [5] et Ă  plus de vingt milliards en [6]. La recherche Ă  l'aide de l'outil affiche les photographies correspondantes dans la base de donnĂ©es de Clearview et les associe Ă  l'adresse web oĂč l'image a initialement Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©e[7]. Le logiciel donne enfin le moyen d'associer les donnĂ©es personnelles de quelqu'un — comme son nom, son Ăąge, son activitĂ© professionnelle ou ses relations — Ă  partir d'une photo de son visage, grĂące Ă  l'intelligence artificielle de l'outil[8] - [9].

Histoire

La sociĂ©tĂ© est fondĂ©e en 2017 par Hoan Ton-That (en) et Richard Schwartz (en), et a Ă©tĂ© initialement financĂ©e par le multimilliardaire Peter Thiel, fondateur de Palantir Technologies et membre du conseil d'administration de Facebook[3]. Plusieurs enquĂȘtes identifient l'entreprise comme ayant Ă©tĂ© proche de l'extrĂȘme droite, voire de personnalitĂ©s nĂ©onazies, Ă  partir de 2016[10] - [11] - [12].

Clearview AI rĂ©alise une augmentation de capital de 8,6 millions de dollars auprĂšs de ses investisseurs en [13], puis une nouvelle augmentation en — cette fois-ci pour un montant de 30 millions de dollars[14]. Au terme de l'opĂ©ration, l'entreprise Ă©tait valorisĂ©e Ă  130 millions de dollars[14] - [15].

En 2022, Clearview AI vise une nouvelle augmentation de capital de plusieurs dizaines de millions de dollars auprĂšs de ses investisseurs — notamment dans le but d'Ă©tendre sa base de donnĂ©es Ă  un total de 100 milliards de photographies, de façon Ă  « ce que presque chaque personne Ă  travers le monde soit identifiable »[Note 1] - [16] - [17].

Clients

Cible commerciale

La société déclare ne vendre son logiciel qu'aux forces de l'ordre, afin d'aider à la résolution d'affaires telles que des abus sexuels sur mineurs, par exemple[18].

Cependant, dĂ©but 2020, une violation de donnĂ©es de l'entreprise a rĂ©vĂ©lĂ© que de nombreuses organisations commerciales figurent sur la liste ses clients[19] — telles que Walmart, Macy's ou la National Basketball Association — si bien que le logiciel est utilisĂ© non seulement par des bureaux de police, mais Ă©galement par des sociĂ©tĂ©s privĂ©es, des universitĂ©s et des particuliers[2] - [20] - [21] - [22]. Les donnĂ©es de l'entreprise rĂ©vĂ©lĂ©es montrent Ă©galement que, contrairement au positionnement qu'elle affirme de ne commercialiser ses services qu'en AmĂ©rique du Nord, Clearview AI a dĂ©marchĂ© plus de 27 pays ailleurs dans le monde pour mettre Ă  disposition son logiciel, parmi lesquels l'Australie, le BrĂ©sil, l'Inde, la NorvĂšge, le Royaume-Uni, la Serbie, la Suisse, et une partie importante des Ă©tats membres de l'Union europĂ©enne[Note 2] - [22] - [23].

L'entreprise prĂ©voyait de mĂȘme, en , de proposer son service aux forces de police en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Qatar et Ă  Singapour — des Ă©tats rĂ©guliĂšrement considĂ©rĂ©s comme dirigĂ©s par des rĂ©gimes autoritaires ou restreignant les libertĂ©s individuelles[22] - [24].

Utilisation par la police et l'armée en Amérique du Nord

L'US Air Force achĂšte une licence du logiciel en , pour une somme de 50 000 dollars[25]. En , plus de 600 bureaux de police nord-amĂ©ricains Ă©taient clients de l'entreprise[3] - [26]. En , le United States Immigration and Customs Enforcement signe Ă©galement un contrat avec Clearview afin d'utiliser son logiciel, pour un montant de 224 000 dollars[12] - [27]. L'entreprise revendiquait 3 100 utilisateurs actifs en [27]. Selon une enquĂȘte de BuzzFeed News parue en avril de la mĂȘme annĂ©e, la technologie de la sociĂ©tĂ© a Ă©galement Ă©tĂ© utilisĂ©e, au moins temporairement, par l'US Army, l'US Navy, l'US Marine Corps et l'US Coast Guard[28].

Au Canada, la Gendarmerie royale détenait deux licences du logiciel en 2020 et seize licences en 2022[29].

Lors des manifestations consĂ©cutives Ă  la mort de George Floyd, en 2020, des bureaux de police amĂ©ricains utilisent la technologie de Clearview pour identifier et arrĂȘter des personnes accusĂ©es de violence ou de destruction de biens[30], et continuent de le faire alors qu'IBM, Amazon ou encore Microsoft renoncent dans le mĂȘme temps Ă  commercialiser leurs propres outils de reconnaissance faciale auprĂšs de la police tant qu'aucune rĂ©gulation nationale n'est mise en place, et en raison du taux d'erreur assez important des algorithmes dans la reconnaissance des personnes noires[31] - [32] - [33].

Les services de Clearview AI ont notamment été utilisés par la police américaine, parmi d'autres logiciels, pour identifier des assaillants de l'assaut du Capitole en [7] - [17] - [34].

Utilisation par l'Ukraine lors de l'invasion russe

Lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, l'armĂ©e informatique d'Ukraine utilise les services de Clearview pour identifier les corps de soldats russes morts au combat et informer leur famille de leur dĂ©cĂšs[35]. Bien que l'Ukraine dĂ©fende cette utilisation en avançant qu'elle pourrait engendrer un mouvement de contestation de l'invasion en Russie, la chercheuse en surveillance Stephanie Hare qualifie cette utilisation de guerre psychologique et pense qu'elle pourrait au contraire raffermir des positions anti-ukrainiennes. Un reprĂ©sentant du ministĂšre de la Transformation digitale ukrainien a Ă©galement confirmĂ© que l'outil de reconnaissance faciale est utilisĂ© pour identifier des soldats russes pillant les maisons et les vitrines. L'ONG de dĂ©fense des droits de l'homme Privacy International a appelĂ© Clearview Ă  cesser sa collaboration avec l'Ukraine et dĂ©clare que « les consĂ©quences potentielles — comme confondre des civils avec des soldats — seraient trop atroces pour ĂȘtre tolĂ©rĂ©es[35] ».

Controverses et procédures judiciaires

L'entreprise fait l'objet de plusieurs controverses et procédures judiciaires vis-à-vis des milliards d'images qu'elle a collectées sur Internet[36] - [37].

En , Twitter dĂ©pose une ordonnance de cessation et d'abstention Ă  l'encontre de la sociĂ©tĂ©, demandant la suppression de toutes les donnĂ©es collectĂ©es sur son site[38]. Cette requĂȘte est suivie par des demandes similaires de YouTube et Facebook en de la mĂȘme annĂ©e[39] - [40].

Toujours en , l'État du New Jersey interdit l'utilisation du logiciel sur son territoire le temps de s'assurer de la lĂ©galitĂ© de celui-ci[41].

Le , les autoritĂ©s de protection des donnĂ©es britannique et australienne ouvrent une enquĂȘte sur les pratiques de Clearview AI[9]. En , la Information Commissioner's Office condamne Clearview AI Ă  une amende de 7,5 millions de livres sterling pour avoir illĂ©galement collectĂ© les donnĂ©es de millions de citoyens britanniques. Elle exige Ă©galement que l'entreprise cesse de rĂ©cupĂ©rer les photographies de citoyens du Royaume-Uni et qu'elle « supprime les donnĂ©es des rĂ©sidents britanniques de ses systĂšmes »[42].

Le , les commissaires à la protection de la vie privée du Canada signent un rapport dans lequel ils déclarent que Clearview AI viole les lois canadiennes sur la vie privée en recueillant sans consentement préalable, et à leur insu, les photos de citoyens canadiens[43].

Le , l'ONG Privacy International dĂ©pose plusieurs rĂ©clamations en Europe et demande une enquĂȘte Ă  la CNIL sur les pratiques de Clearview AI[44]. Commercialisant ses produits aux États-Unis, la sociĂ©tĂ© estime en revanche relever uniquement du droit en vigueur dans ce pays et ne pas ĂȘtre soumis au RGPD, malgrĂ© le fait qu'elle ait collectĂ© les photographies de nombreux citoyens europĂ©ens[45].

En , la CNIL met en demeure l'entreprise, lui demandant de supprimer les donnĂ©es collectĂ©es en France et lui enjoignant de cesser ses pratiques sur le territoire français[45]. La procĂ©dure fait suite Ă  des plaintes reçues Ă  partir de et Ă  une alerte adressĂ©e en par l'association Privacy International, qui a donnĂ© lieu Ă  une enquĂȘte menĂ©e en collaboration avec plusieurs commissions homologues europĂ©ennes et qui aboutit Ă  l'absence de base lĂ©gale pour la collecte massive d'images[46]. Clearview n'ayant pas donnĂ© suite Ă  la mise en demeure, la CNIL la condamne Ă  cesser de collecter les photographies prises sur le territoire français, et Ă  une amende de 20 millions d'euros le , Ă  laquelle elle a deux mois pour se conformer sous peine d'une astreinte de 100 mille euros d'amende supplĂ©mentaires par jour de retard[47] - [48]. Suite Ă  sa condamnation d', Clearview ne rĂšgle pas l'amende et ne cesse pas ses pratiques ; aussi la CNIL lui demande-t-elle en de payer 5,2 millions d'euros d'astreinte, comme prĂ©vu par le dernier jugement[49].

En , la Garante per la Protezione dei Dati Personali (en), l'autoritĂ© de protection des donnĂ©es personnelles en Italie, inflige une amende de 20 millions d'euros Ă  Clearview AI pour avoir illĂ©galement collectĂ© et traitĂ© les donnĂ©es des personnes se trouvant sur le territoire italien ; lui enjoignant de cesser ses activitĂ©s en Italie et de supprimer toutes les donnĂ©es collectĂ©es sur le sol italien de sa base de donnĂ©es[50] - [51].

En , Clearview AI renonce Ă  commercialiser son logiciel et sa base de donnĂ©es biomĂ©triques Ă  des entreprises privĂ©es aux États-Unis Ă  la suite d'une condamnation dans l'État de l'Illinois, les juges ayant Ă©tabli que la sociĂ©tĂ© ne respectait pas le Biometric Information Privacy Act (en) en vigueur dans cet État[6] - [17]. EngagĂ© par l'Union amĂ©ricaine pour les libertĂ©s civiles en 2020, le procĂšs a Ă©galement actĂ© que la police de l'Illinois ne pourra plus utiliser les services de Clearview AI pendant cinq ans (les services fĂ©dĂ©raux ne sont pas soumis Ă  cette restriction[6]).

En , Clearview AI fait l'objet d'une nouvelle amende de 20 millions d'euros, infligĂ©e cette fois par l'autoritĂ© de protection des donnĂ©es grecques Ă  la suite d'une plainte dĂ©posĂ©e par l'association Homo Digitalis[52]. Il s'agit de la plus lourde amende jamais imposĂ©e par cette autoritĂ©, et Clearview AI est de surcroit interdite de traiter des donnĂ©es sur le territoire grec Ă  l'avenir[53].

Notes et références

Notes

  1. Citation originale dans le rapport financier de la sociĂ©tĂ© : « [
] almost everyone in the world will be identifiable [
] ».
  2. Incluant la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Irlande, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovénie et la SuÚde.

Références

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  8. Sébastian Seibt, « Clearview AI, la start-up de reconnaissance faciale qui pulvérise la vie privée », sur France 24, (consulté le ).
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Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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