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Rui FacĂł

Rui FacĂł (Beberibe, État du CearĂĄ, BrĂ©sil, le — CordillĂšre des Andes, PĂ©rou, le ) Ă©tait un journaliste, avocat, Ă©crivain et militant communiste brĂ©silien.

Rui FacĂł
Description de l'image Rui FacĂł.png.
Nom de naissance Rui FacĂł
Naissance
Beberibe, Cearå, Drapeau du Brésil Brésil
DĂ©cĂšs
cordillĂšre des Andes, Bolivie
Activité principale
Ă©crivain, journaliste, avocat et militant communiste
Auteur
Langue d’écriture portugais
Mouvement Parti communiste brésilien
Genres
articles de presse, essais politiques, ouvrages politiques

ƒuvres principales

  • Cangaceiros e FanĂĄticos (posthume, 1963)

AprĂšs une jeunesse passĂ©e dans une petite ville nordestine et Ă  Fortaleza, Rui FacĂł s’engagea dans le militantisme et le journalisme politique aux cĂŽtĂ©s du Parti communiste brĂ©silien. AprĂšs un sĂ©jour Ă  Salvador, oĂč il acheva ses Ă©tudes de droit et eut Ă  subir la rĂ©pression de l’Estado Novo, il s’installa, la guerre terminĂ©e, dans la capitale Rio de Janeiro, oĂč (aprĂšs un intermĂšde en URSS, pour y travailler Ă  Radio Moscou) il devint l’un des grands reporters de Novos Rumos, nouvel hebdomadaire destinĂ© Ă  incarner la nouvelle orientation politique du PCB aprĂšs les rĂ©vĂ©lations de Khrouchtchev sur la pĂ©riode stalinienne. Rui FacĂł pĂ©rit dans un accident d’avion, dans la cordillĂšre des Andes, lors d’un pĂ©riple qu’il avait entrepris Ă  travers l’AmĂ©rique du Sud en vue d’une sĂ©rie de reportages. Son principal ouvrage, Cangaceiros e FanĂĄticos, qui parut aprĂšs sa mort mais auquel il avait eu le temps de mettre la derniĂšre main, tente d’appliquer une grille d’interprĂ©tation marxiste-lĂ©niniste Ă  divers phĂ©nomĂšnes nordestins de l’ùre moderne, tels que les mouvements millĂ©naristes et certaines formes particuliĂšres de banditisme rural.

Biographie

Beberibe

NĂ© le , Rui FacĂł avait pour parents Gustavo FacĂł et Antonieta FacĂł, qui Ă©taient cousin et cousine, comme cela Ă©tait courant dans les campagnes du Nordeste, oĂč les familles les plus traditionnelles rĂ©pugnaient aux mĂ©langes. Il Ă©tait l’aĂźnĂ© d’une vaste fratrie : PlĂ­nio et Pedro, les frĂšres suivants, s’en furent plus tard s’établir en Amazonie, Ă  la recherche de jours meilleurs, d’oĂč ils ne devaient plus jamais revenir, victimes, suppose-t-on, de maladies tropicales ; Gustavo, le quatriĂšme enfant, appelĂ© ItĂĄ, Ă©migra vers Rio de Janeiro, oĂč il sera des annĂ©es aprĂšs et pendant longtemps l’interlocuteur et l’admirateur de Rui ; ensuite vinrent au monde Heitor, EurĂ­pedes, Paulo, puis un autre Paulo qui mourut encore bĂ©bĂ© ; Maria do Carmo, Ă©galement morte enfant, Maria Antonieta, Ana (en 1926), qui fera figure de mĂ©morialiste de la famille et de son frĂšre Rui ; et enfin le dernier-nĂ©, HĂ©lio, qui, jeune encore, succomba Ă  un cancer.

Antonieta, la mĂšre, Ă©tait austĂšre, trĂšs Ă©nergique, mais maternante. Gustavo, le pĂšre, exploitait essentiellement une plantation de canne Ă  sucre, accessoirement cultivait du manioc et du millet. Quoique la canne fĂ»t la principale source de revenus pour la famille, le pĂšre n’avait pas, au contraire de la plupart de ses collĂšgues, de moulin Ă  sucre (engenho), et avait recours principalement au moulin situĂ© dans un domaine dĂ©tenu par un membre de la famille de Rachel de Queiroz. De la canne l’on tirait surtout la rapadura (ou panela) et une eau-de-vie de canne appelĂ©e cachaça. L’exploitation du pĂšre comprenait en outre un petit troupeau. Toutes les activitĂ©s se concentraient sur le domaine mĂȘme. Le pĂšre construisit dans le jardin une cabane Ă  farine, oĂč l’on laissait mĂ»rir le manioc et se transformer en ses diffĂ©rents dĂ©rivĂ©s ; la rĂ©colte de ceux-ci donnaient lieu Ă  festivitĂ©s, les farinades.

Rui FacĂł passa toute son enfance et son adolescence Ă  Beberibe, petite ville cĂŽtiĂšre du CearĂĄ, dans le nord-est du BrĂ©sil, Ă  73 km de la capitale d’État Fortaleza. Beberibe resta relativement isolĂ© jusque dans les annĂ©es 1960, quand fut enfin amĂ©nagĂ©e la grande route de Fortaleza. Dans les annĂ©es 1930 Ă  1950, en particulier en hiver, le voyage pour Fortaleza relevait de l’aventure : il fallait d’abord traverser Ă  cheval la zone marĂ©cageuse le long du fleuve rio ChorĂł (pt) jusqu’à la ville de Cascavel proche, et lĂ , prendre le car pour Fortaleza. En pĂ©riodes de crues, il fallait faire usage d’un canot pour parvenir Ă  Cascavel, municipalitĂ© dont Beberibe faisait autrefois partie. Le dĂ©placement de Cascavel Ă  Fortaleza durait quasiment une journĂ©e entiĂšre. L’électricitĂ© ne fut installĂ©e Ă  Beberibe que dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1960[1].

Fortaleza

Le lycĂ©e de Fortaleza, oĂč Rui FacĂł fit ses Ă©tudes secondaires.

En 1927, Rui FacĂł, ĂągĂ© alors de 14 ans, s’en alla Ă  la capitale cĂ©arienne Fortaleza pour y faire ses Ă©tudes secondaires au LycĂ©e du CearĂĄ (actuel ColĂ©gio Estadual Liceu do CearĂĄ). Issu d’une famille peu fortunĂ©e de la classe moyenne, il dut, aussitĂŽt aprĂšs avoir quittĂ© le collĂšge, commencer Ă  travailler pour payer la poursuite de ses Ă©tudes. C’est ainsi que, fort jeune encore, il entra dans la rĂ©daction du quotidien O UnitĂĄrio de Fortaleza. Mais dĂšs 1929 dĂ©jĂ , Ă  l’ñge de seulement 16 ans, il s’était essayĂ© au journalisme en travaillant pour A Folha do Povo do CearĂĄ (la Feuille du peuple du CearĂĄ).

En 1935, il s’inscrivit Ă  la facultĂ© de droit de Fortaleza, mais davantage pour satisfaire sa famille, dĂ©sireuse de le voir se diplĂŽmer, que par inclination. Comme Ă©tudiant et journaliste, il Ă©tablit des contacts avec le milieu intellectuel de sa rĂ©gion natale, oĂč se faisait jour dĂ©jĂ  un certain bouillonnement, avec quelques personnalitĂ©s de valeur, tels que Rachel de Queiroz (de trois ans son aĂźnĂ©e) et JĂĄder Moreira de Carvalho (pt). Il s’adonna bientĂŽt Ă  l’activitĂ© politique et se dĂ©termina clairement dĂšs cette Ă©poque sur l’échiquier politique en devenant membre du Parti communiste brĂ©silien.

Le dĂ©but de son engagement politique et de son activitĂ© intellectuelle coĂŻncida avec les Ă©vĂ©nements qui secouĂšrent le BrĂ©sil en 1935. La menace de la vague fasciste qui dĂ©ferlait Ă  travers le monde et atteignit aussi le BrĂ©sil sous les espĂšces du Mouvement intĂ©graliste, Ă©tait nettement perçue par la jeunesse universitaire en gĂ©nĂ©ral et par Rui FacĂł en particulier, qui vĂ©cut intensĂ©ment l’agitation de ces annĂ©es-lĂ  et travailla, au milieu de l’ñpre lutte anti-impĂ©rialiste et dĂ©mocratique de cette Ă©poque, Ă  construire sa propre conscience politique et idĂ©ologique. C’était l’époque Ă©galement oĂč les intellectuels rejoignaient en masse les rangs du mouvement rĂ©volutionnaire, mĂȘme s’ils seront peu Ă  demeurer fidĂšles et cohĂ©rents dans les annĂ©es suivantes, quand la terreur estado-noviste viendra s’abattre sur le BrĂ©sil ; Rui FacĂł fut de ceux-lĂ , ce qui lui coĂ»ta le sacrifice de devoir s’éloigner de ses amis et de sa famille, la dĂ©faite du mouvement anti-impĂ©rialiste de 1935 et les persĂ©cutions subsĂ©quentes le contraignant en effet Ă  quitter son CearĂĄ natal pour l’État de la Bahia, sans que pour autant il reniĂąt rien de sa vie antĂ©rieure. Ce qui dĂ©termina son choix de Bahia est le fait que son oncle, le capitaine JoĂŁo FacĂł, frĂšre de sa mĂšre Antonieta et aussi frĂšre du gĂ©nĂ©ral Edgard FacĂł, Ă©tait Ă  Salvador secrĂ©taire Ă  la sĂ©curitĂ© (en port. SecretĂĄrio de Segurança) et ami du puissant politicien Juracy MagalhĂŁes (pt), alors gouverneur de la Bahia.

Salvador

Manifestation intĂ©graliste, dont les participants font le typique salut intĂ©graliste, appelĂ© « AnauĂȘ ».

Rui FacĂł n’avait accompli que sa premiĂšre annĂ©e de droit Ă  Fortaleza au moment oĂč il dĂ©mĂ©nagea en 1936 pour Salvador. Il poursuivit son cursus Ă  la facultĂ© de droit libre de Bahia (Faculdade de Livre Direito da Bahia), tout en complĂ©tant sa formation de journaliste. Ladite Ă©cole de droit hĂ©bergeait le plus important noyau de militants communistes de l’État bahianais, Ă  cĂŽtĂ© d’une autre grande cellule Ă  la facultĂ© de mĂ©decine et un autre petit groupe Ă  l’école polytechnique (il s’agissait d’autant d’établissements autonomes, non encore regroupĂ©s au sein d’une mĂȘme universitĂ©). Il s’y lia d’amitiĂ© avec ArmĂȘnio Guedes, membre du parti communiste brĂ©silien et frĂšre de sa future Ă©pouse JĂșlia Guedes. Rui FacĂł et ArmĂȘnio Guedes faisaient partie du mĂȘme groupe d’intellectuels et se voyaient quotidiennement, cependant que le parti s’organisait. Le fait que le gouverneur Juracy MagalhĂŁes Ă©tait plutĂŽt favorable Ă  la lutte contre l’intĂ©gralisme facilitait quelque peu l’activitĂ© de Rui FacĂł et de ses compagnons, qui eĂ»t Ă©tĂ© plus difficile dans d’autres États brĂ©siliens tels que le Pernambouc, Rio de Janeiro, ou SĂŁo Paulo, qui Ă©taient en proie Ă  une forte violence.

Rui FacĂł, dĂšs son arrivĂ©e Ă  Bahia, poursuivit donc son action militante, chez lui fortement liĂ©e Ă  l’activitĂ© journalistique, Ă  titre professionnel ou non. Il travailla pour le groupe de presse DiĂĄrios Associados, d’abord au journal Estado da Bahia, auquel collaboraient un grand nombre de communistes. C’est Ă  cette Ă©poque qu’il acquit une notoriĂ©tĂ© comme journaliste et Ă©crivain et que se manifestera sa grande vocation de reporter.

En eut lieu le coup d’État qui instaura le rĂ©gime de l’Estado Novo et Ă  la suite duquel GetĂșlio Vargas imposa son pouvoir dictatorial sur le BrĂ©sil. Rui FacĂł, que ce coup d’État fasciste surprit en plein militantisme politique, sera pendant un temps incarcĂ©rĂ© Ă  Salvador. Les persĂ©cutions de l’Estado Novo certes freineront, mais n’interromperont pas l’action militante de Rui FacĂł ; il y avait toujours en effet quelque publication dĂ»ment enregistrĂ©e au DIP (Departamento de Imprensa e Propaganda, officine de propagande de GetĂșlio Vargas) mais se trouvant aux mains de la gauche et Ă  laquelle Rui FacĂł apportait sa collaboration, p.ex. les revues Seiva et Flama Ă  Bahia. C’est dans ces annĂ©es Ă©galement qu’il Ă©pousa JĂșlia Guedes, ancienne condisciple et camarade de lutte Ă  la facultĂ© de droit.

Entre-temps, en 1944, le pĂšre Gustavo FacĂł avait quittĂ© Beberibe avec sa famille pour s’installer Ă  Pacajus.

Les annĂ©es de la DeuxiĂšme Guerre mondiale furent une pĂ©riode de forte turbulence dans l’État de la Bahia, qui voyait les navires brĂ©siliens se faire envoyer par le fond au large de ses cĂŽtes et en subissait les contrecoups. À Salvador, comme dans d’autres villes du BrĂ©sil, des failles commençaient Ă  apparaĂźtre dans la rĂ©pression policiĂšre et dans l’emprise exercĂ©e par le rĂ©gime fasciste, crĂ©ant de meilleures possibilitĂ©s d’action pour le mouvement dĂ©mocratique. Rui FacĂł, tantĂŽt comme secrĂ©taire d’un journal rĂ©actionnaire, tantĂŽt comme rĂ©dacteur Ă  la revue communiste Seiva, accomplit alors un intense travail de propagande.

Rio de Janeiro et Moscou

La guerre terminĂ©e, Rui FacĂł alla s’installer Ă  Rio de Janeiro avec sa femme et son fils Paulo. La dĂ©mocratisation du pays et la lĂ©galisation du parti communiste lui permirent de se vouer pleinement au travail culturel rĂ©volutionnaire. Il devint bientĂŽt membre de la rĂ©daction de A Classe OperĂĄria, en plus de collaborer Ă  d’autres journaux et revues populaires.

Le parti communiste cependant fut bientĂŽt mis hors la loi par le gĂ©nĂ©ral Eurico Gaspar Dutra : les dĂ©putĂ©s communistes furent renvoyĂ©s du parlement, et une persĂ©cution fut Ă  nouveau lancĂ©e contre les communistes, avec son lot d’emprisonnements, de tortures et d’assassinats. Ce contexte de rĂ©pression porta Rui FacĂł Ă  prĂ©fĂ©rer l’exil et de partir en 1952, en compagnie de sa femme JĂșlia, pour un sĂ©jour en Union soviĂ©tique, oĂč il travailla, ainsi que sa femme, Ă  Radio Moscou. Ce fut une pĂ©riode d’intense apprentissage ; il s’avisa de certaines erreurs commises en Union soviĂ©tique dans l’édification du socialisme, en particulier les prĂ©judices occasionnĂ©s, dans le champ de la crĂ©ation artistique et littĂ©raire et dans la recherche en sciences sociales, par le culte de la personnalitĂ©. Il vĂ©cut en URSS jusqu’à la mort de sa compagne en 1958, puis s’en retourna au BrĂ©sil.

Retour Ă  Rio de Janeiro

L'hebdomadaire Novos Rumos, auquel collaborait Rui Faco, était l'un des principaux organes de communication du PC brésilien.

En , dans le sillage des rĂ©vĂ©lations de Khrouchtchev sur la pĂ©riode stalinienne et de la crise provoquĂ©e par ces rĂ©vĂ©lations au sein du PCB, Alberto Matos GuimarĂŁes, Giocondo Dias et ArmĂȘnio Guedes, militants du PCB, publiĂšrent en 1958 leur DĂ©claration de Mars, qui conduira le parti Ă  changer d’orientation politique. Peu de temps aprĂšs fut fondĂ© Ă  Rio de Janeiro, le , l’hebdomadaire Novos Rumos (litt. nouvelles destinations, nouveaux caps) comme le nouvel organe de communication du Parti communiste brĂ©silien. DĂšs son retour Ă  Rio de Janeiro, Rui FacĂł rejoignit la rĂ©daction de la nouvelle revue. Novos Rumos se voulait informatif et engagĂ©, pouvait Ă  l’occasion se rĂ©vĂ©ler Ă©lĂ©gamment pamphlĂ©taire, mais Ă©tait en rĂ©alitĂ© totalement alignĂ© sur la doctrine du PCB, c’est-Ă -dire avait pour objectif d’informer et de former, et de servir les stratĂ©gies de lutte pour le pouvoir, contre le systĂšme capitaliste et la menace impĂ©rialiste extĂ©rieure, et pour la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts du prolĂ©tariat en accord avec les principes du marxisme-lĂ©ninisme — avec pour devise « Nationalisme, dĂ©mocratie et socialisme ». L’environnement de l’époque en Ă©tait un d’état de guerre idĂ©ologique et sociale, et le positionnement Ă©ditorial traduit bien le climat tendu, belligĂ©rant, de conspiration et d’affrontement potentiel entre les classes. Rui FacĂł nĂ©anmoins prĂŽnait la nĂ©gociation et s’efforçait de trouver des points de convergence. À la tĂȘte de l’hebdomadaire se trouvaient MĂĄrio Alves, directeur, Orlando BonïŹm Jr., rĂ©dacteur en chef, et Fragmon Carlos Borges, secrĂ©taire ; les rĂ©dacteurs en Ă©taient, outre Rui FacĂł, Almir Matos, JosuĂ© Almeida, Paulo Mota Lima et Maria da Graça Dutra, Luiz Mario Gazzaneo faisant office de chef de rĂ©daction. Novos Rumos, qui clĂŽturait le mercredi et Ă©tait distribuĂ© le jeudi, bĂ©nĂ©ficiait d’une diffusion nationale et, s’il Ă©tait au service du plan de communication du Parti communiste brĂ©silien (PCB), pour lors dĂ©nommĂ© Parti communiste du BrĂ©sil (PC do B), restait cependant un organe semi-ofïŹciel, attendu que la rĂ©daction garderait, et de fait garda, une ample libertĂ© rĂ©dactionnelle ; il cessa bientĂŽt d’ĂȘtre un journal purement thĂ©orique, comme l’avait Ă©tĂ© A Voz OperĂĄria (litt. la Voix ouvriĂšre), et se mua en un journal d’information, mais avec une orientation politique bien dĂ©finie, exprimĂ©e notamment dans les Ă©ditoriaux. Novos Rumos Ă©tait considĂ©rĂ© comme l’un des journaux de gauche les plus importants du BrĂ©sil, Ă  cĂŽtĂ© de A Classe OperĂĄria, de A Voz OperĂĄria, auquel il succĂ©da, et de A Imprensa Popular, tous au demeurant fondĂ©s par le PCB. Son tirage atteignait les soixante Ă  soixante-dix mille exemplaires[2].

Une chose qui unissait le secrĂ©taire Fragmon Carlos Borges et Rui FacĂł Ă©tait, hormis leur amitiĂ©, l’intĂ©rĂȘt pour la question rurale, en particulier la rĂ©forme agraire, thĂšme de nombreux reportages et Ă©ditoriaux dans Novos Rumos. Borges dĂ©nonçait le systĂšme latifundiaire au BrĂ©sil, et en fera le sujet de quantitĂ© d’articles, essais et reportages dans la revue de gauche Estudos Sociais. Rui FacĂł, qui fut pour Borges une sorte de rĂ©viseur de ses Ă©crits sur ce sujet, Ă©crivit lui-mĂȘme dans Novos Rumos :

« Ce n’est que lentement que le problĂšme de la terre a Ă©tĂ©, pour le PCB, compris comme un problĂšme fondamental de la revolution brĂ©silienne. Le parti traĂźnait encore avec lui le poids des inïŹ‚uences anarchistes, qui n’avait d’yeux que pour le prolĂ©tariat moderne, l’ouvrier d’usine, sans songer combien il Ă©tait impĂ©rieux pour celui-ci de possĂ©der des alliĂ©s, nombreux et fermes, dans son long cheminement vers le pouvoir. De plus, Ă  l’exception des sociaux-dĂ©mocrates russes, les autres socialistes mĂ©prisaient les travailleurs ruraux. Pourtant, le marxisme-lĂ©ninisme dĂ©tenait dĂ©jĂ , Ă©laborĂ©s, les principes de l’alliance ouvriers-paysans, avec les premiers travaux fondamentaux de Marx et Engels, dĂ©veloppĂ©s ensuite par LĂ©nine dans sa polĂ©mique avec Plekhanov, lequel sous-estimait le rĂŽle des masses paysannes dans la rĂ©volution prolĂ©taire [3]. »

Et de rappeler, dans le mĂȘme article, la position du PCB concernant la lutte ouvriĂšre et les masses paysannes :

« L’une des tĂąches les plus importantes du PCB est de prendre la direction de la lutte des paysans en cours de dĂ©veloppement, et, pour l’obtenir, de gagner leur confiance rĂ©volutionnaire, et de s’assurer ainsi, dans leurs masses pauvres et moyennes, un alliĂ© pour la classe ouvriĂšre. »

En 1959, Rui FacĂł participa Ă©galement au projet de journal quotidien Hoje, qui ne dura cependant que quarante jours. Le directeur en Ă©tait Almir Matos, le rĂ©dacteur en chef Luiz Mario Gazzaneo, ArmĂȘnio Guedes le secrĂ©taire graphique, et Carlos Marighella et Luiz Carlos Prestes les coordinateurs. Le journal s’engagea dans la campagne Ă©lectorale en cours en soutenant le marĂ©chal Henrique Teixeira Lott contre JĂąnio da Silva Quadros, ce dernier du reste dĂ©jĂ  dĂ»ment Ă©reintĂ© auparavant par Novos Rumos. Da Silva Quadros toutefois sortit vainqueur du scrutin et le journal cessa de paraĂźtre.

Gazzaneo, dans un tĂ©moignage des annĂ©es 1990, se rappela Rui FacĂł comme quelqu’un de fort discret, mince de taille, qui ne fumait pas, buvait avec modĂ©ration, avait des habitudes alimentaires trĂšs saines, prenait soin de son corps, s’habillait avec Ă©lĂ©gance, et avait un Ă©tat d’esprit excellent (« uma mente Ăłtima »).

En 1961, Fragmon Carlos Borges fut arrĂȘtĂ© par la police de Rio de Janeiro, au motif qu’il Ă©tait Ă©diteur et reporter au journal de gauche Novos Rumos.

Mort accidentelle dans les Andes

Le , Rui FacĂł quitta Rio de Janeiro pour un pĂ©riple qui devait le conduire Ă  travers toute l’AmĂ©rique latine. Son but Ă©tait de rĂ©diger pour Novos Rumos une sĂ©rie de grands reportages sur les rĂ©alitĂ©s et les problĂšmes sociaux et politiques dans le CĂŽne Sud, en collectant avec minutie un ensemble de donnĂ©es et en enregistrant des faits et des tĂ©moignages sur place. Sa destination finale aurait dĂ» ĂȘtre, suppose-t-on, la Havane ; en tant que dĂ©lĂ©guĂ© du PCB, il devait y participer Ă  un Ă©vĂ©nement public en appui Ă  la rĂ©volution cubaine. Ainsi, il se rendit d’abord Ă  Buenos Aires, ensuite Ă  Santiago du Chili, d’oĂč il s’envola pour La Paz en Bolivie, avec une derniĂšre escale Ă  Arica, dans l’extrĂȘme nord du Chili. Cependant, l’avion, de type Douglas DC-6B, rĂ©pondant au vol n° 915 de la compagnie Lloyd AĂ©reo Boliviano, qui avait dĂ©collĂ© de l’aĂ©roport d’Arica le Ă  13h27, alla s’abĂźmer contre des rochers prĂšs du volcan chilien Tacora, un peu au-delĂ  de la frontiĂšre pĂ©ruvienne. Dans l’accident, provoquĂ© par de dĂ©testables conditions atmosphĂ©riques — les fortes turbulences sont communes dans la partie occidentale de la cordillĂšre des Andes —, pĂ©rirent tous les 39 occupants de l’appareil (36 passagers et 3 membres d’équipage)[4].

La malemort frappa Rui FacĂł en pleine activitĂ© d’écriture. Outre l’Ɠuvre dĂ©jĂ  accomplie dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes — deux livres, dont un publiĂ© et un autre prĂȘt Ă  l’ĂȘtre, et plusieurs essais —, Rui FacĂł avait nombre de projets et travaillait dĂ©jĂ  Ă  en rĂ©aliser certains.

Les funĂ©railles de Rui FacĂł n’eurent lieu que bon nombre de jours plus tard, en raison du lent et laborieux transfert de ses restes. Gazzaneo dut se rendre au Chili pour y mener personnellement l’opĂ©ration de transfert. Rui FacĂł fut inhumĂ© au cimetiĂšre Saint-Jean-Baptiste (SĂŁo JoĂŁo Batista) de Rio de Janeiro, en prĂ©sence de centaines de communistes, parmi lesquels Dias Gomes, Milton Pedrosa, Luiz Carlos Prestes, Di Cavalcanti et Carlos Marighella. C’est Ă  Marighella, en qualitĂ© de reprĂ©sentant du PCB, que fut confiĂ© le soin de prononcer le dernier salut[5].

Le , les militaires prennent le pouvoir Ă  la faveur d’un coup d’État et instaurent une dictature. Cet Ă©vĂ©nement signifiera la mort de l’hebdomadaire Novos Rumos, dĂ©truit par le nouveau rĂ©gime.

L’annĂ©e 2013, Ă  la fois centenaire de la naissance du journaliste et cinquantenaire de sa mort, fut proclamĂ©e « annĂ©e Rui FacĂł » par le dĂ©putĂ© cĂ©arien Paulo FacĂł (PT do B-CE). Dans ce cadre se tiendra un sĂ©minaire consacrĂ© Ă  sa vie et son Ɠuvre, et la rĂ©daction d’une biographie de Rui FacĂł sera confiĂ©e au journaliste et professeur Ă  l’universitĂ© fĂ©dĂ©rale du CearĂĄ LuĂ­s-SĂ©rgio Santos.

ƒuvre et postĂ©ritĂ©

En plus d’ĂȘtre un Ă©lĂ©ment fĂ©dĂ©rateur au sein du Parti communiste brĂ©silien et d’avoir mis sa production intellectuelle au service des grandes causes sociales dĂ©fendues par ce parti, Rui FacĂł Ă©tait aussi un idĂ©ologue pointu, douĂ© d’une grande capacitĂ© de formulation et trĂšs versĂ© dans la rĂ©daction claire et cohĂ©rente de la doctrine de son parti, et accessoirement, un rĂ©viseur des textes de ses camarades, voire, Ă  l’occasion, un nĂšgre littĂ©raire, y compris pour Prestes, Marighella et Giocondo Dias.

Rui FacĂł Ă©crivait Ă  la machine Ă  Ă©crire, avec vĂ©locitĂ©, et y passait une partie de la nuit, il est vrai selon des horaires rĂ©guliers. Dans sa jeunesse, il Ă©crivait Ă©galement de belles lettres d’amour dans le contexte de liaisons alors relativement platoniques, dans le meilleur style romantique. Il s’essaya mĂȘme Ă  l’écriture poĂ©tique, composant, en hommage Ă  sa femme JĂșlia Guedes, des vers romantiquement politisĂ©s et imprĂ©gnĂ©s d’idĂ©es utopiques.

Rui FacĂł fut l’auteur, outre d’une multitude d’articles et d’essais parus dans la presse de gauche, de deux ouvrages, dont l’un parut Ă  titre posthume. Ce sont : Brasil SĂ©culo XX, rĂ©digĂ© Ă  la demande d’un Ă©diteur argentin, puis traduit en plusieurs langues, dont l’espagnol, le russe, l’italien et le tchĂšque, et dans lequel la situation du BrĂ©sil Ă©tait analysĂ©e avec minutie et apprĂ©ciĂ©e au regard du courant politique et idĂ©ologique auquel appartenait son auteur ; et Cangaceiros e FanĂĄticos, qui fut publiĂ© quelques semaines aprĂšs sa mort, mais en Ă©tait dĂ©jĂ  au stade de deuxiĂšme relecture des Ă©preuves et devait ĂȘtre lancĂ© peu de jours aprĂšs son retour au pays.

Ce dernier ouvrage relate et analyse le phĂ©nomĂšne du cangaço (type particulier de banditisme rural ayant sĂ©vi dans les sertĂ”es du Nordeste, et dont le type le plus accompli fut le dĂ©nommĂ© LampiĂŁo), ainsi qu’une sĂ©rie de trois mouvements religieux millĂ©naristes, la communautĂ© de Canudos, le Juazeiro de Padre CĂ­cero et le CaldeirĂŁo du prĂȘtre laĂŻc ZĂ© Lourenço. Le livre inspira le metteur en scĂšne Glauber Rocha pour son film devenu classique le Dieu noir et le Diable blond (titre port. Deus e o Diabo na Terra do Sol). Le style balance entre journalisme factuel et essai, sans jamais cĂ©der Ă  l’acadĂ©misme, et a indĂ©niablement Ă©tĂ© inïŹ‚uencĂ© par la maniĂšre d’Euclides da Cunha et de Graciliano Ramos.

Rui FacĂł voulut, dans ce livre, mettre en question la lecture officielle sur le rĂŽle et la portĂ©e politique de ces luttes survenues dans les campagnes nordestines, luttes qualifiĂ©es d’accĂšs de mysticisme ou, pour quelques auteurs, dĂ©notant tout au plus une volontĂ© de rĂ©sistance passive. Rui FacĂł met en avant, pour construire une thĂšse sans doute contestable, mais avec une grande limpiditĂ©, les motivations selon lui politiquement revendicatives desdits mouvements, sans pour autant ignorer l’élĂ©ment de fanatisme religieux dont Ă©taient assurĂ©ment empreints tant Canudos que le Juazeiro du Padre CĂ­cero et le CaldeirĂŁo de ZĂ© Lourenço. Le fondateur et chef de Canudos, AntĂŽnio Conselheiro lui-mĂȘme, canonisĂ© autant qu’écrasĂ© par la prose foisonnante que lui consacra Da Cunha, prĂ©sente, selon FacĂł, un incontestable cĂŽtĂ© guĂ©rillero et rĂ©volutionnaire, comme en tĂ©moigne notamment ce qu’écrivit Ă  son propos le journal O PaĂ­s, de Rio de Janeiro, en , Ă  savoir que le Conselheiro « commença Ă  inciter le peuple Ă  ne pas payer d’impĂŽts ». Si le professeur Leonilde Servolo Medeiros critique cette grille de lecture, elle reconnaĂźt que « Rui FacĂł fut l’un de ces constructeurs de l’image du paysan brĂ©silien : un homme de son temps, profondĂ©ment plongĂ© dans les dĂ©bats de son Ă©poque. (
) La concentration de la propriĂ©tĂ© de la terre apparaĂźt Ă  l’auteur de Cangaceiros e FanĂĄticos comme la clef d’interprĂ©tation essentielle[6]. » Rui FacĂł par ailleurs observe :

« (...) de la mĂȘme façon qu’il fut mis un terme au rĂ©gime esclavagiste, en dĂ©pit des innombrables manƓuvres, rĂ©sistances et obstacles opposĂ©s par les dĂ©tenteurs d’esclaves et de l’appui prĂȘtĂ© Ă  ceux-ci par l’État, la marche des Ă©vĂ©nements au BrĂ©sil et dans le monde ne s’accorde plus avec la structure agraire pourrie subsistant dans le pays. »

Le livre inspira Ă  Francisco Pereira da Silva la piĂšce de thĂ©Ăątre O ChĂŁo dos Penitentes, qui connut sa premiĂšre Ă  Rio de Janeiro en 1965 et Ă©voquait la ïŹgure controversĂ©e de Padre CĂ­cero.

Cangaceiros e FanĂĄticos est sans doute ce qui sauve Rui FacĂł de l’oubli ; sans cet ouvrage, il n’aurait pas aujourd’hui l’importance qu’il a acquise comme rĂ©fĂ©rence intellectuelle. Pourtant, mĂȘme la presse cĂ©arienne de l’époque nĂ©gligea de signaler sa mort, que ce fĂ»t en raison de sa qualitĂ© de communiste encartĂ©, ou par simple erreur de jugement, ou par pure mĂ©connaissance. La troisiĂšme Ă©dition de Cangaceiros e FanĂĄticos figura dans la liste des meilleures ventes de livres Ă  Rio de Janeiro pendant de longues semaines, selon ce qu’atteste la presse locale[7].

Bibliographie

Écrits de Rui Facó

  • (pt) Brasil SĂ©culo XX, VitĂłria, Rio de Janeiro, 1960.
  • (pt) Cangaceiros e FanĂĄticos, Ă©d. Ă©tablie par Carlos Nelson Coutinho, prĂ©facĂ©e par Leonilde Servolo Medeiros, Editora da Universidade Federal do Rio de Janeiro, 2008. ÉditĂ© prĂ©cĂ©demment dans la coll. Civilização Brasileira, EdiçÔes UFC, 1980. PremiĂšre publication aux Ă©d. Livraria SĂŁo JosĂ©, Rio de Janeiro, 1963.

Ouvrages et articles sur Rui FacĂł

  • (pt) LuĂ­s-SĂ©rgio Santos, Rui FacĂł — O Homem e sua MissĂŁo, 2e Ă©dition, coĂ©dition de Omni Editora et de la Fundação Astrojildo Pereira, Fortaleza, 2014. Source principale du prĂ©sent article.
  • (pt) Rui FacĂł: uma perspectiva marxista na explicação do BrĂ©sil, article de Milton Pinheiro Ă  propos de Brasil SĂ©culo XX, consultable en ligne.

Références

  1. LuĂ­s-SĂ©rgio Santos, Rui FacĂł, p. 120-124 : 126-127.
  2. LuĂ­s-SĂ©rgio Santos, Rui FacĂł, p. 29-35.
  3. Cité par Luís-Sérgio Santos, Rui Facó, p. 36.
  4. LuĂ­s-SĂ©rgio Santos, Rui FacĂł, p. 22-26.
  5. LuĂ­s-SĂ©rgio Santos, Rui FacĂł, p. 28.
  6. Cité par Luís-Sérgio Santos, Rui Facó, p. 69.
  7. LuĂ­s-SĂ©rgio Santos, Rui FacĂł, p. 68.

Liens externes

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