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Petit nègre

Le petit nègre, autrement dénommé pitinègue, français tirailleur ou forofifon naspa, est un pidgin utilisé entre environ 1857 et 1954 par des soldats ouest-africains et leurs officiers blancs dans certaines colonies françaises, et consistant en une version simplifiée du français[1]. Par extension, cette expression a été utilisée pour désigner plus largement les autres langues simplifiées. Le petit nègre était enseigné aux habitants indigènes dans l'armée coloniale française[2]. Ce langage est maintenant largement perçu comme raciste[3] - [4].

Petit nègre
Période 1857–1954
Pays Drapeau de la France France (empire colonial)
Région Afrique-Occidentale française
Classification par famille
Codes de langue
Type Pidgin
Glottolog fran1267
Carte
Image illustrative de l’article Petit nègre
L'Afrique-Occidentale française en 1919.

Histoire

L'expression « petit nègre » pour parler d'une forme de français est attestée dès 1877 dans Le Charivari[5] - [6] sous la plume de Pierre Véron[7].

Maurice Delafosse, administrateur colonial et linguiste spécialiste des langues africaines, est un des premiers à rédiger en 1904 une description du petit nègre, qu'il qualifie de « simplification naturelle et rationnelle de notre langue si compliquée »[8]. Il en donne une description syntaxique qui tient en une vingtaine de lignes.

La Première Guerre mondiale va entraîner un afflux important de conscrits originaires de l'Afrique subsaharienne dans l'armée française, les tirailleurs sénégalais, dont beaucoup ne parlent pas le français. Même si le bambara est relativement répandu parmi eux, ils parlent généralement des langues différentes et la constitution d'un corps d'interprètes semble trop complexe à mettre en œuvre[9]. Les autorités françaises décident donc d'imposer aux Africains un français simplifié, appelé le « français tirailleur ». En 1916, paraît un manuel militaire intitulé Le français tel que le parlent nos tirailleurs sénégalais[10], qui décrit les règles du français tirailleur : « Ce qui importe avant tout c'est de fixer le moule dans lequel il faudra couler la phrase française pour nos tirailleurs connaissant quelques mots de notre langue. » Cet ouvrage est à destination des gradés francophones, afin de leur permettre de « se faire comprendre en peu de temps, de leurs hommes, de donner à leurs théories une forme intelligible pour tous et d'intensifier ainsi la marche de l'instruction ».

En 1906, le Nouveau Larousse illustré définit le « petit nègre » en ces termes : « Langue française réduite à des formes élémentaires que les littérateurs font parler aux nègres des colonies françaises, mais qui en réalité n'existe pas »[11]. Puis en 1928, dans le Larousse du XXe siècle : « Français élémentaire qui est usité par les Nègres des colonies »[12] - [13].

Analyse

Selon la linguiste Laélia Véron, le français dit « petit nègre » est issue d'une idéologie coloniale et visait en fait à « enseigner un sous-français à des personnes auxquelles on ne voulait pas donner la citoyenneté française »[14].

Caractéristiques

Les indications ci-dessous sont tirées de l'ouvrage écrit en 1904 par Maurice Delafosse[8], cité plus haut.

  • Les verbes sont employĂ©s sous une forme simple :
    • infinitif pour le prĂ©sent ou le futur, pour tous les verbes (sauf « ĂŞtre » qui n'existe pas), prĂ©cĂ©dĂ© du pronom personnel exemple : « moi parler » ;
    • certains verbes des autres groupes sont utilisĂ©s sous la forme d'un infinitif en remplaçant la terminaison par celle d'un verbe du premier groupe, exemple : « vouler » au lieu de « vouloir », ou parfois en supprimant le "r" final (« parti » au lieu de « partir »).
  • La nĂ©gation est marquĂ©e par le mot « pas » placĂ© après le verbe (« lui parti pas »).
  • Il n'y a pas de genre ni de nombre.
  • L'article est supprimĂ© (« son maison ») ou au contraire maintenu de façon permanente comme un prĂ©fixe du nom (« son la maison »).
  • Le verbe « gagner » est employĂ© très frĂ©quemment, de mĂŞme que l'expression « y a » (ou « y en a ») comme particule verbale (pour « il y a » ou « il y en a ») : « moi y a gagnĂ© perdu » (signifiant « j'ai perdu ») ; l'expression « moi y'a dit » est caractĂ©ristique du français tirailleur.
  • Certains mots empruntĂ©s au français populaire ou Ă  la terminologie maritime sont frĂ©quemment employĂ©s : « mirer » (pour « regarder »), « amarrer » (pour « attacher »).
  • Le mot « lĂ  » est employĂ© comme pronom dĂ©monstratif (emprunt au crĂ©ole antillais : ti moun lĂ  = cet enfant).
  • Les prĂ©positions « Ă  » et « de » sont frĂ©quemment supprimĂ©es et souvent remplacĂ©es par « pour » : « moi parti pour village » (« je vais au village »).

Références

  1. SkirgĂĄrd 2013.
  2. Paul Wijnands, Le français adultère, ou, Les langues mixtes de l'altérité francophone, Paris, Publibook, coll. « EPU. Lettres & langues. Linguistique », , 142 p. (ISBN 2-7483-0929-4), p. 119 [lire en ligne].
  3. Chemin 2021.
  4. Ropert 2018.
  5. Van den Avenne 2013.
  6. Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) : citant Bernard Quemada (dir.), Matériaux pour l'histoire du vocabulaire français (MH), vol. 3 de la 2e série : Datations et documents lexicographiques (DDL), Paris, Didier, coll. « Publications du Centre d'étude du français moderne et contemporain » (no 7), , 230 p. (BNF 34701805).
  7. Pierre Véron, « Bulletin politique », Le Charivari, vol. 46,‎ , p. 1, col. 1 (lire en ligne).
  8. Delafosse 1904.
  9. Van den Avenne 2005.
  10. Le français tel que le parlent nos tirailleurs sénégalais 1916.
  11. Claude Augé (dir.), Nouveau Larousse illustré - Dictionnaire universel encyclopédique, vol. supplément, Paris, Larousse, , p. 399 [lire en ligne].
  12. Paul Augé (dir.), Larousse du XXe siècle en six volumes, Paris, Larousse, .
  13. Jean de La Guérivière, Les fous d'Afrique : Histoire d'une passion française, Paris, Seuil, coll. « L'histoire immédiate », , 379 p. (ISBN 2-02-037217-7), p. 20.
  14. Jean-Baptiste de Montvalon, « Laélia Véron : l’action du verbe », Le Monde, .

Voir aussi

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Sources primaires d'Ă©poque :

  • Maurice Delafosse, « Petit-nègre », dans Vocabulaire comparatif de plus de 60 langues ou dialectes parlĂ©s Ă  la CĂ´te d'Ivoire, Paris, Leroux, , p. 263–265 [lire en ligne] Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Le français tel que le parlent nos tirailleurs sĂ©nĂ©galais, Paris, Imprimerie militaire universelle L. Fournier, , 35 p. (lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article

Sources secondaires :

  • SĂ©namin Amedegnato et Sandra Sramski, Parlez-vous petit nègre ? : EnquĂŞte sur une expression Ă©pilinguistique, Paris, L'Harmattan, coll. « Sociolinguistique », , 134 p. (ISBN 2-7475-4819-8, lire en ligne).
  • Ozouf SĂ©namin Amedegnato, « « Non-langue » et littĂ©rature : L'exemple du parler petit-nègre », dans Musanji Ngalasso-Mwatha (dir.), L'imaginaire linguistique dans les discours littĂ©raires politiques et mĂ©diatiques en Afrique (actes du colloque international organisĂ© par le CELFA (Centre d'Ă©tudes linguistiques et littĂ©raires francophones et africaines) de l'UniversitĂ© Michel de Montaigne-Bordeaux 3 et le LASELDI (Laboratoire de sĂ©miolinguistique, didactique et informatique) de l'universitĂ© de Franche-ComtĂ© Ă  Besançon, Ă  la Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, -), Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Études africaines et crĂ©oles » (no 1), , 661 p. (ISBN 978-2-86781-701-4), p. 97–114 [lire en ligne].
  • (en) Andrei A. Avram, « Kolonial-Deutsch and Français Tirailleur : A comparative overview », dans Daniel Schmidt-BrĂĽcken (dir.), Susanne Schuster (dir.) et Marina Wienberg (dir.), Aspects of (Post)Colonial Linguistics : Current Perspectives and New Approaches (contributions Ă  la First Bremen Conference on Language and Literature in Colonial and Postcolonial Contexts (BCLL) organisĂ©e par l'International Association for Colonial and Postcolonial Linguistics (IACPL) Ă  l'UniversitĂ© de BrĂŞme, -), Berlin et Boston, De Gruyter, coll. « Koloniale und Postkoloniale Linguistik » (no 9), , 273 p. (ISBN 978-3-11-044222-9, 978-3-11-043690-7 et 978-3-11-043402-6, DOI 10.1515/9783110436907-006), p. 101–130 [lire en ligne].
  • Anne Chemin, « Le « parler petit nègre », une invention coloniale », Le Monde, . Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Laurent Dornel et Sophie Dulucq, « Le français en Afrique Occidentale Française », Diasporas. Histoire et sociĂ©tĂ©s, no 2 « Langues dĂ©paysĂ©es »,‎ , p. 154–161 (lire en ligne).
  • Alessandro Costantini, « Écrivez-vous petit-nègre ? : La parole française Ă©crite en situation d'Ă©nonciation coloniale et sa reprĂ©sentation », Ponti / Ponts : Langues, littĂ©ratures, civilisations des pays francophones, Milan, Cisalpino Istituto Editoriale Universitario - Monduzzi Editore, no 8 « Monstres »,‎ , p. 109–136 (ISBN 978-88-323-6204-6).
  • Maurice Houis, « Une variĂ©tĂ© idĂ©ologique du français : Le “langage tirailleur” » (confĂ©rence au IVe colloque international des Ă©tudes crĂ©oles Ă  Lafayette (Louisiane), -), Afrique et Langage, no 21,‎ , p. 5–17.
  • Guy Lavorel, « Du “forofifon naspa” au “petit nègre” : Un code simple ou dĂ©nigrant ? », dans Jeanne-Marie Amat-Roze (dir.) et Christian Benoit (dir.), L'Empire colonial français dans la Grande Guerre : Un siècle d'histoire et de mĂ©moire (actes du colloque L'outre-mer français et la Grande Guerre organisĂ© par l'AcadĂ©mie des sciences d'outre-mer au MusĂ©e de l'ArmĂ©e, HĂ´tel des Invalides, Paris, -), Paris, Dacres, coll. « MĂ©morial de Verdun », , 905 p. (ISBN 979-10-92247-98-5), p. 637–650.
  • Gabriel Manessy (en), « Français-tirailleur et français d'Afrique », Langues et Cultures, Cahiers de l'Institut linguistique de Louvain (CILL), vol. 9, nos 3-4 « MĂ©langes offerts Ă  Willy Bal »,‎ , p. 113–126, repris dans Michel Beniamino (dir.) et Claudine Bavoux (dir.), Les Français en Afrique noire : Mythe, stratĂ©gies, pratiques, Paris, L'Harmattan, coll. « Espaces Francophones », , 244 p. (ISBN 2-7384-2974-2), chap. 6, p. 111–119 [lire en ligne].
  • (en) Mikael Parkvall (sv), « Français tirailleur : Not just a “language of power” », Language Ecology, vol. 2, nos 1-2,‎ , p. 60–76 (DOI 10.1075/le.18009.par).
  • (de) Manfred Prinz, « Ăśberlegungen zur Sprache der “Tirailleurs” », dans János Riesz (dir.) et Joachim Schultz (dir.), “Tirailleurs sĂ©nĂ©galais” : Zur bildlichen und literarischen Darstellung afrikanischer Soldaten im Dienste Frankreichs / PrĂ©sentations littĂ©raires et figuratives de soldats africains au service de la France, Francfort-sur-le-Main, Berne, New York, Peter Lang, coll. « Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft » (no 13), , 280 p. (ISBN 3-631-41555-9), p. 239–259.
  • Pierre Ropert, « Le français “petit-nègre”, une construction de l'armĂ©e coloniale française », France Culture, . Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (en) Hedvig SkirgĂĄrd, Français Tirailleur Pidgin : A corpus study (thèse de Master of Arts en linguistique), Departement de linguistique de l'universitĂ© de Stockholm, , 71 p. (lire en ligne [PDF]). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • CĂ©cile Van den Avenne, « Bambara et français-tirailleur. Une analyse de la politique linguistique de l'armĂ©e coloniale française : la Grande Guerre et après », Documents pour l'histoire du français langue Ă©trangère ou seconde, SociĂ©tĂ© internationale pour l'histoire du français langue Ă©trangère ou seconde (SIHFLES), no 35,‎ , p. 123–150 (DOI 10.4000/dhfles.1115, HAL halshs-00356207, lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • CĂ©cile Van den Avenne, « Petit-nègre et bambara : La langue de l'indigène dans quelques Ĺ“uvres d'Ă©crivains coloniaux en Afrique occidentale française », dans Christine QueffĂ©lec et Danielle Perrot-Corpet (dir.), Citer la langue de l'autre : Mots Ă©trangers dans le roman, de Proust Ă  W. G. Sebald (actes du colloque Citer la langue de l'autre : Fonctions du pĂ©rĂ©grinisme dans les Ĺ“euvres de fiction du XXe siècle, organisĂ© par l'Ă©quipe de littĂ©rature comparĂ©e du centre de recherche LERTEC (Lecture et rĂ©ception du texte contemporain) Ă  l'UniversitĂ© Lyon-2, -), Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Passages », , 222 p. (ISBN 978-2-7297-0798-9, HAL halshs-00356208v2), p. 77–95.
  • CĂ©cile Van den Avenne, « « Les petits noirs du type y a bon Banania, messieurs, c'est terminĂ© » : La contestation du pouvoir colonial dans la langue de l'autre, ou l'usage subversif du français-tirailleur dans Camp de Thiaroye de Sembène Ousmane », Glottopol, no 12,‎ , p. 111–122 (HAL halshs-00356206, lire en ligne).
  • CĂ©cile Van den Avenne, « Reprise et dĂ©tournement d'un stĂ©rĂ©otype linguistique : Les enjeux coloniaux et postcoloniaux de l'usage du « petit nègre » dans la littĂ©rature africaine », dans Lise Gauvin (dir.), CĂ©cile Van den Avenne (dir.), VĂ©ronique Corinus (dir.) et Ching Selao (dir.), LittĂ©ratures francophones : Parodies, pastiches, rĂ©Ă©critures, Lyon, ENS Éditions, coll. « Signes », , 285 p. (ISBN 978-2-84788-361-9), p. 263–275 [lire en ligne] Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article.
  • CĂ©cile Van den Avenne, « De l’authenticitĂ© du petit-nègre », dans De la bouche mĂŞme des indigènes : Échanges linguistiques en Afrique coloniale, Paris, VendĂ©miaire, coll. « Empires », , 268 p. (ISBN 978-2-36358-251-5), p. 139–162.
  • CĂ©cile Van den Avenne, « La fabrication textuelle du « français africain » : Entextualisation, mises en scènes, rĂ©ceptions », Langue française, no 202,‎ , p. 61–75 (DOI 10.3917/lf.202.0061, lire en ligne).

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