Caisse d'escompte
La Caisse d'escompte est un organisme financier français, apparu une première fois en 1767 sous Louis XV, dissout deux ans plus tard, réinstitué par Louis XVI en 1776 pour être définitivement dissout le sur ordre de la Convention nationale. Elle est considérée comme l'ancêtre de la Banque de France. Elle n'eut jamais ce statut ni le pouvoir d'émettre de la monnaie papier ayant cours légal.
Caisse d'escompte | |
Création | et |
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Disparition | |
Fondateurs | Isaac Panchaud |
Siège social | Paris |
Sa mission
La Caisse d'escompte est la résurgence d'une première Caisse, qui avait été lancée en et placée sous la direction de Jean-Joseph de Laborde, alors banquier du roi, et qui fut liquidée en 1769[1]. La fondation de cette première Caisse fait suite principalement aux difficultés de trésorerie et de fonds de roulement de la Compagnie française des Indes orientales lourdement frappée après la fin de la Guerre de Sept Ans.
La famine au Bengale de 1770 affaiblit à son tour la Compagnie britannique des Indes orientales, le tout déclenche une grave crise financière en 1772, et provoque une série de faillites en cascade partout en Europe. C'est dans ce climat que va s'imposer la création d'une nouvelle caisse.
Créée par arrêts du Conseil le et , avec l'appui de l'administrateur des finances Turgot, par le banquier britannique Isaac Panchaud, théoricien de l’amortissement et admirateur de la révolution financière britannique, conseillé par le négociant Thomas Sutton de Clonard, la nouvelle Caisse d'escompte eut pour mission d'escompter les lettres de change et autres effets de commerce afin de faire baisser le taux d'intérêt du crédit commercial et de fluidifier les échanges. Elle réussit aussi cette mission par le biais d'une baisse du taux d'intérêt (plafonnés à 4 %) des emprunts publics, qu'elle s'est mise progressivement à racheter sur le marché, au prix d'un endettement conséquent.
Le capital de départ annoncé est de 15 millions de livres divisé en 5 000 actions de 3 000 livres, ce qui place le montant de la souscription à un seuil relativement élevé. Le remboursement est étalé sur 15 années. Panchaud assure la direction les premières années et rencontre de vives difficultés pour réunir le capital qui est abaissé à 12 millions en . Le dividende versé se monte à 1 %, ce qui n'est pas jugé suffisant par le marché. L'ensemble des banques de la place de Paris va alors aider la Caisse en souscrivant le solde du capital resté en suspens[2]. Une hausse des bénéfices est constatée jusqu'en 1782, bien que les statuts de la Caisse ne prévoyaient nullement de réserve métallique conséquente : en cas de ruée aux comptoirs, le risque de banqueroute était donc réel, ce qui faillit arriver au premier trimestre 1783 quand une prise de bénéfice entraîna une chute dramatique du niveau d'encaisse, à savoir 138 000 livres pour plus de 42 millions de titres en circulation. Le plus gros débiteur était le Trésor qui devait 6 millions.
De 1781 à 1783, et en 1791, l'administrateur principal en fut le banquier Étienne Delessert. L'un des grands promoteur du rôle de la Caisse à un niveau national fut Jacques Necker, qui dès 1783, tente de persuader Louis XVI d'en transformer les statuts sur le modèle de la Banque d'Angleterre.
Évolution du cours et crise de 1788
Les actions de la Caisse d’escompte, cotées en Bourse, chutèrent en de 5 000 à 3 000 livres, laissant supposer que la banqueroute était imminente. Le problème était seulement le manque d’espèces (le « numéraire »), qui empêchait la banque d’échanger ses propres effets de commerce contre des espèces par le biais de l'escompte. Les autorités financières, le Trésor en tête, réglèrent la crise en retirant de la circulation de nombreux billets et obtinrent du gouvernement l’autorisation de recapitaliser la Caisse via un emprunt de loterie qui eut un grand succès, et permis de faire remonter son capital à 15 millions, provoquant un rebond de l'action. À la suite de cette crise, Panchaud et le jeune Talleyrand proposèrent un nouveau plan de financement aux actionnaires et le cours remonta.
Lorsqu'en 1787 Calonne devint contrôleur général aux Finances, il voulut élargir le capital de la Caisse à de plus nombreux souscripteurs, afin de produire plus de liquidités pour le Trésor. Ce furent 100 millions annoncés répartis ainsi : 30 % dans les coffres de la Caisse et 70 % au Trésor. En juin, le titre cotait 12 440 livres, soit plus de 4 fois le pair[3]. Durant l'été, se produisit une ruée vers les comptoirs, on échangea pour 33 millions de titres : mauvaises récoltes annoncées, rumeurs diverses autour de Calonne, firent que les coffres de la Caisse se vidèrent.
Dès le mois d' — en fait dès 1785, au moment de la réforme monétaire de Calonne et sous la plume notamment de Mirabeau, adversaire acharné de la Caisse[4] —, l'idée de transformer les effets de la Caisse en papier ayant effectivement force de monnaie avait fait son chemin tandis que le roi et son conseil envisageaient en juin puis formellement le la convocation des États généraux pour l'année suivante (). Une nouvelle crise éclate, cette fois durant l'été : un arrêt du conseil du roi est signé le déclarant le cours forcé des effets de caisse. Les conséquences seront désastreuses : d'abord parce qu'avec cette décision arbitraire, l’État reconnait ne pas avoir assez de numéraire pour couvrir les effets (on parlait alors de 70 millions nécessaires) en suspendant leur paiement à vue ; ensuite que cet arrêt, suivi de deux autres, ne font qu'amplifier la méfiance des commerçants, artisans et autres intermédiaires, alimentant les mouvements de panique conséquents ; personne n'est donc prêt à accepter ces effets comme mode de règlements entre particuliers. Se profile alors la menace de banqueroute du Trésor[5]. Le , le contrôleur général aux finances Loménie de Brienne démissionne.
Vers la liquidation
Administrateur principal de la Caisse[6], Lavoisier adresse par la suite à l'Assemblée nationale formée le un bilan financier positif — sur lequel on émet cependant des doutes —, en même temps qu'il plaide pour transformer celle-ci en institution nationale, projet bientôt soutenu par Mirabeau qui tente ainsi d'aller dans le sens de Jacques Necker, le nouveau Contrôleur général des finances.
À partir de , Necker, qui a suspendu l'émission de bons du Trésor, réclame à la Caisse de plus en plus d'avances : celle-ci devient donc de facto la banque du roi, les administrateurs n'osant refuser les demandes des Finances, qui bientôt totalisent plus de 30 millions. Toutefois, au , si le bilan de la Caisse laisse apparaître un numéraire évalué à 32 millions, ce qui est positif, on constate aussi une traite de 24 millions avec la Banque de Saint-Charles de Madrid, laquelle est fragilisée. Quand Necker fut rappelé en , il pouvait encore compter sur les subsides de la Caisse, ce qu'il fit jusqu'en novembre où il eut alors l'idée de la nationaliser.
Au moment où l'idée de nationaliser les biens du clergé et la création de l'assignat émergent, Lavoisier se prononce également sur le rôle à donner à la Caisse d'escompte en matière d'émission monétaire et sur le choix entre papier-monnaie et « papier représentatif des espèces »[7]. Le Comité des Finances, représenté par Pierre Samuel Dupont de Nemours, examine les comptes du Trésor Public et de la Caisse et accorde en le remboursement par l’État d'un prêt consenti par celle-ci. Au cours de l'année 1790, le Trésor réduit considérablement les marges de manœuvre de la Caisse, en réduisant les effets d'escompte, créant un nouveau début de panique chez les commerçants, puis ces effets sont revêtus de la mention « Promesse d'assignat » afin que chaque porteur puisse échanger leurs bons de caisse, quand le système des assignats est enfin voté par la Constituante : du papier contre du papier donc. Du fait de la raréfaction des métaux précieux par thésaurisation, fruit du contexte révolutionnaire et par la suite militaire, ce profond désordre financier allait durer plus de sept ans et plonger la France dans une situation de famine monétaire, de course aux crédits et de tensions inflationnistes.
Annulant les arrêts d', la loi du ordonne l'échange des effets de la Caisse d'escompte contre des assignats, qui deviennent ainsi le seul papier monétaire.
La Caisse est liquidée par décret le après une série de procès, et les députés Cambon et Delaunay d'Angers sont nommés vérificateurs des comptes placés sous scellés.
Procès et sanctions
Cette liquidation décrétée le s'accompagne de celle de la Compagnie des Indes orientales (qui prendra fin en 1795) et la dissolution de toute sociétés par action[8]. Le même jour, Cambon instaure le Grand-Livre de la Dette publique avec l'idée de rallier les rentiers à la cause de la Révolution.
En , Delaunay est entraîné dans une série d'erreurs, de compromis, tant du côté des actionnaires des différentes sociétés en cours de liquidation, que de celui d'autres députés. Il est arrêté pour corruption et guillotiné le .
Le liquidateur principal de la Caisse fut ensuite André-Daniel Laffon de Ladebat qui, de retour d'exil, ne put achever sa mission que sous l'Empire.
Bilan
La Caisse d'escompte fut le point de départ des grandes spéculations boursières sous Louis XVI.
Cependant, la Caisse d'escompte permit de lancer indirectement une politique d'emprunts publics à l'époque où l'armée et l'industrie se modernisaient. Jacques Necker y fit nommer de grands banquiers français (dont l'armateur Jean-Baptiste Magon de La Balue) et utilisa son réseau de contacts européens, ainsi que celui d'Isaac Panchaud, pour placer les emprunts dans l'Europe entière et faire baisser leur taux d'intérêt. Lors de la guerre d'indépendance des États-Unis, la Caisse se mit à négocier les effets publics, notamment sur le marché international.
Elle rendit de réels services au commerce et permit aussi de réaliser les emprunts du contrôleur général des finances de Louis XVI, Charles Alexandre de Calonne. Son statut ambigu d'entreprise privée, chargée du bien public mais indépendante, fut cependant critiqué au moment de la Révolution. Elle fut mise en liquidation par la Convention en 1793, un siècle exactement après la création de la Banque d'Angleterre.
Il existait dans les années 1780 une confusion quant au statut des actions de la Nouvelle Compagnie des Indes, la Compagnie des Eaux de Paris, la Banque de Saint-Charles de Madrid et la Caisse d’escompte. Aucun de ces organismes ne pouvaient en définitive être considérés comme des entreprises privées : leur existence dépendait dans une certaine mesure de l’État. Ainsi, la Compagnie des Indes bénéficiait d’un monopole sur l’importation de tissus étrangers, tandis que 90 % des actions de la Compagnie des Eaux étaient entre les mains du gouvernement[9].
La Caisse d'escompte ne doit pas être confondue avec la Caisse d'escompte du commerce, qui naîtra, elle, en 1797. La Caisse renaîtra en définitive de ses cendres sous le nom de Caisse des comptes courants en 1796, au moment de la vague de réorganisation et de libéralisation bancaire mise en place par le Directoire. De par son histoire, elle peut être considérée comme l'ancêtre de la Banque de France, de la direction du Trésor et de la Caisse des dépôts et consignations. Elle n'eut cependant jamais pouvoir d'émettre de la monnaie.
Bibliographie
- Mirabeau, De la caisse d'escompte, s.n., 1785 - lire sur Gallica.
- LĂ©on Say, Histoire de la Caisse d'escompte, 1776 Ă 1793, Reims, Impr. P. Regnier, 1848 - lire sur Gallica.
Notes et références
- P. Harsin, Crédit public et Banque d’État en France au XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, 1933, p. 170-221.
- LĂ©on Say, op. cit.
- LĂ©on Say, op. cit, p. 15.
- De la caisse d'escompte, op. cit.
- Origines de la Caisse d'escompte. Ses progrès, ses révolutions... par Ducloz Dufresnoy, notaire, lettre au député Mirabeau, Paris, 30 septembre 1789.
- « Lavoissier, financier » in Vie de Lavoisier, CNRS, en ligne.
- Adresse des actionnaires de la Caisse d'Escompte, à Nos seigneurs de l'Assemblée Nationale. Du 20 novembre 1789., Paris, Baudouin, [1789].
- Il faut attendre la Révolution soviétique de 1917 pour qu'une telle décision se reproduise dans l'Histoire.
- Richard Whatmore et James Livesey, "Étienne Clavière, Jacques-Pierre Brissot et les fondations intellectuelles de la politique des girondins, § La dette et la République, Annales historiques de la Révolution française, juil. 2000.