Retour des cendres
La formule consacrĂ©e retour des cendres â le terme « cendres » Ă©tant pris non au sens propre mais au sens figurĂ© de « restes mortels d'une personne » â dĂ©signe le rapatriement en France, en 1840, Ă l'initiative d'Adolphe Thiers et du roi Louis-Philippe, de la dĂ©pouille mortuaire de NapolĂ©on Ier et son inhumation aux Invalides.
En mourant, NapolĂ©on avait manifestĂ© le dĂ©sir dâĂȘtre inhumĂ© « sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français [quâil avait] tant aimĂ© » dans un codicille de son testament Ă©crit le Ă Longwood House.
Histoire
Lorsque l'Empereur mourut, le comte Bertrand demanda au gouvernement britannique lâautorisation dâemmener sa dĂ©pouille mortelle en Europe, mais il ne lâobtint pas. Dans la suite, il sâadressa pour le mĂȘme objet aux ministres de Louis XVIII. Il ne reçut pas un refus absolu, seulement on lui fit entendre que lâarrivĂ©e en France des cendres de NapolĂ©on serait indubitablement la cause ou le prĂ©texte de troubles politiques quâil Ă©tait de la prudence du gouvernement de prĂ©venir et dâĂ©viter, mais que sitĂŽt que lâĂ©tat des esprits le permettrait, on ferait droit Ă sa demande. DĂšs le , Gaspard Gourgaud fut le premier (avec les colonels Fabvier et Bricqueville) Ă adresser en vain une pĂ©tition Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s, pour la prier d'inviter le gouvernement Ă rĂ©clamer de l'Angleterre, au nom de la France, les restes de l'Empereur[1].
AprĂšs les Trois Glorieuses, une autre pĂ©tition demandant le transfert des cendres de NapolĂ©on sous la colonne VendĂŽme fut repoussĂ©e par la Chambre des dĂ©putĂ©s le . Mais dix ans plus tard, Adolphe Thiers, nouveau PrĂ©sident du Conseil de Louis-Philippe, et historien du Consulat et de lâEmpire, imagina un grand « coup » politique : obtenir le retour de la dĂ©pouille mortuaire de NapolĂ©on. Pour lui-mĂȘme, Ă titre personnel, c'Ă©tait achever dĂ©finitivement l'entreprise de rĂ©habilitation de la RĂ©volution et de l'Empire qu'il avait engagĂ©e avec son Histoire de la RĂ©volution française et son Histoire du Consulat et de l'Empire. Il espĂ©rait en outre flatter les rĂȘves de gloire de la gauche et redorer le blason de la monarchie de Juillet alors que les problĂšmes d'Ăgypte menaçaient les relations diplomatiques entre la monarchie et le reste de l'Europe.
CâĂ©tait au demeurant la politique de Louis-Philippe de tenter de se rattacher à « toutes les gloires de la France », auxquelles il avait dĂ©diĂ© le chĂąteau de Versailles transformĂ© en musĂ©e de l'histoire de France. Pourtant, le roi se fit tirer lâoreille, finit par se laisser convaincre Ă contrecĆur[Note 1] et, le , François Guizot, alors ambassadeur Ă Londres, fit, Ă son corps dĂ©fendant, une demande officielle au gouvernement britannique, qui fut aussitĂŽt agrĂ©Ă©e, non sans ironie[Note 2], conformĂ©ment Ă la rĂ©ponse dĂ©jĂ faite en 1822[Note 3].
Le , pendant la discussion dâun projet de loi sur les sucres, le ministre de lâIntĂ©rieur, Charles de RĂ©musat, monta Ă la tribune de la Chambre des dĂ©putĂ©s :
« Messieurs,
Le Roi vient dâordonner Ă Son Altesse Royale Monseigneur le Prince de Joinville (mouvement dâattention et de curiositĂ©) de se rendre avec une frĂ©gate Ă lâĂźle de Sainte-HĂ©lĂšne (nouveau mouvement) pour y recueillir les restes mortels de lâempereur NapolĂ©on (explosion dâapplaudissements dans toutes les parties de lâAssemblĂ©e). Nous venons vous demander les moyens de les recevoir dignement sur la terre de France et dâĂ©lever Ă NapolĂ©on son dernier tombeau (acclamations, applaudissements). [âŠ] La frĂ©gate chargĂ©e des restes mortels de NapolĂ©on se prĂ©sentera au retour Ă lâembouchure de la Seine, un autre bĂątiment les rapportera jusquâĂ Paris. Ils seront dĂ©posĂ©s aux Invalides. Une cĂ©rĂ©monie solennelle, une grande pompe religieuse et militaire inaugurera le tombeau qui doit le garder Ă jamais. [âŠ] Il fut Empereur et Roi, il fut le souverain lĂ©gitime de notre pays. Ă ce titre, il pourrait ĂȘtre inhumĂ© Ă Saint-Denis, mais il ne faut pas Ă NapolĂ©on la sĂ©pulture ordinaire des Rois. Il faut quâil rĂšgne et commande encore dans lâenceinte oĂč vont reposer les soldats de la patrie, et oĂč iront toujours sâinspirer ceux qui sont appelĂ©s Ă la dĂ©fendre. [âŠ] Lâart Ă©lĂšvera sous le dĂŽme, au milieu du temple consacrĂ© au dieu des armĂ©es, un tombeau digne, sâil se peut, du nom qui doit y ĂȘtre gravĂ©. [âŠ] Nous ne doutons pas, Messieurs, que la Chambre ne sâassocie avec une Ă©motion patriotique Ă la pensĂ©e royale que nous venons dâexprimer devant elle. DĂ©sormais, la France, et la France seule possĂšdera tout ce qui reste de NapolĂ©on. Son tombeau, comme sa mĂ©moire, nâappartiendra Ă personne quâĂ son pays. La monarchie de 1830 est, en effet, lâunique et lĂ©gitime hĂ©ritiĂšre de tous les souverains dont la France sâenorgueillit. Il lui appartenait sans doute, Ă cette monarchie, qui la premiĂšre, a ralliĂ© toutes les forces et conciliĂ© tous les vĆux de la RĂ©volution française, dâĂ©lever et dâhonorer sans crainte la statue et la tombe dâun hĂ©ros populaire, car il y a une chose, une seule, qui ne redoute pas la comparaison avec la gloire : câest la libertĂ© ! (triple salve dâapplaudissements, acclamations Ă gauche et au centre, long mouvement)[2] »
Le ministre venait dĂ©poser un projet de loi qui ouvrait « un crĂ©dit de un million pour la translation des restes mortels de lâEmpereur NapolĂ©on Ă lâĂ©glise des Invalides et pour la construction de son tombeau. » Lâannonce fit sensation. On se mit Ă discuter ferme dans la presse, oĂč lâon fit toutes sortes dâobjections au principe, comme Ă son application. La ville de Saint-Denis rĂ©clama, par une pĂ©tition du , que lâEmpereur fĂ»t inhumĂ© dans la nĂ©cropole des rois de France.
Les et , le projet de loi fut discutĂ© Ă la Chambre. Le rapporteur Ă©tait le marĂ©chal Clauzel, vieux soldat de lâEmpire que la monarchie de Juillet avait rappelĂ© et Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© du marĂ©chalat. Au nom de la commission, il approuva le choix des Invalides, non sans avoir exposĂ© les autres solutions qui avaient Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©es â outre la basilique de Saint-Denis, il avait Ă©tĂ© question de lâarc de triomphe de l'Ătoile, de la colonne VendĂŽme, du PanthĂ©on, et mĂȘme de la Madeleine â, proposa de porter Ă deux millions le crĂ©dit demandĂ© par le gouvernement, demanda que la dĂ©pouille fĂ»t ramenĂ©e en France par une escadre, et non par un navire isolĂ©, et enfin que personne dâautre ne serait, Ă lâavenir, enterrĂ© aux Invalides, qui devaient demeurer rĂ©servĂ©s Ă NapolĂ©on. La chambre vota un million, non pas deux, par 280 voix « pour » et 65 voix « contre », aprĂšs des discours du rĂ©publicain Glais-Bizoin, qui fustigea lâEmpire[Note 4], dâOdilon Barrot, futur prĂ©sident du Conseil de Louis-NapolĂ©on Bonaparte en 1848, qui dĂ©fendit le projet, et surtout de Lamartine[Note 5], qui trouvait la mesure dangereuse et prononça un discours restĂ© dans l'histoire :
« Quoique admirateur de ce grand homme, je nâai pas un enthousiasme sans souvenir et sans prĂ©voyance. Je ne me prosterne pas devant cette mĂ©moire ; je ne suis pas de cette religion napolĂ©onienne, de ce culte de la force que lâon veut, depuis quelque temps, substituer dans lâesprit de la Nation Ă la religion sĂ©rieuse de la libertĂ©. Je ne crois pas quâil soit bon de dĂ©ifier ainsi sans cesse la guerre, de surexciter ces bouillonnements dĂ©jĂ trop impĂ©tueux du sang français, quâon nous reprĂ©sente comme impatient de couler aprĂšs une trĂȘve de vingt-cinq ans, comme si la paix, qui est le bonheur et la gloire du monde, pouvait ĂȘtre la honte des nations. [âŠ] Nous qui prenons la libertĂ© au sĂ©rieux, mettons de la mesure dans nos dĂ©monstrations. Ne sĂ©duisons pas tant l'opinion d'un peuple qui comprend bien mieux ce qui l'Ă©blouit que ce qui le sert. N'effaçons pas tout, n'amoindrissons pas tant notre monarchie de raison, notre monarchie nouvelle, reprĂ©sentative, pacifique. Elle finirait par disparaĂźtre aux yeux du peuple. [âŠ] câest bien, Messieurs ; je ne mây oppose pas, jây applaudis : mais faites attention Ă ces encouragements au gĂ©nie Ă tout prix. Je les redoute pour lâavenir. Je nâaime pas ces hommes qui ont pour doctrine officielle la libertĂ©, la lĂ©galitĂ© et le progrĂšs, et pour symbole un sabre et le despotisme[3]. »
En concluant, Lamartine invita la France Ă montrer qu'« elle ne [voulait] susciter de cette cendre, ni la guerre, ni la tyrannie, ni des lĂ©gitimitĂ©s, ni des prĂ©tendants, ni mĂȘme des imitateurs »[4]. En entendant cette pĂ©roraison qui le visait implicitement, Thiers parut comme terrassĂ© sur son banc[Note 6].
Pourtant, l'opinion Ă©tait, dans sa majoritĂ©, largement favorable. Le mythe napolĂ©onien avait dĂ©jĂ atteint son plein dĂ©veloppement, et nâattendait plus que ce couronnement. Casimir Delavigne, devenu le poĂšte officiel de la monarchie de Juillet, chantait lâĂ©vĂ©nement :
France, tu lâas revu ! ton cri de joie, ĂŽ France,
Couvre le bruit de ton canon ;
Ton peuple, un peuple entier qui sur tes bords sâĂ©lance,
Tend les bras à Napoléon[5].
Le ou , le gĂ©nĂ©ral Bertrand fut reçu par Louis-Philippe, Ă qui il remit les armes de lâEmpereur, qui furent placĂ©es dans le trĂ©sor :
« Câest Ă Votre MajestĂ©, Ă sa dĂ©marche solennelle et patriotique que nous devons lâaccomplissement des derniers dĂ©sirs de lâEmpereur, dĂ©sirs quâil mâavait particuliĂšrement exprimĂ©s Ă son lit de mort avec des circonstances qui ne peuvent sâeffacer de ma mĂ©moire.
Sire, rendant hommage Ă lâacte mĂ©morable de justice nationale que vous avez gĂ©nĂ©reusement entrepris, animĂ© dâun sentiment de gratitude et de confiance, je viens dĂ©poser entre les mains de Votre MajestĂ© ces armes glorieuses, que depuis longtemps jâĂ©tais rĂ©duit Ă dĂ©rober au jour et que jâespĂšre bientĂŽt placer sur le cercueil du grand Capitaine, sur lâillustre tombe destinĂ©e Ă fixer les regards de lâUnivers.
Que lâĂ©pĂ©e du hĂ©ros devienne le palladium de la Patrie[6]. »
Louis-Philippe répondit par un discours compassé :
« Je reçois, au nom de la France, les armes de lâempereur NapolĂ©on dont ses derniĂšres volontĂ©s vous avaient confiĂ© le prĂ©cieux dĂ©pĂŽt ; elles seront fidĂšlement gardĂ©es jusquâau moment oĂč je pourrai les placer sur le mausolĂ©e que lui prĂ©pare la munificence nationale.
Je mâestime heureux quâil mâait Ă©tĂ© rĂ©servĂ© de rendre Ă la terre de France les restes mortels de celui qui ajouta tant de gloire Ă nos fastes et dâacquitter la dette de notre commune Patrie en entourant son cercueil de tous les honneurs qui lui sont dus.
Je suis bien touchĂ© de tous les sentiments que vous venez de mâexprimer[7]. »
AprĂšs cette cĂ©rĂ©monie, qui lui valut les foudres de Joseph et de Louis-NapolĂ©on Bonaparte[Note 7], Bertrand se rendit Ă lâhĂŽtel de ville, et offrit au prĂ©sident du Conseil municipal le nĂ©cessaire de vermeil que lâEmpereur avait lĂ©guĂ© Ă la capitale, et qui est aujourdâhui au musĂ©e Carnavalet.
Arrivée à Sainte-HélÚne
Le , à sept heures du soir, la frégate Belle Poule appareillait à Toulon, escortée de la corvette La Favorite. Commandée par le prince de Joinville, fils cadet du roi, qui avait la responsabilité de l'expédition[Note 8], la frégate emportait à son bord Philippe de Rohan-Chabot, attaché d'ambassade à Londres et commissaire désigné par Thiers pour présider aux opérations d'exhumation (le chef du gouvernement veut s'approprier autant que possible la gloire de l'expédition), les généraux Bertrand et Gourgaud, le comte Emmanuel de Las Cases, député du FinistÚre, fils de l'auteur du Mémorial de Sainte-HélÚne, et cinq domestiques qui avaient servi Napoléon à Sainte-HélÚne : Saint-Denis plus connu sous le nom de Mamelouk Ali, Noverraz, Pierron, Archambault et Coursot. La corvette, commandée par le capitaine Guyet, transportait Louis Marchand, premier valet de chambre de l'Empereur, qui était avec lui à Sainte-HélÚne. Faisaient également partie du voyage l'abbé Félix Coquereau, aumÎnier de la marine, Léonard Charner, lieutenant du prince de Joinville et commandant en second, Hernoux, son aide-de-camp, le lieutenant Touchard, le jeune Arthur Bertrand, fils du général et le docteur Rémy Guillard.
DĂšs le vote de la loi, la frĂ©gate avait Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e pour recevoir le cercueil de lâEmpereur ; dans lâentrepont, on avait construit une chapelle ardente, drapĂ©e de velours noir brodĂ© dâabeilles dâargent, au centre de laquelle se dressait un catafalque gardĂ© par quatre aigles de bois dorĂ©.
Le voyage aller dura quatre-vingt-treize jours. Du fait du jeune Ăąge d'une partie de l'Ă©quipage, l'expĂ©dition se transforma en voyage touristique, le Prince mouilla quatre jours Ă Cadix, deux Ă MadĂšre, quatre Ă Tenerife. Ă Bahia, BrĂ©sil, ce furent quinze jours de bals et de fĂȘtes. Enfin, les deux navires parvinrent Ă Sainte-HĂ©lĂšne le et trouvĂšrent dans la rade le brick français L'Oreste, commandĂ© par Doret, devenu capitaine de corvette : câĂ©tait un des enseignes de vaisseau qui, Ă lâĂźle d'Aix, avait formĂ© le plan audacieux de faire Ă©vader NapolĂ©on sur un chasse-marĂ©e, et qui venait lui rendre les derniers devoirs. Doret apportait des nouvelles inquiĂ©tantes : l'incident d'Ăgypte alliĂ© Ă la politique agressive de Thiers annonçait une rupture diplomatique imminente entre la France et le Royaume-Uni. Joinville savait que la cĂ©rĂ©monie serait respectĂ©e mais il se mit Ă craindre pour le voyage de retour.
La mission dĂ©barqua le lendemain et se rendit Ă Plantation House oĂč lâattendait le gouverneur de l'Ăźle, le major gĂ©nĂ©ral Middlemore. AprĂšs une longue entrevue avec le prince de Joinville, le gouverneur parut devant le reste de la mission, qui sâimpatientait dans le salon, et annonça : « Messieurs, les restes mortels de lâEmpereur seront remis entre vos mains, le jeudi . »
La mission se remit en route en direction de Longwood House et descendit dâabord dans la « vallĂ©e du Tombeau », dite aussi « du gĂ©ranium ». Le tombeau de NapolĂ©on, situĂ© dans ce lieu solitaire, Ă©tait couvert de trois dalles placĂ©es au niveau du sol. Le monument, trĂšs simple, Ă©tait entourĂ© dâune grille en fer, solidement fixĂ©e sur son soubassement et ombragĂ© par un saule pleureur, un autre Ă©tait couchĂ© mort Ă cĂŽtĂ©. Le tout Ă©tait entourĂ© dâun grillage en bois ; tout prĂšs, et en dehors de cette enceinte se trouvait une fontaine dont lâeau fraĂźche et limpide plaisait Ă NapolĂ©on.
Ă la porte de lâenceinte, le prince de Joinville mit pied Ă terre, se dĂ©couvrit, et sâapprocha de la grille de fer, suivi par le reste de la mission. Dans un profond silence, ils contemplĂšrent la tombe nue et sĂ©vĂšre. Au bout dâune demi-heure, le prince remonta Ă cheval, et tout le monde rentra Ă bord. La dame Torbet, propriĂ©taire des lieux, qui y avait installĂ© une guinguette oĂč elle dĂ©bitait des rafraĂźchissements aux rares pĂšlerins, Ă©tait fort mĂ©contente car lâexhumation allait tarir son petit bĂ©nĂ©fice.
On alla en pĂšlerinage Ă Longwood qui se trouvait dans un grand Ă©tat de dĂ©labrement : les meubles avaient disparu, des inscriptions Ă©taient sur plusieurs murs, la chambre de NapolĂ©on Ă©tait devenue une Ă©curie oĂč un fermier faisait paĂźtre ses bĂȘtes. Les marins de LâOreste se jetĂšrent sur le billard, qui avait Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© par les chĂšvres et les moutons, et en arrachĂšrent la tapisserie et tout ce quâils purent emporter, sous les vocifĂ©rations du fermier qui arrondissait son revenu en faisant visiter lâendroit et rĂ©clamait Ă grands cris une indemnitĂ©. Les militaires anglais auraient rougi de honte devant le dĂ©labrement de ce lieu de mĂ©moire.
L'exhumation
Le Ă minuit (Ă la demande du gouverneur de l'Ăźle), les membres de la mission revinrent Ă la vallĂ©e du Tombeau. Le prince de Joinville Ă©tait demeurĂ© Ă son bord car, toutes les opĂ©rations jusqu'Ă l'arrivĂ©e du cercueil impĂ©rial au lieu de l'embarquement devant ĂȘtre conduites par des soldats Ă©trangers et non par les matelots français, il estimait ne pouvoir assister Ă des travaux qu'il ne pouvait diriger.
Du cĂŽtĂ© français, on trouvait, autour du comte de Rohan-Chabot entre autres, les gĂ©nĂ©raux Bertrand et Gourgaud, Emmanuel de Las Cases, les anciens serviteurs de lâEmpereur, lâabbĂ© FĂ©lix Coquereau, aumĂŽnier de la Belle Poule, avec deux enfants de chĆur, les capitaines Guyet, LĂ©onard Charner et Doret, le docteur Guillard, chirurgien-major de la Belle Poule, enfin le sieur Roux, ouvrier plombier, qui avait autrefois soudĂ© les cercueils de plomb et de zinc. Du cĂŽtĂ© anglais on trouvait MM. William Wilde, le colonel Hodson, que NapolĂ©on prĂ©nommait Hercule, et Seale, membres du conseil colonial de Sainte-HĂ©lĂšne, MM. Thomas et Brooke, le colonel Trelawney, commandant lâartillerie de lâĂźle, le lieutenant de vaisseau Littlehales, le capitaine Alexander, qui reprĂ©sentait le gouverneur Middlemore (celui-ci, quoique souffrant, finit par se rendre sur place accompagnĂ© de son fils et d'un aide de camp)[8], enfin Mr. Darling, qui avait Ă©tĂ© tapissier Ă Longwood du temps de la captivitĂ©. De plus, il y aurait eu la prĂ©sence du sergent Abraham Millington, l'armurier chargĂ© des soudures des cercueils de NapolĂ©on en 1821. Il a laissĂ© un procĂšs-verbal de cette opĂ©ration qui fut publiĂ© pour la premiĂšre fois en 1836[9]. Millington avait Ă©tĂ© reconnu par les serviteurs de Longwood lors d'une promenade en ville, et avait assistĂ© Ă l'ouverture des cercueils.
Ă la lueur des torches, les soldats britanniques se mirent Ă lâouvrage. Ils dĂ©posĂšrent la grille, puis les pierres qui formaient la bordure de la tombe, dont on avait au prĂ©alable retirĂ© la terre vĂ©gĂ©tale et les fleurs qui y avaient poussĂ©, que les Français se partagĂšrent. On leva ensuite les trois dalles qui fermaient la fosse. De longs efforts furent nĂ©cessaires pour venir Ă bout de la maçonnerie qui renfermait le cercueil. Le Ă neuf heures et demie, la derniĂšre dalle fut retirĂ©e et le cercueil apparut. LâabbĂ© Coquereau lâaspergea de lâeau de la source oĂč NapolĂ©on avait aimĂ© boire, quâil avait bĂ©nite, et rĂ©cita le De profundis. Le cercueil fut levĂ© et transportĂ© sous une grande tente rayĂ©e bleu et blanc quâon avait dressĂ©e la veille. Puis on procĂ©da Ă lâouverture de la biĂšre, dans un silence complet. Le premier cercueil dâacajou dut ĂȘtre sciĂ© aux deux bouts pour en extraire le second cercueil, de plomb.
Ă lâarrivĂ©e du gĂ©nĂ©ral Middlemore et du lieutenant Touchard, officier dâordonnance du prince, on procĂ©da au dessoudage du cercueil de plomb. Le cercueil suivant, dâacajou, Ă©tait remarquablement conservĂ©. Les vis en furent difficilement ĂŽtĂ©es. On put alors ouvrir, avec dâinfinies prĂ©cautions, le dernier cercueil, de fer blanc.
Lorsquâon en eut ĂŽtĂ© le couvercle, on vit apparaĂźtre une forme blanche, indĂ©cise, qui paraissait flotter comme dans un rĂȘve. Le capiton de satin blanc dont Ă©tait garnie la partie supĂ©rieure du couvercle sâĂ©tait dĂ©tachĂ© et recouvrait le corps comme un linceul. Le docteur Guillard roula dĂ©licatement cette enveloppe, depuis les pieds jusquâĂ la tĂȘte. LâEmpereur apparut alors. Son uniforme vert Ă parements Ă©carlates de colonel des chasseurs de la garde Ă©tait parfaitement conservĂ©. La poitrine Ă©tait encore barrĂ©e du cordon rouge de la LĂ©gion dâhonneur mais, sur lâhabit, les dĂ©corations et les boutons Ă©taient lĂ©gĂšrement ternis. On observa que le corps avait conservĂ© une position aisĂ©e, la tĂȘte reposait sur un coussin, et lâavant-bras et la main gauche sur la cuisse. Le visage Ă©tait serein, seules les ailes du nez Ă©taient altĂ©rĂ©es. Les paupiĂšres entiĂšrement fermĂ©es prĂ©sentaient encore quelques cils. Une gencive lĂ©gĂšrement rĂ©tractĂ©e laissait briller, comme au moment de la mort, trois incisives trĂšs blanches. Le menton Ă©tait piquetĂ© dâun peu de barbe bleuĂątre qui, Ă cause du dessĂšchement de la peau, Ă©tait apparue. Les mains Ă©taient dans un Ă©tat de conservation parfait. Les doigts avaient des ongles longs, adhĂ©rents et trĂšs blancs. Les coutures des bottes, seules, avaient craquĂ© et laissaient entrevoir les quatre doigts infĂ©rieurs de chaque pied. Le petit chapeau Ă©tait placĂ© en travers sur les cuisses.
Tous les spectateurs Ă©taient sous le choc. Gourgaud, Las Cases, Philippe de Rohan, Marchand, tous les serviteurs pleuraient. Bertrand Ă©tait comme terrassĂ© par lâĂ©motion. Au bout de deux minutes d'examen, Guillard proposa de poursuivre lâexamen du corps et dâouvrir les vases contenant le cĆur et lâestomac. Gourgaud, rĂ©primant ses sanglots, se mit en colĂšre et ordonna quâon refermĂąt aussitĂŽt le cercueil. Le mĂ©decin obtempĂ©ra, remit le satin en place quâil aspergea dâun peu de crĂ©osote, puis on remit en place le couvercle de fer blanc, mais sans le ressouder, le couvercle du cercueil dâacajou, puis on ressouda le cercueil de plomb. Ce cercueil de plomb fut fixĂ© dans le nouveau cercueil de plomb apportĂ© de France, lequel fut soudĂ©hermĂ©tiquement, puis dĂ©posĂ© dans le cercueil d'Ă©bĂšne, aussi apportĂ© de France[10], et on ferma enfin la serrure Ă complications du cercueil dâĂ©bĂšne[Note 9]. Lâensemble fut placĂ© dans un sixiĂšme cercueil, en chĂȘne, destinĂ© Ă protĂ©ger celui dâĂ©bĂšne, et cette masse de 1 200 kilogrammes fut hissĂ©e par 43 artilleurs sur un solide char funĂšbre drapĂ© de noir et portant, Ă chacun de ses angles, quatre panaches de plumes noires, que tiraient pĂ©niblement quatre chevaux caparaçonnĂ©s de noir. Le cercueil fut recouvert d'un poĂȘle funĂšbre (4,30 Ă 2,80 m) fait d'une grande piĂšce de velours semĂ©e d'abeilles d'or, des aigles surmontĂ©s d'une couronne impĂ©riale aux angles et d'une grande croix d'argent. Les demoiselles de lâĂźle offrirent au commissaire français les drapeaux tricolores qui devaient servir Ă la cĂ©rĂ©monie, et quâelles avaient confectionnĂ©s de leurs mains, ainsi que le pavillon impĂ©rial qui devait flotter sur la frĂ©gate La Belle Poule.
Le transfert sur La Belle Poule
Ă trois heures et demie de l'aprĂšs-midi, sous une pluie battante, tandis que la citadelle et la Belle Poule tiraient alternativement le canon, le cortĂšge sâĂ©branla lentement sous le commandement du gouverneur de lâĂźle. Le comte Bertrand, le baron Gourgaud, le baron de Las Cases fils, et Marchand, portaient les coins du drap. Un dĂ©tachement de milice, suivi dâune foule de peuple, fermait la marche, pendant laquelle les forts tiraient le canon de minute en minute. Parvenu Ă Jamestown, le convoi dĂ©fila entre deux haies de soldats de la garnison, ayant leurs armes renversĂ©es. Les vaisseaux français mirent leurs canots major Ă la mer. Celui de la Belle Poule Ă©tait ornĂ© dâaigles dorĂ©s, et portait le prince de Joinville.
Ă cinq heures et demie, le convoi funĂšbre sâarrĂȘta au dĂ©but de la jetĂ©e. Le major gĂ©nĂ©ral Middlemore, trĂšs ĂągĂ©, fort malade, sâavança pĂ©niblement vers le prince de Joinville. Cette brĂšve rencontre en français approximatif marqua la remise du corps de NapolĂ©on entre les mains de sa patrie. Avec dâinfinies prĂ©cautions, le lourd cercueil fut dĂ©posĂ© dans la chaloupe. Les navires français, qui arboraient jusque-lĂ les signes du deuil, hissĂšrent aussitĂŽt leurs couleurs et tous les navires prĂ©sents tirĂšrent. Sur La Belle Poule, 60 hommes Ă©taient sous les armes, les tambours battaient aux champs et la musique faisait entendre des airs funĂšbres.
Le cercueil fut hissĂ© sur le pont et dĂ©barrassĂ© de son enveloppe de chĂȘne. LâabbĂ© Coquereau donna lâabsoute. NapolĂ©on Ă©tait de retour en territoire français. Ă six heures et demie, le cercueil fut dĂ©posĂ© dans une chapelle ardente, ornĂ©e de trophĂ©es militaires, quâon avait dressĂ©s Ă lâarriĂšre du bĂątiment. Ă dix heures le lendemain matin, la messe fut dite sur le pont, puis le cercueil descendu dans la chapelle ardente de lâentrepont, pendant que la musique de la frĂ©gate jouait, dit-on, le grand air de Robert le Diable de Giacomo Meyerbeer, dĂ©tail dâun goĂ»t particuliĂšrement douteux[Note 10]. Cette opĂ©ration achevĂ©e, chaque officier reçut une mĂ©daille commĂ©morative[Note 11], tandis que les matelots se partageaient le cercueil de chĂȘne et le saule mort quâon avait arrachĂ© de la vallĂ©e du Tombeau.
Le retour de Sainte-HĂ©lĂšne
Le , Ă huit heures du matin, la Belle Poule, la Favorite et lâOreste appareillĂšrent. LâOreste alla rejoindre la division du Levant, tandis que les deux navires voguaient vers la France Ă toute allure par crainte d'ĂȘtre attaquĂ©s. Aucun accident remarquable ne signala, pendant les treize premiers jours la marche de la Belle Poule et de la Favorite ; mais elles rencontrĂšrent, le , un navire de commerce, le Hambourg, dont le capitaine fit part au prince de Joinville des nouvelles dâEurope, qui confirmaient celles de Doret.
Ces bruits de guerre furent confirmĂ©s par le bĂątiment hollandais lâEgmont, qui faisait route pour Batavia. Le prince de Joinville sâempressa de former un conseil de guerre oĂč furent appelĂ©s les officiers de la Belle Poule et de la Favorite ; il sâagissait dâarrĂȘter les dispositions nĂ©cessaires pour Ă©viter que la prĂ©cieuse cargaison ne soit mise en pĂ©ril en cas de rencontre avec des navires britanniques. Joinville fit prĂ©parer la Belle Poule pour un Ă©ventuel combat[Note 12], ce qui Ă©tait un enfantillage, mais il ordonna surtout Ă la Favorite de sâĂ©loigner aussitĂŽt et de gagner le premier port français. Le prince nâignorait pas quâun navire britannique nâaurait pas attaquĂ© le vaisseau funĂ©raire, mais que la Favorite nâeĂ»t pas bĂ©nĂ©ficiĂ© de la mĂȘme magnanimitĂ© et il redoutait avec raison dâavoir Ă lui porter secours si elle devait ĂȘtre prise dans les lignes dâun vaisseau ennemi, au risque dây perdre la frĂ©gate et son chargement. Une autre hypothĂšse est que la Favorite est plus lente et qu'elle ne peut que retarder la Belle Poule.
Le , la Belle Poule nâĂ©tait plus quâĂ quatre cents kilomĂštres (cent lieues) des cĂŽtes de France ; elle nâavait rencontrĂ© aucun navire britannique ; mais elle nâen persista pas moins dans les prĂ©cautions que commande la prudence en temps de guerre; bien que ces prĂ©cautions fussent inutiles : les tensions avaient cessĂ© au dĂ©triment de la France qui avait dĂ» abandonner son alliĂ© Ă©gyptien et que Thiers avait Ă©tĂ© contraint de dĂ©missionner le .
L'arrivée en France
Pendant ce temps, en France, un ministĂšre nominalement prĂ©sidĂ© par le marĂ©chal Soult, mais dont Guizot Ă©tait la vĂ©ritable tĂȘte, avait succĂ©dĂ© en au cabinet Thiers pour tenter de rĂ©soudre la crise provoquĂ©e, avec le Royaume-Uni, par les affaires dâOrient. Cette nouvelle donne ne manquait pas de susciter, dans la presse, des commentaires hostiles dans la perspective de la cĂ©rĂ©monie du retour des cendres :
« Celui qui va recevoir les restes de lâEmpereur [Guizot] est un homme de la Restauration, un de ces conspirateurs de salon qui allaient prendre par la main le roi de Gand, derriĂšre les lignes britanniques, pendant que nos vieux soldats se faisaient tuer pour la dĂ©fense du territoire, dans les plaines de Waterloo. Les ministres qui prendront la tĂȘte du cortĂšge nous ont Ă©tĂ© imposĂ©s par lâĂ©tranger. Le deuil sera menĂ© par le major gĂ©nĂ©ral de lâarmĂ©e française Ă Waterloo [Soult], ramenĂ© au pouvoir par lâappui de lord Palmerston [ministre britannique des Affaires Ă©trangĂšres] et donnant la main au transfuge de Gand[11]. »
Le gouvernement, craignant dâĂȘtre dĂ©bordĂ© par son initiative (le futur NapolĂ©on III avait tentĂ© un coup d'Ătat) mais ne pouvant plus y renoncer, dĂ©cida de brusquer les choses : « Il Ă©tait pressĂ© dâen finir », commenta Victor Hugo[12]. « Que les prĂ©paratifs soient prĂȘts (sic) ou non, la cĂ©rĂ©monie funĂšbre aura lieu le 15 [dĂ©cembre], quelque temps quâil fasse ou quâil arrive »[13], affirma le ministre de lâIntĂ©rieur, le comte DuchĂątel.
Il fallut rĂ©quisitionner tout ce que Paris et les faubourgs comptaient de bras pour achever Ă la hĂąte les prĂ©paratifs (le retour rapide du tombeau et les problĂšmes politiques internes avaient entrainĂ© un retard considĂ©rable) et dresser, du pont de Neuilly aux Invalides, les Ă©chafaudages de carton-pĂąte qui regarderaient passer le char funĂšbre, quâon nâacheva de barbouiller que tard dans la nuit prĂ©cĂ©dant la cĂ©rĂ©monie[Note 13]. Afin dâĂ©viter toute contagion rĂ©volutionnaire, le gouvernement â qui avait dĂ©jĂ insistĂ© pour que lâEmpereur fĂ»t enterrĂ© aux Invalides, avec les gloires militaires de la France â ordonna que la cĂ©rĂ©monie serait strictement militaire, Ă©cartant du cortĂšge les corps constituĂ©s, Ă la grande fureur des Ă©tudiants de droit et de mĂ©decine, qui rĂ©clamaient lâhonneur de suivre le cercueil de lâEmpereur[Note 14]. Le corps diplomatique, rĂ©uni Ă lâambassade du Royaume-Uni, dĂ©cida de sâabstenir de paraĂźtre Ă la cĂ©rĂ©monie par antipathie pour NapolĂ©on ainsi que pour Louis-Philippe.
Le , la Belle Poule entra dans la rade de Cherbourg et, six jours plus tard, les restes furent transfĂ©rĂ©s sur le bateau Ă vapeur la Normandie. AprĂšs avoir gagnĂ© Le Havre, le cercueil fut placĂ© Ă Val-de-la-Haye, prĂšs de Rouen, le , sur le bateau la Dorade pour remonter la Seine, sur les berges de laquelle la population rendit hommage Ă l'Empereur. Le , la Dorade vint sâamarrer au quai de Courbevoie Ă l'endroit duquel se trouve aujourd'hui une stĂšle commĂ©morative qui marque lâemplacement oĂč elles ont reposĂ© avant leur transfert aux Invalides.
La duchesse de Dino, niÚce de Talleyrand, rapporte ainsi la journée qui précÚde l'arrivée aux Invalides :
« On sait qu'on a le projet de se porter Ă l'Ambassade d'Angleterre et de dĂ©molir la maison ; aussi a-t-on enfermĂ© de la troupe dans l'hĂŽtel et lady Granville a-t-elle dĂ©mĂ©nagĂ©. On estime qu'il y a 800 000 personnes en mouvement. Mes enfants ont Ă©tĂ© au Pecq, et ont trouvĂ© tout fort convenable : grand silence Ă l'arrivĂ©e du bateau, tous les chapeaux bas ; le gĂ©nĂ©ral Bertrand Ă droite du cercueil, le gĂ©nĂ©ral Gourgaud Ă gauche, M. de Chabot devant ; le prince de Joinville allant et venant pour donner des ordres, ayant fait ĂŽter tous les ornements qui n'Ă©taient pas religieux ; des prĂȘtres, beaucoup de cierges, mais rien de mondain ni de mythologique (âŠ) Les journaux indiquent une grande fermentation (âŠ) j'ai Ă©crit pour qu'on fit voir ce spectacle Ă mon petit-fils ; quelque mal conçue, incohĂ©rente, contradictoire et ridicule, par les circonstances, que soit cette cĂ©rĂ©monie, l'arrivĂ©e de ce cercueil sera une chose trĂšs imposante et dont il sera curieux, un jour, d'avoir Ă©tĂ© tĂ©moin (âŠ) sans pouvoir faire tous les rapprochements Ă©tranges qu'il inspire : l'oubli complet de l'oppression, de la malĂ©diction gĂ©nĂ©rale dont l'Europe retentissait il y a vingt-six ans ; et, aujourd'hui, ce souvenir unique de ses victoires, rendant sa mĂ©moire si populaire. Paris se disant avide de libertĂ©, la France humiliĂ©e devant l'Ă©tranger, cĂ©lĂ©brant Ă l'envi celui qui a le plus enchaĂźnĂ© cette libertĂ©, et qui a Ă©tĂ© le plus terrible des conquĂ©rants. (âŠ) avec cette haie de rois et de grands hommes. On aurait dĂ» au moins, n'y point placer le Grand CondĂ© ! CondĂ© offrant une couronne Ă l'assassin de son petit-fils ! Ce qui me paraĂźt ĂȘtre beau, c'est le char. J'aime l'idĂ©e de NapolĂ©on rapportĂ© en France sur un bouclier[14]⊠»
L'inhumation
L'inhumation avait été fixée au . Victor Hugo évoque cette journée dans Les Rayons et les Ombres :
Ciel glacĂ© ! soleil pur ! Oh ! brille dans lâhistoire !
Du funÚbre triomphe, impérial flambeau !
Que le peuple à jamais te garde en sa mémoire
Jour beau comme la gloire,
Froid comme le tombeau[15].
MalgrĂ© un froid soutenu de â10 degrĂ©s, la foule des spectateurs depuis le pont de Neuilly jusquâaux Invalides Ă©tait prodigieuse. Il y avait des maisons dont les toits en Ă©taient couverts. Le respect et la curiositĂ© lâemportaient sur lâĂ©nervement et le froid pĂ©nĂ©trant achevait de glacer les vellĂ©itĂ©s dâagitation de la foule. Sous le pĂąle soleil qui avait succĂ©dĂ© Ă la neige, les statues de plĂątre et les ornements de carton dorĂ© produisaient un effet ambigu : « le mesquin habillant le grandiose »[16] :
« Tout Ă coup, le canon Ă©clate Ă la fois Ă trois points diffĂ©rents de lâhorizon. Ce triple bruit simultanĂ© enferme lâoreille dans une sorte de triangle formidable et superbe.
Des tambours Ă©loignĂ©s battent aux champs. Le char de lâempereur apparaĂźt.
Le soleil voilĂ© jusquâĂ ce moment, reparaĂźt en mĂȘme temps. Lâeffet est prodigieux.
On voit au loin, dans la vapeur et dans le soleil, sur le fond gris et roux des arbres des Champs-ĂlysĂ©es, Ă travers de grandes statues blanches qui ressemblent Ă des fantĂŽmes, se mouvoir lentement une espĂšce de montagne dâor. On nâen distingue encore rien quâune sorte de scintillement lumineux qui fait Ă©tinceler sur toute la surface du char tantĂŽt des Ă©toiles, tantĂŽt des Ă©clairs. Une immense rumeur enveloppe cette apparition.
On dirait que ce char traĂźne aprĂšs lui lâacclamation de toute la ville comme une torche traĂźne sa fumĂ©e. [âŠ]
Le cortĂšge se remet en marche. Le char avance lentement. On commence Ă en distinguer la forme. [âŠ]
Lâensemble a de la grandeur. Câest une Ă©norme masse, dorĂ©e entiĂšrement, dont les Ă©tages vont pyramidant au-dessus des quatre grosses roues dorĂ©es qui la portent. [âŠ] Le vrai cercueil est invisible. On lâa dĂ©posĂ© dans la cave du soubassement, ce qui diminue lâĂ©motion. Câest lĂ le grave dĂ©faut de ce char. Il cache ce quâon voudrait voir, ce que la France a rĂ©clamĂ©, ce que le peuple attend, ce que tous les yeux cherchent, le cercueil de NapolĂ©on[17]. »
« Ce que j'ai trouvĂ© de vraiment admirable, c'est le char. Rien de plus magnifique et de plus imposant ; les Ă©tendards de chaque dĂ©partement portĂ©s par les sous-officiers faisaient trĂšs bien ; les trompettes qui poussaient Ă l'unisson un chant simple et funĂšbre m'ont saisi. J'ai aimĂ© aussi les cinq cents marins de La Belle Poule, qui, par leur tenue austĂšre, contrastaient avec la splendeur du reste. Mais ce qui Ă©tait ridicule, c'Ă©tait les vieux costumes de l'Empire [âŠ] La marche du char n'Ă©tait pas assez promptement suivie par la foule, de sorte que le peuple se prĂ©cipitait de façon trop bruyante [âŠ] On a aussi vu quelques drapeaux rouges et entendu quelques chants de La Marseillaise, mais cela a Ă©tĂ© rĂ©primĂ© et Ă©touffĂ©. »
â rĂ©cit d'un tĂ©moin oculaire citĂ© par la duchesse de Dino le (op. cit., p. 437), qui ajoute : « La duchesse d'AlbufĂ©ra a vu passer le cortĂšge de chez madame de Flahaut, qui avait invitĂ© les vieux restes fĂ©minins de l'Empire [âŠ] Les quatre-vingt mille hommes de troupe donnaient, dit-elle, l'aspect d'une revue plutĂŽt que d'un enterrement (elle) regrette, avec raison, l'attitude du peuple, qui n'Ă©tait ni religieuse, ni recueillie, ni touchante ».
Le cortĂšge arriva aux Invalides vers une heure et demie ; Ă deux heures il atteignit la grille dâhonneur ; le roi et tous les grands corps de lâĂtat attendaient dans lâĂ©glise du DĂŽme. Le prince de Joinville devait prononcer un petit discours, mais on avait oubliĂ© de lâen prĂ©venir : il se contenta de saluer du sabre, et le roi de marmonner quelques paroles inintelligibles[18]. Le Moniteur arrangea tant bien que mal la scĂšne :
- « âą Sire, a dit le prince de Joinville, en baissant son Ă©pĂ©e jusquâĂ terre, je vous prĂ©sente le corps de lâempereur NapolĂ©on.
- âą Je le reçois au nom de la France, a rĂ©pondu le roi dâune voix forte[19]. »
Le gĂ©nĂ©ral Atthalin sâavança, portant sur un coussin lâĂ©pĂ©e dâAusterlitz et de Marengo, quâil prĂ©senta Ă Louis-Philippe ; le roi eut un curieux mouvement de recul, et se tourna vers Bertrand :
« GĂ©nĂ©ral, je vous charge de placer la glorieuse Ă©pĂ©e de lâEmpereur sur son cercueil. »
Bertrand, trop Ă©mu, ne put remplir cet ultime devoir ; Gourgaud se prĂ©cipita et se saisit de lâarme. Le roi se tourna alors vers lui :
« GĂ©nĂ©ral Gourgaud, placez sur le cercueil le chapeau de lâEmpereur. »
La cĂ©rĂ©monie funĂšbre, au cours de laquelle les meilleurs chanteurs de lâOpĂ©ra, sous la direction de Habeneck, donnĂšrent le Requiem de Mozart, fut plus mondaine que recueillie. Les dĂ©putĂ©s, notamment, se tinrent fort mal : « Des Ă©coliers de septiĂšme seraient fessĂ©s sâils avaient dans un lieu solennel la tenue, la mise et les maniĂšres de ces messieurs. [âŠ] Ainsi trois accueils diffĂ©rents ont Ă©tĂ© faits Ă lâempereur. Il a Ă©tĂ© reçu par le peuple aux Champs-ĂlysĂ©es, pieusement ; par les bourgeois sur les estrades de lâEsplanade [des Invalides], froidement ; par les dĂ©putĂ©s sous le dĂŽme des Invalides, insolemment. »[20]. Lâattitude du vieux marĂ©chal Moncey, gouverneur des Invalides, racheta lâimpertinence de la cour et de la chambre. Depuis quinze jours, il Ă©tait Ă lâagonie, pressant son mĂ©decin de le faire vivre jusquâĂ la cĂ©rĂ©monie fatale. Le service religieux terminĂ©, il se fit porter jusquâau catafalque, prit lâaspersoir, jeta lâeau bĂ©nite et lança le mot de la fin :
« Et maintenant, rentrons mourir[21]. »
Du jusquâau , l'Ă©glise des Invalides Ă©clairĂ©e comme le jour de la cĂ©rĂ©monie, resta ouverte au public. Dans le peuple, qui, longtemps, nâavait pas cru Ă la mort de lâEmpereur, courait le bruit que son tombeau nâĂ©tait quâun cĂ©notaphe. On disait quâĂ Sainte-HĂ©lĂšne, la commission nâavait trouvĂ© quâun cercueil vide. On affirmait que les Britanniques avaient secrĂštement rapatriĂ© le corps Ă Londres pour en faire lâautopsie. Plus tard, on affirmera quâen 1870, la dĂ©pouille mortelle de lâEmpereur avait Ă©tĂ© enlevĂ©e des Invalides pour la soustraire aux armĂ©es Ă©trangĂšres, et nây fut jamais replacĂ©e[Note 15]. Dans son bon sens, le peuple ne sâĂ©tait pas trompĂ© ; on lui avait voilĂ© NapolĂ©on, il se sentait volĂ©, il aurait un jour sa revanche :
« Toute cette cĂ©rĂ©monie, analysa Victor Hugo, a eu un singulier caractĂšre dâescamotage. Le gouvernement semblait avoir peur du fantĂŽme quâil Ă©voquait. On avait lâair tout Ă la fois de montrer et de cacher NapolĂ©on. On a laissĂ© dans lâombre tout ce qui eĂ»t Ă©tĂ© trop grand ou trop touchant. On a dĂ©robĂ© le rĂ©el et le grandiose sous des enveloppes plus ou moins splendides, on a escamotĂ© le cortĂšge impĂ©rial dans le cortĂšge militaire, on a escamotĂ© lâarmĂ©e dans la garde nationale, on a escamotĂ© les chambres dans les Invalides, on a escamotĂ© le cercueil dans le cĂ©notaphe. Il fallait au contraire prendre NapolĂ©on franchement, sâen faire honneur, le traiter royalement et populairement en empereur, et alors on eĂ»t trouvĂ© de la force lĂ oĂč lâon a failli chanceler[22]. »
L'Ă©chec politique du retour des Cendres
Le retour du corps de Napoléon en France avait deux objectifs : améliorer l'image de la monarchie de Juillet et assurer une certaine gloire aux organisateurs, Thiers et Louis-Philippe.
Le ministre a perçu le dĂ©but de l'engouement français pour ce qui va devenir le mythe napolĂ©onien. Il pensait que ramener NapolĂ©on en France scellerait les accords entre la France et la Grande-Bretagne alors que les affaires d'Ăgypte commençaient Ă agacer l'Europe. Quant Ă Louis-Philippe, il souhaitait lĂ©gitimer un peu plus une monarchie bancale et indiffĂ©rente aux Français. Finalement, ce fut un Ă©chec.
La grande majorité des Français, enthousiasmée et émue par le retour de celui qui était devenu un martyr, s'est sentie trahie de ne pouvoir lui rendre l'hommage qu'elle voulait. En effet, le gouvernement s'est mis à craindre des émeutes et a voulu autant que possible éviter les rassemblements. Ainsi le cortÚge a été fluvial et s'est peu attardé dans les villes. à Paris, seules les personnes importantes ont assisté à la cérémonie. De plus, le peu de respect qu'ont témoigné la plupart des hommes politiques a choqué l'opinion et a révélé une vraie rupture, un réel fossé entre le peuple et son gouvernement.
De mĂȘme, le retour des Cendres n'a pas empĂȘchĂ© la France de perdre une guerre diplomatique. Elle a Ă©tĂ© obligĂ©e de lĂącher son alliĂ© Ă©gyptien. Thiers s'est aveuglĂ© et s'est ridiculisĂ©. Le roi l'a obligĂ© Ă dĂ©missionner bien avant l'arrivĂ©e de La Belle Poule en France Ă cause de sa politique agressive. Il n'a pas pu profiter de sa victoire.
Au lieu de faire resplendir la monarchie de Juillet, l'enterrement de Napoléon a été le signe de son déclin.
Le monument
DâaprĂšs une dĂ©cision prise par le gouvernement, les restes de NapolĂ©on reposent dans un magnifique monument qui sâĂ©lĂšve au milieu du dĂŽme des Invalides. Conçu par l'architecte Louis Visconti, ce tombeau ne fut achevĂ© qu'en 1861.
Dans une excavation circulaire creusĂ©e sous le dĂŽme, sorte de crypte ouverte, est placĂ© « un grand sarcophage (âŠ) de porphyre rouge â en fait du quartzite aventurinĂ© de Finlande, proche du porphyre â posĂ© sur un socle de granit vert des Vosges »[23] - [Note 16] - [Note 17].
Selon un autre auteur, le socle en marbre noir proviendrait de la carriĂšre de marbre de Sainte-Luce en IsĂšre ; le transport de ce bloc de 5,5 mĂštres de long, 1,20 mĂštre de large et 0,65 mĂštre d'Ă©paisseur, ne se fit pas sans peine[24].
Une offre de matĂ©riau français Ă©tait envisagĂ©e mais fut rejetĂ©e. L'aristocrate et minĂ©ralogiste breton Paul-Ămile de La Fruglaye (petit-fils du magistrat du Parlement de Bretagne Caradeuc de La Chalotais) « dĂ©couvrit en Bretagne une trĂšs belle pierre proche du marbre, d'une coloration vert foncĂ©, qu'il proposa pour le tombeau de NapolĂ©on, mais un porphyre importĂ© de Russie fut prĂ©fĂ©rĂ©. (Il) garda sa pierre pour lui et y fit tailler son propre tombeau, toujours visible dans la chapelle du chĂąteau de Keranroux »[25].
La translation de la dĂ©pouille depuis la chapelle Saint-JĂ©rĂŽme, oĂč il reposait depuis 1840, ne donna lieu quâĂ une cĂ©rĂ©monie intime, Ă laquelle assistĂšrent, le , lâempereur NapolĂ©on III, lâimpĂ©ratrice EugĂ©nie, le Prince impĂ©rial et les Princes de la famille, le Gouvernement et les Grands officiers de la Couronne.
Théories sur la substitution du corps
Le quotidien Le Gaulois publie six articles en sur une rumeur voulant qu'un haut fonctionnaire au ministÚre de l'Instruction publique (probablement Xavier Charmes) soit tombé sur un procÚs-verbal établi par une commission secrÚte composée par Napoléon III, document qui révélerait que le tombeau de Napoléon aux Invalides est vide[26].
Le journaliste-photographe Georges RĂ©tif de la Bretonne publie en Anglais, rendez-nous NapolĂ©on, alors que la France cĂ©lĂšbre le bicentenaire de la naissance de NapolĂ©on, un ouvrage dans lequel il affirme que le corps de l'Empereur ne repose pas dans le mausolĂ©e des Invalides. Sa thĂšse s'appuie sur les incohĂ©rences entre les mĂ©moires de ceux qui ont assistĂ© Ă l'inhumation et l'exhumation : nombre diffĂ©rent des cercueils imbriquĂ©s, Ă©tat de conservation du corps (cas possible d'adipocire), emplacement du cĆur et l'estomac dĂ©posĂ©s dans une timbale et une soupiĂšre d'argent, uniforme et dĂ©corations diffĂ©rentes, plusieurs masques mortuaires Ă l'authenticitĂ© douteuse[27]. Selon le journaliste, c'est le roi d'Angleterre George IV, admirateur de NapolĂ©on et connu pour ses penchants nĂ©cropathes, qui aurait fait exhumer secrĂštement le corps de NapolĂ©on vers 1824 ou 1825 puis substituĂ© celui-ci avec celui du maĂźtre d'hĂŽtel de l'Empereur, Jean-Baptiste Cipriani, mort le , enfin rapatriĂ© le corps de NapolĂ©on dans sa collection de momies de l'abbaye de Westminster[28].
En 2000, l'écrivain Bruno Roy-Henry avec L'énigme de l'exhumé de 1840[29] et en 2003, le film Monsieur N. d'Antoine de Caunes reprennent cette thÚse.
Les historiens Thierry Lentz et Jacques MacĂ© montrent que cette thĂ©orie des substitutionnistes ne repose que sur des spĂ©culations (les distorsions peuvent s'expliquer par le fait que les rĂ©capitulatifs n'Ă©taient pas rigoureux) et sur aucun fait Ă©tayĂ©, elle contribue Ă la lĂ©gende napolĂ©onienne[30] - [31]. Bruno Roy-Henry a pour objectif l'ouverture du tombeau des Invalides et l'identification des restes qu'il contient[31] mais plusieurs descendants de la famille Bonaparte et l'Ătat s'y opposent[32] - [33].
Postérité
- à partir de 1854, l'empereur Napoléon III négocia avec le gouvernement britannique l'achat de Longwood House et de la vallée du Tombeau (ßle Sainte-HélÚne), qui devinrent propriétés françaises en 1858 et gérées depuis par le MinistÚre des Affaires étrangÚres.
- MĂ©morial du retour des cendres de lâEmpereur, place NapolĂ©on-Ier, Courbevoie.
- Cent ans aprÚs le retour des cendres de Napoléon Ier, le , l'Allemagne rend à la France la dépouille de Napoléon François Charles Joseph Bonaparte, dit Napoléon II, le roi de Rome ou encore l'Aiglon. Le corps du fils de Napoléon Ier avait été enterré à Vienne aprÚs sa mort en 1832 ; il va reposer désormais dans la crypte des Invalides, à cÎté du sarcophage de son pÚre. La cérémonie franco-allemande, conçue pour coïncider avec le 100e anniversaire du retour des cendres de l'Empereur en France, se déroule dans une atmosphÚre glaciale, dans tous les sens du terme, en raison de la crise qui a éclaté entre le Reich et Vichy aprÚs le renvoi de Pierre Laval. Goguenards, les Parisiens murmurent : « Ils nous prennent le charbon et ils nous rendent les cendres ! »[34].
Notes et références
Notes
- Le prince de Joinville ne dĂ©colĂ©rait pas d'ĂȘtre employĂ© à « une besogne de charretier » ou de « croque-mort » (citĂ© par Guy Antonetti, Louis-Philippe, Paris, Librairie ArthĂšme Fayard, 2002, p. 816). La reine Marie-AmĂ©lie jugeait que l'opĂ©ration Ă©tait « une pĂąture pour les tĂȘtes chaudes » (Ibid.), tandis que la reine Louise y voyait une « pure comĂ©die » (Ibid.).
- « Voilà une idée bien française », ironisa Palmerston dans une lettre à son frÚre (cité par Guy Antonetti, op. cit., p. 816).
- « Les cendres de Napoléon seront rendues lorsque le gouvernement français en manifestera le désir » (source : Albert Benhamou, L'autre Sainte-HélÚne, 2010, p. 365).
- « Les idées bonapartistes, dit-il, sont une des plaies vives de notre temps ; elles représentent ce qu'il y a de plus funeste pour l'émancipation des peuples, de plus contraire à l'indépendance de l'esprit humain. »
- Avant l'ouverture du débat, Lamartine avait dit : « Les cendres de Napoléon ne sont pas éteintes, et l'on en souffle les étincelles. » (Antonetti, p. 817).
- Avant la sĂ©ance, Thiers avait tentĂ© de dissuader Lamartine d'intervenir : « â Non, lui avait rĂ©pondu le poĂšte, il faut dĂ©courager les imitateurs de NapolĂ©on. â Oh ! Mais qui peut aujourd'hui songer Ă l'imiter ? â Vous avez raison, je voulais dire les parodistes de NapolĂ©on. » (Antonetti, p. 817). Le mot a fait le tour de Paris.
- Ce dernier Ă©crivit dans le Times : « LâĂ©pĂ©e dâAusterlitz ne devrait jamais se trouver en des mains ennemies ; elle doit rester oĂč elle peut ĂȘtre tenue au jour du danger pour la gloire de la France. [âŠ] Priver les hĂ©ritiers de lâEmpereur de lâunique hĂ©ritage que le sort leur a laissĂ© ; donner Ă un bĂ©nĂ©ficiaire de Waterloo les armes du vaincu, câest trahir les devoirs les plus sacrĂ©s, câest forcer les opprimĂ©s Ă dire un jour aux oppresseurs : « Rendez-nous ce que vous avez usurpĂ© ». » (citĂ© par RenĂ© Girard, NapolĂ©on III, Paris, ArthĂšme Fayard, 1986 ; rĂ©impr. Paris, coll. Pluriel, 1993, p. 54).
- Les lettres décachetées en mer des instructions du roi révÚlent en fait que le chef de l'expédition est l'anglophile Philippe de Rohan-Chabot.
- Le cercueil en bois dâĂ©bĂšne avait Ă©tĂ© confectionnĂ© Ă Paris. Sa forme rappelait celle des sarcophages antiques ; il Ă©tait long de 2,56 mĂštres, haut de 70 centimĂštres et large de 1,05 mĂštre. Il portait sur son couvercle, pour toute inscription, le mot NapolĂ©on en lettres dâor. Chacune de ses faces Ă©tait dĂ©corĂ©e de la lettre N en bronze dorĂ©. Six forts anneaux en bronze servaient Ă le saisir et Ă le dĂ©placer. Sur le cercueil, on pouvait lire « NapolĂ©on Empereur mort Ă Sainte-HĂ©lĂšne le ».
- Dans ce fameux solo de Robert le Diable de Giacomo Meyerbeer, le Diable invoque, dans le cimetiĂšre dâun couvent en ruines, les Ăąmes des nonnes qui, de leur vivant, ont rompu leur vĆu de chastetĂ© : « Nonnes qui reposez / Sous cette froide pierre / RĂ©veillez-vous, / Pour une heure quittez, / Votre lit funĂ©raire / Et levez-vous ! etc. »
- Ces mĂ©dailles commĂ©moratives donnĂ©es Ă chaque officier portent sur lâavers le profil de Louis-Philippe et au revers lâinscription : « Loi du ordonnant la translation des restes mortels de lâempereur NapolĂ©on, de lâĂźle de Sainte-HĂ©lĂšne, Ă lâĂ©glise de lâhĂŽtel royal des Invalides de Paris, et la construction de son tombeau aux frais de lâĂtat. S.A.R. le prince de Joinville, commandant lâexpĂ©dition. »
- Pour mettre en batterie toutes les piĂšces que la frĂ©gate pouvait opposer Ă une attaque, on dĂ©molit les chambres provisoires qui avait Ă©tĂ© Ă©tablie pour loger les membres de la commission de Sainte-HĂ©lĂšne ; les cloisons, ainsi que les meubles qui garnissaient ces cabines, furent jetĂ©s Ă la mer ; le quartier du bord oĂč se trouvaient ces chambres prit le nom de LacĂ©dĂȘmone. LâĂ©quipage se prĂ©parait aux Ă©ventualitĂ©s dâun combat par de frĂ©quents exercices et des branle-bas multipliĂ©s.
- Le char funĂšbre, tout resplendissant de dorures et de riches draperies, Ă©tait haut de 10 mĂštres (30 pieds), large de 5,80 mĂštres (17 pieds) et long de 30 mĂštres, lourd de 13 tonnes, Ă©tait tirĂ© par 16 chevaux, distribuĂ©s en quatre groupes ou quadriges richement caparaçonnĂ©s. Le char se composait ainsi quâil suit : quatre roues massives et dorĂ©es, sur lâessieu desquelles reposait un socle ou soubassement, ayant la forme dâun carrĂ© long ou plutĂŽt dâune table Ă©paisse ; sur ce socle sâĂ©levait une sorte de second soubassement arrondi sur le devant et formant une plate-forme demi-circulaire, sur laquelle on avait fixĂ© un groupe de GĂ©nies supportant la couronne de Charlemagne ; en arriĂšre, sâĂ©levait un dais semblable Ă celui dâun piĂ©destal ordinaire, se terminant par une sorte de piĂ©douche quadrangulaire. Enfin, quatorze statues plus grandes que nature, entiĂšrement dorĂ©es, portaient un vaste bouclier sur leurs tĂȘtes, au-dessus duquel Ă©tait placĂ© le modĂšle du cercueil de NapolĂ©on ; le tout Ă©tait voilĂ© dâun long crĂȘpe violet parsemĂ© dâabeilles dâor. Ă lâarriĂšre du char sâĂ©levait un trophĂ©e de drapeaux, de palmes, de lauriers, oĂč se lisaient les noms des principales victoires de NapolĂ©on.
- Les Ă©tudiants de droit et de mĂ©decine, Ă©cartĂ©s du cortĂšge, firent la protestation suivante, publiĂ©e par Le National : « Enfants des gĂ©nĂ©rations nouvelles, [les Ă©lĂšves en droit et en mĂ©decine] ne comprennent pas le culte exclusif quâon rendrait Ă la force des armes, en lâabsence des institutions civiles qui sont le fondement de la libertĂ©. Ils ne se prosternent pas devant lâesprit dâenvahissement et de conquĂȘte, mais au moment oĂč notre nationalitĂ© semble avilie, les Ă©coles auraient voulu par leur prĂ©sence rendre hommage Ă lâhomme qui fut au-dehors le reprĂ©sentant Ă©nergique et glorieux de cette nationalitĂ©. » (citĂ© par : Laumann, pp. 132-133).
- Cette curieuse lĂ©gende de l'enlĂšvement de la dĂ©pouille des Invalides semble immortelle : elle a Ă©tĂ© mise au goĂ»t du jour en 1969 par un journaliste, Georges RĂ©tif de la Bretonne (Anglais, rendez-nous NapolĂ©on !, Paris, JĂ©rĂŽme Martineau Ă©diteur, 1969), puis en 2000 par Bruno Roy-Henry (NapolĂ©on, lâĂ©nigme de lâexhumĂ© de 1840, Paris, LâArchipel, 2000).
- La carriĂšre de CarĂ©lie dont la pierre avait Ă©tĂ© extraite, au prix de grandes difficultĂ©s, appartenait au tsar Nicolas Ier ; il en coĂ»ta environ 200 000 francs, payĂ©s par la France (L. LĂ©ouzon Le Duc, Ătudes sur la Russie, p. 12, citĂ© par : Octave Aubry, Sainte-HĂ©lĂšne, Paris, Flammarion, coll. « Lâhistoire », 1973, p. 461, note 3). Contrairement Ă ce qu'on lit un peu partout, cette roche trĂšs dure et quasiment inaltĂ©rable nâest pas du marbre, encore moins du porphyre, mais un grĂšs mĂ©tamorphisĂ©.
- Le socle du sarcophage et tour de la porte de bronze sont en granit vert des Vosges, extrait Ă Ternuay en Haute-SaĂŽne et taillĂ©s et polis Ă Servance dans ce mĂȘme dĂ©partement (Source: L'Est rĂ©publicain, "Si le monumental tombeau de NapolĂ©on 1er qui sâĂ©lĂšve sous le dĂŽme des Invalides a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec...", ).
Références
- Biographie universelle ancienne et moderne (Michaud), tome 17, 1842.
- Laumann, pp. 15-16.
- Cité par : Laumann, pp. 32 et 34 et Antonetti, p. 816.
- Antonetti, p. 817.
- Casimir Delavigne, « La NapolĂ©onne », 1840 â dans : Ćuvres complĂštes, Paris, Didier, 1855, p. 525.
- Laumann, p. 40.
- Ibid., pp. 40-41.
- Albert Benhamou, L'autre Sainte-HĂ©lĂšne, 2010, p. 386.
- Albert Benhamou, L'autre Sainte-HĂ©lĂšne, 2010, Ibid., voir traduction de ce procĂšs-verbal aux pp. 342-343.
- Historique de la translation des restes mortels de l'empereur Napoléon aux Invalides in Mémorial de Sainte-HélÚne. Suivi de Napoléon dans l'exil et de L'historique de la translation des restes mortels de l'empereur Napoléon aux Invalides. par le comte de Las Cases ; par MM. O'Méara et Antomarchi ; [publié par F. Payot], , pp. 928-929 (lire en ligne)
- Le Courrier Français, , cité par : Laumann, p. 97.
- Victor Hugo, « . FunĂ©railles de lâEmpereur. Notes prises sur place », Choses vues â dans : Ćuvres complĂštes, Histoire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1987, p. 813.
- Cité par : Laumann, p. 97.
- Duchesse de Dino, chĂąteau de Rochecotte, , dans Chronique, de 1831 Ă 1862, Plon, 1909, p. 434.
- Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840.
- Victor Hugo, « . FunĂ©railles de lâEmpereur. Notes prises sur place », Choses vues â dans : Ćuvres complĂštes, Histoire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1987, p. 806.
- Ibid., pp. 808-809.
- Prince de Joinville, Vieux Souvenirs, p. 223.
- Le Moniteur, .
- Victor Hugo, « . FunĂ©railles de lâEmpereur. Notes prises sur place », Choses vues â dans : Ćuvres complĂštes, Histoire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1987, pp. 812 et 813.
- Il ne mourut toutefois que le .
- Victor Hugo, « . FunĂ©railles de lâEmpereur. Notes prises sur place », Choses vues â dans : Ćuvres complĂštes, Histoire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1987, p. 815.
- Hors-série « les Invalides » du magazine l'estampille/l'objet d'art no 21, , page 51 par François Lagrange, chef de la division de la recherche historique et de l'action pédagogique de l'Armée.
- R. Reymond, Ănigmes, curiositĂ©s, singularitĂ©s, 1987, p. 158.
- Claude Frégnac, Merveilles des chùteaux de Bretagne et de Vendée, Hachette-Réalités, 1970, p. 32
- Site Gallica.fr Le gaulois du
- Les masques mortuaires de Napoléon.
- Franck Ferrand, « NapolĂ©on : lâĂ©nigme du tombeau », Ă©mission L'ombre d'un doute, .
- Bruno Roy-Henry, « Napoléon repose-t-il aux Invalides ? », Historia, no 638, .
- Thierry Lentz, Jacques Macé, La mort de Napoléon : Mythes, légendes et mystÚres, éd. Librairie Académique Perrin, 2009, 226 p. (ISBN 2262030138).
- Jacque MacĂ©, « Le corps de NapolĂ©on est bien aux Invalides ! », Revue du Souvenir NapolĂ©onien, no 455,â , p. 35-45 (lire en ligne, consultĂ© le ).
- Muriel Frat, « Le mystÚre du tombeau de Napoléon », sur lefigaro.fr, .
- « Napoléon intouchable aux Invalides », sur Libération,
- Georges Poisson, Le retour des cendres de l'aiglon, Ă©d. Nouveau Monde Ăditions, 2006
Voir aussi
Article connexe
- Question du rapatriement en France de la dépouille de Napoléon III
- Colonne Napoléon, commémorant le transbordement du cercueil de Napoléon Ier du vaisseau Le Normandie au bateau à vapeur La Dorade no 3.
Annexes
Sources
- Arthur Bertrand, Lettres sur lâexpĂ©dition de Sainte-HĂ©lĂšne en 1840, Paris, Paulin, 1841.
- Abbé Félix Coquereau, Souvenirs du voyage à Sainte-HélÚne, Paris, H. Delloye, 1841.
- Emmanuel de Las Cases, Journal écrit à bord de la frégate La Belle Poule, Paris, H. Delloye, 1841.
- Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, .
- Philippe de Rohan-Chabot, Les Cinq Cercueils de lâEmpereur, souvenirs inĂ©dits, prĂ©face de RenĂ© de Chambrun, Paris, France-Empire, 1985.
Bibliographie
- E.M. Laumann, Le Retour des cendres, Paris, Daragon,
- Général Malleterre, Napoléon aux Invalides, Paris, La Renaissance du livre,
- Jean Bourguignon, Le Retour des cendres, Paris, Plon,
- Georges Rétif de la Bretonne, Anglais, rendez-nous Napoléon !, JérÎme Martineau,
- Jean Boisson (prĂ©f. GĂ©nĂ©ral de Grancey), Le Retour des Cendres, Paris, Ătudes et recherches historiques, , Le retour des Cendres, prĂ©face du gĂ©nĂ©ral de Grancey, Paris, Ătudes et recherches historiques, 1973.
- Gilbert Martineau, Le retour des cendres, Paris, Tallandier,
- Guy Antonetti, Louis-Philippe, Paris, Librairie ArthĂšme Fayard,
- Jacques Jourquin, Journal inédit du retour des Cendres par le mameluck Ali|, Paris, Tallandier, , édition critique de l'ouvrage de 1840Couronné par l'Académie des sciences morales et politiques.
- Georges Poisson, L'Aventure du retour des Cendres, Paris, Tallandier,
- Franck Ferrand, L'Histoire interdite, Paris, Tallandier,
Liens externes
- De Sainte-HélÚne à Paris, les deux funérailles de Napoléon. Une chronologie succincte, par Albert Benhamou.
- Marche funĂšbre pour le retour des cendres de l'Empereur. Musique, images d'Ă©poque, et morceau de film.
- Un témoin anglais de l'exhumation.