Ahmôsis Ier
Ahmôsis Ier (ou Ahmès Ier, Iâhmes Ier ou encore Amosis), dont le nom signifie « Né de Iâh[1] », est un pharaon de l'Égypte antique, fondateur de la XVIIIe dynastie. Il est membre de la maison royale de Thèbes, fils du pharaon Seqenenrê Tâa et proche parent du dernier pharaon de la XVIIe dynastie, le roi Ouadjkheperrê Kames[Note 2]. Manéthon lui attribue vingt-cinq années de règne. Il est d'abord roi de Thèbes de -1550/-1549 à -1540, puis de toute l'Égypte jusqu'en -1525/-1524[Note 3].
Ahmôsis Ier | |
Tête d'Ahmôsis portant la couronne blanche de Haute-Égypte. | |
Décès | -1525/24 |
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Période | Nouvel Empire |
Dynastie | XVIIIe dynastie |
Fonction | Pharaon |
Prédécesseur | Ouadjkheperrê Kames |
Dates de fonction | -1570 à -1546 (selon E. F. Wente) -1569 à -1545 (selon D. B. Redford) -1554 à -1529 (selon R. A. Parker) -1552 à -1527 (selon E. Hornung) -1552 à -1526 (selon N. Grimal) -1550/-1549 à -1525/-1524 (selon D. Arnold, A. D. Dodson, K. A. Kitchen, C. N. Reeves, I. Shaw, J. von Beckerath) -1540 à -1525 (selon J. Málek) -1540 à -1515 (selon C. Aldred) -1539 à -1514 (selon R. Krauss) -1530 à -1504 (selon H. W. Helck) |
Successeur | Amenhotep Ier |
Famille | |
Grand-père paternel | Senakhtenrê Iâhmes |
Grand-mère paternelle | Tétishéri |
Grand-père maternel | Senakhtenrê Iâhmes |
Grand-mère maternelle | Tétishéri |
Père | Seqenenrê Tâa |
Mère | Iâhhotep Ire |
Conjoint | Ahmès-Néfertary Grande épouse royale Divine adoratrice d'Amon |
Enfant(s) | ♂ Siamon ♂ Ahmosé-Ânkh ♂ Amenhotep Ier ♀ Ahmosé-Méritamon ♀ Satamon ♂ Ramosé ♀ Moutneferet (?) |
Deuxième conjoint | Ahmès-Satkamosé ? qui serait sa nièce ou sa cousine |
Troisième conjoint | Ahmès-Hénouttamehou ? sa demi-sœur |
Fratrie | ♂ Ouadjkheperrê Kames ? ♀ Ahmès-Néfertary ♂ Ahmosé-Sipair ♀ Ahmès-la-cadette |
Sépulture | |
Nom | Cénotaphe d'Ahmôsis Ier |
Type | Pyramide (?)[Note 1] |
Emplacement | Abydos |
Date de découverte | 1899 |
Fouilles | 1993 par Stephen Harvey |
Pendant le règne de son père ou grand-père, Thèbes s'était déjà révoltée contre les Hyksôs, souverains étrangers qui régnaient sur la Basse-Égypte. Ahmôsis n'a que sept ans lorsque son père est tué au cours de ce conflit[2]. Après avoir régné trois ans seulement, Ouadjkheperrê Kames, qui est monté sur le trône de Thèbes, meurt de causes inconnues. Ahmôsis a alors environ dix ans quand il monte à son tour sur le trône[3]. Il prend le nom de Neb-Pehty-Rê[Note 4] lors de son couronnement.
Durant son règne, il poursuit la reconquête du delta du Nil qui s'achève par l'expulsion des Hyksôs. Il restaure la domination thébaine sur l'ensemble de l'Égypte et réaffirme avec succès la puissance égyptienne au-delà de ses frontières. Les anciens territoires de la Nubie et de Canaan sont alors à nouveau sous son contrôle[4]. Il réorganise l'administration du pays, rouvre des carrières, des mines et des routes commerciales et commence de grands projets de construction d'une importance jamais atteinte depuis le Moyen Empire qui aboutissent à l'édification de la dernière pyramide d'Égypte. Le règne d'Ahmôsis Ier jette les bases du Nouvel Empire, durant lequel la puissance égyptienne atteint son apogée.
Généalogie
Ahmôsis descend de la XVIIe dynastie thébaine. Ses grands-parents, Senakhtenrê Iâhmes et Tétishéri, ont eu au moins douze enfants, y compris Seqenenrê Tâa et Ahhotep[Note 5], « épouse royale et sœur de roi, fille de roi et mère du Prince (ity) »[5]. Le frère et la sœur se marient et ont un premier fils Ahmosé[Note 6], mort jeune[6], Ahmôsis Ier, plusieurs filles, et peut-être Ouadjkheperrê Kames[7]. Le second fils suit la tradition et épouse plusieurs de ses sœurs, dont Ahmès-Néfertary, sa grande épouse royale[8], qui est la première reine à assumer la fonction sacerdotale d’« épouse du dieu ». Ils ont plusieurs enfants, dont les filles : Ahmosé-Méritamon, Satamon et les fils : Siamon, Ahmosé-Ânkh, Amenhotep Ier et Ramosé[9]. Ils sont peut-être également les parents de Moutneferet, qui allait devenir l'épouse de Thoutmôsis Ier. Ahmosé-Ânkh est l'héritier présomptif, mais il précède dans la mort son père entre la 17e et la 22e année de règne de ce dernier[10]. Amenhotep Ier lui succède après une possible corégence.
Il n'y a aucune rupture nette dans la lignée de la famille royale entre la XVIIe et la XVIIIe dynastie. L'historien Manéthon, qui écrivit beaucoup plus tard, considère l'expulsion définitive des Hyksôs et le rétablissement de la domination égyptienne indigène après un siècle d’occupation comme un événement assez important pour justifier le départ d'une nouvelle dynastie[11].
Titulature
Règne
Contexte
Les conflits entre les rois locaux de Thèbes et le roi hyksôs Apophis Ier commencent lors du règne de Seqenenrê Tâa et se concluent, donc sous le règne d'Ahmôsis après presque trente ans de guerres intermittentes. Taâ est probablement tué dans une bataille contre les Hyksôs, comme les blessures de sa momie le suggèrent[Note 7], et son successeur Ouadjkheperrê Kames est connu pour avoir attaqué et pillé les terres autour de la capitale hyksôs, Avaris (l'actuelle Tell el-Dab'a)[2]. Ouadjkheperrê Kames a un règne très court puisque sa dernière année de règne attestée est la troisième, il est remplacé par Ahmôsis. Apophis Ier trouve la mort à peu près à la même époque. Il y a un désaccord quant à savoir si deux noms pour Apophis, trouvés dans les archives historiques, s'appliquent à différents monarques ou sont des noms multiples pour le même roi. Si, en effet, ils sont des rois différents, Apophis Ier est sans doute mort à peu près en même temps que Ouadjkheperrê Kames et est remplacé par Apophis II[3].
Ahmôsis monte sur le trône alors qu'il est encore un enfant et sa mère Iâhhotep semble avoir joué un rôle de premier plan à en juger par certains de ses titres lorsqu'elle était au pouvoir, « elle qui sait tout[Note 8], qui lie (?) l'Égypte, (…) qui apaise la Haute-Égypte et chasse ceux qui s'opposent à elle[12] », « soutien de l'Égypte ». Elle a effectivement consolidé la base du pouvoir thébain dans les années antérieures à la prise du pouvoir par Ahmôsis. Si Apophis II est le successeur d'Apophis Ier, alors son pouvoir semble limité au delta au cours de la régence d'Iâhhotep, car son nom ne figure pas sur des monuments ou objets au sud de Bubastis[3].
Lutte contre les Hyksôs et prise du delta
Ahmôsis commence la conquête de la Basse-Égypte détenue par les Hyksôs. En l'an 15 de son règne, il leur prend Memphis. Il continue sa progression et arrive aux abords du delta aux environs de l'an onze du roi hyksôs Khamoudy, mais l'ordre des événements qui suivent n'est pas universellement reconnu[13].
Analyser ces événements de la conquête précédant le siège de la capitale hyksôs, Avaris, est extrêmement difficile. Presque tout ce que l'on sait vient de l'autobiographie laissée par le soldat Ahmès fils d'Abana dans son tombeau, et de quelques inscriptions portées au verso du papyrus Rhind[14] dont l'une dit :
« La onzième année du règne, le second mois de Chémou, Héliopolis a été prise. Le premier mois d'Akhet, le 23e jour, le prince du sud fit irruption dans Tjarou[Note 9] - [15]. »
Alors que dans le passé cette date de règne a été supposée se référer à Ahmôsis, elle est aujourd'hui considérée se référer à l'adversaire Hyksôs d'Ahmôsis : Khamoudy. Le papyrus Rhind se réfère à Ahmôsis par le titre inférieur du « Prince du Sud » plutôt que par celui de roi ou de pharaon, comme un partisan thébain l'aurait sûrement appelé[16]. Anthony Spalinger[17], note que la traduction de Ryholt de la partie médiane du texte Rhind retraçant l'invasion d'Ahmôsis dans le delta se lit plutôt comme le « 1er mois de Akhet, le 23e jour, le prince du sud (Ahmôsis) attaque Tjarou[18] ». Spalinger souligne dans son avis qu'il ne remet pas la traduction de Ryholt en question, mais pose plutôt la question de savoir si :
« Il est raisonnable de s'attendre qu'un texte pro thébain décrive son pharaon de cette manière ? Car, si la date se réfère à Ahmôsis, c'est que le scribe doit avoir été un adepte de ce souverain. Pour moi, la référence très indirecte à Ahmôsis – cela doit être Ahmôsis - devrait indiquer un partisan de la dynastie des Hyksôs, d'où, les années de règne devraient se référer à ce monarque et non pas [au roi] de Thèbes[18] »
Le papyrus Rhind illustre aussi quelques-unes des stratégies militaires d'Ahmôsis lors de l'attaque du delta. Entré à Héliopolis en juillet, il descend le delta oriental pour prendre Tjarou, la fortification majeure de la frontière sur la route d'Horus, par le chemin de l'Égypte vers Canaan, en évitant totalement Avaris. En octobre, en prenant Tjarou[15], il coupe tout le trafic entre Canaan et Avaris. Cela indique qu'il avait l'intention de faire le blocus d'Avaris, isolant la capitale Hyksôs d'aide ou de fournitures en provenance du pays de Canaan[19].
Le récit de la dernière partie de la campagne est découvert sur les murs de la tombe d'Ahmès fils d'Abana, un soldat y ayant combattu. Ces données indiquent qu'Ahmôsis dirige trois attaques contre Avaris, la capitale des Hyksôs, mais a aussi pour but de réprimer une faible rébellion plus au sud de l'Égypte. Après cela, lors de la quatrième attaque, il prend la ville[20]. Il complète sa victoire sur les Hyksôs par la conquête de leur place forte de Sharouhen[Note 11] près de Gaza après un siège de trois ans[21] - [22]. Ahmôsis aurait pris Avaris la 18e ou la 19e année de son règne, au plus tard. Ceci est suggéré par « un graffiti à la carrière de Toura selon lequel les « bœufs de Canaan » ont été utilisés lors de l'ouverture de la carrière dans la 22e année du règne d'Ahmôsis[23] ». Le bétail aurait probablement été importé après le siège de la ville de Sharouhen qui a suivi la chute d'Avaris, signifiant que le règne de Khamoudy a dû s'achever au plus tard la 18e ou 19e année du règne d'Ahmôsis[23].
Campagnes à l'extérieur de l'Égypte
Après avoir battu les Hyksôs, Ahmôsis commence une campagne en Syrie et en Nubie. Il guerroie en Nubie, au-delà de la deuxième cataracte, où il soumet les Iountyou Sétyou[Note 12]. Le pays est placé sous l'autorité d'un vice-roi, le « fils royal de Koush » Djéhouty[Note 13].
Il atteint au cours de sa 22e année Djahy dans le Levant et peut-être l'Euphrate, bien que généralement ce soit Thoutmôsis Ier, un de ses successeurs, qui est crédité d'être le premier à faire campagne jusque-là. Ahmôsis est toutefois allé au moins jusqu'à Kedem, peut-être près de Byblos, selon un ostracon de la tombe de son épouse, Ahmès-Néfertary[24]. Les informations sur cette campagne sont rares, comme les sources d'information. Ahmès fils d'Abana, servant dans la marine égyptienne, n'a donc pas pu prendre part à cette expédition terrestre. Cependant, on peut déduire des recherches archéologiques au sud du pays de Canaan que, pendant la fin du -XVIe siècle, Ahmôsis et ses successeurs immédiats ont eu pour seul but de briser le pouvoir des Hyksôs en détruisant leurs villes et non pas de conquérir Canaan. De nombreux sites y ont été complètement dévastés et n'ont pas été reconstruits au cours de cette période, attitude qu'un pharaon lancé dans une guerre de conquête ne serait sans doute pas amené à faire[25].
Les campagnes d'Ahmôsis en Nubie sont mieux documentées. Peu de temps après la première campagne, un Nubien nommé Aata, qui s'était rebellé contre Ahmôsis, est écrasé. Après cette tentative, un Égyptien anti-thébain nommé Téti-ân rassemble de nombreux rebelles en Nubie, mais lui aussi est défait.
Ahmès fils d'Abana déclare ainsi dans sa biographie qu'après son retour de Nubie, le roi dut faire face à la rébellion d'un « méprisable ennemi, Téti-ân était son nom. Il avait réuni autour de lui les sournois. Sa Majesté le tua et sa bande fut comme si elle n’avait jamais existé »[26].
Ahmôsis restaure la domination égyptienne sur la Nubie, qui est désormais contrôlée à partir d'un nouveau centre administratif établi à Bouhen[27] Ahmôsis semble aussi avoir récompensé divers princes locaux qui ont soutenu sa cause et celle de ses prédécesseurs dynastiques[28].
Ayant enfin « saisi l’héritage de celui qui l’a engendré »[Note 14], il dota richement le temple d’Amon à Karnak[29]. Par ailleurs, il remplaça les nomarques par des hommes de confiance, rouvrit les mines de turquoise de même que les carrières de calcaire et d’albâtre, et rétablit les échanges commerciaux avec Byblos et le Levant.
Succession
Ahmôsis est remplacé par son fils, Amenhotep Ier. Une minorité de chercheurs soutient qu'Ahmôsis a eu une courte corégence avec Amenhotep, d'une durée pouvant aller jusqu'à six ans. S'il y avait eu une corégence, Amenhotep n'aurait pas pu être fait roi avant la 18e année du règne d'Ahmôsis, la première année où Ahmosé-Ânkh, l'héritier présomptif, aurait pu mourir[10]. Des indices indiquent qu'une corégence aurait eu lieu, mais les preuves définitives manquent :
- trois petits objets qui contiennent les prénoms des deux pharaons l'un à côté de l'autre : une perle de verre déjà mentionnée, une petite amulette de feldspath et une stèle brisée qui sont tous écrits dans le style propre au début de la XVIIIe dynastie[30]. Cette dernière stèle dit d'Amenhotep à qui est « donnée la vie éternelle », idiome égyptien qui signifie que le roi est vivant, mais le nom d'Ahmôsis n'est pas suivi de l'épithète habituelle « juste de voix » qui est donné aux pharaons morts[30]. Le prénom est reçu en montant sur le trône et, en supposant que les deux étaient en fait vivants dans le même temps, il est indiqué que les deux régnaient en même temps. Il reste possible cependant qu'Amenhotep eût simplement voulu s'associer à son père bien-aimé déjà mort, réunificateur de l'Égypte ;
- Amenhotep Ier paraît avoir presque terminé la préparation d'une fête-Sed, ou même commencé de la célébrer à sa mort. Mais le règne d'Amenhotep Ier est généralement considéré comme ayant duré seulement vingt-et-un ans et une fête-Sed n'est traditionnellement célébrée qu'à partir de la trentième année de règne du souverain. Si Amenhotep Ier a eu une corégence significative avec son père, certains ont affirmé qu'il avait l'intention de célébrer sa fête-Sed grâce à la date où il a été couronné au lieu de la date à laquelle il a commencé de régner seul. Cela permettrait de mieux expliquer le degré d'achèvement des préparatifs de sa fête-Sed à Karnak[31]. Il y a deux exemples contemporains du Nouvel Empire de la rupture de cette tradition avec Hatchepsout qui a célébré sa fête-Sed lors de sa seizième année de règne, et avec Akhenaton qui l'a célébrée au début de sa 17e[32] ;
- l'épouse d'Ahmôsis, Ahmès-Néfertary, a été appelée à la fois « Grande épouse royale » et « Mère du roi » dans deux stèles qui ont été mises en place dans les carrières de calcaire de Ma'sara au cours de la 22e année du règne d'Ahmôsis. Pour être littéralement la « Mère du roi », Amenhotep aurait déjà dû être roi[Note 15] - [33], mais il est possible que son fils Amenemhat soit fait corégent par Amenhotep Ier, mais soit mort avant ce dernier[10].
En raison de cette incertitude, une corégence est actuellement impossible à prouver ou à réfuter. Les travaux de Redford et de Murnane en la matière sont indécis pour le motif qu'il y a trop peu de preuves concluantes que ce soit pour ou contre une corégence. Même s'il en existait une, elle n'aurait fait aucune différence pour la chronologie de la période, car dans ce cas Amenhotep aurait commencé à compter ses dates de règne à partir de sa première année en tant que souverain unique[34] - [35]. Toutefois, les partisans de la corégence notent que, depuis qu'au moins une rébellion avait été menée contre Ahmôsis durant son règne, il aurait été certainement logique de couronner un successeur avant sa mort pour prévenir une querelle dynastique[33].
Art et constructions monumentales
Avec la réunification de la Haute et la Basse-Égypte sous Ahmôsis, un renouvellement du soutien royal pour les arts et la construction monumentale a lieu. Ahmôsis aurait consacré un dixième de ses ressources au service des dieux traditionnels[36], à la relance massive de constructions monumentales et de tous les arts. Toutefois, comme la défaite des Hyksôs a lieu relativement tard sous le règne d'Ahmôsis, son programme de construction ultérieur à la prise du delta n'a pas duré plus de sept ans[37], et une grande partie de ce qui a été commencé a probablement été achevé par son fils et successeur Amenhotep Ier[38].
Les constructions faites à partir du règne d'Ahmôsis sont faites d'une pierre beaucoup plus fine que celle de la Deuxième Période intermédiaire. Le contrôle du delta et de la Nubie ouvre l'accès à des ressources non disponibles en Haute-Égypte : l'or et l'argent viennent de Nubie, le lapis-lazuli des régions éloignées de l'Asie centrale, le cèdre de Byblos[39]. Les mines de turquoise de Sarabit al-Khadim dans le Sinaï sont rouvertes[40]. Bien que la nature exacte de la relation entre l'Égypte et la Crète soit incertaine, il est au moins sûr que des peintures et fresques minoennes ont été trouvées sur les objets de cette époque, et l'Égypte considérait la mer Égée comme faisant partie de son empire[39]. Ahmôsis rouvre les carrières de pierres de calcaire de Tourah destinées à la construction des monuments du règne à Memphis et à Thèbes, et utilise le bétail asiatique pris en Phénicie pour transporter les pierres, selon une inscription de cette carrière[41] - [42].
L'art au cours du règne d'Ahmôsis est semblable au style thébain du Moyen Empire[43] et les stèles de cette période ont la même qualité[40]. Cela reflète une tendance conservatrice à faire revivre les modes d'avant les Hyksôs. Malgré cela, seulement trois statues identifiées d'Ahmôsis demeurent : un seul ouchebti conservé au British Museum, provenant probablement de sa tombe (qui n'a jamais été trouvée), et deux statues grandeur nature, dont l'une est conservée au Metropolitan Museum of Art de New York et l'autre au Musée de Khartoum[43]. Toutes montrent des yeux légèrement exorbités, ce qui se retrouve également sur des stèles représentant le pharaon. Dans le même style existe un petit sphinx de calcaire qui est conservé au Musée national d'Écosse d'Édimbourg, provisoirement identifié comme représentant Ahmôsis[44].
On pense que l'art de la verrerie a été mis au point durant le règne d'Ahmôsis. Les plus anciens échantillons de verre semblent avoir été les pièces défectueuses de faïence mais l'artisanat du verre n'a pas commencé avant de début de la XVIIIe dynastie[45]. L'une des plus anciennes perles de verre retrouvées porte les noms d'Ahmôsis et d'Amenhotep Ier, écrits dans un style daté d'à peu près du moment de leur règne[30]. Si la verrerie est élaborée au plus tôt sous le règne d'Ahmôsis et les premiers objets datés à plus tard dans le courant du règne de son successeur, il est fort probable que ce soit l'un de ses sujets qui ait découvert la technique du verre[30].
Ahmôsis reprend de grands projets de construction d'avant la Deuxième Période intermédiaire. Il commence à construire, dans le sud du pays, des temples principalement construits en brique dont l'un dans le village nubien de Bouhen. En Haute-Égypte, il fait faire des ajouts au temple d'Amon à Karnak et au temple de Montou à Erment[40]. Selon une inscription de Tourah[41] - [42] - [46], il utilise du calcaire blanc pour construire le grand temple de Ptah et le harem du sud d'Amon[Note 16], mais ne peut pas finir le second projet[40]. Il construit un cénotaphe pour sa grand-mère, la reine Tétishéri à Abydos[47].
Les fouilles de Manfred Bietak sur le site d'Avaris ont montré qu'Ahmôsis possédait un palais construit sur l'emplacement des fortifications de l'ancienne capitale Hyksôs. Bietak retrouva aussi des fragments de fresques de style minoen qui couvraient jadis les murs du palais, il y eut par la suite beaucoup de spéculations sur le rôle que cette civilisation égéenne aurait pu jouer dans le commerce et les arts[48].
Sous le règne d'Ahmôsis, la ville de Thèbes devient la capitale de l'ensemble de l'Égypte, comme elle l'avait été au début du Moyen Empire. Cette ville voit s'implanter dans ses murs l'administration du pays et de nombreux fonctionnaires, la demande de scribes augmente alors que les archives royales commencent à se remplir de comptes et de rapports[49]. Le choix de Thèbes était probablement stratégique, car cette ville était située au centre du pays, à mi-chemin entre les Hyksôs au nord et les Nubiens au sud. Tout foyer d'opposition se déclarant à la frontière du royaume thébain pouvait être éteint facilement[36].
Le changement le plus important est sans doute d'ordre religieux : Thèbes est effectivement devenu le centre religieux autant que politique du pays, son dieu Amon étant crédité de la protection divine qui a permis à Ahmôsis de vaincre les Hyksôs. L'importance du complexe de temples de Karnak[Note 17] s'en voit considérablement augmentée et celle du culte de Rê basée à Héliopolis diminuée[50].
Plusieurs stèles détaillant le travail effectué par Ahmès ont été trouvées à Karnak, dont deux le dépeignent comme un bienfaiteur pour le temple. Dans une de ces stèles, connue comme la « stèle de la tempête », il prétend avoir reconstruit les pyramides de ses prédécesseurs, à Thèbes, qui avaient été détruites par une violente tempête[51] - [52] - [Note 18].
Sépulture
Longtemps après sa mort, Ahmôsis continue à faire l'objet d'un culte fervent. Bien que la momie du pharaon ait été retrouvée à Deir el-Bahari, c'est dans son cénotaphe d'Abydos (la ville d'Osiris), que ses adorateurs entretiennent son culte funéraire. Les restes d’un temple funéraire et d'une pyramide découverts à Abydos ont été identifiés en 1902 comme étant les siens notamment par la découverte sur le site d'un poignard au nom du roi conservé depuis au Royal Ontario Museum au Canada.
Pyramide
Les restes de sa pyramide à Abydos ont été découverts en 1899 et identifiés en 1902[53]. Cette pyramide et ses structures font l'objet d'une fouille en 1993 par la Pennsylvania - Yale - New York University Expedition[Note 19] sous la direction de Stephen Harvey[54]. La plupart de ses pierres de revêtement extérieur avaient été volées au cours des siècles et le monticule de gravats sur laquelle elle a été construite s'était effondré. Toutefois, deux gradins de pierres emboîtés intacts ont été retrouvés par Arthur Mace qui a estimé que la pyramide avait une forte pente de soixante degrés, fondée sur l'analyse de l'enveloppe extérieure en calcaire (à comparer aux 51 degrés de la pyramide de Khéops)[55]. Bien que l'intérieur de la pyramide n'ait pas été exploré depuis 1902, des travaux en 2006 ont mis à découvert une partie d'une rampe massive en briques construite contre sa façade. Au pied de la pyramide se présentait un complexe de temples en pierre entouré d'une enceinte en briques. Les recherches d'Harvey ont révélé trois structures en plus du « temple de la pyramide d'Ahmôsis » d'abord localisé par Arthur Mace. Cette structure, la plus proche de la base de la pyramide, a probablement été conçue comme son principal lieu de culte. Parmi les milliers de fragments sculptés et peints découverts depuis 1993, plusieurs décrivent des aspects d'un récit complexe d'une bataille contre un ennemi asiatique. Selon toute vraisemblance, ces reliefs avec des archers, des navires, des asiatiques morts et la première représentation connue du cheval en Égypte, constituent la seule représentation des batailles d'Ahmôsis contre les Hyksôs[54].
Sur le côté est de la pyramide, Harvey a identifié deux temples construits par la femme d'Ahmôsis, la reine Ahmès-Néfertary. L'une de ces structures comporte des briques estampillées avec le nom du chef trésorier Néferperet, le fonctionnaire responsable de la réouverture des carrières de pierre de Tourah pendant la 22e année du règne d'Ahmôsis. Le troisième, et le plus grand, (temple C) est similaire au temple de la pyramide en forme et en ampleur, mais ses briques marquées et les détails de la décoration indiquent qu'il était un lieu de culte pour la reine Ahmès-Néfertary.
L'axe du complexe pyramidal peut être associé à une série de monuments qui s'enchaînent tout au long d'un kilomètre de désert. Le long de cet axe se placent plusieurs structures clés :
- une grande pyramide dédiée à sa grand-mère Tétishéri qui contenait une stèle représentant Ahmôsis lui offrant des présents ;
- un complexe souterrain taillé dans la pierre qui a dû servir comme représentation symbolique du royaume souterrain d'Osiris ou comme une tombe royale[56] ;
- un temple en terrasses construit contre de hautes falaises, liant massifs en pierre et terrasses de briques. Ces éléments reflètent en général un plan similaire à celui du cénotaphe de Sésostris III et sa construction contient des éléments qui reflètent le style des complexes pyramidaux de l'Ancien et du Moyen Empire[56].
Il y a une polémique pour savoir si cette pyramide est la sépulture d'Ahmôsis ou s'il s'agit d'un cénotaphe. Bien que les premiers explorateurs Mace et Currelly aient été incapables de localiser les chambres internes, il est peu probable qu'une chambre funéraire ait pu être située au milieu des décombres de base de la pyramide. En l'absence de toute mention d'un tombeau du roi Ahmôsis dans la liste des tombes pillées du papyrus Abbott, et en l'absence d'autres tombeaux possibles pour ce roi, il est possible que celui-ci soit enterré à Abydos, comme le suggère Harvey. Certes, le grand nombre de structures de culte situées à la base de la pyramide découvertes ces dernières années, ainsi que la présence à la base de la pyramide d'un cimetière utilisé par les prêtres du culte d'Ahmôsis, plaident en faveur de l'importance du culte à Abydos du roi. Toutefois, d'autres égyptologues croient que la pyramide a été construite (comme celle de Tétishéri) comme un cénotaphe et qu'Ahmôsis a d'abord été enterré dans la partie sud de Dra Abou el-Naga, avec le reste des membres des XVIIe et XVIIIe dynasties[47].
Cette pyramide est la dernière pyramide jamais construite dans le cadre d'un complexe funéraire royal en Égypte. La forme pyramidale sera abandonnée par les pharaons du Nouvel Empire, pour des raisons tant pratiques que religieuses. Les plateaux de Gizeh, d'Abousir, de Saqqarah ou de Dahchour offrent beaucoup d'espace pour construire des pyramides, ce qui n'est pas le cas de la géographie de Thèbes confinée par les falaises, où toutes sépultures aménagées dans la plaine environnante seraient vulnérables aux inondations. La forme pyramidale est associée au dieu solaire Rê qui est éclipsée par Amon en importance. L'une des significations du nom d'Amon est le caché, ce qui signifie qu'il était désormais théologiquement admissible de cacher la tombe du pharaon, en séparant totalement le temple funéraire du lieu de la tombe réelle. Cela a fourni l'avantage de pouvoir cacher le lieu de sépulture du pharaon des pilleurs de nécropoles. Tous les pharaons ultérieurs du Nouvel Empire seront enterrés dans des tombes rupestres de la vallée des Rois[57].
Momie
La momie d'Ahmôsis Ier a été découverte en 1881 dans la « cachette royale » de Deir el-Bahari (tombe DB 320), située dans les collines au-dessus du temple mortuaire d'Hatchepsout. Il fut enterré avec les momies d'autres pharaons des XVIIe, XVIIIe et XXIe dynasties, Amenhotep Ier, Thoutmôsis Ier, Thoutmôsis II, Thoutmôsis III, Ramsès Ier, Séthi Ier, Ramsès II et Ramsès IX, Pinedjem Ier, Pinedjem II.
La momie d'Ahmôsis est examinée par Gaston Maspero le . Elle est découverte dans un cercueil qui portait son nom en hiéroglyphes, nom que l'on retrouve sur ses bandages en écriture hiératique. Bien que son sarcophage en bois de cèdre date de l'époque de la XVIIIe dynastie, il n'est ni de qualité royale ni même notable et tous les ornements qu'il possédait ont disparu durant l'Antiquité[58].
Ahmôsis laisse cependant de très nombreux « témoignages » dans les tombes de ses parents qui permettent d'imaginer aisément avec quel faste il fut enseveli. On citera notamment les éléments d'un bracelet composé d'un cartouche en or massif encadré de deux lions couchés miniatures qui ornaient la momie de son frère et prédécesseur Ouadjkheperrê Kames. Signe des temps, on retrouva également des armes et des bijoux à son nom dans la tombe de sa mère Iâhhotep à Dra Abou el-Naga.
Il avait apparemment été déplacé du lieu de sa sépulture initiale qui avait probablement été profanée. Il fut ré-emmailloté par les prêtres et placé dans la cache de Deir el-Bahari pendant le règne du roi-prêtre Pinedjem II de la XXIe dynastie, dont le nom est apposé sur les bandelettes de la momie d'Ahmôsis. Autour de son cou une guirlande de delphinium en fleurs avait été placée. Le corps portait les traces du pillage antique, la tête ayant été détachée de son corps et son nez cassé[59].
Le corps mesure 1,63 m de hauteur. La momie a un visage de petite taille sans traits distinctifs, mais il a les dents de devant un peu saillantes, ce mal est une caractéristique héréditaire de la famille, puisqu'on la retrouve dans quelques momies féminines de la même famille, ainsi que sur la momie d'un de ses descendants, Thoutmôsis II.
Une brève description de la momie par Gaston Maspero éclaire davantage sur les ressemblances familiales :
« … Il était de taille moyenne, comme son corps momifié mesure uniquement cinq pieds six pouces (1,7 m) de longueur, mais le développement du cou et la poitrine indique une force extraordinaire. La tête est petite par rapport au buste, le front bas et étroit, les pommettes proéminentes et les cheveux épais et ondulés. Le visage ressemble exactement à celui de Tiûâcrai et la ressemblance à lui seul en proclame l'affinité, même si nous ignorions l'étroite relation qui unit ces deux pharaons[36]. »
Les études initiales de la momie ont d'abord fait apparaître un homme de cinquante ans[36] mais les examens ultérieurs ont montré qu'il était plutôt susceptible d'avoir environ 35 ans à sa mort[28]. L'identité de cette momie (catalogue du Musée du Caire no 61057) a été remise en cause en 1980 par les résultats publiés par James Harris, professeur d'orthodontie, et de l'égyptologue Edward Wente. Harris avait été autorisé à analyser aux rayons X toutes les momies supposées royales du Musée égyptien du Caire. Même si l'histoire nous rapporte qu'Ahmôsis était le fils ou peut-être le petit-fils de Seqenenrê Tâa, la morphologie cranio-faciales des deux momies est très différente. Il est également différent de celui de la momie féminine reconnue comme celle d'Ahmès-Néfertary, jugée être sa sœur. Ces incohérences et le fait que cette momie n'avait pas les bras croisés sur la poitrine, comme c'était l'usage de l'époque pour les momies royales masculines, les ont amenés à conclure que ce n'était probablement pas une momie royale, en laissant l'identité d'Ahmôsis inconnue[60].
La momie est maintenant conservée au Musée de Louxor aux côtés de celle supposée de Ramsès Ier, dans le cadre d'une exposition permanente appelée « l'âge d'or de l'armée égyptienne »[61].
Notes et références
Notes
- Il pourrait s'agir d'un cénotaphe.
- Il est probablement le neveu de Ouadjkheperrê Kames, plutôt que son frère
- D. Arnold, A. Dodson, K. Kitchen, N. Reeves, I. Shaw, J. von Beckerath.
Autres avis de spécialistes : -1570 à -1546 (E. F. Wente), -1569 à -1545 (D. B. Redford), -1554 à -1529 (R. A. Parker), -1552 à -1527 (E. Hornung), -1552 à -1526 (N. Grimal), -1540 à -1525 (J. Málek), -1540 à -1515 (C. Aldred), -1539 à -1514 (E. Krauss), -1530 à -1504 (W. Helck). - Littéralement : Le Seigneur de la force est Rê
- « La Lune est satisfaite »
- Divinisé dans la région thébaine sous le nom d'Ahmosé-Sipair
- Sa momie a été retrouvée dans la cachette royale de Deir el-Bahari
- Littéralement : qui connaît les choses
- L'actuelle Tell Héboua.
- Djéhouty, Ahhotep et Ahmès
- identifiée avec Tell el-Ajjul
- Littéralement : les archers nubiens
- Le titre - purement honorifique – ne fait que souligner l'importance de la fonction.
- i. e. le Double Pays
- Il est possible que le titre était seulement honorifique, comme Iâhhotep II qui a pris le titre sans être la mère d'un roi connu
- C'est-à-dire Karnak
- sur la rive orientale du Nil, au nord de Thèbes
- L'éruption de l'île de Santorin dans la mer Égée a été mise en cause par certains spécialistes comme la source de ces dommages, mais des allégations similaires sont courantes dans les écrits de propagande d'autres pharaons, les montrant surmontant les puissances des ténèbres. Analysant les mots choisis dans le texte de la stèle, Ryholt propose de voir, dans les dégâts causés par cette tempête, une métaphore de ceux causés par l'occupation Hyksôs, ou par la guerre de libération (cf. Ryholt, The Political Situation in Egypt during the Second Intermediate Period, c.1800-1550 BC, p. 144-145). En raison d'un manque de preuves, aucune conclusion définitive ne peut être atteinte.
- Il s'agit d'une campagne de fouilles menée conjointement par le musée de l'université de Pennsylvanie, de l'université Yale et de l'Institut des Beaux-Arts de l'université de New York.
Références
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- [[#VAN|Vandersleyen, Iâhmès Sapaïr, fils de Seqenenrê Djéhouty-âa (XVIIe dynastie) et la statue du Louvre E 15 682]] et Barbotin, Un intercesseur dynastique à l'aube du Nouvel Empire
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- Pour une traduction de la stèle consulter C. Barbotin, Âhmosis et le début de la XVIIIe dynastie, doc. 19, p. 215-220
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