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Attaques de fermes en Afrique du Sud

Les attaques contre des fermes en Afrique du Sud sont des crimes violents, notamment des meurtres, des voies de fait, des viols et des vols qui se dĂ©roulent dans des fermes d’Afrique du Sud[1] et ciblent leurs propriĂ©taires, souvent des Blancs, mais aussi des ouvriers agricoles, gĂ©nĂ©ralement noirs[1] - [2].

Le monument Witkruis situĂ© Ă  Ysterberg, prĂšs de Pietersburg, est une sĂ©rie de plus de 4 000 croix blanches (Witkruis) Ă©rigĂ©es depuis 2003 Ă  la mĂ©moire des agriculteurs sud-africains assassinĂ©s

Le terme n’a pas de dĂ©finition lĂ©gale formelle, mais de telles attaques (397 comptabilisĂ©es par la police pour 2019-2020[3]) ont fait l’objet d'articles universitaires, de reportages et de discussions dans les mĂ©dias, dans la sphĂšre politique nationale et internationale. Les attaques de fermes sont ainsi une forte source de prĂ©occupation pour les syndicats agricoles et pour le gouvernement sud-africain du fait de l'impact Ă©conomique de l'activitĂ© des fermiers mais les plans de sĂ©curitĂ© rurale qui ont Ă©tĂ© mis en place[4] se sont rĂ©vĂ©lĂ©s peu efficaces[5].

Les donnĂ©es publiĂ©es par le gouvernement sud-africain en 2018 ont montrĂ© que le nombre d'attaques de fermes avait augmentĂ© entre 2012 et 2018, mais que le nombre de meurtres dans des fermes avait diminuĂ© d'annĂ©e en annĂ©e au cours de cette pĂ©riode[6]. Les diverses donnĂ©es restent cependant insuffisantes pour permettre une estimation fiable du taux d'homicide des fermiers sud-africains[7]. Les donnĂ©es du gouvernement sud-africain indiquent qu'entre 58 et 74 meurtres sont commis par an dans des exploitations agricoles pour la pĂ©riode 2015-2017 sur un dĂ©nombrement annuel d'environ 20 000 meurtres en Afrique du Sud (alors qu'1,4 million de personnes sont employĂ©es dans le secteur de l'agriculture, de la chasse, de la sylviculture et de la pĂȘche[5]). Ces chiffres sont globalement conformes aux chiffres recueillis par l'Union agricole du Transvaal (TAU)[6]. Le syndicat agricole, AgriSA[8], a fait Ă©tat de statistiques policiĂšres indiquant que le taux de meurtres dans les exploitations agricoles avait atteint son plus bas niveau en 20 ans, pour atteindre un tiers du niveau enregistrĂ© en 1998[9]. Compte tenu des difficultĂ©s Ă  dĂ©finir et comptabiliser le nombre total de fermiers sud-africains par rapport au nombre de meurtres touchant cette communautĂ©, il n’est pas clair s'ils risquent davantage d’ĂȘtre assassinĂ©s que les autres Sud-Africains[7].

Les affirmations non Ă©tayĂ©es selon lesquelles de telles attaques de fermiers visent de maniĂšre disproportionnĂ©e les Blancs constituent un Ă©lĂ©ment clef de la thĂ©orie du complot du gĂ©nocide blanc et sont devenues un sujet de discussion commun parmi les nationalistes blancs au niveau mondial [10] - [11] - [12] - [13] - [14] - [15]. Cependant, il n'y a aucun chiffre fiable qui suggĂšre que les fermiers blancs soient ciblĂ©s en particulier ou qu'ils aient un risque disproportionnĂ© d'ĂȘtre tuĂ©s[16] - [7] - [11] - [17] - [18] - [19] - [15]. Le gouvernement sud-africain, des analystes et Afriforum, une organisation non gouvernementale de dĂ©fense des Afrikaners, maintiennent que les attaques font partie d'un problĂšme plus large de criminalitĂ© en Afrique du Sud et n'ont pas de motifs raciaux[2] - [11] - [20] - [21].

Contexte

Le concept de Farm attack

Les attaques contre les fermes (« farm attack » en anglais) sont devenues une prĂ©occupation importante en Afrique du Sud, dans les annĂ©es qui ont suivies la fin de l'apartheid[22]. Le terme mĂ©rite cependant d'ĂȘtre explicitĂ© en l'absence de dĂ©finition juridique existante. Dawie Swart, criminologue Ă  l'UniversitĂ© d'Afrique du Sud, caractĂ©rise le terme de « farm attack » comme Ă©tant un concept global qui recouvre diverses actions visant Ă  provoquer des dommages et des souffrances aux agriculteurs et Ă  leurs dĂ©fendeurs, Ă  leurs employĂ©s, Ă  leurs biens et Ă  leurs possessions. Une attaque de ferme est une situation dans laquelle les habitants d'une ferme sont physiquement attaquĂ©s avec un objectif prĂ©cis des agresseurs « qui peut ĂȘtre de tuer, de violer, de voler ou d'infliger des blessures physiques »[23]. Pour Swart, la dynamique de ces attaques se rĂ©vĂšle aussi beaucoup plus compliquĂ©e qu'on ne peut le croire habituellement.

Adeoye O. Akinola, chercheur à l'université de Johannesburg a noté que la police sud-africaine définit les attaques agricoles comme étant des actes visant personnellement « les résidents, les employés et les visiteurs des fermes et des petites exploitations, que ce soit avec l'intention de tuer, de violer, de voler ou d'infliger des lésions corporelles ». Il constate aussi que la police y englobe plus largement « toutes les actions visant à perturber les activités agricoles » sans faire de distinctions selon le motif (idéologiques, relations de travail, problÚmes fonciers, vengeances, griefs personnels, racismes, intimidation) [22].

Les universitaires H. Strydom et S. Schutte ajoutent au concept des considérants intentionnels, prémédités et militairement organisés (embuscade, incendie ...)[24] - [22].

Pour Johan Burger, de l'Institute for Security Studies, les attaques de fermes et les meurtres Ă  la ferme devraient constituer une catĂ©gorie de crimes Ă  part entiĂšre, au cĂŽtĂ© d'autres catĂ©gories telles que les cambriolages ou le carjacking et ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme un crime prioritaire[25]. Le chercheur Adeoye O. Akinola estime Ă©galement nĂ©cessaire de catĂ©goriser spĂ©cifiquement ces crimes, Ă  l'instar de la « violence sexiste », afin de dĂ©politiser le dĂ©bat sur cette thĂ©matique[26].

Aperçu historique

Les premiĂšres attaques rĂ©pertoriĂ©es de fermiers ou assimilĂ©s en Afrique du Sud remontent Ă  1653 (en l’occurrence un berger), soit un an Ă  peine aprĂšs la fondation de la ville du Cap[27] - [4]. Durant la pĂ©riode oĂč l'esclavage Ă©tait lĂ©gal (avant 1830), quelques rĂ©voltes d'esclaves se soldent parfois par des tueries de fermiers et de leurs familles[28] - [4]. Les causes des attaques de fermes et de fermiers sont toutefois multiples : vol, vengeance, conflits de pĂąturage[4] (notamment lors des guerres cafres).

Au XIXe siÚcle, que ce soit dans les colonies britanniques du Cap et du Natal que dans les républiques boers du Transvaal et de l'Etat libre d'Orange, les fermiers blancs, colons ou boers, sont souvent isolés et en proie à un fort sentiment d'insécurité. Souvent c'est la peur (des viols notamment par les indigÚnes) et les rumeurs d'empoisonnement ou de massacres que craignent les fermiers (en 1917 en Angola, une révolte dans les plantations avait été marquée par le meurtre de fermiers blancs, plusieurs d'entre eux ayant été victimes d'empoisonnement par leur personnel)[28]. Au XXe siÚcle, plusieurs attaques de fermes, souvent isolées, et de meurtres de leurs propriétaires, souvent ùgés, sont mentionnées dans la presse[4].

Médaille commémorative créée par la SANDF lors du démantÚlement des unités de commandos

En 1715, des volontaires s'Ă©taient constituĂ©s en milices appelĂ©es commandos pour assurer la sĂ©curitĂ© des communautĂ©s agricoles de la colonie du Cap[5]. Dans les rĂ©publiques boers, quand un danger menaçait, tous les hommes d'une communautĂ© de district, armĂ©es de leurs propres armes, se constituaient en milice civil. Durant la premiĂšre guerre des Boers, de tels commandos composĂ©s d'agriculteurs constituaient l'armature de l'armĂ©e boer et ils furent dissous aprĂšs la seconde guerre des Boers. Durant la pĂ©riode d'apartheid, des unitĂ©s de commandos, chargĂ©s de la sĂ©curitĂ© en milieu rural, sont mis en place Ă  l'initiative du parti national, dans le cadre de la force de dĂ©fense sud-africaine (SADF), pour assurer Ă©galement la sĂ©curitĂ© des agriculteurs et des travailleurs agricoles. En tant qu'unitĂ©s civiles auxiliaires, ils sont notamment chargĂ©s en zone rurale d'intervenir et de supplĂ©er l’État en cas de sĂ©cheresse, d'inondations, de troubles civils ou de gĂ©rer les Ă©pidĂ©mies. La fin de la conscription et la baisse du volontariat au dĂ©but des annĂ©es 1990 entame le dĂ©clin de ces unitĂ©s[5]. En 1998, les commandos font partie du plan de sĂ©curitĂ© rural (RPP) du gouvernement qui, en matiĂšre criminelle, classe les attaques de fermes dans les prioritĂ©s du gouvernement au cĂŽtĂ© des attaques de banques, des violences des gangs et des crimes sur femmes et enfants[29]. Ainsi le prĂ©sident Nelson Mandela encourage les fermiers blancs Ă  grossir les rangs des commandos[5]. Cependant, en 2003, le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, annonce leur dĂ©mantĂšlement au motif que ces formations Ă©taient des unitĂ©s relevant de l'armĂ©e formĂ©es Ă  l'Ă©poque de l'apartheid, ne s’intĂ©ressaient, selon lui, qu'Ă  la sĂ©curitĂ© des fermiers blancs et pas Ă  celle de leurs ouvriers agricoles, constituaient une force de police parallĂšle et n'Ă©taient pas assez racialement diversifiĂ©s[5]. Il annonce leur remplacement par une autre force de sĂ©curitĂ© en milieu rural qui serait cette fois sous commandement de la police. Cette dĂ©cision cependant est mal acceptĂ©e par la communautĂ© des agriculteurs blancs qui voient la dissolution des commandos existants comme une tentative par le gouvernement sud-africain de les rendre vulnĂ©rables Ă  la criminalitĂ©[5].Frans Cronje, directeur de l'institut sud-africain des relations raciales (SAIRR), note, parmi d'autres[5], que le dĂ©mantĂšlement de ces unitĂ©s de commandos, qui avaient dĂ©montrĂ© une certaine efficacitĂ© dans la lutte contre la criminalitĂ© en zone rurale, l'inefficacitĂ© manifeste des deux unitĂ©s distinctes qui les avaient remplacĂ©, l'Ă©chec du RPP[5], le moratoire dans l'embauche de rĂ©servistes dans la police, une certaine dĂ©sorganisation dans leur formation et un manque d'Ă©quipement, a finalement aggravĂ© la vulnĂ©rabilitĂ© des fermiers et des agriculteurs[30]. Johan Burger, de l'Institute for Security Studies, estime de son cĂŽtĂ© que la police doit dĂ©velopper une stratĂ©gie dĂ©diĂ©e aux crimes violents commis dans les fermes et les petites exploitations, et cibler plus spĂ©cifiquement les groupes responsables de ces crimes[25].

Criminalité générale en Afrique du Sud

Depuis la fin de l'apartheid, plusieurs milliers de fermes ont été attaqués et plusieurs milliers de fermiers et de leurs proches ont été assassinés. Ces attaques ont pris de l'ampleur à partir de 1993 et ont été marquées par un recours accrue à la violence, la motivation principale demeurant le vol d'argent, d'objets précieux, d'armes ou de voitures[4]. Le débat à proprement parler sur les attaques contre les exploitations agricoles et les petites exploitations émerge en 1997 et est pris trÚs au sérieux par les syndicats agricoles et le gouvernement sud-africain[4]. Lors du Sommet sur la sécurité rurale, tenu à Midrand en octobre 1998, le problÚme des attaques agricoles est reconnu comme «complexe et multiforme» alors que celles-ci connaissent une augmentation disproportionnée par rapport à l'augmentation générale des chiffres de la criminalité avant d'atteindre un sommet au début des années 2000[4].

La pauvretĂ© est souvent un argument invoquĂ© pour expliquer les attaques de fermes, souvent accompagnĂ©s de pillages, d'actes de torture, de viols, voire de meurtres, lesquels sont facilitĂ©s par l'isolement inhĂ©rent aux zones rurales[31]. Frans Cronje, pour le SAIRR, souligne, en 2017, que prĂšs d'un demi-million de personnes ont Ă©tĂ© assassinĂ©s en Afrique du Sud depuis 1994 et que, concernant les attaques contre les fermiers, dont beaucoup sont blancs, il y a parfois des motivations racistes derriĂšre ces crimes, mais pas systĂ©matiquement[30]. AprĂšs avoir analysĂ©s les diffĂ©rents rapports officiels basĂ©s sur les informations disponibles concernant les attaques agricoles et la sĂ©curitĂ© en zone rurale, les chercheurs Ă  l'UniversitĂ© de l'État-Libre, Chitja Twala et Marietjie Oelofse, soulignent que l'Ă©crasante majoritĂ© des attaques agricoles, souvent planifiĂ©es, semble relever de motivations purement criminelles (vols d'armes, d'argent liquide, de voitures, etc.) avec quelques cas de vengeance personnelle et que les auteurs agissent souvent en groupe[5]. Les deux chercheurs Ă©mettent cependant plusieurs rĂ©serves sur ces rapports officiels, aprĂšs avoir relevĂ©s des contradictions entre les incidents relevĂ©s et les statistiques publiĂ©es ainsi que des conclusions hatives[5]. L'ONG AfriForum, un lobby afrikaner[32], confirme que « [l'Afrique du Sud est un pays trĂšs violent mais que selon eux] ces attaques ont aussi une cause politique. Certains de nos dirigeants prĂȘchent la haine contre les fermiers blancs et les accusent de tous les maux »[33]. De son cĂŽtĂ©, la police sud-africaine mentionne que les meurtres (concernant les fermes) ne sont pas majoritairement racistes[34].

Le site sud-africain de vĂ©rification des faits Africa Check souligne que l'Afrique du Sud souffre, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, d'un trĂšs grave problĂšme d'insĂ©curitĂ© et que les meurtres de fermiers blancs ne reprĂ©sentent qu'une infime partie des 19 000 meurtres commis entre 2016 et 2017[35]. Ils sont donc considĂ©rĂ©s comme statistiquement nĂ©gligeable[36] - [34] mĂȘme si les attaques de fermes sont une forte source de prĂ©occupation pour les syndicats agricoles et pour le gouvernement sud-africain qui, considĂ©rant leur spĂ©cificitĂ© et l'impact Ă©conomique de l'activitĂ© des fermiers, prend l'initiative d'organiser des confĂ©rences sur le sujet en 1997 et de proposer des plans de sĂ©curitĂ© rurale[4] qui se rĂ©vĂšlent finalement inefficaces[5].

Dans Le Point, le journaliste Marc Nexon rapporte que 3 000 fermiers ont Ă©tĂ© assassinĂ©s depuis 1994 et qu'ils auraient mĂȘme entre cinq et dix fois plus de risques de mourir de mort violente que le reste de la population[31]. AfriForum estime pour sa part que les fermiers blancs ont une probabilitĂ© 4,5 fois plus importante que les autres sud-africains d'ĂȘtre assassinĂ©s dans leur pays[34]. AprĂšs avoir effectuĂ© ses propres calculs, le site de vĂ©rification des faits (Reality Check) de la BBC conclut qu'il n'est pas possible d'affirmer qu' « il y a davantage de probabilitĂ© que les fermiers soient victimes d’homicides que le reste de la population »[7] - [37]. Cronje, pour la SAIRR, souligne, en 2017, la difficultĂ© Ă  quantifier les crimes concernant les fermiers blancs, y compris en termes d'estimations comparatives, et qu'en fonction de diffĂ©rentes variables prises en compte, il est possible de dĂ©montrer que les agriculteurs sont susceptibles d'ĂȘtre plus attaquĂ©s ou assassinĂ©s chez eux que les autres sud-africains ou bien que le taux de meurtre les concernant est comparable[30]. Il estime aussi qu'il n'existe pas de volontĂ© politique pour aider les fermiers ou pour combattre la criminalitĂ© d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, que l’État s'est dĂ©sengagĂ© (entre autres) des communautĂ©s rurales et que la rhĂ©torique politique dĂ©crivant les agriculteurs comme des voleurs, des violeurs ou des meurtriers qui mĂ©ritent d'ĂȘtre expulsĂ©s, contribue Ă  une situation d'insĂ©curitĂ© pour les fermiers, lesquels sont vulnĂ©rables car souvent isolĂ©s[30]. Adeoye O. Akinola relĂšve pour sa part la mĂ©fiance des fermiers blancs envers la police et la justice, citant qu'en 2015, sur 41 % de suspects arrĂȘtĂ©s, 39 % seulement avaient Ă©tĂ© inculpĂ©s et 23 % condamnĂ©s (selon un rapport Ă©tabli par Afriforum pour le forum des minoritĂ©s du conseil des Nations-unies) [38]. Il estime urgent de crĂ©er et former une unitĂ© spĂ©ciale de la police afin de gĂ©rer efficacement la complexitĂ© des crimes Ă  la ferme et d'apprĂ©hender les coupables pour les faire comparaitre devant la justice[26].

Au-delĂ  du cas spĂ©cifique des fermiers et, en termes de catĂ©gories raciales, le site Africa Check estime aussi que les blancs sud-africains ont moins de probabilitĂ© d'ĂȘtre victimes d'un meurtre que les autres groupes raciaux du pays[37]. Ranjeni Munusamy, une journaliste proche du clan Zuma, mentionne que « la plupart (des victimes) sont probablement noires » et qu'« il s’agit apparemment de statistiques anonymes dans un pays oĂč la douleur et la souffrance sont classĂ©es en fonction de la couleur de peau et de la classe sociale ».

Question de la propriété des terres et de la réforme agraire

La question d'une Ă©ventuelle redistribution des terres est l'un des sujets les plus Ă©pineux de l'Afrique du Sud post-apartheid[35] - [36] - [39] - [40]. En 2013, le nombre d’exploitations agricoles dĂ©tenues par des blancs Ă©tait de 39 000 (contre 60 000 en 1996) mais du fait du trĂšs modeste transfert de terre et de la fusion/concentration des exploitations ou de leur reconversion Ă  de diverses fins commerciales (comme l'agriculture industrielle, les agrocarburants, la production de faune et le tourisme animalier ou la spĂ©culation fonciĂšre), le pourcentage de contrĂŽle des terres agricoles par des blancs n'a que peu Ă©voluĂ© et baissĂ© de moins d'un tiers depuis la fin de l'apartheid[41].

Selon le Land Audit report rĂ©alisĂ© en 2017 et publiĂ© en par le ministĂšre du dĂ©veloppement rural et de la rĂ©forme agraire, environ 37 millions d'hectares appartiennent Ă  des particuliers en Afrique du Sud, soit 39 % du total des terres arables[42]. Environ 36 000 particuliers blancs, qui reprĂ©sentent 8,9 % de la population, possĂšdent 26,6 millions de ces 37 millions d’hectares, soit 72 % de ces terres exploitĂ©es, tandis que les Noirs n’en possĂšdent que 4 %, le reste des terres cultivables Ă©tant rĂ©parti entre diffĂ©rentes autres communautĂ©s[35] - [31] - [32]. Les 61 % de terres restantes se trouvent aux mains de diffĂ©rentes entitĂ©s que ce soit des fondations dont des Ă©glises (31 % du total), des sociĂ©tĂ©s privĂ©es (25 %), notamment des sociĂ©tĂ©s miniĂšres, et des associations communautaires (4 %) sans que le profil racial de ces structures soit prĂ©cisĂ©[42].

Les analystes pointent notamment la situation d'injustice ressentie sur la propriété des terres, qui est passé durant le XXe siÚcle de la population noire autochtone, à la population blanche, pour une grande partie. Les populations autochtones noires en ont été progressivement dépossédées à partir du début du XXe siÚcle (via le Natives Land Act)[43].

Dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1990, Ă  la suite de la victoire du congrĂšs national africain et de la formation d'un gouvernement d'unitĂ© national, la politique mise en place, tournĂ©e vers la libĂ©ralisation de l’agriculture commerciale, a renforcĂ© une production avantageant les industries agro-alimentaires et de nombreux propriĂ©taires fonciers blancs, supprimant au passage les subventions publiques qui avaient permis sous l'apartheid Ă  de petits agriculteurs blancs de ne pas faire faillite, accĂ©lĂ©rant aussi les politiques de concentration et de « rationalisation » du secteur[41]. Or, le congrĂšs national africain avait promis aux populations noires de redistribuer 30 % des terres privĂ©es dĂ©tenues par des blancs ou confisquĂ©es sous l'apartheid et de sĂ©curiser la tenure fonciĂšre[41]. La rĂ©forme mise en place, qui fut finalement un Ă©chec, s'organisait autour de l’achat de fermes privĂ©es blanches au prix du marchĂ© et s'Ă©tait finalement orienter vers le soutien Ă  des sĂ©lections de fermiers noirs ayant la capacitĂ© de s’intĂ©grer dans le secteur agricole commercial. Ainsi, si moins de 8 % des terres furent transfĂ©rĂ©es en 20 ans, la moitiĂ© de ces terres fut ensuite revendue Ă  des exploitants blancs alors que la demande de terre, par les ouvriers agricoles noirs notamment, demeure trĂšs importante et inassouvie[41]. En plus du manque de volontĂ© de l’État et des insuffisances fonctionnelles des gouvernements locaux, l'hostilitĂ© de nombreux fermiers blancs, trĂšs organisĂ©s, a contribuĂ© Ă©galement Ă  l'Ă©chec de cette premiĂšre rĂ©forme agraire[41].

L'un des arguments utilisĂ©s pour justifier une expropriation est l'extension des Ă©levages gĂ©rĂ©s par les Blancs, dont la gestion « rationnelle » empĂȘchait sa dĂ©gradation et sa dĂ©sertification, Ă  rebours des terres qui auraient Ă©tĂ© gĂ©rĂ©es par les autochtones, mais ce dernier argument n'a pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© par les faits, au contraire[44].

La question de la redistribution fonciĂšre ne fait pas consensus entre le gouvernement, issu de l'ANC, et la minoritĂ© blanche. Le premier obstacle Ă  une telle politique permettant des d'expropriations sans indemnitĂ©s est la Constitution qu'il faudrait modifier[31]. Or, si l’expropriation des Blancs est prĂ©sentĂ©e par le gouvernement comme un avancĂ©e vers la rĂ©conciliation nationale[45], les modalitĂ©s lĂ©gislatives et constitutionnelles pour l'adoption d'une nouvelle loi fonciĂšre suscitent des inquiĂ©tudes chez les investisseurs obligeant le gouvernement Ă  la prudence[46]. Le projet de loi fonciĂšre, prĂ©voyant des expropriations sans indemnisation, nĂ©cessitant donc la modification de la Constitution concernant la protection du droit de propriĂ©tĂ©, est rejetĂ© en dĂ©cembre 2021 par le parlement, faute de majoritĂ© qualifiĂ© des deux tiers des dĂ©putĂ©s pour l'adopter[47].

Camille BelsƓur rapporte dans Slate que c'est un « hĂ©ritage empoisonnĂ© qui hante ses campagnes oĂč la dramatique continuitĂ© des inĂ©galitĂ©s de l’apartheid ». La redistribution des terres promise depuis des dĂ©cennies par l'ANC est bloquĂ©e et les communautĂ©s noires rurales dĂ©sespĂ©rĂ©es envisage la violence en dernier recours. Il est frĂ©quent que les assassinats soient commis par d'anciens ouvriers agricoles[39].

Radicalisation politique

En 2009, Julius Malema, alors chef de la Ligue de jeunesse du CongrĂšs national africain, rĂ©active Dubula ibhunu (« Tuez le Boer »), un chant traditionnel de l'Ă©poque oĂč l'ANC luttait contre l'apartheid et qui qualifie notamment les Boers (Afrikaners) de « violeurs » et de « voleurs »[48]. La rĂ©activation de cette chanson, plus communĂ©ment dĂ©signĂ©e comme le chant shoot the boers, intervient dans un contexte oĂč, selon Agri SA la plus importante union d'exploitants agricoles, deux fermiers sont tuĂ©s chaque semaine en Afrique du Sud, un pays oĂč 50 personnes sont assassinĂ©es chaque jour et qui totalise 11 785 attaques et 1 804 meurtres de fermiers depuis 1991[49] (selon la police, il y a eu 1 248 meurtres dans des fermes, fermiers et ouvriers confondus entre 1997 et 2007[48]).

Selon les partisans de Malema, parmi lesquels Winnie Mandela, ce chant est inoffensif, appartient à l'histoire du pays et ne vise personne en particulier mis à part le systÚme de l'apartheid[50]. Perçue comme une chanson raciste et appelant au meurtre, la chanson Dubula ibhunu sera déclarée contraire à la Constitution par la justice sud-africaine en mars 2010[51] sans pour autant que Malema accepte le jugement[52]. L'ANC annonce alors qu'elle fera appel de ce jugement[53].

Poursuivi devant un tribunal de Johannesburg par des organisations civiles afrikaners comme Afriforum et l'Union agricole du Transvaal (TAU), Julius Malema est reconnu coupable d'incitation à la haine pour avoir repris dans ses meetings cette chanson de la lutte anti-apartheid et est condamné à payer une partie des frais de justice[50]. Il accuse alors la Cour de « racisme » à son égard[54]. Le 19 septembre 2011, le CongrÚs national africain annonce qu'il fait appel contre ce jugement interdisant le chant contesté[55], mais en 2012 annonce s'engager à ne plus la chanter[56].

À la suite de l'occupation de fermes Ă  Stellenbosch par le mouvement Black First Land First (BLF) en 2018 et d'appels de son leader aux populations noires « Ă  chasser les Blancs voleurs de terres »[57], Ă  occuper les terres appartenant Ă  des Blancs, une dizaine de propriĂ©taires de fermes viticoles du Cap occidental visĂ©s par des menaces et des harcĂšlements se regroupent en mars 2019 pour demander une interdiction judiciaire Ă  l'encontre de BLF dont ils dĂ©noncent le prĂ©jugĂ© racial[58]. En mai 2019, l'ordonnance de la Haute Cour du Cap-Occidental donne raison aux fermiers, interdit aux membres de BLF d'entrer sur les terres des propriĂ©tĂ©s viticoles mentionnĂ©es dans la procĂ©dure et leur interdit d'y Ă©riger ou de tenter d'Ă©riger toute forme de structure, que ce soit de nature temporaire, permanente ou semi-permanente. Pour la porte parole de BLF, cette ordonnance d'interdiction ne pourra pas les empĂȘcher de continuer Ă  occuper d'autres terres[59]. Dans ce contexte, en juin 2019, un viticulteur sud-africain de Stellenbosch, qui avait obtenu un ordre d'expulsion des squatters occupant les terres de sa ferme et qui avait donnĂ© plusieurs interviews Ă  la presse internationale[60] - [61] dans lesquelles il mentionnait les menaces de mort qu'il recevait, est assassinĂ© chez lui par quatre hommes, parvenus Ă  s'introduire Ă  son domicile malgrĂ© les mesures de sĂ©curitĂ©[57] - [62] - [63].

Chiffrage des attaques

Selon Statistics South Africa, en 2001, prĂšs de 1,4 million de personnes sont employĂ©es dans le secteur de l'agriculture, de la chasse, de la sylviculture et de la pĂȘche[5].

Les attaques de fermes pour leur part sont difficiles à décompter et les chiffres divergent, du fait des différentes variables pris en compte et des modalités de comptage, entre les statistiques de la police sud-africaine et les organisations de fermiers[32] - [64] - [30]. La police raisonne notamment par année fiscale, souligne que ses statistiques comptabilisent les fermiers, leur famille, les visiteurs éventuels, les salariés agricoles[32] et les petites exploitations agricoles alors que les ONG raisonnent par année civile et comptent également les attaques sur des petites propriétés résidentielles et sur des terrains ruraux[32]. Par ailleurs, d'une maniÚre globale, la police a été accusée de minimiser les statistiques générales sur la criminalité ou de produire des chiffres incohérents[5], notamment en comparaison avec les chiffres sur les meurtres diffusés par le Medical Research Council et le département des affaires internes[65], et n'a donné aucune statistique entre 2007 et 2010 sur les attaques de fermes[32].

Les chercheurs de l'universitĂ© de l'État-Libre, Chitja Twala et Marietjie Oelofse dĂ©comptent 6 122 attaques de fermes et 1 254 tuĂ©s entre 1991 et 2001. Pour l'annĂ©e 2001, ils dĂ©nombrent 1 011 attaques pour 147 tuĂ©s (10,5 % des victimes d'attaques) et 484 blessĂ©s (34,6 % des victimes d'attaques). Environ 12,3 % des victimes ont Ă©tĂ© violĂ©es, 71 % de toutes les victimes de viols Ă©tant des membres de la communautĂ© noire sud-africaine[5] - [66].

En se basant sur les chiffres officiels de la police, AgriSA, une importante organisation syndicale d'agriculteurs commerciaux, dĂ©nombre au moins 1 733 meurtres de 1996/1997 Ă  2017/2018, la pĂ©riode fiscale 2007 Ă  2010 n'Ă©tant pas incluse dans le calcul, faute de dĂ©comptes officiels de la police[32] - [67].

Pour 2019-2020, la police chiffre Ă  49 fermiers blancs tuĂ©s sur un total de 21 325 victimes de meurtre dans tout le pays[68].

Chiffrages des meurtres et des attaques entre 1996–2007 & 2010–2016 - Statistiques de la police[69]
PĂ©riode Nombre de meurtres Nombre d'attaques
1996–97 84 433
1997–98 142 490
1998–99 144 827
1999–2000 144 823
2000–1 147 908
2001–2 140 1 069
2002–3 103 903
2003–004 88 773
2004–5 82 694
2005–6 88 636
2006–7 86 794
2010–11 80 532
2011–12 56 523
2012–13 59 566
2013–14 57 517
2014–15 60 490
2015–16 49 446
2016–17 74[32] 357
2017–18 62[70]
2018–19 47[70]
2019–2020 49[3] 397[3]
Chiffrages des meurtres et des attaques entre 2002 et 2020 - Statistiques par année civile de l'Union agricole du Transvaal [71] - [72] - [25]
PĂ©riode Nombre de meurtres Nombre d'attaques
2002 119 229
2003 89 145
2004 115 116
2005 55 82
2006 46 82
2007 60 94
2008 79 184
2009 71 152
2010 64 115
2011 48 96
2012 53 279
2015 64 318
2016 71 369
2017 82 423
2018 33 (sur 6 mois) 206 (sur 6 mois)
2019 56
2020 71 397

De son cÎté, l'ONG AfriForum recense 64 meurtres[32] sur un total de 334 attaques pour l'année civile 2016[67], 57 fermiers tués pour 552 attaques sur 2019[73] et 63 fermiers tués pour 382 attaques sur l'année civile 2020[74] - [75].

Johan Burger, de l'Institute for Security Studies, note que les attaques et les meurtres dans les fermes suivent la mĂȘme tendance gĂ©nĂ©rale Ă  la hausse des crimes graves et violents en Afrique du Sud[25]. D'aprĂšs The Times et The Guardian[76], la baisse en 15-20 ans du nombre des homicides (153 personnes tuĂ©s en 1998 contre 47 en 2017-2018 selon les chiffres d'AgriSA) et des attaques sur les fermes (1068 en 2001-2002 contre 561 en 2017-2018) est due au fait que les fermiers se dĂ©fendent davantage, et sont mieux prĂ©parĂ©s pour contrer leurs assaillants[77].

Profil des victimes

La communautĂ© agricole est composĂ©e de nombreux acteurs. On peut y distinguer les propriĂ©taires ou les locataires de la ferme, leur famille ainsi que les autres rĂ©sidents de l'exploitation agricole (employĂ©s et main-d'Ɠuvre)[78]. Les propriĂ©taires de fermes (et leurs familles) sont gĂ©nĂ©ralement des blancs qui ont souvent hĂ©ritĂ© de leur exploitation agricole. Les autres rĂ©sidents sont majoritairement des ouvriers agricoles noirs, dont la plupart sont nĂ©s sur la ferme et y vivent avec leur famille[78].

En 2001, le Centre d’information sur la criminalitĂ© mentionnait dans une Ă©tude que 69,7 % des victimes d'attaques sur les fermes Ă©taient des fermiers ou des membres de leur famille, 29,5 % des employĂ©s ou des membres de leur famille et 0,9 % des visiteurs. Sur les 1 398 victimes d'attaques recensĂ©s dans l'Ă©tude, 59,2 % Ă©taient des hommes et 40,8 % des femmes[79] - [80].

En 2003, une commission d'enquĂȘte sur les attaques agricoles mentionnaient que 61 % des 1398 victimes recensĂ©es alors d'attaques de fermes, Ă©taient des blancs et 33 % Ă©taient des noirs[66]. Selon l'office des statistiques sud-africaines sur la criminalitĂ©, 46 des 62 personnes assassinĂ©s sur une ferme sur la pĂ©riode 2017/2018 Ă©taient des blancs[79], 52 d'entre eux Ă©taient les propriĂ©taires ou les exploitants, neuf des employĂ©s agricoles et un Ă©tait un chef d'exploitation[79].

Veronica Hornschuch, dans son mémoire à l'Université de Pretoria, souligne la vulnérabilité particuliÚre des victimes d'attaques qui ne se sentaient pas en sécurité dans leur ferme bien que souvent elles croyaient, à tort, leur logement sécurisé[4]. Ceux qui bénéficient d'un bon systÚme de sécurité dans leurs maisons sont d'ailleurs pour leur part souvent attaqués à l'extérieur de leur logement. Elle souligne le sentiment de peur ou de méfiance accrue, notamment envers les populations noires du fait de l'origine des assaillants, ainsi que les conséquences financiÚres, le capital disponible étant utilisé pour payer les factures médicales et améliorer la sécurité. Parfois les victimes d'attaques doivent déménager[4].

Conséquences

Le climat politique n'incite pas les fils d’agriculteur à reprendre l'exploitation familiale, qui est parfois dans la famille depuis 200 ans[81] - [82].

AgriSA, le plus important représentant des agriculteurs commerciaux d'Afrique du Sud, avait tÎt pris l'initiative de s'entretenir avec les représentants du gouvernement, de rédiger des pétitions et d'organiser des manifestations contre les attaques agricoles dans les neuf provinces[4]. Par l'intermédiaire d'AgriSA, de nombreuses entreprises spécialisés sur la sécurité telle Sanlam contribuent à améliorer la sécurité des communautés rurales, aidées par les contributions d'entreprises internationales comme Daimler Chrysler, Aérospatiale ou AIG[4].

Lors de la manifestation nationale des fermiers Ă  l'occasion du Lundi Noir le 30 octobre 2017, les organisations de fermiers blancs dĂ©noncent les nombreux assassinats dont ils s'estiment victimes, mentionnant le nombre de 72 fermiers blancs tuĂ©s, lors de 350 attaques en 2017. Des images diffusĂ©s sur twitter puis par la presse en ligne laissent penser dans un premier temps que plusieurs manifestants ont brandi l'ancien drapeau de l'Afrique du Sud, en vigueur notamment sous l'apartheid, mais la quasi-totalitĂ© des photos alors diffusĂ©es se rĂ©vĂšlent par la suite ĂȘtre d'anciennes photos[83] - [84]. NĂ©anmoins, la prĂ©sence hypothĂ©tique de ce drapeau dans les cortĂšges et les photos diffusĂ©es pour illustrer les dĂ©filĂ©s sont, pour l'ANC, relayĂ©e par l'Ă©ditorialiste Ranjeni Munusamy, proche de l'ANC, la preuve d'« une nostalgie de l'apartheid », du racisme et du suprĂ©macisme blanc chez ces manifestants et demande aux fermiers « Ă  apprĂ©cier l'importance de toutes les vies, pas seulement celles des Blancs »[85] - [34].

La théorie complotiste d'un « génocide blanc » orchestré

Adeoye O. Akinola note que les attaques contre les fermes et les meurtres de fermiers blancs ont menĂ© Ă  une « racialisation » des antagonismes sur les terres agricoles, dont la narration est complexifiĂ©e par la diversitĂ© des perceptions[86]. D'un cĂŽtĂ© des populations noires qui peuvent estimĂ©es ĂȘtre maltraitĂ©es, dĂ©shumanisĂ©es et continuer Ă  subir une injustice historique et, de l'autre cĂŽtĂ©, des agriculteurs qui peuvent estimer avoir des « droits lĂ©gitimes sur les terres qu'ils habitent » et rejettent tout lien entre l'apartheid, la dĂ©possession des terres et leur richesse fonciĂšre[86]. Face Ă  des menaces rĂ©elles ou irrĂ©elles pour leur vie et leurs biens, certains d'entre eux dĂ©veloppent une paranoia et une rhĂ©torique raciste centrĂ©e autour du terme de « gĂ©nocide blanc » qui perçoit les meurtres sur les fermes comme des « actes systĂ©matiquement orchestrĂ©s » (par des noirs) et soutenus par le gouvernement (des noirs) dans le but « d'exterminer progressivement les fermiers blancs » et de se saisir de leurs fermes[86]. Lors des manifestations d'octobre 2017, une « aile d’extrĂȘme-droite » de fermiers blancs a en l'occurrence Ă©voquĂ© cette thĂ©orie du complot en parlant de meurtres qui Ă©taient orchestrĂ©s[87]. Akinola souligne que le terme de gĂ©nocide est cependant inappropriĂ© et infondĂ© dans le contexte car ce dernier renvoie au « meurtre dĂ©libĂ©rĂ© d'un grand groupe de personnes d'une nation, d'une race ou d'une ethnie particuliĂšre » dans le but ultime de les exterminer[86]. MĂȘme si « dans certains cas, les attaques et les meurtres ont Ă©tĂ© si brutaux que beaucoup pensent qu'il existe un Ă©lĂ©ment de vengeance raciale pour l'apartheid », il n'existe pas ici « d'intention prouvĂ©e de la part des auteurs de dĂ©truire physiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux » correspondant Ă  la dĂ©finition de gĂ©nocide alors que tous les Sud-Africains vivant dans des fermes isolĂ©es sont vulnĂ©rables face Ă  la criminalitĂ© particuliĂšrement Ă©levĂ©e dans le pays[88].

Pour la Commission sud-africaine des droits humains, « beaucoup de ces attaques ou de ces meurtres sont motivĂ©s par un Ă©lĂ©ment criminel » comme le vol, mais « certaines investigations montrent qu’un nombre disproportionnĂ© de ces attaques sont motivĂ©es par la haine raciale » sans toutefois que cela puisse non plus ĂȘtre considĂ©rĂ© et classĂ© comme un gĂ©nocide[39]. Le magazine Slate rappelle que si les fermiers sont autant victimes d’un phĂ©nomĂšne de « revanche raciale qui ne dit pas son nom »[39] - [89] « que d’une redistribution violente des richesses dans un des pays les plus mal notĂ©s Ă  l’indice de Gini », il n'y a pas pour autant de gĂ©nocide car il faudrait que les blancs soient visĂ©s comme groupe, or les fermiers noirs sont aussi visĂ©s[39] - [66].

Si l'assassinat de fermiers blancs en Afrique du Sud est un phĂ©nomĂšne rĂ©el, il est nĂ©anmoins statistiquement dĂ©croissant depuis plusieurs annĂ©es selon les statistiques mentionnĂ©es par l’organisation AgriSA et est mĂȘme en 2017 Ă  son plus bas niveau depuis 20 ans, toutes couleurs de peau confondues[90], et n'aurait absolument rien d'un gĂ©nocide[32] - [39].

Des petits groupes extrĂ©mistes tels que les Suidlanders propagent Ă  l'Ă©tranger l'idĂ©e de l'existence d'un gĂ©nocide blanc en cours en Afrique du Sud auprĂšs de groupes d'extrĂȘme droite tel que David Duke ancien grand sorcier du Ku Klux Klan et partisan de Donald Trump, d'autres suprĂ©macistes blancs et sympathisants Nazi[91]. Ce point de vue a Ă©galement Ă©tĂ© repris par les membres du groupe Europe des nations et des libertĂ©s au parlement europĂ©en tandis que la dĂ©putĂ©e europĂ©enne britannique Janice Atkinson (ex-UKIP) tentait en novembre 2017 sans succĂšs d'obtenir un dĂ©bat parlementaire sur les meurtres dans les fermes sud-africaines[91]. Quelques militants continuent aussi de propager de telles contre-vĂ©ritĂ©s ou des opinions subjectives non Ă©tayĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux comme l’éditorialiste canadienne Lauren Southern, proche de l’extrĂȘme droite, qui affirme sur Breitbart News : « Si cela continue [les meurtres des fermiers blancs, ndlr], j’ai peur que cela soit le dĂ©but de ce qu’on pourrait appeler un gĂ©nocide »[39] - [88].

Quartz Africa estime que « les attaques contre les fermiers blancs ont attirĂ© l'attention du public international, en particulier dans les cercles conservateurs » mais que « l'indignation internationale » Ă  propos d'un soi-disant "gĂ©nocide" contre des fermiers blancs nĂ©glige de prendre en compte les statistiques[92]. En France, Checknews de LibĂ©ration constate que le soi-disant gĂ©nocide des fermiers blancs est un thĂšme largement instrumentalisĂ© par l’extrĂȘme droite »[90]. Des tweets et des vidĂ©o YouTube visionnĂ©es des centaines de milliers de fois relaient des rumeurs de gĂ©nocide tout en renvoyant sur des sites d'extrĂȘme droite français[90].

Campagnes internationales et réactions

En mai 1998, AgriSA intervient lors de la 33e Conférence générale de la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA) qui se tient alors à Manille aux Philippines, pour alerter l'opinion internationale des implications de ces attaques agricoles, notamment sur la capacité de production, sur la sécurité alimentaire et sur le risque de troubles sociaux[4].

En avril 2018, considĂ©rant que les fermiers blancs d'Afrique du Sud sont persĂ©cutĂ©s et qu'ils « devaient fuir les conditions atroces provoquĂ©es par les violences criminelles et la politique de redistribution des terres de Pretoria pour gagner un pays civilisĂ© », Peter Dutton le ministre australien de l'IntĂ©rieur, se dit prĂȘt Ă  leur accorder des visas. Le gouvernement sud-africain jugea offensant les propos du Ministre ce qui amena le Premier ministre australien, Malcolm Turnbull, et la ministre australienne des Affaires Ă©trangĂšres, Julie Bishop, Ă  retirer les propos de Peter Dutton en mentionnant qu'ils « ne reflĂ©taient pas la position du gouvernement australien »[93] - [94].

Durant l'annĂ©e 2018, une dĂ©lĂ©gation d'AfriForum, devenu le principal groupe de pression afrikaner[91], dirigĂ©e par Kallie Kriel et Ernst Roets, se rend Ă  deux reprises aux Etats-Unis dans le cadre d'une campagne internationale de lobbying oĂč ils soutiennent que les fermiers blancs seraient ciblĂ©s et tuĂ©s, seraient victimes de discrimination par des programmes d'action positive et qu'ils seraient bientĂŽt Ă©galement victime d'expropriation sans compensation si le projet de rĂ©forme agraire, alors en discussion au parlement, Ă©tait adoptĂ©[91]. Ils y rencontrent divers groupes de rĂ©flexion conservateurs, l'agence gouvernementale d'aide internationale USAid, John Bolton, le conseiller Ă  la sĂ©curitĂ© du PrĂ©sident Donald Trump et accordent plusieurs interviews, notamment Ă  Fox News[91]. À la suite d'un reportage de Fox News, oĂč le prĂ©sentateur Tucker Carlson interviewait Roets et affirmait Ă  tort que le gouvernement sud-africain avait changĂ© la constitution du pays pour permettre de saisir sans indemnisations des terres aux citoyens blancs parce qu'ils n'ont pas la bonne couleur de peau[95], le prĂ©sident amĂ©ricain, Donald Trump Ă©voque dans un tweet le « massacre Ă  grande Ă©chelle des fermiers » et dĂ©clare que « le dĂ©partement d'État enquĂȘterait sur les saisies de terres et de fermes » en Afrique du Sud[96]. Le magazine L'Express comprend ce tweet comme une tentative du prĂ©sident amĂ©ricain de lancer une polĂ©mique pour en faire oublier une autre qui le met en cause aux États-Unis au mĂȘme moment. Selon Jared Holt, chercheur chez Right Wing Watch le tweet « a ravi des militants suprĂ©macistes amĂ©ricains ». Pour The Daily Beast « les saisies de terres en Afrique du Sud sont un sujet phare des extrĂ©mistes de droite amĂ©ricains »[97].

Notes et références

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Liens externes

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