Pays de CÄlata
Le pays de CÄlata, en hongrois Kalotaszeg ([ËkÉlotÉsÉÉĄ]), en roumain Èara CÄlatei, est une rĂ©gion ethnographique rurale transylvaine dâEurope centrale. RattachĂ©e depuis 1918 Ă la Roumanie, cette rĂ©gion relativement bien dĂ©finie dâun point de vue ethnographique ne correspond Ă aucune unitĂ© administrative des ensembles politiques dont elle a successivement fait partie : ni de la PrincipautĂ© de Transylvanie, ni du Royaume de Hongrie au sein de lâAutriche-Hongrie, ni de lâactuelle Roumanie. Câest lĂ lâune des originalitĂ©s de cette rĂ©gion, dont lâexistence dans la conscience populaire est largement liĂ©e Ă la tradition orale. Bien quâhistoriquement beaucoup de ses habitants soient de souche roumaine, ce nâest pas pour autant une valachie car elle nâa pas Ă©tĂ© gouvernĂ©e selon de droit valaque, mais selon le droit hongrois, une partie de ses habitants Ă©tant Magyars ou Sicules. Son identification est dâordre ethnographique : câest lâĆuvre scientifique, littĂ©raire, architecturale et politique de KĂĄroly KĂłs que lâon pourrait qualifier de « pĂšre fondateur » du Kalotaszeg dans son ouvrage Kalotaszeg (1932) qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un manifeste identitaire introduisant cette « petite patrie » (au sens de lâallemand Heimat) sur la carte spirituelle de lâEurope.
FrontiÚres géographiques et dénomination
LimitĂ© par trois massifs montagneux, les monts du GilÄu, de VlÄdeasa et du MeseÈ qui font partie des Carpates occidentales roumaines, le pays de CÄlata peut ĂȘtre dĂ©fini gĂ©ographiquement comme un ensemble de vallĂ©es ayant, selon KĂłs (dĂ©finition aujourdâhui consensuelle) la forme dâun cĂŽne tronquĂ© Ă la pointe dirigĂ©e vers lâOuest/Sud-Ouest, touchant presque la ville de Cluj (hongrois KolozsvĂĄr, allemand Klausenburg), tandis que sa base constitue une ligne dâune soixantaine de kilomĂštres, orientĂ©e Sud-Ouest/Nord-Est, et dont le milieu coĂŻnciderait grossiĂšrement avec la ville de Huedin (en hongrois BĂĄnffyhunyadi). Il se situe au Nord-Ouest de la Transylvanie et compte, outre la ville de Huedin, une centaine de villages et hameaux. La majoritĂ© de ces localitĂ©s se trouve dans le dĂ©partement de Cluj (judeÈ de Cluj), tandis qu'une trentaine de localitĂ©s au Nord-Ouest de la zone relĂšvent administrativement du dĂ©partement de SÄlaj (judeÈ de SÄlaj).
- La tour de l'église réformée calviniste hongroise de Huedin (en hongrois Bånffyhunyad), construite au XVe siÚcle.
- L'Ă©glise orthodoxe roumaine dâAgĂąrbiciu (en hongrois Egerbegy), construite en bois au XVIIe siĂšcle.
Lâorigine du nom CÄlata/Kalotaszeg est discutĂ©e. Selon le point de vue hongrois, ce serait Kalota, gĂ©nĂ©ralement prĂ©sentĂ© comme le nom dâune ancienne tribu magyare, orthographiĂ© Kalatha dans les manuscrits anciens. Il peut aussi sâagir dâune variante de lâethnonyme Kalocsa, amplement documentĂ© quant Ă lui. Toutefois, lâexistence dâun cours dâeau homonyme irriguant la seule partie de Kalotaszeg qui, aussi loin quâon puisse remonter, nâa jamais cessĂ© de porter ce nom, soulĂšve la question dâune Ă©ventuelle origine prĂ©-hongroise du terme, sachant dâune part que la lâhydronymie transylvaine manque singuliĂšrement dâexemples de transformation dâethnonymes en hydronymes, et dâautre part quâaucune Ă©tymologie hongroise nâa Ă©tĂ© proposĂ©e pour ce mot. Par ailleurs, ce nom semble relativement isolĂ© dans lâethnonymie magyare de lâĂ©poque de la conquĂȘte hongroise. Des recherches approfondies seraient souhaitables. Sâil devait sâavĂ©rer que le terme nâest pas attestĂ© dans les documents de la pĂ©riode antĂ©rieure Ă la conquĂȘte de la Transylvanie centrale et nâa pas laissĂ© de traces toponymiques en dehors de Kalotaszeg et des zones occidentales voisines, il faudrait envisager que le point de vue roumain puisse ĂȘtre rĂ©aliste : il pose lâhypothĂšse dâune transmission inverse, du cours dâeau CÄlata/Kalota au peuple et Ă la rĂ©gion. Dans ce cas, deux variantes se prĂ©sentent :
- du dace kalata signifiant « plateau », « table », « tablier »[1] ;
- du celte kalta ou galata car lâarchĂ©ologie a recensĂ© de nombreuses implantations celtes dans le bassin de la riviĂšre homonyme.
Le second Ă©lĂ©ment du nom Kalotaszeg ne pose aucun problĂšme d'interprĂ©tation. Il s'agit du mot hongrois szeg, en variation dialectale avec la forme arrondie szög, signifiant « angle » et prĂ©sent sous forme de suffixe dans lâensemble de la toponymie hongroise, pour dĂ©signer des rĂ©gions au sein dâun pays ou des parties de village.
Histoire
Ă dĂ©faut de donnĂ©es prĂ©cises sur lâethnogenĂšse particuliĂšre de la microrĂ©gion, on peut supposer que le peuplement du pays de CÄlata reproduit la structure gĂ©nĂ©rale du peuplement transylvain : Ă une premiĂšre vague dâimplantation dans lâAntiquitĂ© (thrace au XIIe siĂšcle av. J.-C. puis celte au IIIe siĂšcle av. J.-C.), suivie dâune forte acculturation dace, se superpose au dĂ©but de notre Ăšre lâapport des lĂ©gions romaines, recelant elles-mĂȘmes une importante diversitĂ© ethnique. AprĂšs le retrait des lĂ©gions, les Wisigoths dominent le pays, bientĂŽt suivis par les GĂ©pides et les Huns. Les Slaves arrivent au milieu du VIe siĂšcle. On ignore si les romanophones sont, comme lâaffirme lâhistoriographie roumaine, les successeurs directs et autochtones des Daces romanisĂ©s sur place, ou sâils sont arrivĂ©s dans la rĂ©gion en provenance des Balkans Ă la suite des guerres bulgaro-byzantines du IXe siĂšcle comme le proposent les exĂ©gĂštes dâAnne ComnĂšne, Georges CĂ©drĂšne, NicĂ©tas ChoniatĂšs et Jean SkylitzĂšs, ou mĂȘme beaucoup plus tardivement, au XIIIe siĂšcle et Ă lâappel des rois de Hongrie, comme lâaffirme Edouard Rössler et, Ă sa suite, lâhistoriographie hongroise.
Quoi quâil en soit, Ă partir du Xe siĂšcle, diverses tribus magyares sâinfiltrent dans les bassins de Pannonie et des Carpates et Ă lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale, lâextension du toponyme Kalota englobait de vastes zones Ă lâouest du domaine actuel, approximativement jusquâĂ lâactuelle frontiĂšre roumano-hongroise, dans la rĂ©gion aujourdâhui appelĂ©e Bihar/Bihor. Certaines tribus, et notamment celle dâOnd, sâinstallent dans la rĂ©gion et lâhistoriographie hongroise affirme que les Magyars y restĂšrent majoritaires jusquâau XVIIIe siĂšcle. Les incursions rĂ©pĂ©tĂ©es des Tatars au cours du Moyen Ăge, en 1241 et en 1242), frappent durement la population de la rĂ©gion. Le pays de CÄlata fait partie de la PrincipautĂ© de Transylvanie, Ă©tat tributaire du Royaume de Hongrie jusquâen 1526, puis de lâEmpire ottoman en 1571 et enfin de l'Empire des Habsbourg Ă partir de 1699. De 1764 Ă 1867, la rĂ©gion appartient au Grand-DuchĂ© de Transylvanie, intĂ©grĂ© Ă l'Empire d'Autriche. Payant un lourd tribut aux guerres du prince transylvain François II RĂĄkĂłczi, la population du pays de CÄlata a aussi souffert des Ă©vĂ©nements liĂ©s Ă la rĂ©volution de 1848 et notamment des affrontements entre lâarmĂ©e des « pandoures » des aristocrates et les insurgĂ©s rĂ©volutionnaires dâAvram Iancu.
De 1867 Ă 1919, le pays de CÄlata fait partie de lâAutriche-Hongrie. AprĂšs lâabdication des Habsbourg, au printemps 1919, lâarchitecte et Ă©crivain hongrois KĂĄroly KĂłs, avec dâautres intellectuels du pays de CÄlata et le soutien de 40 000 partisans de la rĂ©publique, proclame Ă Huedin la RĂ©publique de Kalotaszeg[2] - [3] - [4] - [5], mais, au bout de deux jours, les troupes roumaines et françaises occupent la rĂ©gion : un directoire composĂ© du gouvernement hongrois de Gyula KĂĄrolyi et des reprĂ©sentants roumains gouverne alors la Transylvanie, jusquâau traitĂ© de Trianon qui intĂšgre officiellement en 1920 ce pays Ă la « Grande Roumanie ». Ă la suite du Second arbitrage de Vienne, le pays de CÄlata est, en 1940, restituĂ© Ă la Hongrie horthyste avec le reste du Nord-Ouest et de lâEst de la Transylvanie. En 1944 les troupes roumaines et soviĂ©tiques remettent le pays Ă la Roumanie, ce qui sera officialisĂ© au traitĂ© de Paris du 10 fĂ©vrier 1947. Les guerres mondiales et le totalitarisme communiste provoquent des vagues dâexil massif vers la Hongrie, lâAllemagne, lâAutriche et IsraĂ«l. En mĂȘme temps, lâexode rural, intensifiĂ© entre 1990 et 2009, se traduit par un dĂ©placement de populations vers les grandes villes du pays, notamment Cluj et Oradea.
Population
DĂ©mographie et structure ethnique
Linguistiquement, le pays de CÄlata est aujourdâhui une rĂ©gion majoritairement roumanophone, comme toutes les rĂ©gions de Transylvanie en dehors du Pays sicule. Les principales zones roumanophones se situent aux abords des monts Apuseni, autour des localitĂ©s de GilÄu (Gyalu), GĂąrbÄu et dans la vallĂ©e de lâAlmaĆu, tandis que les communautĂ©s de langue hongroise se concentrent autour de Huedin, AghireĆ (Egeres) et Ă proximitĂ© de Cluj. Pratiquant le trilinguisme (roumain, hongrois, romani), des communautĂ©s de langue romani sont prĂ©sentes dans presque toutes les localitĂ©s de la rĂ©gion. Le pays de CÄlata reste une des rares rĂ©gions de Transylvanie Ă peuplement hongrois, qui, sans ĂȘtre majoritaire, reste dense.
Comme ailleurs, la scolarisation (en roumain de 1918 Ă 1940 et depuis 1945) a jouĂ© un rĂŽle essentiel dans le roumanisation de la zone, car de nombreux foyers bilingues sont devenus exclusivement roumanophones. LâexcĂ©dent dĂ©mographique du hinterland mĂ©ridional montagneux des monts Apuseni, roumanophone depuis des siĂšcles, a aussi jouĂ© un rĂŽle, les valaques « descendant » littĂ©ralement de la montagne vers lâaval des vallĂ©es, jadis Ă majoritĂ© hongroise. En fait ce processus de « descente » remonte loin dans lâhistoire et est numĂ©riquement comptabilisĂ© depuis au moins deux siĂšcles. Câest pourquoi en Transylvanie, les noms des montagnes (Pietrosu, GÄina, Codru, PleÈu, CÄpÄÈĂąna, CĂąmpulung...) sont presque tous dâorigine latine, alors que noms slaves et finno-ougriens dominent en aval des vallĂ©es, le long des grands cours dâeau et dans les plaines. EstimĂ©e Ă 32 000 personnes en 1945, la population hongroise du pays de CÄlata tombe Ă 22 654 conformĂ©ment au recensement de 1992. La principale cause de ce phĂ©nomĂšne est le faible dynamisme dĂ©mographique de la population hongroise, et notamment de la paysannerie hongroise du pays de CÄlata, adepte depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations de pratiques malthusiennes liĂ©es Ă la gestion des patrimoines fonciers. En dĂ©pit du grand nombre des mariages mixtes, chaque communautĂ© a sauvegardĂ© ses propres valeurs ethnologiques, tout en respectant les traditions des autres communautĂ©s. Les trois communautĂ©s connaissent et, Ă lâoccasion, pratiquent les danses et les mĂ©lodies traditionnelles des autres communautĂ©s. Les communautĂ©s de langue roumaine, celles de langue hongroise et celles de langue romani cohabitent en bonne entente depuis un millĂ©naire dans la rĂ©gion, ce qui nâest pas toujours le cas ailleurs.
Structure confessionnelle
La population roumanophone du pays de CÄlata est chrĂ©tienne de rite oriental, majoritairement orthodoxe, Ă lâexception des quelques uniates ayant rĂ©sistĂ© Ă la rĂ©pression qui a frappĂ© leur Ă©glise sous le rĂ©gime communiste. Jusquâen 1940, Ă Huedin, une partie importante de la population (20 %) Ă©tait de confession mosaĂŻque, mais le rĂ©gime horthyste hongrois a procĂ©dĂ© Ă leur dĂ©portation vers lâAllemagne nazie, oĂč ils ont Ă©tĂ© exterminĂ©s. Ă lâexception de deux communautĂ©s catholiques romaines (dans les localitĂ©s de Leghia et de Baciu) dont lâimplantation ou la conversion sont relativement rĂ©centes, la population magyarophone du pays de CÄlata est presque intĂ©gralement calviniste depuis la RĂ©forme.
Les droits de la communauté hongroise dans la région
ConformĂ©ment aux recommandations de lâUnion europĂ©enne sur le respect des droits des communautĂ©s ethniques en Europe centrale et orientale, la Roumanie a abandonnĂ©, Ă partir de 2006, sa tradition jacobine, et a introduit, Ă cĂŽtĂ© de la langue roumaine officielle, lâutilisation, dans les localitĂ©s du pays ayant une communautĂ© ethnique dĂ©passant les 20 % de leur population, des langues hongroise, allemande, turque, tatare, serbe, ukrainienne, rom et autres dans la vie publique (cours en langues minoritaires dans lâĂ©ducation nationale, noms des localitĂ©s le long des routes nationales, inscriptions dans les gares, inscriptions publiques commerciales et culturelles, actes de la justice et de lâadministration locale...). Par consĂ©quent, dans plusieurs localitĂ©s du pays de CÄlata (Kalotaszeg-Èara CÄlatei) ont, selon les cas, des inscriptions officielles bilingues.
La renommĂ©e internationale du pays de CÄlata
Du fait quâĂ partir de la RĂ©forme, les pasteurs protestants transylvains avaient fait leurs Ă©tudes thĂ©ologiques dans les centres universitaires des Pays-Bas, de la ConfĂ©dĂ©ration suisse et des principautĂ©s protestantes du Saint-Empire romain germanique, des liens de collaboration privilĂ©giĂ©e et dâentraide ont Ă©tĂ© nouĂ©s depuis le XVIe siĂšcle entre les communautĂ©s protestantes de ces pays et celles du pays de CÄlata. Entre 1907 et 1910, le compositeur BĂ©la BartĂłk avait recueilli plus de cent mĂ©lodies traditionnelles dans la micro-rĂ©gion. Les Ă©tudiants de la langue et de la littĂ©rature hongroises de lâuniversitĂ© de Tokyo et dâOsaka font rĂ©guliĂšrement des stages dâapprentissage de langue et des valeurs traditionnelles hongroises au Kalotaszeg. Depuis lâĂ©tĂ© 2008, lâĂ©crivain alsacien Raoul Weiss sĂ©journe au village de Mera, oĂč il a participĂ© Ă lâorganisation dâun groupe de danse traditionnelle hongroise (tĂĄnchĂĄz). Des chercheurs ethnologues de divers pays (Allemagne, Autriche, RĂ©publique tchĂšque, Slovaquie, Serbie, Ukraine, Italie, Suisse, Pays-Bas, IsraĂ«l, Japon, les Ătats-Unis, Canada, etc.) visitent souvent cette rĂ©gion trĂšs riche en valeurs traditionnelles vivantes.
Bibliographie
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Notes et références
- Par rĂ©fĂ©rence Ă lâalbanais actuel qui prĂ©sente un lexique commun non-latin avec les langues romanes orientales, amenant les linguistes Eqrem Ăabej, Eric Hamp, Georgiev, Kortlandt, Walter Porzig, Sergent et d'autres, Ă conclure que les ancĂȘtres des Albanais ont une origine partiellement dace (plus prĂ©cisĂ©ment carpienne).
- http://www.adatbank.ro/inchtm.php?akod=3086 (hu).
- http://home.hu.inter.net/kortars/0106/kantor.htm (hu).
- http://www.hhrf.org/nepujsag/09maj/9nu0521t.htm (hu).
- http://lexikon.katolikus.hu/K/Kalotaszegi%20K%C3%B6zt%C3%A1rsas%C3%A1g.html (hu).
- http://data.jewishgen.org/wconnect/wc.dll?jg~jgsys~yizkor~lookup_pb~382 (hu).