Libyens
Les Libyens ou Libyques représentaient les peuples indigènes d'Afrique du Nord à l'ouest de la vallée du Nil et seraient les ancêtres des actuels Berbères. Les plus anciennes attestations de ces populations se trouvent en Égypte. Le terme désignait initialement les tribus indigènes de Cyrénaïque et de ses environs , connues notamment sous l'appellation de Lebou/rbw, terme qui sera repris par les Grecs[1].
Libyensⵉⵍⵉⴱⵉⵢⵏ(ber) | |
Quatre chefs libyens (à gauche), tels que représentés dans la tombe du pharaon Séthi Ier, au coté d'autres peuples connus en Égypte (Nubien, Assyrien, Égyptien). | |
Période | Depuis l'Antiquité, Antiquité tardive |
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Langue(s) | Libyque, Ă©gyptien ancien, punique |
Religion | Religion libyque, religion aborigène canarienne, religion égyptienne ancienne, religion punique• Autres |
Région d'origine | • Afrique du Nord• Numidie• Tripolitaine• Libye antique (Cyrénaïque et Marmarique) |
Frontière | Océan Atlantique à l'ouest et Vallée du Nil à l'est |
Représentations
Des représentations de Libyens se retrouvent parmi certaines fresques égyptiennes comme celles du tombeau de Séthi Ier : on y voit quatre chefs Libyens coiffés de plumes d'autruche[2]. Les peintures de l'Égypte antique les représentent avec la peau claire, ce qui correspond aux descriptions des auteurs de la Grèce antique[3], certains évoquant l'existence de Libyens aux yeux bleus[4] et aux cheveux blonds[5].
Origine
Leur origine est sujet à débat.
Des auteurs grecs, latins et juifs présentent des mythes d'origine sur les Libyens dans lesquels ceux-ci - ou certains d'entre eux - seraient notamment des descendants de rescapés troyens[6] - [7] - [8], d'Olbiens et de Mycéniens[9] menés en Afrique par Hercules, de Mèdes, d'Indiens, de Perses, d’Arméniens[10] - [11], Cananéens, Philistins voire de Koushites[12].
Cependant, selon d'autres versions, notamment archéologiques, ils seraient descendants des paléo-berbères mechtoïdes qui étaient déjà sur place dans la région préhistorique correspondant à l'actuel Maghreb, liés aux industries paléolithiques des Capsiens et aux Ibéromaurusiens qui les ont précédés.
Diversité des peuples
Les Libyens sont mentionnés par les Égyptiens anciens, qui évoquent l'existence de diverses tribus ou confédérations libyques[13] telles que les Libou, les Mâchaouach, les Tehenou et les Temehou[14].
Les Libyens sont également mentionnés par les Grecs anciens, tels Hérodote au Ve siècle avant notre ère, dans son œuvre[15] : l'historien grec y évoque une multitude de peuples libyques autochtones nomades, semi-nomades, et sédentaires. La langue libyque et la culture semblaient créer une certaine unité entre ces peuples mais on peut dégager deux ensembles dans les populations libyques :
- un premier ensemble de peuples plutôt mal repérés et localisés par les auteurs anciens, portant différents noms : les Nasamons, les Atlantes, les Baquates, les Bavares, les Suburbures, les Musulames, les Gétules[16], les Garamantes, les Austuriens, etc.
- un deuxième ensemble qui comprend les Maures et les Numides, ces derniers étant divisés en Massyles et Massæsyles.
Ces divers peuples libyques étaient organisés sur un mode généralement tribal ou confédérationnel, avec un chef, un roi ou une reine à leur tête, mais certains (Maures et Massyles notamment) ont su développer une organisation plus élaborée.
On parle d'ailleurs parfois de Libophéniciens (ou Libyphéniciens, ou Libyophéniciens) pour désigner les populations de la région de Carthage proches des ancêtres des actuels Berbères mais qui se sont assimilées aux Phéniciens durant l'ère carthaginoise (par mariage intercommunautaire ou acculturation)[17].
Polysémie du terme « Libyens »
- Avec Hécatée de Millet et Hérodote, le terme « Libyens » désignait l'ensemble des habitants d'Afrique du Nord vivant à l'ouest de la vallée du Nil et au Nord de l'Éthiopie antique[18].
- Occasionnellement le terme ne fut utilisé que dans un cadre strictement géographique comme dans le cas de Sophocle qui qualifie deux auriges grecs de Cyrénaïque comme « libyens »[19] ou Pausanias qui mentionne un « trésor des Libyens » à Olympie alors qu'il s'agissait d'un trésor des grecs de Cyrénaïque[20].
- Dans le contexte des guerres puniques, le terme en est venu à désigner spécifiquement les populations africaines sujettes de Carthage qui fournissaient de nombreux contingents à celle-ci[21]Mais très vite le terme finit par inclure les carthaginois dans la terminologie grecque[22].
Culture
Les représentations égyptiennes montrent que, parmi les tribus libyennes, seuls les chefs étaient tatoués et portaient des plumes[23]. De plus, les Libyens semblent avoir fait un usage important de chars (biges et quadriges) figurés notamment en Égypte et dans le Tassili[24] ; Hérodote affirmera même que c'est des Libyens que les grecs apprirent à atteler quatre chevaux[25].
Hérodote subdivise cette population en deux groupes : les uns nomades et principalement localisés le long de la côte de Cyrénaïque et de la Tripolitaine ; les autres sédentaires et cultivateurs vivant au-delà du lac Triton (en Tunisie actuelle)[26].
Langue
Le libyque est aussi appelé proto-berbère. Existent de même les appellations berbère ancien et libyque ancien[27].
Cette langue est attestée au moins jusqu'à la fin de la période romaine, avec par exemple les inscriptions, datant de 201, sur les parois du fort de Bu Njem, au sud-est de la Medjadja, ou les signes gravés sur un vase à Tiddis au IVe siècle.
Cette persistance s'explique sans doute par le fait que les Romains ont eu du mal à comprendre et à parler le libyque. Pline l'Ancien évoque des « noms imprononçables par d'autres bouches que celles des indigènes »[28].
Pour cette période tardive, on parle de néo-libyque afin de marquer l'évolution de la langue, notamment sous l'influence punique.
Écriture
Le libyque utilisait un alphabet consonantique, ancêtre du tifinagh actuel que les Touaregs ont conservé[29] et dont une variante est officiellement utilisée en Algérie et au Maroc. Même si certaines influences puniques sont décelables, il ne semble pas que cette écriture dérive du phénicien. En effet, comme le soulignent S. Chaker et J. Onrubia Pintado, les différences étant trop importantes, le postulat d'une origine phénicienne est à rejeter[30] - [31]. Cependant une origine orientale reste fort probable étant donné que l'alphabet libyque partage de nombreuses similitudes avec les systèmes d'écriture archaïques du nord de l'Arabie même si certaines affinités sont aussi signalées dans le cas des écritures sud-arabiques et turdétan[32] - [33]. Les plus anciennes traces de cette écriture remontent au IIe siècle av. J.-C. même si des datations plus anciennes avaient auparavant été proposées[34].
La majorité des inscriptions libyques découvertes à ce jour s'inscrivent dans un contexte funéraire et privé mais il existe néanmoins quelques inscriptions publiques, officielles et bilingues punico-libyques (comme à Thugga)[35]. C'est notamment grâce à ces textes bilingues qu'un déchiffrement de la variante orientale de cette écriture a pu s'effectuer alors que la variante occidentale (en usage au Maroc et dans l'ouest de l'Algérie) reste indéchiffrable[36].
Notes et références
- Oric Bates, The eastern Libyans, p. 46
- Représentation sur le tombeau de Séthi Ier.
- Pseudo-Scylax, PĂ©riple, 110 (GGM, I, p. 88) : Cf. Bates, O., The Eastern Libyans, Londres, 1914, p. 40, n. 5.
- Pausanias, I, 14.
- Lucain, Pharsale, X, 129.
- Commentaire de l’Enéide, III, 399
- Diodore de Sicile XX, 57
- HĂ©rodote IV, 191
- Plutarque (Vie de Sertorius, IX)
- Salluste Guerre de Jugurtha (XVII)
- Strabon (XVII, 3, 7)
- Y. Moderan, « Mythes d’origine des Berbères (Antiquité et Moyen Âge) », Encyclopédie berbère, no 32,‎ , p. 5157–5169 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.674, lire en ligne, consulté le )
- Jean-Marie Lassère, Africa, quasi Roma : 256 av. J.-C - 711 apr. J.-C., CNRS Éditions, , 786 p. (ISBN 978-2-271-07689-2, lire en ligne)
- Unesco, Libya antiqua, (lire en ligne)
- HĂ©rodote, EnquĂŞte, livre IV.
- Notons toutefois que des historiens comme Jehan Desanges pensent que le terme « Gétules » désignerait plus un mode de vie qu'un peuple précis et homogène.
- Gabriel Camps, « L'origine des berbères », Islam : société et communauté. Anthropologies du Maghreb, sous la dir. d'Ernest Gellner, les Cahiers CRESM, éd. CNRS, Paris, 1981.
- K. Zimmermann, « Libyens », Encyclopédie berbère, nos 28-29,‎ , p. 4387–4389 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.338, lire en ligne, consulté le )
- El. 701-702 ; cf. 727
- VI, 19, 10
- Polybe, I 65, 3 ; III 33, 15
- Strab. I 1, 17, C 10 ; Plut. Marc. 31, 8-9 ; App. Ib. 73 ; Arr. Ind. 43, 11 ; Zon. VIII 12
- O. Bates, The eastern Libyans, p. 138
- G. Camps et S. Chaker, « Cheval », Encyclopédie berbère, no 12,‎ , p. 1907–1911 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.2117, lire en ligne, consulté le )
- HĂ©rodote, IV, 189
- HĂ©rodote, IV, 181 ; 186.
- H. Iglesias, La parenté de la langue berbère et du basque : nouvelle approche, (lire en ligne), page 1, note 2
- Pline l'Ancien, Histoire naturelle, V, 1.
- http://www.mondeberbere.com/, L'Ă©volution de Tifinagh.
- J. Onrubia Pintado, Prehistory of North African Berbers, p. 87
- G. Camps, H. Claudot-Hawad, S. Chaker et D. Abrous, « Écriture », Encyclopédie berbère, no 17,‎ , p. 2564–2585 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.2125, lire en ligne, consulté le )
- Gabriel Camps, Espaces berbères, p. 52-53
- Otto Rossler, Die Numider reiter, p. 92
- Abdelaziz el Khayari, « Aux origines de l'écriture au Maroc », Le Jardin des Hespérides,‎ (lire en ligne)
- S. Chaker, « Libyque : écriture et langue », Encyclopédie berbère, nos 28-29,‎ , p. 4395–4409 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.344, lire en ligne, consulté le )
- Mohamed Kably, Histoire du Maroc réactualisation et synthèse, Rabat, édition de l'Institut Royal pour la Recherche sur l'Histoire du Maroc, (ISBN 978-9954-30-447-1), p. 105
Bibliographie
- Gabriel Camps (dir.), Encyclopédie berbère, Édisud, Aix-en-Provence, 1985-2006.
- Jehan Desanges, Catalogue, 1962, p. 297
- Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, Hachette, Paris, 1921-1928, huit volumes.