Antiquité dans la culture contemporaine
L'Antiquité est une source d'inspiration de la culture contemporaine, qu'elle soit littéraire, musicale, plastique, audio-visuelle ou architecturale. Parfois simple décor, elle prend parfois des fonctions particulières, comme une manière de rendre plus acceptable des formes de voyeurismes, de parler du monde contemporain dans une forme détournée, ou de support à des revendications identitaires.
La tradition du patrimoine antique jusqu'à notre époque représente un corpus important et multiforme, et s'inscrit dans le champ des receptions studies. L'étude de la réception de l'Antiquité, particulièrement dans l'art et dans la culture populaire, a connu un essor important dans les dernières décennies.
Analyse par motif
L'Antiquité comme justification voyeurisme
Dès le milieu du XIXe siècle en France se développe un courant de romans où le décor antique sert de prétexte à montrer du sexe et de la violence, ceux-ci étant justifiés par la "barbarie" supposée des mœurs, en prenant souvent Carthage comme décor. Salammbô en est l'exemple le plus marquant, mais on peut aussi citer Carthage en flammes, Le Sang du dragon, ou Chansons de Bilitis[1]. En particulier, l'antiquité est prétexte à montrer des relations entre femmes destinées à un public masculin, tandis que l'homosexualité masculine reste censurée ou absente[2].
Cette tendance se poursuit jusqu'au XXIe siècle dans l'ensemble des séries télévisées historiques, telles que Rome, où le fait de montrer des scènes de sexe ou de violence est utilisé comme argument marketing de "maturité" de l’œuvre, car preuve qu'elle est conçue pour un public adulte[3].
L'Antiquité comme prétexte pour parler du monde contemporain
À partir de la fin du XIXe siècle se développe l'utilisation de l'Antiquité comme prétexte à évoquer des situations contemporaines. Si cela se fait parfois car il est difficile pour les artistes de s'extraire complètement de leurs époques, ils peuvent aussi le faire consciemment, pour faciliter une instrospection moins chargée émotionnellement pour le lecteur, pour renforcer leurs positions politiques en les inscrivant dans le temps de l'Histoire ou comme manière d'échapper à la censure[4].
Représentation
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la bande-dessinée Alix est l'occasion pour Jacques Martin d'aborder la collaboration en France et les évènements de la guerre d'Algérie tandis qu'Astérix transpose la politique de Charles de Gaulle vis-à -vis des États-Unis, notamment la sortie de la France de l'OTAN, dans l'atitude d'un village gaulois face à l'envahisseur romain[5].
Dénonciation
Dès le début du XIXe siècle, Chateaubriand utilise l'Antiquité pour dénoncer la politique de son époque: son personnage de Dioclétien dans Les Martyrs est une manière pour lui de critiquer Napoléon Bonaparte[6].
Dans le roman Quo vadis ?, la Rome de Néron est pour Henryk Sienkiewicz l'occasion de parler de la Pologne contemporaine et en particulier de dénoncer les persécutions d'Alexandre II envers les églises catholiques orientales[4]. La figure de Néron est alors utilisée par les opposants politiques du tsar dans leurs brochures, mais plus généralement pour dénoncer les leaders politiques du XXe siècle totalitaristes, tels qu'Hitler ou Mussolini[4].
Justification
L'Antiquité et ses guerres est utilisée pour soutenir des narrations nationalistes et justifier d'emplacements de frontières : ainsi Émile Gallé puise une citation La Guerre des Gaules pour réaliser une table présentant le Rhin comme frontière naturelle entre la France et l'Allemagne et ainsi contester la conquête de l'Alsace-Moselle par cette dernière. Un autre français, Louis Bertrand, utilise dans Sanguis Martyrum la présence romaine en Afrique du Nord comme justification de la conquête de l'Algérie par la France, tandis que Giovanni Pastrone dans Cabiria justifie la guerre entre l'Italie et la Turquie comme une lutte entre la civilisation et la barbarie, comme pouvait l'être selon lui la guerre entre Rome et Carthage[4].
Aspiration
Bolesław Prus, dans Le Pharaon, et Jakob Wassermann dans Alexandre à Babylone, développent tous deux un idéal de paix et d'entente entre les peuples prenant place dans l'Antiquité[4].
Analyse par culture
Cultures européennes
Les références à l'Antiquité, en particulier grecque et romaine, imprègnent fortement la culture européenne, que ce soit au cinéma, musique, littérature ou publicité. L'une des illustrations les plus frappantes est la saga Harry Potter, où les références à la mythologie grecque sont très nombreuses, que ce soit dans les créatures peuplant l'univers magique de la série ou les noms des personnages.
Cultures américaines
De nombreux bâtiments emblématiques des États-Unis, tels que la Maison-Blanche ou des musées et mémoriaux du National Mall, sont réalisés dans un style néo-classique. Ce choix s'explique par la double volonté, au moment de leur création, de légitimer la nation américaine nouvellement formée ainsi que de faire écho à l'histoire démocratique et républicaine d'Athènes et de Rome. Si ce rapport au néo-classique est typique de l'Amérique blanche, il est très différent pour la communauté afro-américaine, qui y associe spontanément l'histoire de l'esclavage, ces bâtiments ayant été construits par des esclaves.
Un autre élément emblématique de la culture américaine et où l'Antiquité est omniprésente est l'univers des comics. Le personnage qui incarne le plus cela est Wonder Woman, une amazone fille de Zeus.
Cultures afro-descendantes
La culture afro-descendante, en particulier afro-américaine, utilise de nombreuses références à l'Antiquité, essentiellement égyptienne, depuis les années 1970 avec un regain d'intensité depuis le 21ème. Dans les modalités de cette appropriation, on peut citer la revendication de l'héritage esclavagiste aux États-Unis comme appartenant aux descendants d'esclave, l'affirmation d'une fierté identitaire issue de l'identification à l'Égypte des pharaons, ou la légitimation de puiser dans la culture universelle qu'est l'Antiquité.
Cultures asiatiques
De nombreux mangas et animes s'inspirent de l'Antiquité européenne et égyptienne, que ce soit en y plaçant directement une partie de leur narration, comme pour Yu-Gi-Oh! ou Thermae Romae, ou en remixant complètement des personnages pour en faire une histoire nouvelle, comme Sailor Moon ou Saint Seiya. Pour Thermae Romae, les aller-retour du personnage principal entre la Rome antique et le Japon contemporain sont l'occasion de tracer un parallèle entre les deux cultures via leur rapport aux bains publics[7]. Un autre exemple de mise en parallèle de l'histoire romaine et japonaise a lieu dans Ad Astra, où la représentation de l'usage de bœufs sur lesquels sont attachées des torches enflammées par Hannibal Barca pour échapper à Fabius en lui faisant croire qu'il s'agit en réalité de son armée, est un calque de la bataille de Kurikara, où les bœufs de Minamoto no Yoshinaka chargent l'armée de Taira no Koremori[7].
Cultures LGBT
L'Antiquité grecque occupe une place particulièrement importante dans les cultures LGBT en raison de l'ubiquité de la bisexualité dans la culture grecque. De même, le personnage de Sappho est souvent mis en avant dans les cultures lesbiennes, notamment dans le domaine de l'art, et devient une figure tutélaire des mouvements lesbiens, du XIXe siècle à nos jours.
Esthétique homoérotisante
L'Antiquité et ses mythes est présente dans la culture LGBT, notamment la production photographie homoérotique ou symbolique. Les photographes Pierre et Gilles réalisent ainsi de nombreuses photographies vues comme queer, que ce soit en raison de son esthétique (des corps masculins musclés prenant des postures vues comme féminines) ou des personnages représentés (Achille, une des icônes de la culture LGBT en raison de sa bisexualité et de sa période de travestissement)[8]. Les références à l'Antiquité se voient aussi dans le film Call Me by Your Name, où la statuaire antique, très présente dans le film, sert de métaphore au désir homosexuel[9]. Un autre parallèle peut être fait entre la différence d'âge entre les deux personnages principaux, l'un mineur, l'autre majeur et professeur, et les relations éromène/éraste de la pédérastie[9].
Le péplum, ou cinéma antiquisant, est associé à l'homosexualité, et plus particulièrement l'homoérotisme : ce lien est pointé avec humours dans des productions cinématiques d'autres genres tels que Y a-t-il un pilote dans l'avion ?[note 1] ou The Rocky Horror Picture Show[note 2] - [2]. Pour l'historien Albert Montagne, le cinéma sur l'antiquité se sépare entre ce qu'il appelle les films de toges, nobles, politiques, et les films de jupettes ou péplum, qui dévoilent beaucoup plus la plastique de leurs acteurs et aux thématiques prolétaires et guerrières[2].
Enfin, lorsque l'homosexualité masculine, qu'elle soit exclusive ou bisexuelle est représentée, que ce soit dans Satyricon, Sebastiane, ou Caligula, il s'agit moins de montrer des relations entre hommes que de dépeindre la décadence de Rome, que ce soit par fascination ou dénonciation morale[2].
Si l'homosexualité masculine est suggérée et (auto)censurée, ce n'est pas le cas des relations entre femmes, qui sont montrées avec force voyeurisme afin de satisfaire un public masculin, tels que dans Sapho, Vénus de Lesbos, Sodome et Gomorrhe, ou Les Amazones[2]. Lorsque les personnages sont explicitement lesbiennes, telles que dans La Reine des Amazones, Les Titans, ou Les Amazones, filles pour l'amour et pour la guerre, elles sont représentées comme haïssant les hommes[2]. Il faut attendre les années 1990 et Xena la guerrière pour que le saphisme représenté à l'écran soit apprécié et revendiqué par la culture lesbienne[2].
Analyse par antiquité
Temps bibliques
Les Martyrs de Chateaubriand lancent le courant du roman des origines chrétiennes, dans lequel viennent se greffer par la suite Fabiola ou l'Église des catacombes, Quo Vadis ?, Sanguis martyrum et Ben-Hur[6]. Dans ces romans, il s'agit toujours de montrer le triomphe du christianisme sur le paganisme[6].
En 1998 sort Le Prince d’Égypte, un film d'animation sur l'histoire de Moïse. Réalisé avec l'aide de théologiens juifs, chrétiens et musulmans, il s'agit pour Dreamworks de produire un film reprenant des éléments culturels communs au maximum de personnes. Le thème des 10 commandements avait déjà été porté à l'écran en 1956 avec le film homonyme, le plus cher jamais produit à l'époque.
Antiquité égyptienne
L'antiquité égyptienne fait l'objet d'une véritable égyptomanie dans les cultures occidentales dès le XIXe siècle. Dans la culture afro-américaine elle fait aussi l'objet d'une véritable revendication identitaire.
Antiquité grecque
L'antiquité grecque classique n'est pas particulièrement inspirante pour le cinéma, avec seulement une quarantaine de films produits sur cette période[10]. Le seul évènement marquant l'histoire du cinéma, les guerres médiques, fait l'objet de quatre films : La Bataille des Thermopyles, La Bataille de Marathon, 300, et 300 : La Naissance d'un empire[10]. C'est d'ailleurs aussi cette période qui sert de toile de fond au jeu vidéo Assassin's Creed Odyssey.
Amériques
La notion d'antiquité n'a pas forcément de sens pour les civilisations américaines. Le concept d'Amérique pré-colombienne s'étend jusqu'à la fin du XVe siècle et incorpore donc une période qui correspond aussi au Moyen Âge. Un équivalent en termes de période correspondrait à l'ère classique pour les civilisations d'Amérique du Nord. Pour la Mésoamérique, la périodisation est encore un sujet de débat scientifique, et correspondrait à la période classique, les périodes des centres cérémoniels puis des seigneuries et des États militaristes, ou aux époques II et III. Pour les amérindiens des Antilles, les peuples indigènes du Brésil et les civilisations andines, cette périodisation reste manquante.
Si le cinéma se focalise essentiellement sur la période de conquête de l'Amérique, quelques films correspondent à cette période, tels que Les Rois du soleil, réalisé en 1963 et prenant la civilisation maya comme décor[11].
Analyse par média
Notes
- Où un personnage homosexuel demande "Joey, tu as déjà vu un homme tout nu ? Joey, tu aimes les films sur des gladiateurs ?"
- "Ou si vous voulez quelque chose de plus visuel sans être trop abyssal / On pourrait se regarder un bon vieux film de Steve Reeves"
Références
- Aziza 2016, p. 48-52.
- Albert Montagne, « Des tiges et des toges, ou l'homosexualité dans le péplum », dans Homosexualité : censure & cinéma, dl 2019 (ISBN 978-2-36716-268-3, 2-36716-268-9 et 978-2-36716-267-6, OCLC 1109738332, lire en ligne)
- Margot, « Accords et désaccords : séries historiques, miroirs d’hier ou d’aujourd’hui ? », sur Séries Chéries, (consulté le )
- Aziza 2016, p. 59-64.
- Aziza 2016, p. 135-144.
- Aziza 2016, p. 27-28.
- Élisabeth Buchet, « Entre Rome et Japon : l’histoire romaine en manga », sur Antiquipop | L'Antiquité dans la culture populaire contemporaine (consulté le )
- Tiphaine-Annabelle Besnard, « Pierre et Gilles : un art fantasque (« kitsch » ?) pour une Antiquité fantasmée », sur Antiquipop | L'Antiquité dans la culture populaire contemporaine (consulté le )
- Benjamin Eldon Stevens, « « Call Me by Your Name » ou la sensualité de l’antique », sur Antiquipop | L'Antiquité dans la culture populaire contemporaine (consulté le )
- Aziza 2016, p. 225.
- « Incas, Mayas, Aztèques : quand les indiens d'Amérique latine enflamment le cinéma », sur Les Inrocks (consulté le )
Voir aussi
- Anabases, une revue de l'Université de Toulouse, consacrée à la réception de l'Antiquité.
Bibliographie
- Claude Aziza, Guide de l'Antiquité imaginaire : roman, cinéma, bande dessinée, Paris, Les Belles lettres, , 368 p. (ISBN 978-2-251-44621-9)
- Marie-France David De Palacio, Tragédies de fin d'empires : Actualité de la fiction antiquisante romaine en Allemagne autour de 1900, L'Harmattan, , 280 p. (ISBN 978-2-296-20314-3)
- Natacha Aubert, Un cinéma d'après l'antique : du culte de l'Antiquité au nationalisme dans la production muette italienne, Paris, L'Harmattan, dl 2009 (ISBN 978-2-296-09949-4)
- Frédéric Martin, L'Antiquité au cinéma, Paris, Dreamland, , 143 p. (ISBN 978-2-910027-87-2)
- Tiphaine Annabelle Besnard et Mathieu Scapin (éd.), Age of classics ! : l'Antiquité dans la culture pop, Toulouse, Musée Saint-Raymond, (ISBN 978-2-909454-43-6)
- Corinne Bonnet et Thibaud Lanfranchi (dir.), Les mots de l'Antiquité après l'Antiquité, Toulouse, Presses universitaires du Midi,