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Storytelling (technique)

Le storytelling, également appelé mise en récit en France[1] ou accroche narrative au Québec[2], est une méthode de communication fondée sur une structure narrative du discours qui s'apparente à celle des contes et des récits[3].

Son emploi, notamment par les conseillers en communication politique dits façonneurs d’image, est controversĂ©.

Efficacité

La « mise en récit » de thÚses saugrenues, de théories complotistes, d'arguments économiques ou sociopolitiques, contribue à les rendre plus crédibles[4].

Cette manipulabilité des croyances fondée sur le récit est appelée « effet Othello[5] » par le linguiste M. Piatelli Palmarini[6].

Dans les pays anglophones, le storytelling est surtout utilisĂ© en communication d'entreprises en temps de crise[7]. En France, il semble moins utilisĂ©, sauf dans certains secteurs (automobile, luxe, alimentation) oĂč les consommateurs semblent rassurĂ©s par les entreprises faisant preuve de longĂ©vitĂ©. Les clients achĂštent moins un produit ou une marque s'ils n'adhĂšrent pas Ă  son histoire[8].

Storytelling par domaine

Communication

Le journaliste Patrice Bollon explique que le storytelling est nĂ© aux États-Unis dans les annĂ©es 1990, gagnant le marketing, la gestion des entreprises et le monde politique[9].

Il consiste en l'application de procédés narratifs dans la technique de communication pour renforcer l'adhésion du public au fond du discours. On le trouve parfois traduit en français par communication narrative[10]. C'est une méthode en développement dans les domaines de la stratégie, du marketing et de la communication, de la direction et de la connaissance de la gestion d'entreprise. On assiste aussi à l'émergence du data storytelling[11], relié à la visualisation de données. Ce dernier permet de rendre accessible à plus d'individus la compréhension des données, notamment au sein d'une classe, d'un groupe, d'une entreprise.

Le storytelling consiste Ă  essayer de faire naĂźtre au sein des organisations ou du public une ou plusieurs histoires Ă  fort pouvoir de sĂ©duction et de conviction[12]. Ces histoires, qui peuvent ĂȘtre de simples anecdotes ou des discours entiers, servent Ă  faire passer, avec plus d'efficacitĂ©, des messages complexes (ou cachĂ©s), selon le principe que « l'Ă©motion rend plus rĂ©ceptif »[13].

Selon Steve Denning, qui a thĂ©orisĂ© le storytelling en communication aux États-Unis et qui en est le reprĂ©sentant le plus connu, on se fondait traditionnellement sur une trilogie « reconnaissance d'un problĂšme / analyse / prĂ©conisation d'une solution ». Cette façon de voir a dĂ©sormais atteint ses limites avec le public moderne, souvent blasĂ© par la publicitĂ© et la communication classiques. Le storytelling lui substitue une nouvelle trilogie : « capter l'attention / stimuler le dĂ©sir de changement / et (dans un dernier temps seulement), emporter la conviction par l'utilisation d'arguments raisonnĂ©s »[14].

La mĂ©thode du « conte de faits Â» peut ĂȘtre utilisĂ©e par des entreprises ou personnages publics voulant communiquer sur leur image, ou dans le cadre de la conduite d'un changement, ou encore pour mobiliser en interne avant d'atteindre le grand public[7]. La plupart des grandes multinationales l'utilisent, comme Coca-Cola[15] ou The Walt Disney Company[16], qui sont classĂ©es au palmarĂšs Interbrand des marques les plus puissantes du monde. Elles trouvent lĂ  un Ă©lĂ©ment de diffĂ©renciation. Des PME peuvent aussi l'utiliser[17]. Elle s'adresse tant aux entreprises ayant dĂ©jĂ  une histoire – et qui peuvent donc l'utiliser – qu'Ă  celles qui sont trop rĂ©centes pour en avoir une, mais qui peuvent dĂ©tourner ou inventer d'autres histoires, crĂ©Ă©es en interne ou recueillies Ă  l'extĂ©rieur – pour faire passer des messages. De ce fait, le storytelling peut ĂȘtre contĂ© par l'entreprise elle-mĂȘme ou par un consommateur : les « consommateurs sont coauteurs de l'histoire des entreprises »[13].

Politique

Selon Christian Salmon, appliquer les recettes du marketing Ă  la vie publique conduit Ă  « une machine Ă  fabriquer des histoires et Ă  formater les esprits »[18] ; les spin doctors, spĂ©cialistes du dĂ©tournement de l'attention des Ă©lecteurs par des « histoires » sans cesse renouvelĂ©es, appauvrissent la dĂ©mocratie. Ce chercheur au CNRS explique que l'avĂšnement du storytelling en politique s'est produit aux États-Unis avec l'arrivĂ©e au pouvoir de Ronald Reagan, et que ses successeurs l'ont perpĂ©tuĂ©, voire radicalisĂ©. Le storytelling s'est ensuite propagĂ© en Europe, dont en France, ce qu'il illustre en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la campagne Ă©lectorale de 2007. D'aprĂšs lui, ses deux principaux protagonistes (Nicolas Sarkozy et SĂ©golĂšne Royal) se sont surtout affrontĂ©s sur le terrain de leurs histoires personnelles et de leur capacitĂ© Ă  mythifier celles-ci, plutĂŽt que dans le domaine des idĂ©es. Cette dĂ©rive n'est possible qu'avec la complicitĂ© des mĂ©dias et le rĂŽle croissant des conseillers en communication. Cet exemple symbolise aux yeux de l'auteur les effets dĂ©lĂ©tĂšres du storytelling sur la dĂ©mocratie.

Le film de fiction Des hommes d'influence (1998, avec Robert de Niro et Dustin Hoffman) illustre le storytelling en politique : les deux protagonistes, un spin doctor et un producteur de cinĂ©ma, inventent une guerre en manipulant les mĂ©dias et la racontent aux tĂ©lĂ©spectateurs pour dĂ©tourner l'attention des Ă©lecteurs d'un scandale sexuel menaçant la rĂ©Ă©lection du prĂ©sident des États-Unis d'AmĂ©rique.

Les personnalités, Think tanks (souvent financés par le monde de l'industrie et de la finance) et groupes politiques utilisent fréquemment le storytelling, par exemple sur scÚne, au micro ou à l'écran via les étapes suivantes : flashforward, prémisses argumentatifs, entrée du héros (l'orateur), conclusion, puis appel à agir.

Des lanceurs d'alerte (Christopher Wylie en 2018 notamment, ou encore Shahmir Sanni) ont en outre montrĂ© que depuis les annĂ©es 2010, l'usage cachĂ© d'algorithmes sophistiquĂ©s, voire d'intelligence artificielle permet Ă  des entreprises comme Aggregate IQ d'individualiser le storytelling et d'alors doper son efficacitĂ© tout en le rendant encore plus discret, permettant de manipuler des masses importantes d'Ă©lecteurs. Ceci semble avoir par exemple Ă©tĂ© le cas lors des campagnes Ă©lectorales de Donald Trump, et cela a Ă©tĂ© le cas lors du rĂ©fĂ©rendum sur l'appartenance du Royaume-Uni Ă  l'Union europĂ©enne (qui a abouti au Brexit)[19]. Les logiciels d'Aggregate IQ (au Canada) ont pu Ă©laborer des profils psychologiques individuels Ă  partir de millions de donnĂ©es personnelles. Ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© trouvĂ©es dans le Big data et Ă  partir de donnĂ©es personnelles volĂ©es Ă  de plus de 90 millions d'internautes sur Facebook par Cambridge Analytica[19]. Ensuite des messages ciblĂ©s ont pu ĂȘtre produits par type de profil psychologique, et envoyĂ©s dans les mĂ©dias ou via les rĂ©seaux sociaux aux internautes et Ă©lecteurs susceptibles de faire basculer le vote dans le sens voulu par le financeur (Vote Leave, via Darren Grimes dans le cas du vote ayant produit le Brexit)[19] - [20] - [21].

Vente

L'argumentation classique (basĂ©e sur la logique) cherche Ă  rapidement faire Ă©merger une problĂ©matique suivie d'une analyse et d'une proposition de rĂ©solution, alors que le storytelling capte l'attention du prospect par une « histoire ». CaptivĂ©, le prospect est entrainĂ© par ses Ă©motions, et sera d'autant plus apte Ă  s'approprier le message ; il s'y voit comme acteur Ă  part entiĂšre[22].

Notes et références

  1. Commission d’enrichissement de la langue française, « mise en rĂ©cit », sur FranceTerme, ministĂšre de la Culture (consultĂ© le ).
  2. « accroche narrative », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (consulté le ).
  3. La journaliste Clara Schmelck propose « conte de faits Â», jeu de mots avec « conte de fĂ©es Â», dans un article du journal LibĂ©ration le 24/10/2013.
  4. Gérald Bronner, La Démocratie des Crédules, Presses universitaires de France, (lire en ligne), p. 143.
  5. En référence à Iago dont le récit fait croire à Othello que Desdémone le trompe.
  6. M. Piatelli Palmarini, La réforme du jugement ou comment ne plus se tromper, Odile Jacob, , p. 169.
  7. Seth Godin (trad. de l'anglais), Tous les marketeurs sont des menteurs, Paris, Maxima, , 167 p. (ISBN 2-84001-451-3 et 2-84001-451-3)
  8. Georges Lewi, Les marques mythologie du quotidien, Paris, Village Mondial, , 292 p. (ISBN 2-7440-6072-0)
  9. Patrice Bollon, « Le « storytelling », ou l'art du mensonge ? », Le Magazine LittĂ©raire, no 471,‎ , p. 24–25 (ISSN 0024-9807, lire en ligne, consultĂ© le ).
  10. Franck Plasse, Storytelling : enjeux, méthodes et cas pratiques de communication narrative, Voiron, Territorial Editions, , 86 p. (ISBN 978-2-8186-0168-6).
  11. « Data storytelling : La prise de décision devient émotionnelle », sur toucantoco.com (consulté le ).
  12. Annette Simmons, The Story Factor, Basic Books, , 299 p. (ISBN 978-0-465-07807-3)
  13. SĂ©bastien Durand, Storytelling : RĂ©enchantez votre communication, Paris, Dunod, , 173 p. (ISBN 978-2-10-055631-1).
  14. Stephen Denning, The Secret Language of Leadership : How Leaders Inspire Action Through Narrative, Jossey Bass, , 304 p. (ISBN 978-0-7879-8789-3 et 0-7879-8789-1)
  15. La formule secrĂšte
  16. The Walt Disney Family Museum
  17. Interbrand - Best Global Brands List
  18. Christian Salmon, Storytelling la machine Ă  fabriquer des histoires et Ă  formater les esprits, Paris, La DĂ©couverte, , 239 p. (ISBN 978-2-7071-4955-8)
  19. (en-US) « AggregateIQ Created Cambridge Analytica's Election Software, and Here’s the Proof », sur Gizmodo (consultĂ© le )
  20. (en) « Revealed: how the UK’s powerful right-wing think tanks and Conservative MPs work together », sur openDemocracy (consultĂ© le )
  21. (en) « Mapped: Whistleblower Accuses Nine Organisations of Colluding over Hard Brexit », sur DeSmog UK (consulté le )
  22. « Le Storytelling pour un argumentaire commercial impactant », sur d2bconsulting.fr (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • Annette Simmons, The Story Factor, Basic Books, 2001
  • Sandy Amerio, Storytelling : index sensible pour agora non reprĂ©sentative, 2004, coĂ©dition ENSBA, Fondation Ricard et Laboratoires d'Aubervilliers. (ISBN 978-2840561682)
  • Stephen Denning, The Leader's Guide to Storytelling, Jossey Bass, 2005
  • Seth Godin, Tous les marketeurs sont des menteurs, Maxima, 2006
  • Christian Salmon, Storytelling la machine Ă  fabriquer des histoires et Ă  formater les esprits, 240 p., La DĂ©couverte, 2007 (ISBN 978-2707149558)
  • Stephen Denning, The Secret Language of Leadership, Jossey Bass, 2007
  • Robert McKee, Story, Dixit, 2007
  • StĂ©phane Dangel et Jean-Marc Blancherie, Storytelling, le guide, 190 p., Éditions du DĂ©sir, 2009 (ISBN 978-2361270001)
  • Jean-Marc Blancherie et StĂ©phane Dangel, Storytelling du luxe, 217 p., Éditions du DĂ©sir, 2010 (ISBN 978-2361270032)
  • Yves Citton, Mythocraties: Storytelling et imaginaires de gauche, 2010, Éditions Amsterdam, (ISBN 978-2-35480-067-3)
  • Franck Plasse, Storytelling : enjeux, mĂ©thodes et cas pratiques de communication narrative, 88 p., Territorial, 2011, (ISBN 978-2-8186-0168-6)
  • John Sadowsky, Email, Social Marketing and the Art of Storytelling, 224 p., Altal Editions, 2011, (ISBN 978-2916736198)
  • SĂ©bastien Durand, Storytelling - RĂ©enchantez votre communication, Dunod, 2011 (ISBN 978-2-10-055631-1)
  • Jeanne Bordeau, Storytelling et Contenu de marque. La puissance du langage Ă  l'Ăšre numĂ©rique, Ellipses, 2012
  • Benmoussa F.-Z. et Maynadier B. (2013), Brand storytelling : entre doute et croyance, une Ă©tude des rĂ©cits de la marque Moleskine, DĂ©cisions Marketing, 70, 119-128.
  • Laurent Matthey, « L'urbanisme qui vient. Usage des valeurs et du storytelling dans la conduite contemporaine des projets urbains (un exemple suisse). », Cybergeo, 2014.

Articles connexes

Liens externes

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