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Lucy (sonde spatiale)

Lucy est une mission spatiale de l'agence spatiale américaine, la NASA, dont l'objectif est d'étudier en les survolant six astéroïdes troyens de Jupiter, qui sont positionnés aux points de Lagrange L4 ou L5 de cette planète. Le projet proposé par le Southwest Research Institute (SWRI) a été sélectionné en 2017 dans le cadre du programme Discovery qui rassemble les missions d'étude du Système solaire américaines à coût modéré. La sonde spatiale lancée le 16 octobre 2021 doit survoler les différents astéroïdes entre 2027 et 2033.

Description de cette image, également commentée ci-après
Données générales
Organisation Drapeau des États-Unis Goddard / NASA
Constructeur Drapeau des États-Unis Lockheed Martin / SwRI
Programme Discovery
Domaine Étude des astéroïdes troyens de Jupiter
Type de mission Survol
Statut En développement
Lancement 16 octobre 2021
Lanceur Atlas V 401
Survol de (152830) Dinkinesh
(52246) Donaldjohanson
(3548) Eurybate et Queta
(11351) Leucos
(15094) Polymèle et son satellite
(21900) Oros
(617) Patrocle et Ménétios
Fin de mission 2033
Site LUCY
Caractéristiques techniques
Masse au lancement 1550 kg
Masse ergols 729 kg
Contrôle d'attitude Stabilisé 3 axes
Source d'énergie Panneaux solaires
Puissance électrique 504 watts (orbite troyens/Jupiter)
18 000 watts (orbite terrestre)
Principaux instruments
L'LORRI Caméra
L'Ralph Spectromètre-imageur proche infrarouge
L'TES Spectromètre infrarouge thermique

Lucy est le premier engin spatial à s'approcher des astéroïdes troyens. Ces corps célestes aux caractéristiques hétérogènes seraient, selon le modèle de formation du système solaire dit de Nice, des objets qui étaient situés initialement dans différentes parties du système solaire dont certains dans la ceinture de Kuiper, au-delà des planètes externes. Ils auraient été déplacés aux points de Lagrange de Jupiter par le mouvement des planètes gazeuses géantes survenu dans les premiers âges de notre système solaire. Si cette modélisation est exacte ces astéroïdes seraient composés des matériaux primitifs qui se sont agrégés au début de l'histoire du Système solaire. Quatre des corps survolés sont de type D et P, catégories d'astéroïdes qui n'ont jamais été étudiées jusque là. Deux de ces astéroïdes forment un système binaire.

La sonde spatiale, fabriquée par Lockheed Martin, a une masse de 1,5 tonne dont plus de 700 kilogrammes d'ergols utilisés pour les différentes corrections de trajectoire nécessaires pour survoler ses objectifs. Le corps de la sonde spatiale est un parallélépipède de 1 à 2 mètres de côté supportant deux immenses panneaux solaires circulaires de 7 mètres de diamètre dont la surface permet de compenser l'éloignement du Soleil lors des survols. Lucy emporte trois instruments scientifiques, qui avaient été mis au point pour la mission New Horizons lancée en 2006 et qui sont installés sur une plateforme orientable : un spectromètre-imageur fonctionnant dans le visible et le proche infrarouge, une caméra à haute résolution, et un spectromètre observant dans l'infrarouge thermique. Ces instruments doivent déterminer la composition de la surface, sa géologie, les caractéristiques générales (masse, densité, ...) et détecter la présence d'éventuels satellites ou anneaux. La mission doit affiner notre connaissance des astéroïdes troyens et plus généralement de la population des astéroïdes et permettre de disposer de nouvelles données sur les premiers corps créés lors de la formation du système solaire. L'objectif ultime est de contribuer à valider le modèle de Nice ou à défaut d'apporter des éléments pour contraindre un nouveau modèle de formation du système solaire.

Contexte

Positions des astéroïdes troyens de Jupiter (grecs et troyens).

La mission spatiale Lucy doit survoler plusieurs astéroïdes troyens de Jupiter, caractérisés par leur positionnement aux points de Lagrange L4 ou L5 du système Soleil-Jupiter. Selon le modèle de Nice certains de ces astéroïdes seraient des fossiles du processus de formation du Système solaire.

Astéroïdes troyens de Jupiter

Les astéroïdes troyens aux points de Lagrange L4 et L5 et Jupiter circulent sur la même orbite (vue d'artiste avec le groupe opposé d'astéroïdes et Jupiter énormément agrandis).

Les astéroïdes troyens de Jupiter sont des petits corps célestes qui circulent sur la même orbite que Jupiter autour du Soleil, à 5 unités astronomiques (U.A.) du Soleil, en se maintenant en permanence à environ 60° de la planète géante en arrière et en avant de celle-ci. D'après les observations effectuées à l'aide de télescopes terrestres ou spatiaux, ce groupe compte plus de un million d'astéroïdes de plus de 1 kilomètre de diamètre. Le plus volumineux a un diamètre d'environ 200 kilomètres (Hektor)[1] - [2]. Les astéroïdes troyens sont caractérisés par leur position dans deux régions de l'espace, les points de Lagrange L4 et L5 présentant des propriétés particulières : les forces de gravitation de Soleil et de Jupiter s'y équilibrent ce qui maintient en place des corps célestes dont la taille est relativement faible comme les astéroïdes. Il est toutefois tout aussi difficile pour un corps céleste de s'installer aux points de Lagrange L4 et L5 que de les quitter. Par ailleurs les astronomes ont longtemps pensé que ces populations d'astéroïdes s'étaient formées au niveau de l'orbite de Jupiter et que leur composition était donc le reflet de celle de la nébuleuse solaire à cet endroit. Mais des observations relativement récentes ont montré qu'elles étaient constituées d'objets aux caractéristiques très différentes. Jusqu'à la mise au point du modèle de Nice en 2005 aucun scénario de formation du système solaire ne permettait d'expliquer l'hétérogénéité des astéroïdes troyens et leur arrivée aux points de Lagrange L4 et L5[3] - [4].

Modèle de Nice

Le modèle de Nice est un scénario mis au point en 2005 décrivant la formation et l'évolution du Système solaire. Ce scénario fournit une explication à un certain nombre de caractéristiques jusque là inexpliquées du Système solaire notamment la position et l'absence d’homogénéité de la population des astéroïdes troyens de Jupiter. Selon le modèle de Nice les planètes géantes gazeuses du Système solaire (Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune) occupaient initialement des orbites beaucoup plus proches du Soleil. Des phénomènes de résonance orbitale ont entrainé des modifications de ces orbites en déstabilisant tout le système solaire. C'est durant cette période que des astéroïdes en provenance de l'ensemble de la nébuleuse solaire se sont installés aux points de Lagrange L4 et L5 du système Soleil-Jupiter : durant cette phase ces points de Lagrange étaient "ouverts" (des objets pouvaient y migrer contrairement à la situation actuelle). Le modèle de Nice explique donc la diversité des astéroïdes troyens de Jupiter (caractéristiques physiques, composition) qui seraient issus d'orbites situées à des distances variables du Soleil. Selon ce scénario certains seraient originaires des régions externes du système solaire (au niveau de la ceinture de Kuiper actuelle entre 15 et 30 unités astronomiques). Les astéroïdes piégés en L4/L5 seraient des planétésimaux qui se seraient formés au début de l'histoire du Système solaire et seraient restés inchangés depuis. De ce fait ils constituent des « fossiles » formés des matériaux primitifs du système solaire[5] - [3] - [4].

Simulation montrant l'évolution de l'orbite des planètes externes et la ceinture de Kuiper selon le modèle de Nice :
a) Avant la résonance 2:1 de Jupiter et Saturne.
b) Dispersion des objets de la ceinture de Kuiper dans le système solaire après la migration de Neptune.
c) Après l'éjection d'objets de la ceinture de Kuiper par Jupiter.
Les points blancs sont les planétésimaux, les cercles sont les orbites des différentes planètes géantes : Jupiter est représentée en vert, Saturne en orange, Uranus en bleu clair et Neptune en bleu foncé.

Historique du projet

La mission Lucy est développée pour répondre à un des objectifs prioritaires défini au début de la décennie 2010 par la communauté scientifique américaine dans le domaine de la planétologie. Le projet est proposé par un des concepteurs du modèle de Nice et sélectionné en 2017 par la NASA dans le cadre du programme Discovery qui regroupe des missions d'exploration du système solaire à faible coût.

Le rapport décennal sur les sciences planétaires de 2013

Le Rapport décennal sur les sciences planétaires est une publication du Conseil national de la recherche des États-Unis, réalisée tous les dix ans, qui définit les axes de recherche prioritaires du programme d'exploration du système solaire. Le rapport de 2013, prenant en compte les hypothèses du modèle de Nice de 2005, identifie parmi les missions prioritaires l'étude des astéroïdes troyens de Jupiter. La communauté scientifique sait très peu de choses de ces petits corps car aucun engin spatial ne les a, jusque là, survolé. Peu de données peuvent être collectées avec les télescopes terrestres et spatiaux les plus puissants car ces astéroïdes sont à la fois de petite taille, sombres et très éloignés de la Terre. Une mission spatiale chargé d'observer un nombre aussi élevé que possible d'astéroïdes troyens permettra de valider le scénario défini par le modèle de Nice. Si celui-ci retrace bien le scénario de formation du Système solaire, cette mission fournira des informations importantes sur les débuts du Système solaire (évolution des orbites des planètes géantes) et éventuellement sur les composés organiques à l'origine de la vie sur Terre. Si les données collectées contredisent le modèle de Nice, elles permettront de poser les bases d'un nouveau modèle de formation du système solaire[6] - [4].

Élaboration de la mission par Levison et Olkin

Harold F. Levison est le responsable scientifique de la mission.

Harold F. Levison est un planétologue américain, spécialiste de la dynamique des planètes, qui travaille au sein du Southwest Research Institute (SWRI) à Boulder dans le Colorado[Note 1]. Levison est un des quatre chercheurs à l'origine du modèle de Nice. En réponse au rapport décennal de 2013, il développe un concept de mission de survol des astéroïdes troyens avec Catherine Olkin qui avait déjà proposé une mission analogue en 2010. Mais alors que la proposition de Olkin prévoyait le survol d'un unique astéroïde troyen et d'un astéroïde Centaure, la mission proposée comprend le survol de plusieurs astéroïdes troyens aux caractéristiques variées. L'objectif principal est Eurybates qui fait partie d'une famille issue de la fragmentation, à la suite d'une collision, d'un astéroïde de plus grande taille. Du fait de cette origine, son survol pourrait apporter des informations importantes sur sa nature. L'autre objectif initial est Oros, un astéroïde troyen faisant partie d'une catégorie (D) jamais étudiée jusque là. En définissant une trajectoire répondant aux contraintes de protection planétaire de la NASA, c'est-à-dire dans le cas de Lucy ne présentant pas de risque d'écrasement à la surface de Mars et Europe au cours des 50 années postérieures à la fin de la mission, l'équipe de Levison découvre que la sonde spatiale peut survoler au prix de corrections de trajectoire de faible ampleur (617) Patrocle et Ménétios, un couple d'astéroïdes troyens de taille similaire orbitant l'un autour de l'autre. Enfin au cours du développement du projet le survol de trois autres astéroïdes (dont deux troyens) est ajouté[6] - [7].

Le projet de mission est baptisé Lucy reprenant l'appellation de la proposition d'Olkin de 2010. Ce nom est une allusion indirecte à l'objectif de la mission (= retrouver des indices validant le processus de formation du système solaire). Lucy est en effet le nom donné à un fossile d'australopithèque découvert en 1974 par une équipe de chercheurs américains, français et éthiopiens qui a révolutionné notre connaissance des origines humaines, en démontrant que l'acquisition de la bipédie datait d'au moins 3 millions d’années[Note 2] - [8].

Sélection dans le cadre du programme Discovery

Logo de la mission.

En est lancé l'appel à propositions des treizième et quatorzième missions du programme Discovery de la NASA. Ce programme finance des missions scientifiques d'exploration du système solaire à petit budget (540 millions US$). Levison et Olkin décident de proposer leur projet. Ils choisissent comme partenaire industriel Lockheed Martin qui a construit la sonde spatiale OSIRIS-REx lancée en 2019 pour ramener un échantillon du sol de l'astéroïde (101955) Bénou. Ils s'associent également dès ce stade au centre de vol spatial Goddard, établissement de la NASA ayant une longue expérience dans le domaine de l'exploration du système solaire. Pour réduire les couts, les instruments scientifiques sont dérivés de ceux embarqués sur les sondes spatiales New Horizons et OSIRIS-REx. Le résultat de leur étude, un rapport de 250 pages, est remis à la NASA en février 2015[6].

Pour la sélection des deux missions Discovery, plusieurs conditions financières sont précisées par l'agence spatiale américaine[9] - [10] - [11] :

  • Un tiers du coût de la mission peut être pris en charge par un partenaire international sans être inclus dans le plafond du budget fixé à 450 millions de dollars américains.
  • La NASA apporte un bonus de 30 millions de dollars aux propositions qui retiennent le système de communications optique laser testé par la sonde lunaire LADEE.

La sélection se fait en trois étapes : la première sélection est suivie d'un deuxième tour à l'issue duquel seulement deux finalistes sont retenus pour une étude plus approfondie[12].

Le projet Lucy fait partie des cinq missions (sur 27 propositions) retenues en à l'issue du premier tour de sélection[13]. Pour départager les cinq équipes encore en lice, celles-ci reçoivent 3 millions de dollars pour détailler leur étude dans un délai d'un an. Levison et Olkin remettent à la NASA en août 2016 leur étude détaillée (un document de 929 pages). À l'issue d'un oral, durant lequel l'équipe projet est soumis aux questions d'une quarantaine d'experts de la NASA, la mission Lucy est retenue le en même temps que Psyché. Lucy doit être développée pour un lancement programmé en 2021 tandis que Psyché doit être lancée en 2023[14]. Les trois candidats non retenus seront plus heureux par la suite : DAVINCI+ et VERITAS seront sélectionnés en 2021 dans le cadre du programme Discovery et NEO Surveyor (ex NEOCam) en 2019 au titre du programme de défense planétaire.

Construction de la sonde spatiale

Lucy est testé après assemblage. On distingue au premier plan l'antenne parabolique et sur le côté un des deux panneaux solaires en position repliée.
Sur cette deuxième vue de la sonde spatiale, on distingue le panneau solaire en position repliée avec une forme triangulaire. Celui-ci occupe un volume restreint compte tenu de sa surface une fois déployé.

Le , le projet passe avec succès la revue qui clôture la phase B. Celle-ci fige le budget, la planification du développement (avec lancement en 2021) et les caractéristiques des instruments scientifiques embarqués[15]. En janvier 2019 la NASA sélectionne le lanceur Atlas V 401 pour le lancement de la sonde spatiale. L'ensemble de la prestation de lancement (lanceur, préparation, ...) est facturée 148,3 millions US$[16]. La revue de conception détaillé (CDR) qui fige la conception détaillée et permet le lancement de la fabrication de la sonde spatiale est réalisée en octobre 2019[17]. Pour identifier d'éventuels obstacles (anneaux, satellites) sur la trajectoire de la sonde spatiale, qui seraient présents à proximité des astéroïdes survolés, l'équipe du projet a obtenu des temps d'observations sur l'observatoire spatial Hubble. Les images prises permettent d'identifier de manière certaine en janvier 2020 (une première image avait été prise en 2018) un petit satellite tournant autour d'(3548) Eurybate[18].

L'assemblage de la plateforme de la sonde spatiale avec ses instruments débute fin aout 2020 dans l'établissement de Littleton (Colorado) de la société Lockheed Martin Space. Le planning prévu est respecté malgré l'épidémie de Covid qui affecte fortement l'économie du pays durant cette période[19]. Le premier des trois instruments scientifiques, la caméra L'LORRI, réalisée par l'Applied Physics Laboratory de l'Université Johns Hopkins, est installée sur la plateforme de la sonde spatiale fin octobre 2020[20]. L'assemblage du troisième et dernier instrument, L’Ralph réalisé par le centre de vol spatial Goddard, s'achève début février 2021[21]. Le déploiement des gigantesques panneaux solaires, développés par l'établissement de Goleta (Californie) de la société Northrop Grumman, est testé début avril avec succès dans une chambre à vide installée sur le site d'assemblage de la sonde spatiale[22]. Fin juillet 2021, après l'achèvement des tests, la sonde spatiale est transférée au Centre spatial Kennedy (Floride) pour les derniers préparatifs avant le lancement[23].

Objectifs

Lucy doit contribuer à répondre à plusieurs questions fondamentales énoncées dans le cadre du Planetary Science Decadal Survey de 2013[24] :

  • quelles sont les premières phases, les conditions et les processus de la formation du Système solaire ?
  • comment les planètes gazeuses géantes se sont-elles agrégées et y a-t-il des indices de leur changement d'orbite ?
  • quels sont les processus qui ont contribué à l'accrétion et quel rôle a joué le bombardement par de gros objets célestes ?
  • quelle est l'origine des composés organiques ?

Les objectifs scientifiques fixés à la mission sont d'effectuer les mesures suivantes pour tous les astéroïdes survolés[24] :

  • composition de la surface : carte en couleurs, composition, propriétés du régolite, distribution des minéraux, des glaces et matières organiques ;
  • géologie : albédo, forme, distribution et taille des cratères, nature de la croûte, datation de la surface ;
  • structure : masse, densité, composition interne (déterminée via les éjectas), fractures, etc. ;
  • nombre, position et distribution des satellites d'astéroïdes ayant une taille supérieure au kilomètre et des anneaux épais entourant ceux-ci.
Objectifs de la mission : exigences de niveau 1 (s'applique à chaque survol)[25]
Caractéristique Besoin
Forme et géologieImages panchromatiques de la surface complète de l'astéroïde prises toutes les 1/24 à 1/13 de rotation.
Forme et géologieSérie d'images panchromatiques prises avec des angles de phase séparés de 15 à 25°.
Forme et géologieSérie d'images panchromatiques prises avec des angles de phase séparés de 15 à 25°.
Modèle d'élévation des terrainsPhotos panchromatiques d'une superficie ≥ 100 km2 avec une résolution spatiale ≤ à 200 mètres sous deux angles (images stéréo).
Dégradation des formations géologiquesPhotos panchromatiques d'une superficie ≥ 500 km2 avec une résolution spatiale ≤ 100 mètres.
Caractéristiques des cratèresPhotos panchromatiques sur une superficie ≥ 700 km2 des cratères ayant un diamètre de 7 km ou plus.
Caractéristiques des cratèresPhotos panchromatiques sur une superficie ≥ 10 km2 des cratères ayant un diamètre de 70 mètres ou plus.
SatellitesDétection de satellites ayant un diamètre ≥ km et une magnitude photovisuelle (pv) supérieure à 0,04.
Unités géologiquesImages en couleur prises au cours d'une rotation complète espacées d'un sixième à un tiers de rotation.
Matériaux exposésPhotos en couleur d'une superficie ≥ 700 km2 avec une résolution spatiale ≤ 1,5 kilomètre.
Matériaux exposésPhotos en couleur d'une superficie ≥ 150 km2 avec une résolution spatiale ≤ 600 mètres.
Étendue de la bande spectrale1 à 3,8 microns.
Résolution spectraleDétection des formations caractérisées par une profondeur spectrale ≥ 4% et une largeur spectrale >= 70 nanomètres.
Variations dans la compositionImages spectrales prises au cours d'une rotation complète espacées d'un sixième à un tiers de rotation.
Variations dans la compositionImages spectrales caractérisées par une résolution spectrale (r) et couvrant une superficie (A) satisfaisant l'équation : r ≤ 2(A/1470,6)0,473.
Détermination de la masseDétermination de la masse avec une précision ≤ 25 % pour ρ ≥ 1 000 kg/m3.
Caractéristiques thermiquesUne mesure des caractéristiques thermiques de l'hémisphère nocturne et trois de la face éclairée.

Astéroïdes étudiés

Lucy doit tout d'abord survoler deux astéroïdes de la ceinture principale. La première cible sera (152830) Dinkinesh[Note 3], ajoutée en février 2023 à la liste des objets étudiés. Son survol sera suivi de celui de (52246) Donaldjohanson[Note 4], astéroïde de type C. D'un diamètre de 4 kilomètres de diamètre, il orbite à une distance comprise entre 1,9 et 2,8 unités astronomiques du Soleil. Il fait partie de la famille d'Érigone. Ces survols, qui précèdent celui du premier astéroïde troyen, sont mis à profit pour effectuer une répétition des procédures appliquées pour les survols suivants - .

Au cours de la mission Lucy survolera six astéroïdes troyens de Jupiter dont deux astéroïde de type C, deux de type D, sans doute originaires de la ceinture de Kuiper, et deux de type P. Les scientifiques estiment probable que ces cinq derniers astéroïdes soient riches en matériaux organiques et que leur structure interne contiennent de l'eau. Ces astéroïdes sont[26] :

  • (3548) Eurybate, astéroïde troyen, présente la particularité d'être le plus gros fragment résultant de l'éclatement (à la suite d'un impact) d'un astéroïde plus volumineux qui a produit 218 astéroïdes identifiés. Compte tenu de cette origine les scientifiques ont bon espoir d'obtenir en le survolant des informations sur la structure interne des astéroïdes troyens[7]. Eurybate est un astéroïde de type C (caractéristique proche des chondrites carbonées) relativement sombre de 64 kilomètres de diamètre. Les astéroïdes de type C présentent un intérêt particulier car ils sont rares parmi les troyens (7% des astéroïdes connus). Il dispose d'un satellite d'environ 1 kilomètre de diamètre, baptisé Queta, qui a été découvert en 2020[27].
  • (11351) Leucos est un astéroïde troyen de type D de 40 kilomètres de diamètre. Il a la forme allongée d'un ballon de rugby avec une longueur de 31 kilomètres et un diamètre de 15 kilomètres. Sa caractéristique la plus marquante est sa vitesse de rotation extrêmement lente (périodicité = 466 heures). Découvert en 1997, il a été baptisé le [28].
  • (15094) Polymèle est un astéroïde troyen de type P de 24 kilomètres de diamètre. Sa période de rotation est de 6,1 heures. Découvert en 1999 il a été baptisé le d'après Polymèle, la femme de Ménétios et mère de Patrocle dans la mythologie grecque[28]. Il a un satellite, qui a été découvert en 2022.
  • (21900) Oros est un astéroïde troyen de type D de 62 kilomètres de diamètre. Il a une taille proche de celle d'Eurybate mais il est d'un type/couleur différent et il ne résulte pas de l'éclatement d'un astéroïde parent. Ses caractéristiques permettront de comparer des objets d'une taille similaire mais ayant une couleur et un historique différent. Il a été observé pour la première fois en 1999, il a été baptisé le [28].
  • (617) Patrocle et Ménétios constituent un système binaire d'astéroïdes troyens de Jupiter. Explorés à la fin de la mission ce sont les seuls astéroïdes du point de Lagrange L5 qui seront étudiés. Tous deux ont un diamètre à peu près identique de 100 kilomètres et tournent autour d'un point central situé à peu près à mi-distance. Ce type de système binaire est relativement rare parmi les astéroïdes troyens mais est fréquent dans les objets de la ceinture de Kuiper (située au-delà de Pluton) ce qui pourrait indiquer un lien entre les deux populations[28].
Principales caractéristiques des astéroïdes étudiés[24]
Caractéristique (152830) Dinkinesh (52246) Donaldjohanson (3548) Eurybate et Queta (15094) Polymèle et son satellite (11351) Leucos (21900) Oros (617) Patrocle et Ménétios
PositionCeinture principaleCeinture principalePoint troyen L4Point troyen L4Point troyen L4Point troyen L4Point troyen L5
Type astéroïdeSCCPDDP (astéroïdal)
Diamètre700 m3,9 km64 km et ~0,8 km21 km34 km51 km113 et 104 km
Période de rotation (heures)8,751513,5103
Albédo0,10,050,0910,080,080,047
Excentricité0,110,190,090,0940,070,040,12
Inclinaison orbitale2,1°4,4°8,1°12,99°12°8,5°22°
Angle de phase initial14°78°126°18°

Déroulement de la mission

Lucy survolant un astéroïde avec sa plateforme porte-instruments pointée vers sa surface (vue d'artiste).

Conception de la trajectoire

Une trajectoire complexe a été mise au point pour permettre à la sonde spatiale Lucy de survoler les sept astéroïdes en effectuant un unique passage dans les deux groupes d'astéroïdes troyens. Les orbites des astéroïdes visités ont des inclinaisons orbitales (par rapport au plan de l'écliptique) différentes les unes des autres ce qui impose de faire coïncider précisément le survol avec l'intersection entre les plans orbitaux de la sonde spatiale et du corps survolé. Tout délai dans l'heure de survol impose une correction de la trajectoire très pénalisante en carburant. Globalement la mission nécessite un changement de vitesse cumulé important évalué à 1,678 km/s. Pour passer à la distance souhaitée des astéroïdes la précision des orbites, telle qu'elle résulte effectuées depuis la Terre n'est pas suffisante. La sonde spatiale utilisera son système de navigation optique (OpNav), qui exploite les images prises par les caméras scientifiques, pour affiner la trajectoire des astéroïdes et réussir les survols des astéroïdes à la distance attendue en corrigeant sa vitesse à l'aide de sa propulsion. Pour atteindre les astéroïdes la sonde spatiale est placée après son lancement sur une orbite héliocentrique très elliptique (0,7) d'une périodicité de 6 ans (en résonance 1:2 avec la périodicité de Jupiter) dont l'apogée se situe au niveau de l'orbite de Jupiter. La fusée utilisée n'étant pas assez puissante pour injecter directement la sonde spatiale sur cette orbite, Lucy survole à deux reprises la Terre à faible distance pour gagner de la vitesse par assistance gravitationnelle. Lors de son premier passage à l'apogée de son orbite elle survole le premier groupe d'astéroïdes troyens, au deuxième passage, le système jupitérien ayant parcouru une demi orbite, son apogée la fait traverser le deuxième groupe de troyens[29]. En tout la sonde spatiale doit parcourir 6,3 milliards de kilomètres sur une période de 12 ans[30].

Trajectoire de Lucy dans le Système solaire avec indication des survols des astéroïdes troyens de Jupiter. Pour plus de clarté le groupe de troyens situés en L5 est représenté dans sa position au moment du survol de 2027 (en fait en 2033 il se retrouve dans la position du groupe de troyens en L4).

Lancement (octobre 2021)

Lancement de Lucy par une fusée Atlas V 401 de nuit.

La sonde spatiale Lucy est placée sur orbite par un lanceur Atlas V 401 la base de lancement de Cap Canaveral décollant le 16 octobre 2021, c'est-à-dire le jour de l'ouverture de la fenêtre de lancement. Le lanceur utilisé est la version la moins puissante (sans propulseur d'appoint) équipée d'une coiffe de 4 mètres de diamètre[31]. Lucy se sépare du dernier étage de la fusée 58 minutes après le lancement[32].

La première manœuvre effectuée après l'injection de la sonde spatiale sur sa trajectoire interplanétaire est le déploiement des panneaux solaires circulaires de 7,3 mètres de diamètre[Note 5]. Mais l'opération ne se passe pas normalement : pour l'un des deux panneaux, la NASA ne reçoit pas la confirmation que celui-ci s'est verrouillé en position ouverte : le panneau solaire est déplié sur 347° au lieu de 360°[Note 6]. Toutefois les mesures de la puissance électrique générée sont rassurantes : les panneaux solaires produisent plus de 90% de la puissance attendue (18 000 watts).

Transit (2021-2026)

La sonde spatiale entame alors un périple de 12 ans et de 6 milliards de kilomètres au cours duquel elle doit survoler six systèmes d'astéroïdes, réaliser trois manœuvres d'assistance gravitationnelle avec la Terre et réaliser cinq corrections majeures de sa trajectoire à l'aide de sa propulsion[32].

Tentatives de déploiement du panneau solaire récalcitrant

En janvier 2022, les ingénieurs pensent avoir pu déterminé l'origine de l'anomalie de déploiement du panneau solaire. Celui-ci est déployé par un câble qui est enroulé autour d'un cabestan mu par un moteur. À la suite d'une perte de tension dans le câble (due à des interactions entre les processus de déploiement des deux panneaux solaires) celui-ci a glissé du cabestan et s'est enroulé autour de l'axe du moteur (de moindre diamètre) laissant 75 centimètres du câble non enroulés. Deux solutions sont alors étudiées. La première consiste à exercer une traction plus forte sur le moteur mais les ingénieurs souhaitent évaluer le risque avant de procéder. L'autre option consiste à laisser le panneau solaire partiellement déployé. Mais ils doivent évaluer le risque associé à l'utilisation de la propulsion principale en ayant un panneau solaire non verrouillé[33] - [34]. En avril 2022 les opérateurs de la sonde spatiale décident de tenter de dérouler complètement le panneau solaire. Ils procèdent en plusieurs étapes de manière à ne pas provoquer de surchauffe des moteurs chargés d'enrouler le câblé. Le 16 juin ces opérations sont provisoirement interrompues car une conjonction solaire ne permet plus que des communications à bas débit mais on estime que le panneau solaire est presque complètement déployé (entre 353 et 357 degrés sur 360)[35].

L'équipe projet qui observe de manière régulière à l'aide d'instruments terrestres les astéroïdes troyens que doit survoler la sonde spatiale découvre en mars 2022 que Polymèle a un satellite de forme allongée (5 × 27 km) qui orbite à une distance d'environ 200 kilomètres[36].

Assistances gravitationnelles et manœuvres de correction de trajectoire

Pour atteindre le premier groupe d'astéroïdes troyens, la sonde spatiale doit survoler à deux reprises la Terre afin de gagner en vitesse grâce à l'assistance gravitationnelle de notre planète (octobre 2022 et décembre 2024). Après son lancement la sonde spatiale effectue plusieurs corrections de trajectoire avec sa propulsion. La première DSM-1 (deep-space maneuver), qui est réalisée moins d'un mois après le lancement, est de faible ampleur (delta-V de 14 m/s) et permet de positionner la sonde spatiale pour la première assistance gravitationnelle. Durant celle-ci la sonde spatiale passe à 351 kilomètres de la surface de la Terre. La deuxième correction de trajectoire DSM-2 est la plus importante de toute la mission (898 m/s), modifie le plan orbital, la forme de l'orbite et diminue légèrement sa période pour permettre le deuxième survol de la Terre. Ce dernier place la sonde spatiale sur une orbite qui lui permet d'atteindre celle des astéroïdes troyens. Durant son transit vers ceux-ci la sonde spatiale traverse la ceinture d'astéroïdes en et survole à cette occasion l'astéroïde (52246) Donaldjohanson à une vitesse de 13,4 km/s et une distance d'environ 1000 kilomètres.

Survol des astéroïdes troyens (2027-2033)

Son orbite culmine dans la région du point de Lagrange L4 en août 2027. Au cours de cette phase d'apogée, elle survole successivement quatre astéroïdes sur une période d'environ 15 mois : (3548) Eurybate, (15094) Polymèle, (21900) Oros et (11351) Leucos. Ces survols se déroulent à des vitesses comprises entre 5,8 et 7 km/s et à des distances comprises entre 400 et 1000 km. Lucy repart alors vers son périgée à proximité de la Terre. Un survol de celle-ci lui permet par assistance gravitationnelle de modifier son inclinaison orbitale de 9 degrés afin de se diriger vers ses dernières cibles situées dans la région du point L5. Les deux derniers astéroïdes, (617) Patrocle et sa lune Ménétios, qui orbitent l'un autour de l'autre en tant que système astéroïdal, sont survolés à une distance de 1 000 km et une vitesse de 8,8 km/s[37] - [29].

Principaux événements de la mission (les corrections de trajectoire mineures ne sont pas indiquées)[38] - [39].
Date Événement Delta-v Distance survol Vitesse survol Autre caractéristique
LancementC3 = 28,6 km2/s2
15 novembre 2021Correction de trajectoire DSM-114 m/s
Assistance gravitationnelle de la Terre298 km
Survol de (152830) Dinkinesh450 km
2 février 2024Correction de trajectoire DSM-2898 m/s
Assistance gravitationnelle de la Terre347 km
Survol de (52246) Donaldjohanson922 km13,4 km/sPhase solaire¹ = 15°
3 avril 2027Correction de trajectoire DSM-3311 m/s
Survol de (3548) Eurybate1 000 km5,7 km/sPhase solaire¹ = 81° (arrivée) 99° (départ)
Survol de (15094) Polymèle434 km6 km/sPhase solaire¹ = 82° (arrivée) 98° (départ)
29 septembre 2027Correction de trajectoire DSM-4122 m/s
Survol de (11351) Leucos1 000 km5,9 km/sPhase solaire¹ = 104° (arrivée) 76° (départ)
23 juillet 2028Correction de trajectoire DSM-5347 m/s
Survol de (21900) Oros1 000 km7,1 km/sPhase solaire¹ = 126° (arrivée) 54° (départ)
26 décembre 2030Assistance gravitationnelle de la Terre640 km
Survol de Ménétios1 075 km8,8 km/sPhase solaire¹ = 56° (arrivée) 124° (départ)
Survol de (617) Patrocle1 320 km8,8 km/sPhase solaire¹ = 56° (arrivée) 124° (départ)
¹ La phase solaire mesure ici l'angle entre les lignes Soleil-Astéroïde et Sonde spatiale-Astéroïde : une phase solaire supérieure à 90° signifie que la sonde spatiale s'approche du corps alors que celui-ci est partiellement côté obscur (180° = astéroïde n'est pas visible/éclairé.).
Trajectoire de Lucy et orbite de certains corps célestes visités
  • Lucy
  • Soleil
  • Terre
  • 52246 Donaldjohanson
  • 3548 Eurybates
  • 21900 Orus
  • 617 Patrocle
  • Dans cette représentation de la trajectoire de Lucy, le schéma tourne avec Jupiter qui reste constamment en haut au milieu du schéma (trait vertical car son orbite n'est pas strictement circulaire).
  • Lucy
  • Soleil
  • Terre
  • 52246 Donaldjohanson
  • 3548 Eurybates
  • Jupiter
  • 617 Patrocle
  • Déroulement des survols

    Les survols se déroulent à grande distance de la Terre : les astéroïdes troyens sont en effet situés à plus de 500 millions de kilomètres du Soleil soit cinq fois la distance Terre-Soleil. Le signal radio met plus de 50 minutes à parcourir la distance entre la sonde spatiale et la Terre, ce qui interdit tout contrôle à distance de l'engin et impose que celui-ci soit complètement autonome pour l'enchainement des opérations durant le survol des astéroïdes.

    Les éphémérides troyens qui définissent l'orbite des astéroïdes troyens survolés et leurs principales caractéristiques (masse, forme, albédo) sont mal connues comptes tenu de la faible taille et de l'éloignement de ces corps. Il est prévu d'effectuer une centaine d'observations par an pour affiner ces caractéristiques. Les versions du catalogue Gaia publiées avant les survols devrait également permettre d'améliorer la précision de ces données. 60 jours avant le survol d'un astéroïde par Lucy, différentes méthodes sont mises en œuvre pour affiner la trajectoire afin de passer à la distance souhaitée et la corriger si nécessaire. Ce sont des prises d'image de la cible par la caméra L'LORRI ainsi que des mesures de la vitesse de la sonde spatiale par effet Doppler et à l'aide de la technique Delta-DOR. Des petites corrections de trajectoire sont programmées 33 jours et 10 jours avant le survol[40].

    Les images prises à des fins scientifiques débutent 12 jours avant le survol pour permettre l'identification éventuelle de satellites. La plus grande partie des données scientifiques sont recueillies durant les quatre jours qui précèdent et qui suivent le survol (huit jours en tout) pour répondre aux contraintes de résolution spatiale. Contenu de la période de rotation des astéroïdes troyens généralement inférieure à 100 heures, sa mesure (un des objectifs de la mission) peut être réalisée durant ce laps de temps pour tous les astéroïdes, sauf dans le cas de Leucos (période de rotation 445 heures). Aussi les observations seront prolongées au-delà des 4 jours après ce survol. Si la sonde spatiale, à la suite d'un incident interne, passe en mode Mode survie durant les huit jours de collecte des données scientifiques, l'ordinateur de bord sera autorisé à traiter de manière autonome le problème et à repasser en mode de fonctionnement normal pour éviter la perte de données (normalement c'est le centre de contrôle sur Terre qui analyse les données du problème puis envoie des instructions pour rétablir la situation[41].

    La distance retenue pour le survol résulte de la prise en compte de trois facteurs. La sonde spatiale doit passer suffisamment près pour que l'attraction gravitationnelle de l'astéroïde puisse être mesuré par le changement de vitesse induit (via la mesure de l'effet Doppler). La proximité est également recherchée pour que résolution spatiale des images de la surface réalisées à l'aide de la caméra L'LORRI soit suffisante pour identifier les principales caractéristiques géologiques. A contrario une distance de survol trop faible limite la durée des prises d'images avec une incidence du rayonnement solaire relativement rasante (30-60°) nécessaire pour identifier les formations géologiques. Pour identifier les cratères de 70 mètres minimum (cahier des charges) une résolution spatiale de 14 mètres est suffisante. Compte tenu de ces éléments une distance de survol de 1000 kilomètres a été généralement retenu. Pour pouvoir mesurer la masse et le volume de Polymème avec une précision suffisante (25 et 22%) compte tenu de sa faible taille, la distance de survol de cet astéroïde est abaissé à 434 kilomètres[42].

    Cette plaque fixée sur le corps de la sonde spatiale, gravée avec un schéma de l'orbite de la sonde spatiale et des citations de plusieurs personnalités, est à destination de nos (lointains) descendants.

    Durant du survol les instruments sont maintenus pointés vers l'astéroïde en faisant pivoter à la fois la sonde spatiale et la plateforme qui supporte les instruments et qui dispose de deux axes de liberté. La plupart des opérations effectuées durant la phase de survol rapproché sont déclenchées par un système de programmation horaire détaillé préétabli. Toutefois certaines actions sont déclenchées par la sonde spatiale de manière autonome dès qu'elle se situe à une distance programmée de l'astéroïde. Cette distance est mesurée à l'aide des images prises prises par les caméras de navigation TTCam. Ce mode opératoire permet de prendre des images/mesures avec une meilleure précision[42].

    Fin de mission

    À l'issue de sa mission, Lucy se retrouve sur une orbite particulièrement stable qu'elle devrait continuer à parcourir durant des centaines de milliers voire des millions d'années. Comme dans le cas de plusieurs sondes spatiales de la NASA lancées précédemment, Lucy emporte une plaque gravée. Celle-ci est une capsule temporelle à destination éventuelle de nos lointains descendants. Elle présente un schéma du système solaire avec l'orbite de la sonde spatiale ainsi que des citations de plusieurs penseurs (scientifiques, poètes, musiciens, hommes politiques, ...) éminents[43].

    Caractéristiques techniques de la sonde spatiale

    Schéma de la sonde spatiale avec une silhouette humaine donnant l'échelle. On distingue la plateforme orientable portant les instruments scientifiques au-dessus du corps de Lucy et l'antenne parabolique utilisée pour les communications avec la Terre.
    La sonde spatiale est préparée avant son lancement. On distingue dans la partie supérieure, la plateforme orientable supportant les instruments scientifiques et sur le côté un des deux panneaux solaires en position repliée.

    Lucy est une sonde spatiale stabilisée 3 axes d'une masse de 1,5 tonnes dont plus de 700 kilogrammes d'ergols utilisés pour les différentes manœuvres effectuées durant la mission (modifications et corrections de trajectoire). Le corps de la sonde spatiale est un parallélépipède de 1 à 2 mètres de côté. Deux immenses panneaux solaires circulaires Ultra Flex de 7,2 mètres de diamètre sont fixés de part et d'autre de la sonde spatiale[44]. Chacun des deux panneaux solaires a une masse de 77 kg ce qui représente au total 20% de la masse à vide de la sonde spatiale. En position repliée leur épaisseur n'est que de 10 centimètres[45]. Leur surface, particulèrement importante, est nécessaire pour capter le faible rayonnement solaire qui subsiste au niveau de l'orbite de Jupiter (il est 25 fois plus faible qu'au niveau de la Terre car le Soleil est distant d'environ 5 Unités Astronomiques)[Note 7]. Une fois les panneaux solaires déployés en orbite, l'envergure de la sonde spatiale atteint 14,25 mètres en largeur et 7,2 mètres en hauteur. Les panneaux solaires fournissent 504 Watts lorsque Lucy survole les astéroïdes troyens (18 000 Watts au niveau de l'orbite terrestre[33]). Le contrôle de l'orientation est réalisé à l'aide de roues à réaction. Le système de propulsion utilise des ergols hypergoliques. Les données recueillies par les instruments sont envoyées vers la Terre en bande X par l'intermédiaire d'une antenne parabolique grand gain de 2 mètres de diamètre[44].

    Instrumentation scientifique

    Schéma représentant la configuration des quatre instruments installés sur une plateforme orientable.
    L'instrument L’Ralph en cours d'assemblage. Le radiateur circulaire est identifiable.
    L'instrument L'TES instrument dans une salle blanche de l'Université d'état de l'Arizona.

    La charge utile comprend trois instruments scientifiques : une caméra haute résolution, un spectromètre imageur visible et proche infrarouge et un spectromètre infrarouge thermique. Par ailleurs deux équipements de la sonde spatiale sont utilisés de manière secondaire à des fins scientifiques : le système de télécommunications en bande X et les caméras de navigation[44]. Les performances des instruments (résolution, rapport signal/bruit, ...) ont été fixés pour répondre aux besoins détaillés des objectifs. Les trois instruments scientifiques ainsi que les caméras de navigation sont fixés sur une plateforme (IPP) pouvant être orientées de manière indépendante de la sonde spatiale. Celle-ci dispose de deux degrés de liberté : l'IPP peut pivoter de 199° dans le plan du survol (celui-ci est défioi par le vecteur de déplacement et l'astéroïde) et 24° au-dessus et au-dessous du plan de survol[39].

    Caméra à haute résolution L'LORRI

    L'LORRI (Lucy's LOng Range Reconnaissance Imager) est une caméra qui réalise des photos panchromatiques à haute résolution spatiale. Elle fonctionne en lumière visible (0,35-0,85 micron). Le miroir primaire a un diamètre de 20,8 centimètres et la longueur focale est de 262 centimètres. Le détecteur fourni par Teledyne e2v comporte 1024 x 1024 pixels. Chaque pixel couvre un volume de 5 microradians : la FWHM de 15 microradians ce qui permet une résolution spatiale de 15 mètres au moment du survol d'un astéroïde à une distance de 1000 kilomètres. L'LORRI doit prendre des images détaillées de la surface des astéroïdes. La caméra dérive de l'instrument LORRI de la sonde spatiale New Horizons. L'instrument est fourni par le laboratoire de recherche APL de l'Université John Hopkins[46].

    Spectromètre-imageur L'Ralph

    L'Ralph est un instrument qui combine la caméra panchromatique et couleurs MVIC (Multi-spectral Visible Imaging Camera) fonctionnant en lumière visible (0,4-0,914 micron) et le spectromètre-imageur LEISA (Linear Etalon Imaging Spectral Array) fonctionnant dans le proche infrarouge (0,95-3,6 microns). Les deux instruments partagent la même optique. Celle-ci est un télescope anastigmatique à trois miroirs f/6 avec une ouverture de 75 millimètres et un miroir semi-réfléchissant qui envoie le rayonnement ayant une longueur d'onde inférieure à 0,96 microns vers MVIC et celui caractérisé par une longueur d'onde supérieure vers LEISA[47] - [48].

    Le plan focal de MVIC comprend 6 détecteurs de type TDI de 5000 x 64 pixels. Chacun est destiné à la mesure d'une bande spectrale : violet, vert, orange, phyllosilicate (627-758 nanomètres), proche infrarouge (753-914 nm) et panchromatique (377-914 nm). Le champ de vue a une largeur de 8,3° dans la direction perpendiculaire au sens de déplacement (les images sont collectées ligne par ligne au fur et à mesure de l'avancement de la sonde spatiale). La résolution spatiale de MVIC est de 29 microradians (soit 29 mètres à 1000 kilomètres de distance). MVIC prendra des photos en couleurs des astéroïdes[48].

    Le détecteur de LEISA est de type H2RG et utilise un alliage de tellurure de mercure-cadmium (HgCdTe). Il est maintenu à 100 kelvin de manière passive râce à un radiateur circulaire de 50 centimètres diamètre. La résolution spatiale de MVIC est de 68 microradians (68 mètres à 1000 kilomètres de distance). La résolution spectrale est de 10 nanomètres. LEISA doit permettre d'identifier les différents silicates, glaces et composés organiques présents à la surface des astéroïdes[48].

    L'instrument dérive de celui embarqué sur la mission New Horizons. Plusieurs modifications ont été apportées : la bande spectrale observée est plus large, un miroir mobile permet d'éviter de faire pivoter la sonde spatiale pour effectuer les prises d'images en continu et le détecteur infrarouge comprend 2 000 x 2 000 pixels contre 256 x 256 pour l'instrument de New Horizons. L'instrument est fourni par le centre de vol spatial Goddard (établissement de la NASA)[48].

    Spectromètre infrarouge thermique L'TES

    L'TES (Lucy's Thermal Emission Spectrometer) est un spectromètre infrarouge thermique qui mesure les émissions dans la bande spectrale 6-75 microns. L'instrument permet de mesurer la température du sol des astéroïdes et d'en déduire certaines propriétés comme l'inertie thermique ainsi que la composition et la structure des matériaux présents à la surface. Chaque pixel couvre un volume de 6,5 microradians (résolution spatiale de 6,5 mètres à 1000 kilomètres de distance) et la température est mesurée avec une précision de 2 kelvin lorsqu'elle est supérieure à 75 kelvin. La prise d'image débute un jour avant le survol et s'achève un jour après. L'instrument comprend un télescope Cassegrain de 15,2 centimètres de diamètre, un interféromètre de Michelson et un détecteur de type DLATGS. Il dérive de l'instrument OTES embarqué à bord des missions OSIRIS-REx et Mars Global Surveyor. L'instrument est fourni par l'Université d'état de l'Arizona[49].

    Caméras de navigation TTCam

    La sonde spatiale dispose de deux caméras redondantes TTCam (Terminal Tracking Cameras) qui sont utilisées pour permettre un pointage autonome de la plateforme porte-instruments lors du survol des astéroïdes. Ces caméras sont également utilisées à des fins scientifiques pour déterminer la forme des astéroïdes. Leur large champ de vue (11° x 8,2°) permet de photographier l'ensemble de la surface de ceux-ci durant l'ensemble du survol contrairement à la caméra haute résolution L'LORRI qui dispose d'une champ de vue plus étroit. Ces caméras sont fournies par la société Malin Space Science Systems et sont dérivées de la caméra utilisée par la sonde spatiale OSIRIS-REx lors du prélèvement d'échantillon de sol. L'optique a une ouverture de 10 millimètres et une longueur focale de 29,7 millimètres. Le détecteur de type CMOS monochrome comprend 2752 x 2004 pixels utilisables. Chaque pixel couvre un volume de 74,1 microradians (résolution spatiale de 74 mètres à 1000 kilomètres de distance)[50].

    Principales caractéristiques des instruments[51]
    Caractéristique L'LORRI L'TES L'Ralph/MVIC L'Ralph/LEISA TTCam
    Masse (kg)14,07.737,02,96
    Consommation électrique (Watts)12,417,63010
    Champ de vue (degrés)0,290,578.31,4x3,411x8,2
    Résolution spatiale (microradians)5.0N/A298074
    Bande spectrale (microns)0,45–0,856–750,38–0,921,0–3,80,425–0,675
    Résolution spectrale (nanomètres)400 nm10 cm−147–550 nm10 nm250 nm

    Radio-science

    L'expérience de radio-science utilise le système de télécommunications en bande X de la sonde spatiale pour mesurer le décalage Doppler subi par la sonde spatiale lors du survol des astéroïdes. La gravité de ces corps modifie la vitesse de Lucy et ce changement peut être mesuré par ce procédé et permet d'en déduire la masse (et la densité) des astéroïdes. Cette expérience est mise en œuvre avant et après le survol rapproché de l'astéroïde. En effet durant la période de survol rapprochée d'une durée de 9 heures les instruments scientifiques sont pointés vers la surface de l'astéroïde et l'antenne parabolique n'est plus alignée avec la Terre[52].

    Opérations au sol

    Le centre des opérations scientifiques (SOC) chargé de planifier les observations et de programmer leur exécution par les instruments L'LORI, L'Rallph et L'TES est hébergé par l'institut de recherche Southwest Research Institute (SWRI) à Boulder (Colorado). Le centre de contrôle de la sonde spatiale (MOC) est pris en charge par son constructeur Lockheed Martin et est installé à Littleton (Colorado). Le centre de vol spatial Goddard à Greenbelt (Maryland) assure la gestion des opérations via son centre SSMO (Space Science Mission Operations)[53].

    Notes et références

    Notes

    1. Le SWRI est un institut de recherche appliquée américain qui emploie plusieurs milliers de techniciens et chercheurs. Ce centre de recherche est notamment un des principaux fabricants d'instruments scientifiques embarqués à bord des sondes spatiales et des observatoires solaires spatiaux.
    2. L'équipe de chercheurs ayant fait cette découverte était codirigée par Donald Johanson (paléontologue qui a donné son nom à l'astéroïde (52246) Donaldjohanson), Maurice Taieb (géologie) et Yves Coppens (paléontologie). Lucy, le nom donné à l'australopithèque est lui-même tiré de la chanson Lucy in the Sky with Diamonds des Beatles.
    3. Bien qu'ayant le même nom et éponyme que la mission, l'astéroïde de la ceinture principale (32605) Lucy n'est pas un des astéroïdes qui est exploré par la sonde. L'astéroïde (152830) Dinkinesh est cependant nommé également d'après l'australopithèque Lucy, Dinkinesh étant un nom éthiopien pour ce dernier.
    4. L'astéroïde, qui n'avait jusque là qu'un numéro, a été nommé par le Centre des planètes mineures en décembre 2015 à la suite de la décision de son survol par la sonde spatiale : il porte désormais le nom de Donald Johanson, un des co-découvreurs de l'australopithèque Lucy. L'astéroïde (172850) Coppens, de la ceinture principale et qui porte comme (52246) Donaldjohanson le nom d'un co-découvreur de l'hominidé Lucy, n'est par contre pas une des cibles de la sonde Lucy.
    5. Les panneaux solaires ont un encombrement important incompatible avec le volume de la coiffe du lanceur. Ils sont repliés pour le lancement et dépliés dès que l'engin spatial a été largué par la fusée.
    6. L'enjeu est important car les panneaux solaires génèrent très peu d'énergie lors du survol des astéroïdes (500 watts) car ceux-ci sont très éloignés du Soleil et la sonde spatiale dispose d'une marge limitée de puissance électrique (les instruments scientifiques à eux seuls consomment 82 watts).
    7. Lucy est seulement la deuxième sonde sptatiale américain (après Juno) à utiliser des panneaux solaires à une distance aussi importante du Soleil car habituelle elles ont recours à des RTG pour la fourniture d'énergie.

    Références

    1. F. Yoshida et T. Nakamura, « Size distribution of faint L4 Trojan asteroids », The Astronomical Journal, vol. 130, no 6, , p. 2900–11 (DOI 10.1086/497571, Bibcode 2005AJ....130.2900Y)
    2. Yanga R. Fernandes, Scott S. Sheppard et David C. Jewitt, « The albedo distribution of Jovian Trojan asteroids », The Astronomical Journal, vol. 126, no 3, , p. 1563–1574 (DOI 10.1086/377015, Bibcode 2003AJ....126.1563F)
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    12. (en) Van Kane, « Proposals to Explore the Solar System’s Smallest Worlds », The Planetary Society,
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    19. « NASA’s Lucy Mission One Step Closer to Exploring the Trojan Asteroids », NASA,
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    25. Lucy Mission to the Trojan Asteroids : Science Goals, p. 3
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    50. Lucy Mission to the Trojan Asteroids: Instrumentation and Encounter Concept of Operations, p. 6
    51. Lucy Mission to the Trojan Asteroids: Instrumentation and Encounter Concept of Operations, p. 2
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    53. Lucy Mission to the Trojan Asteroids: Instrumentation and Encounter Concept of Operations, p. 9-10

    Voir aussi

    Bibliographie

    Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

    • (en) Harold F. Levison, Catherine B. Olkin, Keith S. Noll, Simone Marchi, James F. Bell III et al., « Lucy Mission to the Trojan Asteroids : Science Goals », The Planetary Science Journal, vol. 2, no 5, , p. 171 (DOI 10.3847/psj/abf840, lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
      Objectifs scientifiques de la mission
    • (en) Catherine B. Olkin, Harold F. Levison, Michael Vincent, Keith S. Noll, John Andrews, Sheila Gray, Phil Good, Simone Marchi, James F. Bell III et al., « Lucy Mission to the Trojan Asteroids: Instrumentation and Encounter Concept of Operations », The Planetary Science Journal, vol. 2, no 5, , p. 172 (DOI 10.3847/psj/abf83f, lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
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      AAS/AIAA Astrodynamics Specialist
      — Trajectoire et navigation Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • (en) NASA, Press kit - Lucy : The First Mission to the Trojan Asteroids, NASA, , 12 p. (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article — Dossier de presse de la mission fourni par la NASA

    Articles connexes

    Les autres demi-finalistes du programme Discovery en 2017
    • Psyché l'autre mission gagnante
    • DAVINCI mission sélectionnée lors de la sélection de 2021.
    • Near-Earth Object Camera (NEOCam) mission qui sera finalement sélectionnée en 2019 au titre du programme de défense planétaire.
    • VERITAS mission sélectionnée lors de la sélection de 2021.

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