Objets et biens culturels emportés d'Afrique
Les objets et biens culturels emportĂ©s d'Afrique sont des (ensembles d') Ćuvres et objets du patrimoine africain qui ont Ă©tĂ© emportĂ©s hors de leurs lieux de fabrication.
Ces déplacements, résultats d'achats, de dons, de legs, de trocs, de commandes auprÚs d'artistes et artisans, mais surtout de spoliations, pillages, vols et butins de guerre, ont résulté en une accumulation d'objets du patrimoine africain dans les collections occidentales, principalement colonisatrices : Paris, Londres, Berlin, etc.
Un travail d'identification, de description et des initiatives de restitution est en place concernant ces objets. Ce travail évolue au gré des changements des cadres juridiques entourant les déplacements des éléments des patrimoines. Les volontés politiques, les pressions des opinions et les consciences populaires - sur le décalage entre l'Afrique productrice des objets et l'Occident propriétaire de fait et usufruitier de ces collections - poussent de plus en plus vers des partages de propriétés, des restitutions temporaires voire définitives.
Histoire et contexte
La majoritĂ© des Ćuvres conservĂ©es dans les musĂ©es et collections ethnographiques en Europe ont Ă©tĂ© emportĂ©es des colonies[Sarr/Savoy 1].
« La situation des pays africains, notamment au sud du Sahara, (...). Il y a un constat de dĂ©perdition massive, quantitative et qualitative. Statistiquement, je pense quâon peut dire en faisant la somme des inventaires des musĂ©es nationaux africains, qui tournent autour de 3 ou 5 000 quand câest des grosses collections, que 90 Ă 95 % du patrimoine africain sont Ă lâextĂ©rieur du continent dans les grands musĂ©es[Sarr/Savoy 2]. »
â Alain Godonou[1], conservateur, allocution au « Forum de l'UNESCO sur la mĂ©moire et l'universalitĂ© », 5 fĂ©vrier 2007.
BĂ©nin et Royaume d'Abomey
Empires du Mali
Les Ćuvres (poteries, cĂ©ramiques, textiles...) des Tellem et Dogon.
Le golfe de Guinée, le Cameroun et les peuples alentour
Une répartition simplifiée des aires culturelles du Cameroun divise le pays en 4 grands ensembles spatiaux culturels. Ces aires culturelles enjambent chaque fois les frontiÚres nationales héritées du découpage arbitraire de la colonisation. Elles sont :
- Les peuples des savanes du grand nord camerounais ; incluant le royaume de Adamawa qui s'Ă©tend au Nigeria.
- Les peuples de la forĂȘt essentiellement pygmĂ©es et bantous qu'on retrouve en GuinĂ©e-Ăquatoriale, au Gabon, Congo-Brazzaville et sud ouest de la rĂ©publique de Centrafrique[3].
- Les peuples de la cĂŽte regroupant la grande famille des Sawa.
- Les peuples de montagnes de l'ouest et du grassfield comprenant les Bamiléké, Bamouns, Tikar, peuples de la région du Nord-ouest ayant des similarité culturelles et des objets artistiques communs avec les Igbos du Nigeria.
De nombreux masques, statues, objets du quotidien et objets sacrés observés dans les collections occidentales et originaires de cette zone géographique sont essentiellement issus des peuples des montagnes. En effet, les grasfields ont - avant l'arrivée des colons et l'essor des musées européens - développé une production abondante d'objets sculptés sur bois[alpha 1], métaux, fibres et textiles. Foumban, dans le pays Bamoun est ainsi la capitale culturelle du Cameroun. Les musées et collections allemandes et françaises (puissances d'occupation) contiennent beaucoup de piÚces originales « des céramistes, des sculpteurs et des fondeurs de la "prairie" »[Perrois/Notué 2] - [4] et du grassfield de l'ouest camerounais.
Dans le grand nord s'est développé une maßtrise des techniques artistiques et architecturales qu'on retrouve dans les maisons obus et l'habitat typique.
Transfert de propriĂ©tĂ© et emports des Ćuvres
Par la force, le pillage, le sac, la spoliation, le consentement forcé
Les raids militaires et les expéditions punitives de la seconde moitié du XIXe siÚcle et du début du XXe permettent aux puissances coloniales de réaliser des prises conséquentes d'objets et de biens du patrimoine culturel africain[Sarr/Savoy 3].
Du temps de l'Ătat indĂ©pendant du Congo, certains objets sont acquis par pillage, prise dâotages ou profanation[5], des mĂ©thodes reconnues aujourd'hui comme illĂ©gales[5].
Le pillage des Ćuvres d'art du royaume d'Abomey a Ă©tĂ© flagrant[6]. Il a Ă©tĂ© effectuĂ© par le colonel français Alfred AmĂ©dĂ©e Dodds en 1892[Sarr/Savoy 4]. L'incendie et le sac de la ville de Hickory Town â aujourd'hui BonabĂ©ri, sur la rive droite du Wouri â Ă Douala au Cameroun, a donnĂ© lieu au pillage des biens culturels de la communautĂ© Bell chez les Sawa[7]. En effet, le , Ă bord du bateau de guerre « Olga », pour anĂ©antir les chef des BonabĂ©ri qui lui est insoumis, Max Buchner lance des grenades sur Hickory Town (BonabĂ©ri)[8]. AprĂšs des manĆuvres Ă terre, le palais de Lock Priso (Kumâa Mbape) est mis Ă sac et incendiĂ©. Avant l'incendie, Max Buchner demande Ă ses soldats de le laisser inspecter les maisons du palais Ă la recherche de curiositĂ©s ethnographiques. Le TanguĂ© de Lock Priso Bell est son butin le plus prĂ©cieux. Cette grande sculpture, proue princiĂšre de la pirogue de Lock Priso, est envoyĂ© Ă Munich[9]. Le prince Kuma DumbĂš milite pour la restitution Ă travers l'association AfricAvenir[10]. Le chute de Magdala le en Ăthiopie devant les forces britanniques donne lieu au pillage d'objets et biens patrimoniaux.
Par la ruse, les vols et divers trafics
Le masque de Makonbe exposé au musée suisse avait été volé en Tanzanie en 1984[11] - [12]. Il appartient depuis à un collectionneur parisien.
Une bible et un fouet ayant appartenu à Hendrik Witbooi, héros du peuple nama, ont été volés par des Allemands en 1893, à l'époque coloniale[13].
Par les échanges, les achats, dons et gestes d'hospitalité
Des ethnologues ont aussi collecté des objets vendus ou achetés et le prétexte de l'étude a été abondamment utilisé pour prélever des objets[14].
Collections privées
Deux anciennes collectionneurs europĂ©ens ont possĂ©dĂ© des Ćuvres considĂ©rĂ©es comme volĂ©es depuis environ 130 ans, trente-sept rĂ©cades[alpha 2] anciennes, des sabres et six objets royaux et de culte fon[15] - [16]. Il s'agit d'Alfred Testard de Marans (1860-1890), chargĂ© de la direction du service administratif lors de lâorganisation de lâexpĂ©dition du Dahomey en 1890, ainsi que lâabbĂ© Le Gardinier, missionnaire colonial[17], curĂ© de Tastot, qui sâĂ©tait vu lĂ©guer un petit ensemble par un officier ayant participĂ©[18]. Un collectif de galĂ©ristes les a acquis lors d'une vente aux enchĂšres Ă Nantes[15]. RestituĂ©s au BĂ©nin, ils constituent aujourd'hui un des fonds du Petit MusĂ©e de la RĂ©cade Ă Cotonou.
Ămile Pierre Joseph Storms a rapportĂ© de nombreux objets et artefacts en Belgique, y compris des restes humains, comme le crĂąne du chef Lusinga quand il est revenu de la quatriĂšme expĂ©dition de l'Association internationale africaine, crĂ©Ă©e sous l'impulsion de LĂ©opold II pour explorer et conquĂ©rir le territoire qui deviendra en 1885 l'Ătat indĂ©pendant du Congo[19].
« Nous vous approuvons de consacrer vos loisirs Ă la formation de collections dâhistoire naturelle. Ne vous pressez pas dâexpĂ©dier en Europe vos Ă©chantillons. (âŠ) Ne manquez pas non plus de recueillir quelques crĂąnes de nĂšgres indigĂšnes si vous le pouvez sans froisser les sentiments superstitieux de vos gens. Choisissez autant que possible les crĂąnes dâindividus appartenant Ă une race bien tranchĂ©e, et dont le caractĂšre nâa pas subi de modifications physiques par suite de croisements. Notez soigneusement le lieu dâorigine des sujets, ainsi que leur Ăąge quand cela est possible. »
â Maximilien Strauch, proche conseiller de LĂ©opold II, Ă©crit le 20 juillet 1883 Ă Ămile Pierre Joseph Storms
Ces crĂąnes, ramenĂ©s en Belgique par le lieutenant en 1884, avec des dizaines dâautres objets dont des statuettes en bois et aprĂšs un Ă©pisode sanglant de la conquĂȘte coloniale dans la rĂ©gion du lac Tanganika, sont ceux de trois chefs de village dĂ©capitĂ©s et exhibĂ©s pour terroriser les rĂ©sistants. Storms conserve ces restes quâil ramene ensuite.
Ces restes ont Ă©tĂ© donnĂ©s Ă lâanthropologue Ămile HouzĂ©, qui a Ă©crit un traitĂ© sur le sujet dans lequel il a vu la «âŻdĂ©gĂ©nĂ©rescenceâŻÂ» dans le crĂąne[20]. Cette collection, conservĂ©e aux musĂ©e royal de l'Afrique centrale de Tervuren et MusĂ©um des sciences naturelles, est depuis lors sur la liste des objets pouvant ĂȘtre restituĂ©s. En 2018, une enquĂȘte journalistique dĂ©nonçait la prĂ©sence de ces objets ramenĂ©s dans le cadre de conquĂȘtes violentes et de pillages[21]. Cette enquĂȘte cite l'ordre donnĂ© au militaire concernant la constitution d'une collection de butins anthropologique.
Collections publiques
Les collections publiques françaises comptent au moins 90 000 objets provenant de l'Afrique noire[Sarr/Savoy 5]. Le musée du Quai Branly à Paris dispose de la plus grande collection d'arts premiers[6] avec 70 000 piÚces. En France, il est la référence en matiÚre ethnographique[22]. PrÚs de 20 000 autres objets sont dans les autres musées français[Sarr/Savoy 5].
Outre les musĂ©es, les bibliothĂšques sont les autres grands bĂ©nĂ©ficiaires des partitions des ensembles culturels quelques fois originaires des mĂȘmes lieux. Tandis que les objets allaient aux musĂ©es, les livres, manuscrits, archives, et autres documents sonores, photo, cinĂ©matographiques rĂ©alisĂ©s du temps des colonies se sont retrouvĂ©s dans des bibliothĂšques[Sarr/Savoy 5].
Le Forum Humboldt de Berlin possĂšde 75 000 piĂšces d'origine africaine[22] et le British Museum 69 000 piĂšces[22].
D'importantes collections d'Afrique constituent le fond de l'AfricaMuseum à Bruxelles (anciennement MRAC)[22], qui contiendrait 120 000 objets ethnographiques estimés expropriés[23].
En 2020, le MRAC [alpha 3] se lance dans un inventaire et la mise en ligne de toutes ses collections ethnographiques et archives. Ces collections comprennent, avec celles du musĂ©e du quai Branly, des dizaines de milliers d'Ćuvres considĂ©rĂ©es comme expropriĂ©es[5].
Quelques objets et Ćuvres collectionnĂ©s hors d'Afrique
Selon Le Monde, la collection de crùnes du musée de l'Homme s'élÚve à 18 000 spécimens conservés dans des cartons[25].
« Les tĂȘtes coupĂ©es â trophĂ©es de guerre ou « Ă©lĂ©ments scientifiques » â rĂ©coltĂ©es dans les « colonies » peuplent les musĂ©es europĂ©ens.
ConservĂ© dans les collections du MusĂ©e de lâhomme, Ă Paris, le crĂąne du cheikh Bouziane fait partie des vingt-quatre restes mortuaires que la France restitue, ce vendredi 3 juillet [2020], Ă lâAlgĂ©rie »
Aujourd'hui
Il est difficile de sourcer l'évolution du questionnement sur la restitution des objets et biens culturels africains pillés[26]. Les actions d'éclat, les allusions dans les films comme Black Panther et autres initiatives médiatisées démocratisent les interrogations sur le sort des biens culturels africains parsemés dans les musées à l'étranger[26]. En Allemagne et au Canada, les musées sont déjà avancés dans les réflexions sur l'avenir des biens pillés. Au Royaume-Uni, en France et en Belgique, il y a procrastination sur le sujet[26].
Consciences populaires et montées des opinions publiques
L'opinion publique se mĂȘle de plus en plus de la question de la prĂ©sence des Ćuvres emportĂ©es d'Afrique et conservĂ©es dans les musĂ©es occidentaux. La restitution n'est plus une affaire rĂ©servĂ©e Ă quelques privilĂ©giĂ©s. Internet favorisant la communication, des messages Ă©changĂ©s sur des plates-formes de rĂ©seaux sociaux, des films, documentaires, chansons... abondent en Afrique et dans ses diasporas[Sarr/Savoy 6]. De l'autre cĂŽtĂ©, un lobby anti-restitution s'est mis en place pour maintenir la situation actuelle des collections inchangĂ©e[27].
Achille Mbembe estime dans Les nouvelles relations Afrique - France en octobre 2021 que :
« Les demandes en faveur dâun accĂšs universel aux chefs-dâĆuvre de lâhumanitĂ© et du retour des biens culturels dans leur pays dâorigine ne cesseront de se multiplier dans les annĂ©es qui viennent. Ces demandes et revendications porteront sur les Ćuvres et objets dont lâacquisition sâest faite dâune maniĂšre qui, du point de vue Ă©thique, nâest dĂ©fendable ni hier, ni aujourdâhui. Leur dimension internationale ira croissante. Il nâest pas certain que sur le plan international, les mĂ©canismes juridiques existants suffisent Ă les prendre en charge, encore moins Ă y apporter satisfaction ou Ă concilier les attentes contradictoires que suscitent ces demandes. »
Des initiatives telles celles du CRAN, de Alter Natives, de Kwame Opuku ou encore du prince Kuma DumbÚ à travers l'association AfricAvenir[10], militent pour la restitution[Sarr/Savoy 7]. En 2017, la Documenta, grand rendez-vous de l'art contemporain à Cassel en Allemagne, a donné une place clé au thÚme de la restitution[Sarr/Savoy 8].
Sous la pression de l'opinion, des musées à Berlin ont reconnu qu'une partie de leurs collections provenait de pillages militaires[Sarr/Savoy 9].
Au BĂ©nin, la fondation de Marie-CĂ©cile Zinsou se mobilise pour la restitution via les jeunes et les rĂ©seaux sociaux. Ă Berlin, l'association No Humboldt 21 fĂ©dĂšre les personnes qui rĂ©clament la restitution des restes humains et biens culturels africains. Ă l'universitĂ© de Cambridge, un groupe de jeunes s'engagent pour la restitution des Ćuvres faisant partie du patrimoine culturel africain[Sarr/Savoy 10]. La demande de restitution des biens pillĂ©s Ă Magdala en Ăthiopie a permis le retour de 10 Ćuvres mais 468 autres objets sont encore rĂ©clamĂ©s par l'Afromet.
à l'inauguration de l'AfricaMuséum à Bruxelles[23], le , le président de la RDC déclare :
« C'est une chose de demander la restitution des objets, c'en est une autre de les conserver correctement. L'idée est donc là , mais il faut le faire progressivement. C'est un héritage congolais, donc un jour il faudra bien qu'il nous revienne, mais il faut que cela se fasse de maniÚre organisée[23] »
Pour Boris Wastiau, la cause est d'ailleurs entendue :
« Dans les années qui viennent, se posera de plus en plus la question de la propriété des biens culturels. Par exemple, des représentants des peuples amérindiens viendront tÎt ou tard nous demander de restituer certains objets issus des collections du Musée d'ethnographie de GenÚve et nous collaborerons ouvertement avec eux. Dans cette perspective, je considÚre les musées comme les détenteurs provisoires de leur collections[28]. »
â Boris Wastiau, directeur du MusĂ©e d'ethnographie de GenĂšve.
Sur plusieurs médias, en réaction aux déclarations d'Emmanuel Macron, le président du musée du quai Branly souligne que :
« â [on ne] peut avoir un continent privĂ© Ă ce point des tĂ©moignages de son passĂ© et de son gĂ©nie plastique
â [la situation] nâa pas vocation Ă durer
â le destin de ces piĂšces passera certainement par le retour dâune partie dâentre elles[29] - [Sarr/Savoy 11]. »
â StĂ©phane Martin, prĂ©sident du musĂ©e du quai Branly
Réclamations : éléments de chronologie
Des pays comme l'Ăthiopie et le Nigeria rĂ©clament depuis le dĂ©but du XXIe siĂšcle le retour d'objets disparus pendant la colonisation. La plupart de ces rĂ©clamations sont passĂ©es sous silence en Occident[Sarr/Savoy 12].
- 1940 : demande de restitution des restes de la VĂ©nus hottentote.
- 2006 : le musée de Tanzanie réclame un masque Makombe, volé, avec 16 autres artefacts, au musée national de Tanzanie.
- : AurĂ©lien AgbĂ©nonci, le ministre bĂ©ninois des Affaires Ă©trangĂšres et de la CoopĂ©ration, demande, dans une lettre officielle, la restitution des statues et des insignes emportĂ©s lors du sac des palais d'Abomey en 1892 par le colonel français Alfred AmĂ©dĂ©e Dodds. Cette collection fĂ»t par la suite offerte au musĂ©e dâethnographie du TrocadĂ©ro, et puis a intĂ©grĂ© le musĂ©e du quai Branly. Le gouvernement français refuse la rĂ©trocession le au nom du principe dâinaliĂ©nabilitĂ©[Sarr/Savoy 4].
- DĂ©but , en France, des responsables des musĂ©es dĂ©tenant des collections dâobjets africains se sont montrĂ©s ouverts Ă coopĂ©rer aux dĂ©marches de restitution.
Conditions et cadres juridiques
Sur le plan juridique, les pays protĂšgent les collections de leurs musĂ©es par les principes d'inaliĂ©nabilitĂ© de propriĂ©tĂ©[6] et d'appartenance au patrimoine national[22]. La dĂ©cision de restitution ne pouvant dĂšs lors ĂȘtre prise que par les gouvernements oĂč les parlements[5]. En 2021, seules quelques lois ont apportĂ© des dĂ©rogations Ă ce principe et ouvert la voie Ă des restitutions[6]. En Belgique, il n'existe aucun cadre juridique pour la restitution. Des initiatives ont Ă©tĂ© prises et une commission parlementaire consacrĂ©e au passĂ© colonial a Ă©tĂ© mise en place pour Ă©laborer des critĂšres mais des suites concrĂštes restent attendues[5]. Des lois sont Ă©laborĂ©s dans certains pays (Suisse[30], etc.) et encadrent la restitution des biens[31].
En France, Emmanuel Macron va Ă l'encontre des dĂ©cisions de ses prĂ©dĂ©cesseurs, quand il met en Ćuvre un programme de restituions suivant le rapport Sarr et Savoy[32] - [14]. Dans les lettres de mission adressĂ©e Ă Felwine Sarr et BĂ©nĂ©dicte Savoy[Sarr/Savoy 13], Emmanuel Macron Ă©voque des restitutions temporaires pour augmenter la circulation des Ćuvres, mais il mentionne aussi une modification pĂ©renne des inventaires pour des restitutions dĂ©finitives[33]. La lettre reprend le mot restitution 3 fois. Excluant ainsi les querelles, doutes et interprĂ©tations sur les possibilitĂ©s dĂ©sormais ouvertes de transfert de propriĂ©tĂ©[Sarr/Savoy 14].
Une convention de l'UNESCO sur « lâimportation, lâexportation et le transfert illicites des biens culturels », adoptĂ©e en 1970, ouvre la voie Ă des restitutions dâobjets mis rĂ©cemment en circulation. Vers la fin des annĂ©es 1970, l'UNESCO rĂ©alise un formulaire type de demandes de retour et de restitution[Sarr/Savoy 15].
Non rétroactive, ratifiée en 1997 par la France et 2009 par la Belgique, elle ne couvre pas les objets récoltés durant la période coloniale, pourtant ponctuée de nombreux épisodes violents. Les piÚces maßtresses pillées durant les campagnes militaires restent donc intouchables.
Il y a alors deux options :
- Les prĂȘts Ă long terme ou des « restitutions » sous formes numĂ©riques[5], dĂ©cidĂ©s par les conservateurs entre musĂ©es. Cette option arrange les dĂ©tenteurs actuels des collections[22].
- L'Ă©tablissement aprĂšs inventaire de l'origine africaine de l'Ćuvre[alpha 4]. Cette option - non privilĂ©giĂ© par les collectionneurs occidentaux[alpha 5] - donne des arguments aux pays africains pour la mise en place d'une demande de restitution.
Restitutions réalisées
- Restitution de la dépouille de Saartjie Baartman, dite Vénus Hottentote, à l'Afrique du Sud en 2002[34].
- L'obĂ©lisque d'Aksoum (Ăthiopie) en 2008[35].
- En 2015, 26 biens culturels archĂ©ologiques restituĂ©s par la Suisse Ă lâambassade d'Ăgypte Ă Berne[32].
- Masque makondé (Tanzanie) restitué / donné[32] par le musée Barbier-Mueller, à GenÚve le aprÚs une plainte de la Tanzanie à l'UNESCO en 2006, plainte désormais retirée[36] - [37] - [38] - [39] - [40].
- Les récades du royaume d'Abomey (initiative spontanée de restitution par des collectionneurs privés)[41].
- Le sabre dâEl Hadj Oumar Tall[6]. En dĂ©cembre 2020, le Parlement vote une loi autorisant la restitution du sabre et de son fourreau au SĂ©nĂ©gal[42], le faisant de fait sortir des collections du musĂ©e de l'ArmĂ©e[43].
- 19 crùnes et des ossements des tribus Herero et Nama sont restitués le par l'Allemagne à la Namibie. Ces objets ont été emportés lors du massacre des Héréros et des Namas en 1904, ce que les historiens considÚrent comme le premier génocide du XXe siÚcle. C'est la troisiÚme restitution aprÚs celles de 2011 et 2016[44] - [45] - [46]. Les objets proviennent de la collection anthropologique de la clinique universitaire berlinoise de la Charité[47] - [48].
- Le , Sindika Dokolo restitue Ă travers sa fondation 6 Ćuvres volĂ©es au peuple ChokwĂ© pendant la guerre civile d'Angola, que sa fondation avait rachetĂ©.
- La bible et le fouet d'Hendrik Witbooi ont été restitués par l'Allemagne à la Namibie le [13].
- En 2014 et 2019[49], Mark Walker, un héritier du butin de l'expédition militaire de 1897 à Benin City au Nigéria[50], restitue des biens saisis par son grand pÚre Herbert[51] - [52].
- En 2020, La France restitue les crùnes de résistants commandés par Ahmed Bouziane, décapités en Algérie en 1849 et exposés à Paris[25]
- Le , l'Allemagne accepte la restitution de bronzes du BĂ©nin pillĂ©s en 1897[53]. En dĂ©cembre 2022, Annalena Baerbock et Claudia Roth, respectivement ministres allemandes des Affaires Ă©trangĂšres et de la Culture, se rendent Ă Abuja, la capitale nigĂ©riane, pour remettre 23 des bronzes, Ă©tant entendu qu'ils seraient exposĂ©s dans un nouveau musĂ©e[54]. L'Allemagne a Ă©galement officiellement transfĂ©rĂ© la propriĂ©tĂ© de plus d'un millier d'autres trĂ©sors du BĂ©nin Ă l'Ătat nigĂ©rian, mĂȘme si certains resteront en prĂȘt et d'autres voyageront dans des expositions.
- Or, au lieu de placer les bronzes dans un musĂ©e, le prĂ©sident Muhammadu Buhari les a transmis Ă EwuarĂ© II, l'Oba, ou roi du BĂ©nin, qui dĂ©terminera dĂ©sormais leur sort[54]. Ainsi, le groupe de bronzes du BĂ©nin que l'Allemagne a restituĂ©s au Nigeria a disparu dans une collection privĂ©e au lieu d'ĂȘtre exposĂ© dans un musĂ©e comme promis, incitant certains observateurs Ă qualifier la restitution de « fiasco »[54]. Brigitta Hauser-SchĂ€ublin, professeur Ă©mĂ©rite d'anthropologie Ă l'universitĂ© de Göttingen, remarque dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Ce que les politiciens considĂ©raient comme le retour du patrimoine culturel Ă la "nation nigĂ©riane" s'est plutĂŽt transformĂ© en un cadeau Ă une seule famille royale ». Le British Museum et d'autres institutions de Londres ont jusqu'Ă prĂ©sent rĂ©sistĂ© aux pressions pour renoncer Ă leurs bronzes bĂ©ninois sont susceptibles de prendre note de ce prĂ©cĂ©dent[54].
Restitutions (partiellement) réalisées
- 10 Ćuvres sont restituĂ©es mais 468 autres objets pillĂ©s en 1868 en Ăthiopie par les forces britanniques sont encore rĂ©clamĂ©es par l'Afromet.
- Jan Baptist Bedaux, collectionneur néerlandais, (lié à Rogier Michiel Alphons Bedaux) propose de restituer 650 piÚces d'objets Tellem et Dogon au musée de Bamako au Mali[Sarr/Savoy 16].
- Le collectionneur Joe Mulholland et sa famille Ă Glasgow souhaitent restituer environ 100 piĂšces au Mali.
Restitution en cours
Restitution au BĂ©nin par la France
En 7 jours, 15 000 personnes - plus qu'en un an - visitent la collection d'objets qui quittera la France pour ĂȘtre restituĂ©e[56].
Restitutions par l'AfricaMuseum
Le , le conseil de direction de l'AfricaMuseum Ă Bruxelles communique sur le fait qu'il adopte une approche ouverte et constructive sur la restitution du patrimoine culturel africain[5]. Il affirme qu'« il n'est pas normal qu'une partie aussi importante du patrimoine culturel africain se trouve en Occident, alors que les pays d'origine en sont en fait les propriĂ©taires moraux » et reconnaĂźt que ces « collections ont Ă©tĂ© en partie acquises au cours de la pĂ©riode coloniale dans le contexte dâune politique dâinĂ©galitĂ© lĂ©gale : les gens Ă©taient forcĂ©s ou mis sous pression pour abandonner des objets, ils Ă©taient trop faibles pour nĂ©gocier le prix quand ils voulaient vendre des objets »[5].
Ćuvres interdites de restitution
Lois de l'inaliĂ©nabilitĂ© des Ćuvres (le parlement français Ă©met chaque annĂ©e des dizaines)[6]. De nombreuses Ćuvres venant de collections privĂ©es prĂȘtĂ©es pour expo au quai Branly sont protĂ©gĂ©es par ces lois.
Le droit ne prend en compte des prises de guerre qu'à partir de 1899 avec la premiÚre conférence de La Haye. Tout objet pillé avant cette date est considéré comme inaliénable[22].
Musées africains impliqués dans les processus de restitutions
Le musée des Civilisations noires au Sénégal est l'un des plus vastes, financé par la Chine, avec une capacité d'accueil de 18 000 piÚces.
Le musée national de Kinshasa au Congo est récent et construit par une coopération sud-coréenne.
Critique
L'historien de l'art africain Bertrand Goy rappelle que l'extrĂȘme majoritĂ© des Ćuvres arrivĂ©es en Europe ne sont pas issues de pillage mais de commerce (Ă une Ă©poque oĂč personne n'imaginait qu'elles auraient un jour une forte valeur marchande), alors que de nombreux conservateurs de musĂ©e rappellent que les vols artistiques ont aussi Ă©tĂ© internes Ă l'Afrique, sans provoquer les mĂȘmes dĂ©bats entre musĂ©es du continent. Les trĂšs mauvaises conditions de conservation dans certains musĂ©es africains sont enfin pointĂ©es du doigt, tout comme le prĂ©cĂ©dent du musĂ©e royal de l'Afrique centrale de Tervuren en Belgique, qui avait restituĂ© 114 Ćuvres au Congo dans les annĂ©es 1970-1980[57], dont il ne reste que 21 exemplaires en 2018, la plupart ayant Ă©tĂ© depuis volĂ©es ou revendues dans l'illĂ©galitĂ©[58].
Notes et références
Notes
- Masques bovidĂ©s et figurations de tĂȘte de buffle sont largement produits autour de Bandjoun et associĂ©s aux danses et rites agraires, funĂ©raires et initiatiques de la SociĂ©tĂ© Mepfeli[Perrois/NotuĂ© 1].
- Une récade (ou makpo) - dérivé du portugais recado (« message » ou « commission ») - est un sceptre royal de l'ancien royaume du DanhomÚ, en forme de crosse ou de hache. C'est un symbole d'autorité du souverain, également bùton de commandement remis au messager pour garantir à son destinataire l'authenticité du message royal.
- MRAC : Musée royal d'Afrique centrale
Rouvert en dĂ©cembre 2020 aprĂšs 5 ans de travaux l'ex-musĂ©e de Tervuren, ex-MusĂ©e royal dâAfrique centrale est dĂ©sormais rebaptisĂ© « Africa MusĂ©um »[24]. - Le MRAC a mis en place des programmes et des Ă©quipes comprenant des scientifiques africains pour Ă©tablir provenance de ses collections.
- Le MRAC circonscrit fortement les possibilités de restitution :
- aux objets ayant une grande valeur symbolique pour les pays concernés.
- aux demandes de restitutions pertinentes et formelles, venant d'autorités reconnues
- Ă une Ă©tude approfondie sur le processus d'acquisition des Ćuvres
- au un groupe de travail composé d'experts
- au rapport et conseils de ce groupe de travail au ministre compétent et sur la demande spécifique
Références
- « Alain Godounou », sur Zama Paris 2019, (consulté le )
- « Les récades », sur www.epa-prema.net (consulté le )
- Franck Beuvier, « CrĂ©ation et tradition. Histoire dâune idĂ©ologie de lâart au Cameroun », Gradhiva. Revue d'anthropologie et d'histoire des arts, no 24,â , p. 136â163 (ISSN 0764-8928, DOI 10.4000/gradhiva.3281, lire en ligne, consultĂ© le )
- https://www-jstor-org.wikipedialibrary.idm.oclc.org/stable/pdf/27911561.pdf?ab_segments=0%2Fbasic_search_gsv2%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3Ab05a567276dbb922fab1b65918844ed7
- « Politique de restitution du MusĂ©e royal de lâAfrique centrale | MusĂ©e royal de l'Afrique centrale - Tervuren - Belgique », sur www.africamuseum.be (consultĂ© le )
- « Un projet de loi sur la restitution dĂ©finitive dâĆuvres dâart Ă lâAfrique examinĂ© en conseil des ministres », Le Monde.fr,â (lire en ligne, consultĂ© le )
- https://www.ethnologie.uni-muenchen.de/forschung/publikationen/studien/17_heuermann_schiffsschnabel.pdf
- (en) « DĂ©claration Solennelle Sur Le TanguĂ© De Kumâa Mbape Bell (Lock Priso) - AfricAvenir International », sur www.africavenir.org (consultĂ© le )
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Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
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- Rogier Michiel Alphons Bedaux et A. G. Lange, «Tellem, reconnaissance archĂ©ologique d'une culture de l'Ouest africain au Moyen Ăge : la poterie», in Journal des Africanistes, 53 (1-2), 1983, p. 5-59 : en libre accĂšs sur PersĂ©e .
Liens externes
Vidéo externe | |
https://www.youtube.com/watch?v=OnfkwnJt2lk |
- www.lusingatabwa.com (blog initié par le journaliste de Paris Match sur la restitution des cranes des chefs congolais décapité et se trouvant dans les musées publics en Belgique)