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Toiles de Mayenne

Toiles de Mayenne est une marque déposée et une entreprise française située à Fontaine-Daniel sur la commune de Saint-Georges-Buttavent dans le département de la Mayenne[2].

Historique

À l'origine, une filature et un atelier de tissage sont créés dans le village en 1806, et se développe sous l'influence de la famille Denis.

Elle emploie en 1812 environ 760 ouvriers filateurs et tisserands à la main, jusqu'à aujourd'hui où l'entreprise compte environ 150 employés exerçant 75 métiers différents.

La nécessaire adaptation technique est restée la préoccupation de ses dirigeants, ingénieurs diplômés de l'École centrale des arts et manufactures pour la plupart : Gustave Denis, Paul Denis, Jean Denis et Bruno Denis.

En 1901, l'usine qui ne fabriquait que du tissu écru, se met à teindre le fil pour les chemises et les doublures de vêtements. Lorsqu'en 1911 elle s'oriente vers la teinturerie et les apprêts, elle emploie 350 personnes. L'usine est électrifiée en 1929. Après la Seconde guerre mondiale, un tissage est construit pour le tissu d'ameublement. En 1952, la marque Toiles de Mayenne est déposée. Un service de confection sur mesure et un service de vente par correspondance voient le jour.

L'entreprise est depuis dirigée par Jérôme Couasnon [3].

1806[4]

L'abbaye de Fontaine Daniel en 1806
Arrivée des pionniers du textile à Fontaine-Daniel

Le , deux entrepreneurs parisiens, Jean-Pierre Horem et Sophie Aimée Josèphe Lewille, veuve Biarez, font acquisition de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Fontaine-Daniel. La guerre fait rage en Europe et Napoléon Ier proclame à Berlin le blocus continental qui ne constitue pas pour autant un obstacle aux affaires.

L'abbaye de Fontaine-Daniel a plusieurs atouts : ses bâtiments, ses terrains, l'étang qui par son apport en eau constitue une force motrice, et le savoir-faire régional en matière textile (3/4 de la population).

Installation d’une première filature et d’un premier tissage

La tradition indique que Béatrix de Gavre, épouse de Guy IX de Laval, Comte de Laval, fait venir du Comté de Flandre des ouvriers tisserands[5] qu'elle fixa à Laval. Le titre de sire de Gavre[6] était réservé selon la coutume familiale à l'héritier présomptif du chef de la Maison de Laval. Les ouvriers flamands enseignent le secret du blanchissage. Ce transfert de technologie serait l’origine du développement de la culture du lin et du textile en Mayenne.

L'industrie de la toile de lin est probablement très ancienne, et faussement attribuée à cette tradition.

En 1806, lorsque Jean-Pierre Horem et la veuve Biarez prennent pied à Fontaine-Daniel, le secteur textile traditionnel est en crise. À la réouverture des fabriques de mouchoirs de Cholet, à la perte des marchés américains et à la disette des capitaux, s’ajoute la concurrence de la Belgique, incorporée à l’Empire français.

C’est ce dĂ©fi que relèvent les deux associĂ©s parisiens. La mise en production de Fontaine-Daniel est rapide. Un bâtiment, le Vieux manège, est construit pour accueillir la filature initiale. Le chenal de l'Ă©tang oĂą est installĂ©e une roue hydraulique fournit la force motrice, relayĂ©e par des chevaux quand le dĂ©bit est insuffisant.  

1814

Ourdissage
Quarante ouvriers à la filature, 430 au tissage, 450 tisserands à façon et à domicile

Le succès est freiné par les difficultés d’approvisionnement en coton qui résultent du blocus[7]. Les efforts de Jean-Pierre Horem et de la veuve Biarez sont couronnés d’un succès qui déborde largement le cadre de Fontaine-Daniel puisqu’ils doivent recourir, dans plusieurs communes des arrondissements de Mayenne et de Laval, aux ouvriers à domicile, leur fournissant des métiers à tisser et créant des comptoirs où sont gérés les stocks de matières premières et les pièces finies. La statistique départementale de 1813 relève que l’entreprise emploie 40 ouvriers à la filature, 430 au tissage à Fontaine-Daniel, et 450 hors les murs.

En Mayenne, seule la manufacture de Fontaine-Daniel s’inscrit avec succès dans l’essor de l’industrie cotonnière, récompensée par la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, qui offre des prix pour l’amélioration des procédés et des machines et par le Conservatoire national des arts et métiers, qui forme ses ingénieurs et ses techniciens.

En janvier 1814, Jean-Pierre Horem épouse Sensitive Armfield, d'origine anglaise, qui a créé en la société Sensitive Armfield et Cie, filature de laine installée à Vire (Calvados).

En , Jean-Pierre Horem et Sophie Biarez rompent amiablement leur association et cette dernière quitte Fontaine-Daniel.

Au décès de Jean-Pierre Horem en 1828, sans postérité, Sensitive Armfield hérite de l'entreprise et en mène seule la direction.

1832-1938

Vue de l'usine
Installation d’une machine à vapeur et d’un tissage mécanique

Sensitive Armfield fait appel à Martin Denis, marchand de vin en gros à Paris qui a épousé sa nièce Élisabeth Armfield en 1830, et à son frère Louis-Charlemagne, pour devenir directeurs, le 1er de l'usine, le second du domaine. Ils rejoindront Fontaine-Daniel en 1832 et seront les premiers de la lignée Denis dans l'entreprise.

Leur arrivée coïncide avec une très importante transformation de Fontaine-Daniel : l’installation d’une machine à vapeur de 20 chevaux, une des rares pompes à feu du département[8]. De l’arrivée de la vapeur s'ensuit l’accroissement de la production de filés, à partir de 1832, créant alors, au niveau du tissage, un goulet d’étranglement, qui ne peut être résorbé que par la mécanisation. Un tissage mécanique est installé en 1838.

Vers 1840, l’établissement de Fontaine-Daniel est le plus important de la Mayenne, avec ses 10 000 broches et ses 500 Ă  600 ouvriers.

Première école laïque, libre et obligatoire à Fontaine-Daniel

En 1833, Fontaine-Daniel a une école gratuite pour tous les élèves, garçons et filles, dont le maître est payé par la veuve Horem[9].

Le bâtiment de l’école de Fontaine-Daniel est inaugurĂ© le . Martin Denis assigne Ă  l’école des objectifs Ă©levĂ©s qui dĂ©passent la simple instruction[10].

Sensitive Armfield et Martin Denis sont des précurseurs dans le département en matière de politique scolaire et sociale. Leur action est en France loin d’être exceptionnelle. Une partie des entrepreneurs pratique, au XIXe siècle, le patronage, terme auquel se substituera, dans la deuxième moitié du siècle, celui de paternalisme.

1860

Une grève d’une journée à Fontaine-Daniel pour une question de salaire

En , pour faire face à la concurrence anglaise et comprimer les prix, la veuve Horem, qui dirige à nouveau seule l’entreprise avant l’arrivée de Gustave Denis, fils de Martin, décide de réduire d’un dixième le salaire de ses 150 tisserands.

Mécontents, ces derniers, qui travaillent à la tâche et gagnent de 22 à 45 francs par quinzaine, selon les postes, décident, le , de se mettre en grève. C’est l’alarme. Le sous-préfet de Mayenne se rend aussitôt à Fontaine-Daniel, accompagné du procureur impérial et du capitaine de gendarmerie, et joue les médiateurs : « Un usage qui a force de loi dans le ressort du Conseil des Prud’hommes de Mayenne veut que les ouvriers ne puissent quitter l’atelier qu’après avoir prévenu le directeur une quinzaine à l’avance. Madame Horem en réclamait l’application et sur mon observation que cet engagement devait être synallagmatique, en ce sens qu’il ne devait pas être loisible au maître de changer les conditions de travail sans que les ouvriers fussent prévenus, elle a consenti à maintenir les anciens salaires jusqu’à l’expiration de la quinzaine commencée hier ».

Cette grève, même très brève, est l’indice des difficultés que traverse l’usine. Dans ce contexte de concurrence accrue, la sécession en Amérique des États confédérés en 1860, suivie de la guerre, en 1861, fait l’effet d’un coup de tonnerre. Elle détermine Madame Horem, alors âgée de 68 ans, à passer la main. Aucun mouvement de grève ne sera plus enregistré à Fontaine-Daniel, même en 1900, 1936, et 1968.

Gustave Denis, fils de Martin, est un candidat idéal à la succession. Ingénieur de l’École centrale des Arts et Manufactures, il a commencé sa carrière professionnelle à Amilly (Loiret), dans une filature de soie, jusqu'en 1858, date à laquelle il revient à Fontaine-Daniel.

En , il épouse, à Montmorency, Eugénie Reine Merle d’Aubigné, née à La Nouvelle-Orléans. Son père, Ami Merle d'Aubigné, y est affréteur et consul de Suisse. Il est issu d’une famille de calvinistes français (descendants du poète Agrippa d’Aubigné), réfugiée à Genève.

En 1862, Gustave Denis rachète avec sa femme l'entreprise textile à Sensitive Armfield et la dirige pendant près de cinquante ans. Il sera également maire de Saint-Georges-Buttavent, président du conseil général de la Mayenne pendant trente ans et sénateur.

1894-1911

De la première teinturerie à la fin de l’activité de filature

En 1894, la couleur arrive Ă  l’usine : la première teinturerie est mise sur pied. L’usine est alors entièrement intĂ©grĂ©e, mais pendant dix-sept annĂ©es seulement, jusqu’à l’arrĂŞt de la filature en 1911[11]. C’est une dĂ©cision essentielle dans l’histoire de l’entreprise de Fontaine-Daniel ; elle inaugure un mouvement de glissement vers l’aval dans la fabrication et la mise en Ĺ“uvre des produits textiles.

1925-1929

Anciennes chaudières de l'usine
Un grand chantier pour une nouvelle chaufferie, de même que l’électrification de l’usine permettent notamment le développement des apprêts

Il faut relever le défi de l’après-guerre et assurer la continuité de la maison. Paul et Georges Denis, fils de Gustave, cherchent les voies et les moyens d’améliorer la productivité et la rentabilité, en installant une nouvelle turbine hydraulique de 150 chevaux[12]. La question de la force motrice est capitale, d’où la construction dirigée par Jean Denis fils de Paul, en 1929, d’une nouvelle chaufferie et l’installation d’une turbine à vapeur[13]. Toute l’usine est électrifiée à partir de cette date.

Mais, après 1941, la rareté du charbon oblige à multiplier les sources d’approvisionnement (jusqu’à seize). Divers perfectionnements sont apportés dans la fabrication des tissus. À la fin des années vingt, apparaissent des laineuses qui rendent le tissu duveteux. Les orientations prises à l’aube du XXe siècle, notamment en matière de développement des apprêts et de la teinturerie, se confirment dans l’entre-deux-guerres, sous l’impulsion de Jean Denis.

On passe de la teinture en fil à la teinture en pièce, en fabriquant à l’usine même des machines à teindre au large, assez rudimentaires, mais qui permettent de teindre du tissu à doublure, en gris, le plus souvent, en noir ou encore en brun.

Parallèlement, un programme immobilier de construction de maisons individuelles à Fontaine-Daniel est lancé, il s’étalera jusqu’aux années 1960. Georges Denis, dès avant la Grande Guerre, s’était efforcé d’améliorer l’offre et la qualité des logements à Fontaine-Daniel.

Mais le véritable bâtisseur, c’est Jean Denis, centralien comme ses pères, qui lance, à partir de 1925, un programme immobilier. Avec l’aide d’un maçon chef d’une équipe de huit ouvriers, auxquels il faut ajouter deux menuisiers et un charpentier couvreur. Jean a plus que le goût de la construction, il en a la passion. Il aurait aimé – il l’a confié à son chauffeur Rémi Crétois- , être architecte des Monuments de France. Il fait le choix de maisons à deux logements de plain-pied, avec jardin et cuisine, en pierre, dans le style traditionnel de la région, avec un évident souci d’harmonie et d’esthétique. Son fils Bruno, centralien également, perpétuera cette approche pour ce qui furent les dernières maisons construites par l'entreprise. Trois maisons furent construites ensuite à l’initiative de particuliers.

1939-1940

Les jardins du village aujourd'hui
Construction de la chapelle Saint-Michel

La construction d’une chapelle catholique dédiée à Saint-Michel renforce le pacte entre la Place et l’Abbaye. Pour assister à l’office, les habitants de Fontaine-Daniel n’avaient d’autre choix que d’aller à Saint-Georges-Buttavent ou, plus loin encore, à Mayenne. À l’initiative du curé de Saint-Georges, une pétition est lancée pour la construction d’un lieu de culte.

C’est Jean Denis, protestant, inspiré par les idées esthétiques du philosophe Rudolf Steiner, qui en conçoit les plans et la sobre mais élégante décoration. Doté d’un goût artistique prononcé, il a dessiné au pastel les maquettes de ses lumineux vitraux. Cela lui vaut le surnom de Logeur du Bon Dieu. Les maçons de l’entreprise, notamment le chef d’équipe, Georges Seigneur (dont le fils deviendra le chef du service entretien de l’usine), et Jules Bigot (le père de Colette Bruneau), en posent la première pierre le au bord de l’étang, sur un lopin qui appartient à l’usine. Elle est achevée le sur un roc (symbole biblique). Les cloches sont financées par les ouvriers qui donnent le fruit d’une journée de travail. Bel exemple d’œcuménisme même si, en , après la célébration - dûment autorisée par l’évêque -, du mariage protestant de Corinne, la fille de Jean, un exorciste est dépêché pour chasser les démons de la chapelle.

DĂ©veloppement important des jardins ouvriers pour faire face au contexte de la guerre

Au début de la Deuxième Guerre mondiale, une nouvelle surface de jardins ouvriers est créée. Ces jardins se situent dans la partie haute du village, entre la salle des fêtes (1966), l’étang et la forêt. Ils sont créés à l’attention des familles pour qu’elles supportent le rationnement mis en place par le régime de Vichy, ils sont pour cette raison surnommés les pétains.

Les surfaces mises Ă  disposition sans loyer sont Ă©valuĂ©es en tenant compte du nombre de personnes composant chaque famille. Les cabanons de jardin noirs ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©es, Ă  cĂ´tĂ© des pĂ©tains, avec le bois des caisses de bobines de fil de 150 g (la bobine) provenant du tissage et que les ouvriers ont pu rĂ©cupĂ©rer. Pour le protĂ©ger des intempĂ©ries, le bois clair des planchettes Ă©tait ensuite enduit de goudron.

1945

Toits de l'usine
Publication d’un livret écrit par Jean Denis, De la constitution d’une vie sociale harmonieuse

C’est durant cette pĂ©riode oĂą l’usine tourne au ralenti – quand elle tourne, car les arrĂŞts de travail sont nombreux -, que Jean Denis fait imprimer Ă  Laval, chez BarnĂ©oud Frères et Cie, en , un petit essai d’une trentaine de pages, intitulĂ© De la Constitution d’une vie sociale harmonieuse. ArticulĂ© en deux parties, d’abord Les principes puis L’application. Les trois ordres et l’État, ce texte mĂ©rite d’être citĂ©. Il traduit chez son auteur des prĂ©occupations qui dĂ©passent celles d’un banal chef d’entreprise. A la LibĂ©ration, la question de nouvelles institutions pour la France se pose avec acuitĂ©. Jean Denis fait des propositions pour la future Constitution. Constatant, comme beaucoup de ses contemporains, que la guerre a dĂ©truit un Ă©difice social pĂ©rimĂ©, il y voit l’occasion de construire un ordre social nouveau, alternative Ă  l’idĂ©ologie du communisme conquĂ©rant, sorti grandi de la lutte contre le nazisme. DĂ©nonçant le danger du collectivisme, y compris pour le prolĂ©tariat, car il assoira la prĂ©dominance Ă©conomique, en rendant le pouvoir politique encore plus solidaire de l’économique et en substituant Ă  un patronat contrĂ´lable, un nouveau patronat incontrĂ´lable et tout-puissant : l’État, Jean Denis cherche une troisième voie, tout en reconnaissant les apports de certaines rĂ©formes de 1936, comme les contrats collectifs obligatoires et les congĂ©s payĂ©s. Pour lui, l’expĂ©rience du Front populaire a Ă©chouĂ© car elle n’a pas Ă©tĂ© pensĂ©e de façon globale. Il dessine donc une troisième voie, de nature contractuelle, entre le collectivisme, visage de la tyrannie de l’État et, le capitalisme, que sa rapacitĂ© condamne Ă  une inexorable destruction. Jean Denis n’est pas partisan d’une libertĂ© absolue en matière Ă©conomique et il ne rĂ©fute pas la nĂ©cessitĂ© d’une Ă©conomie dirigĂ©e, mais il rappelle que la lutte Ă©conomique, la concurrence de maison Ă  maison et de pays Ă  pays est une bataille continuelle ; pĂ©nible mais indispensable au progrès et du reste inĂ©vitable. Adepte, comme Gustave Denis de l’empirisme, il dĂ©veloppe une vision de la sociĂ©tĂ© dont la rĂ©sonance est très saint-simonienne : « Toutes les grandes thĂ©ories d’économie, Ă©chafaudĂ©es jusqu’ici, n’ont eu qu’une apparence de vĂ©ritĂ© passagère. Aussi est-il indispensable que l’économie soit dirigĂ©e par des hommes qui restent en plein combat, c’est-Ă -dire par des chefs d’entreprise ayant fait leurs preuves et n’ayant pas abandonnĂ© leur mĂ©tier. C’est lĂ  une grande difficultĂ© car de tels chefs ont gĂ©nĂ©ralement peu de loisirs ». Dans ce texte, oĂą il dĂ©crit sa vision d’un prolĂ©tariat heureux, il manifeste Ă©galement des prĂ©occupations Ă©cologiques, qui rĂ©sonnent avec force soixante ans plus tard et qui traduisent une conception de l’homme pensĂ© dans le cosmos : « […] Le travail de la terre participe plus que tout autre Ă  la vie de la planète, Ă  celle de l’univers ; cette vĂ©ritĂ© Ă©lĂ©mentaire doit constamment ĂŞtre devant nos yeux sans quoi la mentalitĂ© industrielle s’emparera de la paysannerie et amènera une ruine gĂ©nĂ©rale du sol nourricier, par une intensification des mĂ©thodes purement scientifiques et un lent oubli des coutumes ancestrales.[…] Une nation n’est saine que si elle s’appuie sur une paysannerie vigoureuse, et cette paysannerie ne reste forte que si, vivant au contact de la nature, elle ne la violente pas par des moyens chimiques et des techniques industrielles, mais se plie Ă  ses rythmes et sait les aimer ».

1952

Marque Toiles de Mayenne
Création de la marque Toiles de Mayenne pour la vente aux particuliers de tissus d’ameublement

Les mœurs commerciales des grossistes, qui déplaisent à Jean et Bertrand Denis, les incitent à choisir la voie de la vente par correspondance[14]. Ainsi naît, le , la marque Toiles de Mayenne. Toiles de Mayenne a la particularité d’être cliente et indépendante de la société de tissage, teinturerie et apprêt, B. et J. G. Denis et de ses 302 salariés. La marque est enregistrée à l’Institut national de la propriété industrielle, le .

La vente directe d’étoffes Toiles de Mayenne se fait au mĂ©trage en direction d’une clientèle sachant coudre ou ayant une couturière attitrĂ©e, ce qui est très rĂ©pandu Ă  l’époque. La prudence reste de mise, mais les dĂ©buts de Toiles de Mayenne sont prometteurs. Les commandes atteignent rapidement 2 000 mètres par jour alors que la disposition initiale des services de coupe et d’expĂ©dition Ă©tait prĂ©vue pour en traiter 1 000. Toiles de Mayenne devient premier client de B. et J.G. Denis et Cie. La fusion entre les deux sociĂ©tĂ©s est rĂ©alisĂ©e le . Nonobstant, la direction alerte en 1954 les responsables politiques sur la menace que ferait courir aux industries textiles la fin du contingentement des importations ; mais le succès des tissus d’ameublement et de leur doublure en « envers blanc » permet de remettre en route dix mĂ©tiers Ă  grande laize. Cela compense, en partie, la faible demande des tissus de petite laize.

De nouveaux équipements en machines sont réalisés régulièrement entre 1956 et 1963 : nouveaux ourdissoirs, agrandissement de la teinturerie en fils (nouvelle chaudière, machine à blanchir en pièces, bobineuses), suppression des métiers automatiques à une navette (1963) au profit de douze nouveaux métiers sans navette Diedrich, mais aussi canetières automatiques et sanforiseuse. Ces investissements portent leurs fruits et dynamisent la production.

Grandes activités théâtrales

Dans le mĂŞme temps, « Madame Paul Â», la femme de Paul Denis, participe de façon très active Ă  la politique de patronage : distribution de cadeaux de naissance (lits ou vĂŞtements), soins infirmiers et animations variĂ©es, notamment au Cercle des filles oĂą l’on joue et oĂą l’on cause. Â« Madame Paul Â» est l’âme de la troupe théâtrale de Fontaine-Daniel. Colette et AndrĂ© Bruneau se souviennent de la direction exigeante de la patronne, dont le rĂŞve secret avait Ă©tĂ© d’être actrice. Elle Ă©tait particulièrement attentive Ă  la diction et proposait aux ouvriers et employĂ©s, adultes ou enfants, les grands textes de la littĂ©rature française. De nombreuses pièces classiques seront jouĂ©es entre 1940 et 1957. Le ministre de l’Éducation nationale, Yvon Delbos, confère Ă  « Madame Paul Â», le , les palmes acadĂ©miques.

1961

Confection.
Création de l’atelier de confection, qui deviendra après une quarantaine d’années l’atelier le plus important de l’entreprise, près de cinquante personnes en 2006.

Au dĂ©but, la production pour l’ameublement consiste Ă  vendre du tissu au mĂ©trage. NĂ©anmoins, Ă  partir du printemps 1961, l’entreprise innove en proposant des articles de « blanc Â». Draps, torchons, oreillers, traversins occupent en partie le temps de travail de la couturière, Henriette Crier, que Jean Denis a dĂ©bauchĂ©e chez le confectionneur Coulange, Ă  Mayenne. Son mari Raymond travaillait dĂ©jĂ  comme tisserand Ă  Fontaine-Daniel. Elle commence seule avec deux machines Ă  coudre. C’est elle aussi, en 1962, qui inaugure la confection sur mesure de rideaux et couvre-lits : elle se forme elle-mĂŞme en taillant chez elle des patrons pour trouver des solutions aux problèmes posĂ©s par les exigences de la clientèle comme les modèles de drapĂ©s ou de festons qu’elle n’avait jamais rĂ©alisĂ©s auparavant. Elle devient responsable d’un atelier qui regroupera trente puis cinquante coupeurs ou couturières.

L'entreprise comptabilise alors les ventes dans un grand livre-journal d'1,6 m de large sur 0,6 m de haut, avec une colonne par tissu et la comptable assise sur une chaise sur rails. Une semaine est nĂ©cessaire pour connaĂ®tre les chiffres de vente. En 1966, Bruno Denis entreprend d'Ă©quiper l'entreprise d'un ordinateur Ă  cartes Bull Gamma 55, avec une mĂ©moire centrale de 2 500 octets. LouĂ© Ă  partir de , l'ordinateur permet de sortir les chiffres en deux jours.

Cette pĂ©riode faste est marquĂ©e par une cinquantaine de nouvelles embauches et par la crĂ©ation de nouveaux articles (satin brillant rayĂ©). Succès oblige : Toiles de Mayenne s’installe, en 1967, Ă  l’écart de l’Abbaye, dans un nouveau bâtiment construit Ă  la pĂ©riphĂ©rie du village, en bordure de Bois de Salair. On y adjoint un magasin d’exposition et de vente directe au public.

Désormais l’entreprise marche sur deux jambes, l’habillement et l’ameublement, chacun rythmé par des cycles de trois ou quatre ans d’expansion et de ralentissement.

1968

Le magasin Toiles de Mayenne de Fontaine-Daniel
Ouverture du premier magasin à l’enseigne Toiles de Mayenne

La première ouverture de magasin, après Fontaine-Daniel, est réalisée à Montfort-l’Amaury en 1968. C’est une révolution de velours, menée comme les précédentes, avec prudence, pour ne pas porter brutalement atteinte à la chalandise de la vente par correspondance. Cette boutique est rapidement transférée à Versailles et suivie de deux autres implantations à Paris, en 1972, rue Notre-Dame-des-Champs (VIe) et rue Lauriston (XVIe).

Les implantations ultĂ©rieures Ă  Nantes, Saint-Germain-en-Laye et Boulogne sont gĂ©ographiquement significatives. Elles se font dans des quartiers oĂą « la clientèle regarde le produit avant le prix et reste fidèle si elle est satisfaite ». Pour l’habillement, l’échantillonnage pouvait suffire ; pour la dĂ©coration et l’ameublement, le magasin a l’avantage de mettre en valeur les Ă©toffes, en grandeur rĂ©elle. En 1990, la sociĂ©tĂ© possède treize magasins en France. En 1992, une vitrine est ouverte Ă  Laval. En 2006, elle en possède autant, mais la plupart ont dĂ©mĂ©nagĂ© pour ĂŞtre plus visibles.

1997

Rouleaux de tissu

Une période périlleuse, marquée notamment par la baisse de production des tissus d’habillement dans un contexte de mondialisation accélérée du textile, se termine. Grâce à une nouvelle stratégie commerciale et à la réduction des cotisations sociales induites par la loi Robien, Toiles de Mayenne amorce un nouveau développement sur le secteur du tissu de décoration.

La conquĂŞte de la clientèle est nĂ©cessairement au cĹ“ur de la stratĂ©gie, parce qu’elle est le moteur de la production de l’usine. La vente par correspondance constituait, Ă  ses dĂ©buts, une innovation remarquable. Les premiers magasins ont eu pour fonction de prĂ©senter les produits en grandeur rĂ©elle et de prendre les ordres des clients, dont certains familiers de la VPC. Ces vitrines ont eu Ă  subir, dans les annĂ©es 1980, la concurrence de grandes chaĂ®nes arrivant sur un marchĂ© de la dĂ©coration en forte croissance. L’atout de Toiles de Mayenne demeure la confection sur mesure des pièces d’ameublement et la diversification de la gamme des produits : tissus mais aussi sièges et objets de dĂ©coration. Dans les annĂ©es 1995-2000, la vente au dĂ©tail progresse constamment.

Les magasins, les anciens comme les nouveaux s’adressent à des clientèles qui font évoluer la décoration de leurs intérieurs, au cours des différentes étapes de leur existence, dans une société moins figée qu’auparavant.

Ces succès commerciaux rĂ©sultent des efforts d’adaptation aux tendances de la mode et aussi d’un type de relation Ă  la clientèle. Dans les magasins Toiles de Mayenne, il n’y a pas de vendeuses chargĂ©es d’écouler de la marchandise mais des conseillères appliquĂ©es Ă  dĂ©crypter les attentes des clients et Ă  Ă©clairer leur choix.

L’informatique accompagne cette nouvelle dynamique. Depuis 1998, le système informatique, a été, en trois ans, totalement reconfiguré. Outre son utilité dans la gestion comptable et industrielle, il a permis le développement de la télétransmission à partir des points de vente, accélérant la réalisation des commandes. Les commandes de métrage, par exemple, peuvent être expédiées aux clients dès le lendemain, il fallait naguère au moins six jours.

Toute l’organisation de l’entreprise est repensĂ©e pour servir au mieux les clients. Ateliers et services ont leurs fonctions redĂ©finies ; ils sont parfois dĂ©mĂ©nagĂ©s, exigeant des employĂ©s souplesse et adaptation. Nombreux sont les salariĂ©s qui acceptent de changer de poste ou de mĂ©thodes, contribuant grandement Ă  la marche en avant.

1999

Les immeubles collectifs de Fonaine-Daniel
Début de la rénovation des appartements dans les immeubles collectifs, grands témoins de la vie ouvrière à Fontaine-Daniel entre 1840 et 1995.

En est crĂ©Ă©e une structure spĂ©cifique, la SARL « Fons Danielis Â», dont l’objectif est de rĂ©nover et de recomposer le village et d’éviter, ainsi, l’effritement et la dĂ©gradation du patrimoine qu’il reprĂ©sente. Grâce Ă  un capital constituĂ© par certains membres de la famille Denis et par quelques villageois et grâce Ă  des crĂ©dits bancaires, « Fons Danielis Â» rachète Ă  l’entreprise (qui a besoin de finances pour ses magasins), sept immeubles reprĂ©sentant cinquante-cinq appartements et les modernise petit Ă  petit. Cette initiative repose sur un vĂ©ritable pari : supposer que le charme et le calme du site convaincront des personnes Ă  venir habiter dans des immeubles Ă  la campagne, Ă  une Ă©poque oĂą le rĂŞve de tous est de se faire construire ou de racheter une maison individuelle.

Ainsi, en ce lieu, le dĂ©veloppement du village et celui de l’entreprise continuent d’aller de concert. InitiĂ©e par Martin Denis, la construction de logements ouvriers constituait, il y a moins de deux siècles, une dĂ©marche progressiste. Les constructions de ses successeurs l’ont pĂ©rennisĂ©e. Aujourd’hui, « Fons Danielis Â» en assure le relais. En proposant des appartements modernisĂ©s Ă  des personnes venues de tous horizons, attirĂ©es par la singularitĂ© du lieu, cette initiative permet Ă  Fontaine-Daniel de conserver son harmonie architecturale et naturelle.

2006

Le , le bicentenaire de la naissance de l’activité textile à Fontaine-Daniel est célébré. Le livre Tissu topique, réalisé avec les Éditions Gallimard, retrace deux siècles d’une aventure humaine, industrielle, sociale et architecturale.

2017

En juin, l'entreprise est en cessation de paiement et l'ouverture d'une procédure en redressement judiciaire est prononcée le [15].

2018

Le , le Tribunal de commerce de Laval se prononce, parmi six offres présentées, pour l'offre de continuation de l'entreprise, et tous ses salariés conservent leur emploi[16].

Références

  1. Système national d'identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements, (base de données)
  2. Toiles de Mayenne. Une marque tissée dans le temps, article de www.entreprises.ouest-france.fr, publié le 16 janvier 2012
  3. Toiles de Mayenne innove au fil du temps, article de www.usinenouvelle.com, publié le 7 juin 2012
  4. Tissu topique : toiles de Mayenne Ă  Fontaine-Daniel depuis 1806, Paris/Fontaine-Daniel, Gallimard, , 287 p. (ISBN 2-7424-1814-8)
  5. Les Berset vinrent, dit-on, des Flandres, en 1290, à la suite de Béatrix de Gavre, lorsqu'elle épousa Guy IX de Laval. Ce qui est certain, c'est qu'on trouve leur famille installée dès cette époque à Laval, où leur postérité s'est continuée jusqu'au XIXe siècle. Les Armes des Berset étaient : d'azur à la bande de gueules chargée d'une rangée de losanges d'argent, accomp. en chef de trois étoiles d'or en orle et en pointe d'un lion d'argent.
  6. Gavere est une commune de Flandre-Orientale liée au comté d'Alost, à ne pas confondre avec Le Gâvre, près de Nantes.
  7. En fĂ©vrier 1808, le prĂ©fet transmet un mĂ©moire rĂ©digĂ© par les patrons de Fontaine-Daniel au ministre de l’IntĂ©rieur, le suppliant d’« accorder sa protection Ă  cette manufacture et la comprendre dans la rĂ©partition qu’elle pourrait avoir Ă  faire d’une quantitĂ© suffisante de coton » et il ajoute : Â« C’est Ă  cet Ă©tablissement que nous devons […] le dĂ©veloppement de l’intelligence d’un peuple d’ouvriers qui, incapables de profiter des thĂ©ories les plus simples et les plus utiles, se sont formĂ©s par l’exemple et l’image, Ă  l’emploi des procĂ©dĂ©s nouveaux pour eux et particulièrement de la navette volante ; il importe Ă  l’intĂ©rĂŞt public que la cessation des travaux de cette manufacture ne fasse pas rĂ©trograder l’industrie vers la fâcheuse routine dont elle commençait Ă  s’affranchir et ne replonge pas une nombreuse population dans la misère Ă  laquelle elle Ă©chappait »
  8. Dans un premier temps, la machine fait naître le spectre du chômage et suscite la crainte de la population ouvrière. Néanmoins, comme Jean-Baptiste Say l’avait noté, dès 1803, si la machine pouvait détruire de l’emploi, elle en créait aussi.
  9. Le 28 juin 1833, Louis-Philippe promulgue la loi sur l'instruction primaire. L’artisan en est François Guizot, pour qui le grand problème des sociétés modernes est le gouvernement des esprits.
  10. « La vie, pensez-vous, c’est la facultĂ© de bien manger, dormir, jouer, courir. Mais la vie de l’homme consiste-t-elle en cela seulement ? La vie organique et qu’on pourrait appeler la vie animale, oui […]. Il est une autre vie cependant, plus digne de la mission de l’homme […] qui consiste Ă  penser, sentir, et agir dans son propre intĂ©rĂŞt en travaillant Ă  son bien ĂŞtre, donc, Ă  celui de sa famille, en contribuant au bonheur de cette famille, donc celui de sa patrie, en ajoutant Ă  sa Gloire. ». Si Martin Denis exerce un magistère moral, il s’interdit d’être un directeur de conscience. Il Ă©nonce, avec cinquante ans d’avance, les principes de Jules Ferry dans sa Lettre aux instituteurs. Bien avant les lois de 1881-1882, l’école de Fontaine-Daniel, laĂŻque et mixte, revĂŞt, aussi, un caractère obligatoire : lors d’une harangue un dimanche, Martin Denis dĂ©nonce l’absentĂ©isme et menace d’une amende les parents des enfants qui n’iraient pas Ă  l’école.
  11. Le matériel en était vétuste et il aurait fallu des investissements considérables auxquels les dirigeants de Fontaine-Daniel préfèrent renoncer face à la production et aux prix attractifs de l’importante Société des filatures de Laval, comprenant les établissements de Bootz et de la Beuverie. L’usine Duchemin à Laval s’étant, en sus du tissage, équipée à la même période d’une filature moderne, il était plus rentable pour Fontaine-Daniel de se fournir en fil à Laval, à Rouen et à Paris.
  12. Sur le grand canal de fuite souterrain de la turbine précédente, relayant en hiver la machine à vapeur du tissage.
  13. Dont l’échappement à basse pression alimente en calories la teinturerie et le blanchiment. L’approvisionnement en charbon est assuré par une douzaine de fournisseurs.
  14. Cependant il ne s’agissait pas de se jeter dans le vide ou de lâcher la proie pour l’ombre, en promouvant trop ostensiblement une vente aux particuliers faisant concurrence aux grossistes.
  15. « Redressement judiciaire Toiles De Mayenne à Saint-Georges-Buttavent (735750143) - ProcedureCollective.fr », sur www.procedurecollective.fr (consulté le )
  16. « Les 84 salariés de l'entreprise Toiles de Mayenne vont garder leurs emplois », France Bleu,‎ (lire en ligne, consulté le )

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