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Microtravail

Le microtravail (ou micro-travail), appelé aussi travail au clic ou microtasking (microtâche), désigne une pratique de travail à la tâche. Il est surtout caractérisé, selon certains chercheurs, par l’extrême parcellisation et standardisation du travail en microtâches numériques[1] et par un intense détachement en termes physiques, administratifs et temporels du travail comme l'on l'entend dans le sens commun[2], au point que le théoricien Vili Lehdonvirta, un de ses majeurs définiteurs, le rapproche à un héritier du taylorisme du XIXe siècle en ce que, de même que celui-ci avait réduit le travail industriel en micro-unités, le microtravail est défini par une réduction minimale du travail de l'information en micro-unités[3].

En effet, le taylorisme est une théorie d’organisation du travail développée par F. W. Taylor (1856-1915) dans l’ouvrage « La Direction scientifique des entreprises » publié en 1911. Selon cet auteur, il faut améliorer la productivité des ouvriers en luttant contre leur flânerie. Il développe ainsi une méthode en trois axes. Ces trois éléments se retrouvent au sein des modalités de mise en œuvre du microtravail :

  • il y a tout d’abord une division horizontale du travail qui est cette parcellisation des tâches de travail Ă©lĂ©mentaires et basiques ;
  • ensuite il dĂ©veloppe une division verticale du travail c’est-Ă -dire une sĂ©paration stricte entre le travail de conception et le travail d’exĂ©cution. Un bureau spĂ©cifique de conception dĂ©veloppe l’organisation de l’exĂ©cutif ;
  • enfin, un salaire au rendement permettant un contrĂ´le de temps d’exĂ©cution des tâches afin que celles-ci soient exĂ©cutĂ©es le plus rapidement possible. Le microtravail s’inscrit dans une forme numĂ©rique du taylorisme que l’on peut qualifier de nĂ©otaylorisme ou taylorisme new age[4] Ă  la suite de la rĂ©volution numĂ©rique[5].

C'est en fait une pratique qui s'est dĂ©veloppĂ©e notamment Ă  travers la plateforme Amazon Mechanical Turk (MTurk) Ă  partir de 2005[6]. Cette plateforme est dĂ©finie comme une marketplace oĂą l'on peut s'inscrire pour travailler en exĂ©cutant des microtâches Ă  la demande ou, en langage technique, de HITs (Human intelligence tasks)[1], tels que rĂ©diger de courts commentaires, cliquer, regarder des vidĂ©os ou des photos, effectuer une prĂ©sentation PowerPoint, traduire un texte, donner de la visibilitĂ© Ă  un site Web, crĂ©er des playlists musicales, tagguer des images ou reconnaitre des visages ou des objets dans les photos[1] - [7]. Pratiques qui peuvent ĂŞtre Ă©galement  mises en place par des utilisateurs non rĂ©munĂ©rĂ©s. C’est lĂ  que se trouve un lien avec des plateformes de production participative (crowdsourcing) dĂ©veloppĂ©es dans les annĂ©es 2000 reposant sur une Ă©conomie de la gratuitĂ©[8].

À la différence des plateformes de production participative (crowdsourcing) développées dans les années 2000 et qui proposaient des tâches requérant un haut niveau de savoir-faire et de compétences, les plateformes de microtravail font appel à une « main d'œuvre » non qualifiée en mesure d'exécuter des microtâches finalement très simples[9] - [3]. Ainsi, le microtravail se configure essentiellement, comme l'affirment le sociologue Antonio Casilli et d'autres, en tant qu'un « centre d'élevage d'algorithmes »[9] - : les microtâches exécutées sur ces plateformes ont pour premier but d'affiner la capacité d'élaboration des algorithmes, de les entrainer, voire d'apprendre aux machines à faire le travail à la place de l'homme. Ce cycle d'apprentissage supervisé est utilisé dans les applications d'intelligence artificielle utilisant des grandes bases de données(données massives ie Big data et apprentissage profond ie Deep learning).

Aux microtâches s'appliquent des micropaiements : certaines sont payĂ©es en centimes de dollars, un ou deux dollars pour les plus Ă©laborĂ©es. L'institut amĂ©ricain Pew Research Center estime que les deux tiers des tâches proposĂ©es sur MTurk sont rĂ©munĂ©rĂ©es moins de 10 centimes[10] et la moyenne horaire de salaire Ă©tait Ă©valuĂ©e par des chercheurs Ă  1,38 dollar/heure en 2010[11], ce qui est très peu pour un travailleur amĂ©ricain, mais beaucoup pour l'Inde oĂą le salaire minimum est de moins de deux euros par jour[12].

Selon une Ă©tude de la Banque mondiale de 2013, il y aurait plus d’une centaine de plateformes de microtravail dans le monde, comptabilisant autour d'un million d’inscrits[13] - [10]. Selon ces plateformes elles-mĂŞmes[14], la somme des effectifs dĂ©clarĂ© dĂ©passerait en 2017 les 100 millions de travailleurs dans le monde[15]. Une Ă©tude menĂ©e en 2019 estime qu’il y aurait près de 260 000 microtravailleurs en France[16]. Pour d’autres chercheurs, ce chiffre est exagĂ©rĂ© et ils estiment plutĂ´t aux alentours de 52 000 les microtravailleurs rĂ©guliers[17]. Les femmes reprĂ©sentent 56,1% d’entre eux selon un questionnaire de la plateforme Foule Factory ( plateforme de microtravail recrutant exclusivement en France). Celui-ci rapporterait en moyenne 21 euros par mois  aux micro-travailleurs[16].

Plateformes de microtravail

Si le géant Mechanical Turk emploie des microtâcheurs à l’échelle internationale, il est à noter qu’il n’en emploie pas en France. En effet, si la plateforme est ouverte aux clients potentiels français , elle n’est pas encore ouverte à d’éventuels microtâcheurs du pays.

Dans son étude sur la plateforme Foule Factory[18], Pauline Barraud de Lagerie évoque la difficulté de la plateforme à trouver des clients en France. L’un de ses grands enjeux est de modifier le business-model français actuel. En effet, les entreprises recourent depuis des années à la sous-traitance dans des pays tels que l’Inde ou Madagascar par exemple, pour effectuer des tâches qui pourraient être réalisées sur la base du crowdsourcing. Foule Factory ne peut fournir encore aujourd’hui du travail à tous les candidats.

Une Ă©mission transmise en 2015[18] sur une grande chaĂ®ne de tĂ©lĂ©vision française avait rĂ©vĂ©lĂ© l’intĂ©rĂŞt que cette nouvelle forme d’organisation du travail suscitait chez les personnes. Ă€ la suite de la diffusion de l’émission, 10 000 candidats avaient alors postulĂ© chez Foule Factory.

Microtravail : nouvelle forme d'organisation du travail

Une étude révèle que les personnes qui travaillent pour ces plateformes le font à 44,93 % pour des raisons économiques et à 29,41 % pour la flexibilité dans l’emploi du temps[19].

Une flexibilité plébiscitée

Aussi bien les plateformes, que les entreprises clientes qui font appellent Ă  celles-ci, ou encore les microtravailleurs mettent en avant le fait que le microtravail permet une flexibilitĂ© dans le travail. Un mĂŞme travail est dĂ©coupĂ© en  une multitude de microtâches qui pourront ĂŞtre effectuĂ©es de manière plus rapide car elles seront rĂ©alisĂ©es avec une cadence de traitement accĂ©lĂ©rĂ©e et moins “stressante” pour les travailleurs. En effet, l’intĂ©rĂŞt du travail puise son effectivitĂ© dans la rapiditĂ© Ă  laquelle il est effectuĂ©. Grâce Ă  l’ensemble des microtâcheurs, l’ensemble du travail est rĂ©alisĂ© en un temps record; on peut quasiment parler d’un travail rĂ©munĂ©rĂ© Ă  la seconde. Les plateformes Ă©voquent l’idĂ©e que cette organisation du travail Ă©vite l’effet “burn-out”[8].

Trois catégories de microtâcheurs peuvent être distinguées.Tout d’abord, ceux qui travaillent à des moments où ils sont en pause (dans le cadre de leur emploi principal) ou à un arrêt de bus ou en se promenant… et qui de ce fait valorisent ce qu'ils considèrent être du temps perdu.

Ensuite ceux qui travaillent « à côté », en plus d’une activité principale rémunérée qu’ils ont déjà par ailleurs et qui consacrent une véritable plage horaire à cette activité. Ils en tirent alors des revenus pouvant être qualifiés de complémentaires. On peut alors parler de marchandisation du temps libre[8] ou d’optimisation monétaire de celui-ci[20].

Enfin une minorité de microtravailleurs en font leur activité rémunérée principale, ils y travaillent à temps plein et réalisent le travail quelle que soit la tâche.

L’étude a aussi révélé que certains microtâcheurs pouvaient avoir un côté addictif avec de potentiels effets néfastes sur leur santé mentale.

Les chercheurs de l'Ă©tude 2019 Ă©voquent le concept d’une triple journĂ©e de la femme appartenant Ă  la première ainsi qu’à la seconde catĂ©gorie de microtravailleurs. En effet, il y aurait d’abord la journĂ©e de travail classique puis le travail domestique (qui est encore majoritairement effectuĂ© par les femmes) et enfin les tâches relatives au microtravail.  

Une nouvelle forme de dumping social numérique

Un dumping social numĂ©rique, dans le cadre de la mondialisation Ă©conomique qui consiste pour les employeurs Ă  mettre en concurrence des travailleurs des pays dĂ©veloppĂ©s avec de la main-d'Ĺ“uvre moins chère des pays en dĂ©veloppement.  

La fragilité économique du microtravail s'amplifie lorsque celui-ci est délocalisé : une étude du Oxford Internet Institute[21] souligne l'existence d'une dissymétrie entre le travail numérique dans les pays du Nord et les pays du Sud. Les pays du Sud deviennent des producteurs de micro-tâches numériques ; les sièges de micro-travail les plus importants se situent aujourd'hui au Pakistan, en Inde, au Népal, en Asie du Sud-Est et en Afrique. La plupart des postes sont occupés par des femmes. Les tâches sont vendues par l'Inde ou les Philippines aux États-Unis, à l'Australie, au Canada, et au Royaume-Uni[22].

La compensation financière qui en France peut paraître bien au-dessous du salaire minimum peut dans d’autres pays en voie de développement paraître économiquement intéressante.

C’est un réel avantage pour les entreprises. Elles n’ont pas besoin d’embaucher de salariés, elles vont faire appel à des micro-travailleurs français pour ne pas payer de cotisations sociales.

Précarité économique des microtravailleurs

Le microtravail est caractérisé par une nouvelle forme de précarité au travail.

Selon Paola Tubaro, chargée de recherche au CNRS en sociologie et coauteure du rapport : « Leurs revenus se trouvent dans les plus faibles de la population. ».

Ă€ ce micro-travail correspond une micro-paie qui en soit ne peut suffire Ă  elle-mĂŞme comme seul revenu. D’oĂą la nĂ©cessitĂ© pour ces microtravailleurs de recourir Ă  plusieurs plateformes afin de pouvoir obtenir un rĂ©munĂ©ration plus consĂ©quente. Il Ă©mergerait alors « un vaste marchĂ© du travail parallèle oĂą chacun aurait moult employeurs sans lien de subordination »[23].

Une étude[18] de la plateforme française Foule Factory, révèle que 22 % des microtravailleurs vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les revenus tirés du travail effectué par les microtâcheurs n’apportent qu’un revenu complémentaire.

Chez Foule Factory les micro-tâcheurs ne peuvent effectuer pour plus de 3 000 euros de tâches par annĂ©es. Ce plafond est pour l’instant purement thĂ©orique en ce que le montant moyen de rĂ©munĂ©ration mensuelle par Fouleur est de 40 euros. Si l’on analyse ce point sous l’angle de la fiscalisation, ce montant serait fixĂ© afin d’éviter qu’il ne puisse ĂŞtre retenu comme un revenu Ă  part entière et donc soumis Ă  des cotisations affĂ©rentes tant du point de vue du microtâcheur que de celui de la plateforme.

Ainsi, la règlementation fiscale du travail numérique et en particulier celle du microtravail, montre des difficultés pour identifier des établissements stables. Il apparaît difficile de structurer une réelle harmonisation fiscale internationale[24]. Un rapport sur le secteur de la fiscalité numérique de Pierre Collin et Nicolas Colin commandé en 2013 par le ministère de l'Économie et des Finances français est spécifiquement dédié à cela.

Conditions de travail

Perçue au premier abord comme une activité simple à faire depuis chez soi, derrière son écran d’ordinateur, en temps normal comme en temps de confinement, occasionnellement ou de façon plus intensive, le microtravail est la promesse d’une forme d’indépendance. La réalité est bien différente.

Ce sont des tâches invisibles la plupart du temps, effectuées au domicile du microtâcheur. Aucun contrat de travail n’est créé ; un simple « accord de participation », voire la seule adhésion aux conditions générales d’utilisation de la plateforme suffisent.

Aspects positifs

Ce type de travail permet aux microtâcheurs de s’organiser suivant leurs propres impératifs ; pouvoir travailler tout en s’occupant d’un proche malade, d’un enfant handicapé ou encore pendant une période de chômage par exemple. De plus, les personnes peuvent travailler où elles le souhaitent dès l’instant où elles peuvent se connecter à un réseau.

Aspects négatifs

Peut se poser le problème de la rĂ©cupĂ©ration des sommes dues au terme de la rĂ©alisation des tâches effectuĂ©es et parfois les personnes peinent Ă  rĂ©cupĂ©rer leur gains. Il n’y a aucun superviseur identifiable et encore moins de collègues. Les tâches se rĂ©alisent anonymement. En effet, les microtâcheurs ne connaissent pas les clients pour lesquels ils rĂ©alisent des tâches, ni leur finalitĂ©. Ils ne trouvent aucun rĂ©el sens Ă  leur travail. Un vĂ©ritable problème se pose, certains microtravailleurs redoutant que leurs missions puissent ĂŞtre Ă  l’encontre de leurs valeurs ou de leurs principes moraux.  

Il n’y a pas de véritable reconnaissance de leur travail, ce qui peut in fine peut leur faire perdre confiance en eux et engendrer des risques d’atteinte à la santé mentale.

Impact environnemental

Au premier abord, travailler Ă  son domicile peut paraĂ®tre plus Ă©cologique en raison de l’absence d’utilisation de transport donc l’absence d’émission de gaz polluants. Or, la pollution numĂ©rique existe bel et bien et a des impacts consĂ©quents sur l’environnement. Cette question s’est d’ailleurs beaucoup posĂ©e concernant le tĂ©lĂ©travail.  

Ainsi, faire une recherche sur Google, envoyer un e-mail et les stocker dans une boîte mails, utiliser un objet connecté…Toutes ces actions nécessitent une activité numérique qui demande beaucoup d’énergie et émet des gaz à effet de serre, qui de par leur multiplicité sont responsables du changement climatique.

Le numérique représente 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde[25].

À l'heure actuelle, on estime que 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques sont déjà générés chaque année au niveau mondial, ce qui équivaut à 350 bateaux de croisière[26].

Microtravail et capitalisme numérique

Selon Antonio Casilli, le microtravail plonge ses racines dans une des formes actuelles du capitalisme, à savoir celle du numérique[1], il écrit : « chaque clic, chaque j'aime ou commentaire lapidaire, chaque recommandation est insérée dans des processus de production spécifique »[1], jusqu'à ce que même l'acte d'être en ligne pourrait être considéré comme une forme de digital labour, en ce qu'il produit une valeur économique[27].

C'est dans ce même cadre que se place la thématique, de plus en plus récurrente aujourd'hui, de la valeur et de l'éventualité d'une monétisation des données personnelles[28], dans un monde numérique centralisé et gouverné par des plateformes qui ont pour premier but celui d'élaborer et d'harmoniser les données des utilisateurs d'un point de vue algorithmique de plus en plus optimisé aux fins de l'identification et du ciblage commercial. Dans ce cadre, alors, le microtravail se présente comme une forme explicitement rémunérée de ce que, en général, tout un chacun fait quotidiennement en tant qu'usager numérique : cliquer, regarder des photos et de vidéos, mais aussi « travailler » de façon gratuite et masquée pour les algorithmes, comme dans le cas des reCAPTCHAs que Google nous propose et qui servent à entrainer le bon fonctionnement de Google Books ou de Google Maps[29].

Cela revient à une certaine ambiguïté entre consommation et production de valeur qui caractérise le monde du numérique en général et que les théoriciens américains de l'université du Maryland George Ritzer et Nathan Jurgenson ont exprimé dans le concept de « prosumption », hybridation de « production » et de « consommation »[30]. Le danger le plus consistant, donc, pourrait être circonscrit à l'activité progressive d'externalisation du travail de l'espace règlementé de l'entreprise à l'espace flou et indéfini des plateformes du numérique[31] et à une condition du travailleur toujours plus précaire, marginalisée et standardisée – position exemplifiée par l'anonymat et la répétitivité des tâches du micro-travail – que certains, comme Alain Supiot, prospectent comme des formes de « subordination dans l'autonomie »[32].

Encadrement juridique des relations de microtravail

Sur un plan juridique, les personnes qui travaillent pour les sociĂ©tĂ©s de plateforme numĂ©rique en qualitĂ© de « microtravailleur » n’ont pas un statut juridique dĂ©fini par la loi. En effet, ces personnes ne peuvent ĂŞtre des salariĂ©s. Le juge français a eu l’occasion de se prononcer sur le sujet dans l’affaire « CLic and Walk » oĂą une sociĂ©tĂ© lilloise avait Ă©tĂ© poursuivie  pour travail dissimulĂ© pour avoir eu recours aux services d’un microtravailleur. Les juges ont estimĂ© qu’il ne peut y avoir une prestation de travail sous un lien de subordination caractĂ©risant un contrat de travail dans la mesure oĂą la personne qui exĂ©cute les missions le fait dans une totale autonomie avec la possibilitĂ© d’arrĂŞter quand elle le souhaite, cela mĂŞme si elle est rĂ©munĂ©rĂ©e en consĂ©quence (ou pas, lorsque la sociĂ©tĂ© dĂ©cide que la tâche n’est pas correctement effectuĂ©e)[33].

Le droit social n’a pas encore réellement appréhendé ce monde des microtravailleurs, ils sont de ce fait livrés à eux-mêmes. Cette problématique a mené ces dernières années à plusieurs initiatives et à des tentatives d'encadrement et de règlementation du microtravail : le projet Dynamo, par exemple, de rencontre entre les chercheurs de Stanford et les travailleurs du numérique; ou bien les projets de traçage en temps réel des marchés du microtravail tels que le M-Turk tracker ou le projet iLabour de Vili Lehdonvirta ou encore les forums et les plateformes créés pour dénoncer les conditions de travail trop précaires et les rémunérations insuffisantes, tels que Fair Crowd Work et Turkopticon.

Les personnes effectuant ces microtâches par l’intermédiaire des plateformes numériques restent tout de même exposées à une forte précarité due à une quasi absence de protection sociale et de garantie collective.

Absence de garanties sociales

Pour remédier à cela, le chercheur Antonio Casilli propose trois pistes de solution :

  • requalifier les micro-travailleurs en salariĂ©s ce qui permettrait automatiquement une intĂ©gration dans la protection sociale ;  
  • crĂ©ation de coopĂ©ratives des plateformes : par la mutualisation, les travailleurs pourront rĂ©pondre eux-mĂŞmes Ă  leur propre besoin en mĂŞme temps que ceux de leur client, puisque c’est eux qui seront aux commandes ;
  • changer la nature de l’intelligence artificielle qui demande beaucoup de donnĂ©es dans son paradigme, mĂŞme si cela suppose qu’il faudrait se passer du microtravail[34].

Fin 2021, une proposition de directive de la Commission Européenne adressée au parlement européen a abordé la question des microtravailleurs et celle de tous les travailleurs des plateformes numériques. Ce document propose des critères précis permettant la clarification du statut professionnel juridique correspondant à la réalité du travail pour chaque travailleur. Ces critères permettront de dire si telle situation peut être qualifiée de travail salarié ou si telle autre est celle d’un indépendant[35].

Absence de reprĂ©sentation collective  

Le sujet de l’absence de représentation collective est un point important à soulever.

Néanmoins, tant chez les Turker d’Amazon que chez les Fouleurs de Foule Factory, a commencé à émerger une action collective.

Concernant la plateforme Mechanical Turk, un collectif de juristes américains , de l’Université de Stanford[36],ont aidé les Turkers à créer un groupe d’action collective « We Are Dynamo» dont le leitmotiv est « surmonter le blocage et la friction dans l’action collective pour les travailleurs de masse ».

Le Rapport DipLab[15] parle d’une « foule qui tente de s’auto-organiser » en prenant l’exemple de la plateforme de microtravail Foule Factory qui met un forum d’échange à la disposition de ses travailleurs. Ce rapport révèle que les discussions peuvent parfois prendre des allures de revendications ; certains Fouleurs ayant parfois proposé de faire grève en boycottant les tâches. D’où le problème du côté du microtâcheur de se faire potentiellement remplacé par un microtâcheur « moins revendicatif ». Ce type d’action est très peu suivi, puisque le nombre de personnes sur liste d’attente est conséquent et que de ce fait l’entreprise peut facilement trouver des remplaçants. Toutefois la plateforme a désigné des microtravailleurs pour faire l’intermédiaire entre elle et les autres microtravailleurs alors même qu’aucun statut précis ne leur est attribué. Cela fait bien-sûr penser aux représentants du personnel dans le monde du travail salarié français et plus précisément aux membres du conseil économique et social qui ont pour mission d’assurer l’expression collective des salariés en prenant en compte leurs intérêts dans les décisions que l’entreprise dans laquelle ils travaillent peut prendre.

Plateformes de microtravail

Notes et références

  1. Dominique Cardon, Antonio Casilli, "Qu'est-ce que le Digital Labor ?", Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses », 2015, p. 17.
  2. (en) Identity and Self-Organization in Unstructured Work - Vili Lehdonvirta et Paul Mezier, Université du Hertfordshire, 2013, p. 9 [PDF].
  3. (en) Dr. Vili Lehdonvirta et Dr. Mirko Ernkvist, « Converting the Virtual Economy into Development Potential: Knowledge Map of the Virtual Economy », infoDev, avril 2011, p. 24 [lire en ligne] [PDF].
  4. « France Stratégie », sur strategie.gouv.fr (consulté le )
  5. Mickael Sylvain, « Le Taylorisme » [PDF]
  6. (en) Identity and Self-Organization in Unstructured Work - Vili Lehdonvirta et Paul Mezier, Université du Hertfordshire, 2013, p. 8 [PDF].
  7. (en) Antonio A. Casilli, « Digital Labor Studies Go Global: Toward a Digital Decolonial Turn », in International Journal of Communication, no 11, Special Section « Global Digital Culture » pp. 3934–3954 et 3936.
  8. Barraud de Lagerie, Pauline, et Luc Sigalo Santos, « "Et pour quelques euros de plus. Le crowdsourcing de microtâches et la marchandisation du temps" », Réseaux, vol. 212, no. 6, pp. 51-84.,‎
  9. Dominique Cardon, Antonio Casilli, Qu'est-ce que le Digital Labor ?, Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses », 2015, p. 92.
  10. Le micro-travail : Des corvées peu gratifiantes et mal rémunérées - Gabriel Simeon, entretien avec Antonio Casilli, 01net, 22 mars 2017
  11. (en) The Labor Economics of Paid Crowdsourcing - John J. Horton et Lydia B. Chilton, EC’10, 7-11 juin 2010, pp. 209 et 216 [PDF]
  12. Quel est le salaire minimum en Inde ? - Lucia GarcĂ­a Botana, consoGlobe, 6 juin 2016
  13. Catherine Quignon, « Microtravail et microsalaire pour experts ou tâcheron », Le Monde,
  14. Forde C., Stuart M. Joyce S., Oliver L., Valizade D., Alberti G., Hardy K., Trappmann V., Umney C. et Carson C. (2017). The Social Protection of Workers in the Collaborative Economy, Rapport pour la Commission Emploi et Affaires Sociales du Parlement Européen
  15. Antonio Casilli, Paola Tubaro, Clément Le Ludec, Marion Coville, Maxime Besenval, et al., Micro-Travail en France. Derrière l’automatisation, de nouvelles précarités au travail ?, [Rapport de recherche] Projet de recherche DiPLab, 2019, p. 16
  16. Antonio Casilli, Paola Tubaro, Clément Le Ludec, Marion Coville, Maxime Besenval, Touhfat Mouhtare, Elinor Wahal, « Le Micro-Travail en France. Derrière l’automatisation, de nouvelles précarités au travail? », sur archives-ouvertes.fr
  17. Pauline Barraud de Lagerie, Julien Gros, Luc Sigalo Santos, « EmportĂ©s par la foule. Pourquoi l’estimation de 250 000 microtravailleurs en France est exagĂ©rĂ©e », sur archives-ouvertes.fr
  18. Barraud de Lagerie Pauline, Sigalo Santos Luc, « « Et pour quelques euros de plus. Le crowdsourcing de micro-tâches et la marchandisation du temps », », sur https://www.cairn.info/revue-reseaux-2018-6-page-51.htm
  19. Antonio Casilli, « Le micro-travail en France. Derrière l'automatisation, de nouvelles précarités au travail ? », sur hal.archives-ouvertes.fr,
  20. « VIDEO. Le microtravail, aubaine financière ou pratique peu vertueuse ? », sur Franceinfo, (consulté le )
  21. (en) V. Lehdonvirta, H. Barnard, M. Graham et I. Hjorth, Online labour markets - levelling the playing field for international service markets?, (lire en ligne)
  22. (en) Antonio A. Casilli, « Global Digital Culture| Digital Labor Studies Go Global: Toward a Digital Decolonial Turn », International Journal of Communication, vol. 11, no 0,‎ , p. 21 (ISSN 1932-8036, lire en ligne, consulté le )
  23. Sabine Delanglade, « Les plateformes de microtâches, l'avenir du travail », sur Les Echos Executives, (consulté le )
  24. Olivier Cléach, « Dominique Cardon, Antonio A. Casilli, Qu’est-ce que le digital labor ? », Lectures,‎ (ISSN 2116-5289, lire en ligne, consulté le )
  25. « Impact du numérique sur l’environnement : quelles sont les 3 sources de pollution ? », sur Carbo, (consulté le )
  26. Céline Deluzarche, « Le télétravail est-il écologique ? », sur Futura (consulté le )
  27. Dominique Cardon, Antonio Casilli, Qu'est-ce que le Digital Labor ?, Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses », 2015, p. 20.
  28. (en) Jaron Lanier, Who Owns the Future?, New York, Simon & Schuster, 2013
  29. Dominique Cardon, Antonio Casilli, Qu'est-ce que le Digital Labor ?, Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses », 2015, p. 21.
  30. (en) G. Ritzer et N. Jurgenson, « Production, consumption, presumption: The nature of capitalism in the age of the digital 'prosumer' », Journal of Consumer Culture, no 10, 2010, pp. 13-36 [lire en ligne] [PDF].
  31. (en) Florian Vörös, « De la firme à la plateforme : Penser le digital labour », Poli no 13, entretien avec Antonio A. Casilli p. 47 [lire en ligne].
  32. A. Supiot (dir.), Au-delà de l'emploi : Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, Rapport pour la Commission Européenne, édition augmentée, Paris, Flammarion, 2016.
  33. « Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 décembre 2021, 21-70.017, Inédit », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  34. « Les plateformes de micro-travail. Entretien avec Antonio Casilli » (consulté le )
  35. (en) « Press corner », sur European Commission - European Commission (consulté le )
  36. (en) Niloufar Salehi, We are dynamo : overcoming Stalling and friction in collective action for crowd workers

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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