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Let It Be (album des Beatles)

Let It Be est le douzième et dernier album original publié par les Beatles, paru le en Grande-Bretagne, et dix jours plus tard aux États-Unis. Au moment de sa sortie, le groupe est déjà officiellement séparé, depuis une annonce faite par Paul McCartney le 10 avril. Les chansons présentes sur ce disque ont été enregistrées plus d'un an avant leur parution, l'essentiel étant mis en boîte en janvier 1969, avant la réalisation de l'album Abbey Road, publié en septembre 1969. Pour cette raison, Let It Be n'est pas considéré comme l'ultime album des Beatles, puisqu'il n'est pas le dernier enregistré.

L'album, supposé paraître à l'été 1969 sous le titre Get Back, est conçu au départ comme un retour aux sources : quatre musiciens jouant du rock dans des conditions live, en répétition pour un hypothétique concert. De plus, le tout doit déboucher sur un film. Les trois semaines consacrées aux répétitions et à l'enregistrement des chansons se déroulent sous l’œil des caméras de Michael Lindsay-Hogg qui tournent en continu, et sont ponctuées par le fameux concert sur le toit de leur immeuble de Savile Row le 30 janvier 1969. John Lennon, Paul McCartney et George Harrison ont apporté un grand nombre de chansons, toutes répétées, dont douze finiront sur cet album, alors que d'autres seront retravaillées de février à l'été 1969 pour Abbey Road, ou encore apparaîtront sur leurs albums respectifs après la séparation du groupe.

Les difficultés, qu'elles soient d'ordre relationnel ou logistique, s'accumulent durant ces sessions. Insatisfaits du résultat, les Beatles abandonnent le projet. Hormis Get Back et Don't Let Me Down, publiées en single en avril 1969, les kilomètres de bandes enregistrées en un mois sont dans un premier temps rangées au placard avant que le nouveau manager du groupe, Allen Klein, sans consulter Paul McCartney, ne décide de les confier au producteur américain Phil Spector. En mars 1970, Spector post-produit toutes les chansons à sa manière, rejette Don't Let Me Down de la liste, et le 33 tours paraît finalement en mai sous le nom de Let It Be, en même temps que le film du même nom.

Let It Be est aussi l'un des deux albums, avec A Hard Day's Night, sur lequel Ringo Starr ne chante pas. C'est, par ailleurs, l'unique œuvre des Beatles où George Martin, quoique présent du début à la fin du projet, n'est pas crédité en tant que producteur. C'est aussi le seul album où un musicien additionnel, Billy Preston à l'orgue et au piano électrique, est présent sur 7 titres et crédité sur le single Get Back. Quant au travail de Phil Spector, il est sujet à controverse et entraîne, 33 ans plus tard sous l'impulsion de Paul McCartney, la publication d'une version « déspectorisée » : Let It Be... Naked.

Ce dernier album officiel des Beatles est initialement commercialisé sous la forme d'un coffret incluant le disque vinyle et un livre. L'album seul n'est disponible qu'en novembre. Il bat tous les records de pré-commandes avant parution aux États-Unis où le livre n'est pas disponible. La publication de cet album se fait en parallèle au film Let it Be sorti en 1970. Ce documentaire montrant les répétitions et les enregistrements de janvier 1969 et abordé sous l'angle d'un groupe en train de se disloquer, fait l'objet, en 2021, d'un nouveau montage plus positif tiré de près de 60 heures d'image inédites, réalisé par Peter Jackson, proposé en trois parties de plus de deux heures chacune sur Disney+ ; il reprend le titre d'origine du projet : The Beatles: Get Back.

Historique

Contexte

Les sessions pour l'« Album blanc » sont l'occasion des premières tensions entre les membres du groupe, qui vont empirer pendant le projet Get Back.

À la suite des pénibles sessions de mai à , consacrées à l'enregistrement de l'« Album blanc », les Beatles comprennent qu'ils traversent une période difficile[1]. Avant que le 30 mai 1968, John Lennon n'installe sa nouvelle compagne et muse Yoko Ono à ses côtés dans les studios, dès le début des sessions du double album tout simplement titré The Beatles[2], aucune compagne ou épouse n'était admise durant les enregistrements ou les répétitions. Ce disque et sa pochette toute blanche au formidable succès commercial avait été celui des individualités, les Beatles utilisant souvent séparément les trois studios d'Abbey Road pour enregistrer leurs chansons dans une ambiance particulièrement pesante, le groupe jouant rarement au grand complet[3]. Certaines, comme Julia, Blackbird, Good Night ou Mother Nature's Son, avaient même été interprétées par un seul des Beatles[a 1]. À présent, les autres membres du groupe peinent à s'entendre avec Yoko Ono[4] et leurs rapports sont très tendus, d'autant plus qu'elle agace aussi l'équipe des studios en émettant des critiques[5]. Par ailleurs, ils doivent, par contrat avec United Artists, un dernier film, à une époque où ils n'ont plus la moindre envie de jouer la comédie[6].

Devenu le motivateur du groupe, Paul McCartney trouve une solution à cette situation doublement délicate : recoller les morceaux en revenant à ce qui a fait la cohésion et la force des Fab Four, jouer du rock 'n' roll brut, sans user des innombrables techniques de studio qui ont prédominé pendant les trois dernières années[7]. Le principe du projet est donc de jouer ensemble et en direct, comme un vrai groupe rock, bannir toute retouche, interdire les overdubs « watchamacallit » (« what you may call it », « quels que soient le nom que vous leur donnez »), comme dit John Lennon[7]. Les erreurs d'interprétation doivent rester, comme pour montrer que les Beatles ne sont pas parfaits, et l'idée plaît beaucoup à Lennon[8]. Tout doit être filmé, pour remplir le contrat avec United Artists.

Cependant, et jusqu'à la fin des sessions, le groupe a beaucoup de mal à se mettre d'accord sur les tenants et les aboutissants du projet : est-ce pour une émission télévisée, un documentaire montrant le processus créatif menant à la publication d'un album, ou des répétitions pour un concert ? Et si concert il doit y avoir, où se tiendra-t-il ? « Sur la lune ! », selon une blague de Lennon. Dans un premier temps, il est décidé de filmer des répétitions pour une émission télévisée qui sera retransmise mondialement, à l'image de ce qui avait été fait pour All You Need Is Love en juin 1967[9].

À partir du 2 janvier 1969, les Beatles s'installent donc avec l'équipe de tournage aux studios de cinéma de Twickenham, qu'ils connaissent déjà puisque des scènes de A Hard Day's Night et Help! y ont été tournées. Le tournage s'y déroule durant quinze jours[7].

Studios de Twickenham

Les répétitions et les premiers enregistrements débutent du 2 au 16 janvier, dans les studios de cinéma de Twickenham, sous les caméras du réalisateur Michael Lindsay-Hogg. Il est chargé de réaliser le documentaire sur les préparatifs du groupe, pour un projet qui porte provisoirement le nom de Get Back[7] à la suite de la création sur place de cette chanson. Lindsay-Hogg a pour ordre de laisser tourner les caméras en permanence, McCartney allant même jusqu'à suggérer divers angles de caméras. Chaque bribe de musique, chaque conversation sont enregistrées, dans le but de fournir le plus d'éléments possibles lors du montage final. Deux caméras, chacune reliée à un magnétophone Nagra disposant d'une bande d'une capacité de 16 minutes, se relayent de manière continue, filmant l'intégralité des sessions. L'ingénieur du son Glyn Johns dispose également d'un équipement mono, afin que les Beatles puissent écouter le résultat quotidien des sessions[10].

Avec trois semaines pour préparer une heure de concert, le planning de travail s'avère serré pour les Beatles qui ont pris l'habitude de ne pas se presser en studio[11]. Ils abordent des dizaines et des dizaines de titres, en quelques notes seulement pour certains, discutent, blaguent, se disputent, revisitent des vieux classiques du rock 'n' roll (Rock and Roll Music, Dizzy Miss Lizzy, Be-Bop-A-Lula, Lucille, Whole Lotta Shakin' Goin' On, Sure to Fall), font le bœuf, jouent de tout et de rien, parfois mal et sans conviction[12] - [13]. Ils répètent aussi leurs nouvelles chansons, dont certaines seront utilisées sur l'album en préparation (Let It Be, The Long and Winding Road, I Me Mine, For You Blue, Two of Us, I've Got a Feeling, etc.); Get Back étant la seule conçue et écrite sur place durant ce mois de janvier[14]. D'autres seront retravaillées à l'été 1969 pour Abbey Road (Maxwell's Silver Hammer, Oh! Darling, Octopus's Garden, I Want You (She's So Heavy) Something ainsi que Mean Mr. Mustard, Polythene Pam, She Came In Through the Bathroom Window, Golden Slumbers et Carry That Weight qui finiront par constituer la majeure partie du medley de la seconde face de Abbey Road) , sans oublier des compositions qui se retrouveront sur les albums solos publiés après la séparation des Beatles, telles All Things Must Pass de Harrison, Gimme Me Some Truth et Child of Nature (qui deviendra Jealous Guy) de Lennon, Junk, Teddy Boy, The Back Seat of My Car et Another Day de McCartney[15]. Des compositions inédites et qui ne seront jamais publiées sont également jouées pendant ces répétitions (Wake up in the Morning ou Commonwealth de Lennon-McCartney).

Bien que d'un point de vue musical, ces sessions sont particulièrement prolifiques compte tenu du nombre de nouvelles chansons apportées par les trois auteurs principaux, le groupe est toujours miné par les tensions ; tandis que John Lennon achève de se désintéresser du groupe pour Yoko Ono et ses projets solo, Paul McCartney fait preuve d'un dirigisme qui finit par exaspérer les autres. Lui-même reconnaît avoir parfois montré trop d'enthousiasme, et avoue aussi que ses partenaires le trouvaient « trop dominateur »[16]. Les horaires matinaux inhabituels et l'atmosphère froide et austère des studios de Twickenham n'arrangent pas les choses[17]. La présence constante de Yoko aux côtés de John, et dont le comportement frise parfois l'ingérence, participe aussi à la tension ambiante. Lennon explique ainsi avoir fait l'album « comme on va bosser à neuf heures du matin »[18], et décrit les sessions de Twickenham comme « les plus misérables… de la terre », George Harrison déclare que le groupe y a « touché le fond », et McCartney les a vécues comme « très délicates »[19].

Les disputes sont courantes et s'engagent souvent sur des sujets futiles. Le 6 janvier, durant les répétitions de la chanson Two of Us, McCartney fait une remarque à Harrison concernant sa façon de jouer, et celui-ci répond : « Je jouerai ce que tu veux. Et si tu ne veux pas que je joue, je ne jouerai pas du tout ! Tout ce qui te fera plaisir, je le ferai »[20]. Le 10 janvier, exaspéré par ces disputes qui éclatent sous l'œil des caméras, Harrison prend sa guitare et quitte les studios.

« À Twickenham, les Beatles, Yoko, moi et souvent notre cameraman Tony Richmond nous allions souvent déjeuner dans une petite salle en haut des escaliers, près d'un bar où des membres de l'équipe de tournage ou des employés du studio sifflaient une ou deux bières avant d'aller déjeuner de l'autre côté. George était habituellement avec nous, il participait aux conversations, affable et sympathique, intéressé par tout ce qui se tramait, mais le jour où on a discuté du concert en Tunisie, il n'était pas avec nous quand on a commencé à manger. Lors des répétitions du matin, je pouvais sentir par son silence et son retrait que quelque chose mijotait en lui, et comme c'était mon rôle d'être le documentariste, j'ai demandé à notre ingénieur du son de planter un micro dans un pot de fleurs sur la table du déjeuner. On avait fini l'entrée lorsque George est arrivé. Il est resté debout, face à la table. On l'a tous regardé. Il est resté silencieux durant un moment. Puis il nous a dit : « On se verra dans les clubs. » C'était ça ses adieux. Et il est parti. »

— Michael Lindsay-Hogg[21]

Ne le voyant pas revenir, les autres ne savent plus quoi faire, et se lancent dans une improvisation apocalyptique couverte par des « vocalises » de Yoko Ono[22] - [a 2]. Lennon envisage de faire venir Eric Clapton en remplacement[16] - [22]. Le groupe se réunit finalement chez Ringo Starr pour débloquer la situation, mais la réunion tourne court quand Harrison la quitte, exaspéré par Yoko Ono qui répond à la place de John Lennon[23]. Des négociations aboutissent finalement au retour du guitariste au bout d'une dizaine de jours, sous conditions. Il n'est plus question d'un concert en fin de tournage, comme c'était prévu, ni d'une émission télévisée en mondovision, mais simplement de filmer le groupe en train de préparer et enregistrer son nouvel album. De plus, les Beatles décident de quitter les studios inadaptés de Twickenham pour ceux qu'ils se sont fait construire au sous-sol de leur compagnie, Apple Corps au 3 Savile Row[17].

De ces sessions à Twickenham subsistent le film Let It Be, d'innombrables vidéos, issues ou non de ce qui a été monté dans le film, et des bootlegs (disques pirates) audio contenant l'intégralité des répétitions, des discussions et des enregistrements captés par les magnétophones Nagra qui tournaient en continu[12], ce qui représente dix-sept volumes intitulés The Complete Get Back Sessions[a 3].

Savile Row

C'est au sous-sol, puis sur le toit de l'immeuble du 3 Savile Row que sont enregistrées les chansons de Let It Be.

Lorsque les Beatles se retrouvent au complet au siège d'Apple le , George Harrison invite un vieil ami du groupe, le claviériste américain Billy Preston, rencontré en 1962 à Hambourg, alors qu'encore adolescent, il jouait avec Little Richard dans le même club que les jeunes musiciens de Liverpool, le Star-Club[12] - [24], à passer les voir au studio. Les musiciens lui proposent de les accompagner, il accepte avec joie. Comme lorsque Eric Clapton était venu exécuter un solo de guitare sur While My Guitar Gently Weeps un an plus tôt, le groupe oublie un temps ses tensions. George Harrison explique par la suite que la présence d'un musicien extérieur pousse toujours les Beatles à bien se conduire entre eux[25], et qu'il y a « littéralement 100 % d'amélioration dans l'atmosphère de la salle »[26]. De plus, les conditions live rendent la présence d'un cinquième instrument, le clavier, fort bienvenue.

Une mauvaise surprise attend cependant les Beatles dans les sous-sols d'Apple : ils ont confié la construction de leur studio à un véritable charlatan, le dénommé « Magic Alex », de son vrai nom Alexis Mardas, personnage très influent à ce moment dans l'entourage direct du groupe, bombardé à la tête de la division Apple Electronics. Lorsqu'ils découvrent le résultat, le 20 janvier, ils tombent des nues : Mardas a prétendu construire le premier magnétophone à 72 pistes de l'histoire, mais il s'est en réalité contenté de disposer une vingtaine d'enceintes autour du studio où rien n'est prévu pour des conditions normales d'enregistrement[12]. Mardas a expliqué à Ringo Starr qu'il n'avait plus besoin de panneaux autour de sa batterie (destinés à isoler le son de l'instrument pour éviter les « fuites » vers les autres micros) puisqu'il allait créer tout autour une sorte de « champ de force ». Il n'a pas pensé non plus à isoler le chauffage central, qui doit être coupé pour ne pas émettre des bruits sur la bande d'enregistrement. Sa console de mixage, ouvragée au marteau, est bonne pour la poubelle ; elle est revendue cinq livres sterling à un magasin de seconde zone[12]. Deux magnétophones quatre pistes sont empruntés en catastrophe à EMI, le câblage est réalisé tant bien que mal (aucun trou n'a été percé entre la cabine et la salle d'enregistrement), et les Beatles se mettent au travail, avec les ingénieurs du son Glyn Johns et Alan Parsons aux manettes[12] - [27].

À partir du 22 janvier, toutes les chansons qui figurent sur le disque sont donc enregistrées. Billy Preston apporte beaucoup au groupe, humainement et musicalement. Il atténue en effet les tensions entre les Beatles, mais surtout, selon George Martin, son travail, « sur [la chanson] Get Back, justifie à lui seul sa présence »[28]. Ce jour-là, les cinq musiciens enregistrent les premières versions de plusieurs chansons de Let It Be, ainsi qu'un instrumental intitulé Rocker et un succès des Drifters, Save the Last Dance for Me, tous deux inclus sur l'album original Get Back, mais évincés de la version finale de l'album[12].

La chanson Get Back est enregistrée pour la première fois le 23 janvier, bien qu'aucune prise de ce jour-là ne soit utilisée sur l'album[27]. Dès le lendemain, le groupe enregistre les versions de Two of Us, Dig a Pony et I've Got a Feeling sélectionnées pour l'album Get Back, et jamais publiées officiellement[27]. La version de Maggie Mae qui apparaît sur l'album est mise en boîte le 24 janvier, entre deux prises de Two of Us. Une chanson de McCartney, Teddy Boy, est également enregistrée et incluse sur Get Back. Détestée par les autres Beatles, spécialement par John Lennon, elle est évincée de l'album paru en et reprise un mois avant la sortie de Let It Be sur le premier album solo de Paul, intitulé McCartney[27] - [29].

Du 23 au 29 janvier, les Beatles enregistrent plusieurs prises des chansons studio qui figurent sur l'album, comme For You Blue le 25, mais aussi quelques versions de chansons qui sont finalement interprétées le 30 janvier sur le toit d'Apple, comme I've Got a Feeling[30]. La version de Dig It présente sur le disque est un extrait d'un bœuf de plus de dix minutes, enregistré le 26 ; le même jour, le groupe reprend également des titres de ses anciens albums tels que You've Really Got a Hold on Me, de l'album With the Beatles[31]. La version de Get Back utilisée sur le disque, mixée avec celle captée trois jours plus tard sur le toit du bâtiment Apple, est enregistrée le 27[32].

Quant à Across the Universe, si elle est répétée par le groupe entier lors de ces sessions de , c'est bien la version enregistrée aux studios EMI par John Lennon avec sa guitare acoustique le , et complétée quatre jours plus tard, qui va paraitre sur l'album, après retraitement par Phil Spector[33].

Concert sur le toit

Le temps de conclure le tournage du film approche, et le groupe n'arrive pas à trouver de solution qui fasse l'unanimité. Le documentaire de Peter Jackson, The Beatles : Get Back montre que le , le réalisateur Michael Lindsay-Hogg et l'ingénieur du son Glyn Johns viennent exposer leur idée à Paul McCartney : la solution la plus simple ne serait-elle pas de monter quelques étages et de faire ce concert sur le toit du bâtiment ? Ils s'y rendent avec Ringo Starr pour étudier la faisabilité, conscients du bruit qui sera produit et du risque d'être interrompus par la police. Paul effectue des sauts sur le toit pour être sûr que le sol est assez solide. Dans un premier temps, la solution semble plaire à tout le monde, mais par la suite, Harrison et McCartney affichent leur réticence et les discussions se poursuivent jusqu'à la dernière minute. La date choisie pour cette prestation est le mercredi mais la météo obligera à la repousser d'un jour[32]. Ils s'exécutent donc le vers midi[34]. Accompagnés de Billy Preston, les Beatles interprètent Get Back, Don't Let Me Down, I've Got a Feeling, One After 909 et Dig a Pony, certaines chansons étant jouées plusieurs fois. Ils concluent finalement par une troisième version de Get Back[32] - [a 4]. C'est la dernière fois que les Beatles se produisent ensemble, en concert et en dehors des studios, et bien que seul le personnel technique présent autour d'eux, quelques proches, ainsi que de rares personnes téméraires qui ont réussi à grimper sur les toits voisins y assistent, le Rooftop Concert est leur ultime prestation publique. Elle dure 42 minutes en tout.

En contrebas de l'immeuble, la foule s'amasse en regardant en l'air. Des passants montent sur les toits et bloquent les rues pour assister à cette prestation improvisée. La police, qui reçoit des plaintes pour cause de vacarme, finit par intervenir pour demander le retour à la normale. En prévision d'un événement semblable, une caméra a été installée à l'entrée du bâtiment d'Apple. Dans le film, on voit donc Mal Evans, assistant du groupe, s'occuper de négocier avec les agents de police pour que le groupe puisse terminer ses prises.

« Quand ils sont arrivés, j'étais en train de jouer, et je me suis dit : « Super, j'espère qu'ils vont m'embarquer ». Je voulais que les flics m'embarquent — « dégagez de cette batterie ! » — parce qu'on était filmés et que ça aurait vraiment eu de la gueule de les voir virer les cymbales et tout le matériel. »

Ringo Starr[35].

Le concert se conclut cependant de façon pacifique. Les versions jouées en plein air, ce jour-là, de One After 909, Dig a Pony, I've Got a Feeling et une partie de Get Back sont celles que l'on entend sur l'album[32].

« Ce fut un des plus beaux et des plus excitants jours de ma vie. Voir les Beatles jouer ensemble et recevoir la réaction instantanée des gens autour d'eux, cinq caméras sur le toit, d'autres en pleine rue… c'était juste incroyable. Une journée magique, magique ! »

Alan Parsons, à l'époque jeune ingénieur du son assistant employé d'EMI[32].

Par la suite, Alan Parsons mixera l'album suivant Abbey Road qui sort en fin d'année 1969.

Les enregistrements s'achèvent dans le studio de fortune du sous-sol de l'immeuble, le lendemain. Trois chansons (Two of Us, The Long and Winding Road et Let It Be) sont de nouveau mises en boîte, et ce sont ces prises du qui apparaissent sur l'album[36].

Premiers essais et mise au placard

Après les séances d'enregistrement, la production de l'album s'annonce laborieuse. En effet, les Beatles ne sont plus aussi motivés par cet aspect de la réalisation qu'auparavant. Ils confient à Glyn Johns la charge de tirer quelque chose de leurs prises. Comme l'explique par la suite John Lennon, elles sont très nombreuses dans la mesure où tout a été enregistré durant le tournage du film, au sous-sol et sur le toit du bâtiment d'Apple, et les 29 heures de bandes à trier découragent tout le monde. Il poursuit en disant : « Je me suis dit que ça serait bien de la sortir, cette version merdique. Ça casserait les Beatles, ça casserait le mythe »[37]. Glyn Johns commence à travailler sur l'album Get Back en mars 1969 et propose plusieurs projets qui incluent des chansons qui ne seront ultimement pas publiées par les Beatles; les pièces originales Teddy Boy et The Walk, et les reprises Rocker, Save the Last Dance for Me[38], Shake Rattle And Roll, Kansas City, Miss Ann et Lawdy Miss Clawdy[39]. Cependant, ses tentatives d'en faire un album sont plusieurs fois repoussées, même s'il est prévu que sa sortie coïncide avec celle du film[37]. Un de ses essais est publié dans l'édition deluxe de la réédition de l'album en 2021[40]. Naïvement, John Lennon remet cette ébauche à un journaliste en septembre 1969 et elle est diffusée à la radio. Enregistrée par des fans, un bootleg intitulé Kum Back a été distribué sur le marché gris[41].

Un single issu des enregistrements de janvier, produit par George Martin, sort cependant le 11 avril 1969, Get Back/Don't Let Me Down[42].

Par ailleurs, les Beatles se désintéressent totalement du projet Get Back, dont ils ne pensent rien tirer. Sentant la fin du groupe proche, ils décident de terminer en beauté avec un album réalisé avec l'aide de George Martin et de Geoff Emerick, en revenant aux modes de production sophistiqués qui ont fait le succès de leurs précédents opus[43]. Les enregistrements débutent fin février et se concentrent principalement en juillet et août aux studios EMI[44], pour aboutir à la sortie de l'album Abbey Road le 26 septembre 1969, repoussant de fait à nouveau une éventuelle sortie de Get Back[45], dont les bandes restent au placard. Tout porte alors à croire que Abbey Road est le dernier album des Beatles ; bien que le grand public ne soit pas encore au courant, Lennon met fin au groupe ce mois-là en annonçant son départ définitif à ses partenaires[46].

Reprise par Phil Spector

Depuis 1969, les Beatles ont un nouveau manager, Allen Klein, qui ne fait pas l'unanimité dans le groupe. S'il a été fortement recommandé par Lennon, et accepté par Harrison et Starr, il est désapprouvé par McCartney qui lui préférerait son beau-père, Lee Eastman, et qui refuse de signer le moindre contrat avec Klein. De grands changements sont opérés par Klein, qui congédie notamment Mal Evans, assistant et ami des Beatles depuis de nombreuses années[47]. Bien que John Lennon ait mis fin aux Beatles (ce qui restera secret jusqu'au 10 avril 1970), Klein désire voir sortir un dernier album. Puisque George Martin n'a travaillé que partiellement sur le projet Get Back[12], et que toutes les tentatives de Glyn Johns ont été rejetées, il décide de faire appel à un nouveau producteur[48]. En attendant, c'est en trio que George Harrison, Paul McCartney et Ringo Starr participent à leur ultime séance studio en tant que groupe, en enregistrant une nouvelle version de I Me Mine, les 3 et 4 janvier 1970[49], au début de laquelle George Harrison lâche une plaisanterie concernant le départ de Lennon : « Vous aurez tous lu que Dave Dee n'est plus avec nous. Mais Micky, Tich et moi-même voudrions juste poursuivre le bon travail qui a toujours été réalisé dans le [studio] no 2 ». Ces noms, attribués à ses partenaires par George Harrison, faisant référence à un groupe britannique populaire du moment : Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick and Tich[a 5].

Le producteur finalement choisi par Allen Klein, qui ne daigne pas consulter Paul McCartney à ce sujet, est le très renommé Phil Spector[50]. Celui-ci est notamment apprécié par John Lennon qui a l'occasion de travailler avec lui sur son single Instant Karma! en janvier 1970. Tandis que Spector se met au travail sur l'album, le dernier single des Beatles sort le 6 mars 1970. Il s'agit de Let It Be/You Know My Name (Look Up the Number). La version de Let It Be présente sur le single est celle qui a été travaillée auparavant par George Martin[51].

Le travail de Spector consiste notamment à appliquer partout de l'écho de façon massive (un exemple frappant est le traitement du charleston de Ringo Starr au début de la chanson Let It Be) et en particulier à un certain nombre d'ajouts sur les chansons. Lors d'une grande séance d'overdubs le 1er avril 1970 à Abbey Road, Spector ajoute ainsi un orchestre de dix-huit violons, quatre altos, quatre violoncelles, trois trompettes, trois trombones, deux guitares, et un chœur féminin de quatorze chanteuses sur The Long and Winding Road, I Me Mine et Across the Universe[52]. Un seul Beatle est présent, Ringo Starr, appelé à doubler ses parties de batterie sur l'ensemble de ces titres[52]. Les arrangements sont écrits par Richard Anthony Hewson, qui se charge aussi de diriger l'orchestre. À Abbey Road, Phil Spector recrée et applique donc à la musique des Beatles ce qu'il a inventé et rendu célèbre : le « mur de son » (Wall of Sound), en contradiction totale avec ce qu'était au départ le projet Get Back[52].

Les réactions au sujet du traitement réservé aux chansons par Phil Spector sont partagées. John Lennon en est fort satisfait : selon lui, « on lui a refilé le truc le plus minable, un tas de boue mal enregistré, sans aucun feeling, et il en a tiré quelque chose. Il a fait un super boulot[53]. » George Harrison et Ringo Starr sont également satisfaits du travail de Spector. À l'inverse, Paul McCartney et George Martin sont outrés, et voient dans ces ajouts une altération totale du concept de départ, qui voulait que l'album reprenne l'essence des performances live du groupe[54]. Les retouches faites à The Long and Winding Road choquent particulièrement McCartney, qui demande expressément à Allen Klein de les retirer. « Ne refaites plus jamais ça ! », écrit-il en conclusion de la lettre qu'il lui expédie chez Apple. Mais Klein n'en tient pas compte. En fin d'année, le traitement réservé à sa chanson fera partie des six raisons évoquées en justice par Paul pour prononcer la dissolution juridique du groupe[50].

Succès commercial

Let It Be paraît donc le 8 mai 1970 sous la forme d'un coffret accompagné d'un livret contenant des photographies du film du même nom. Aux États-Unis, il est distribué par la United Artists, mais avec l'étiquette rouge d'Apple sur laquelle est inscrit « Reproduced for disc by Phil Spector »[55] - [n 2], et paraît le sans le livre accompagnateur[56]. L'album seul n'est disponible au Royaume-Uni que le 6 novembre 1970[a 6]. Comme le commente Ringo Starr, « en mai 1970, Let It Be a été le dernier album édité, alors que bien sûr, Abbey Road avait été le dernier enregistré. Ça montre comme le monde est bizarre — que l'avant-dernier album sorte le dernier, et que le dernier sorte avant lui. On s'est séparés après Abbey Road alors qu'on n'envisageait pas vraiment de se séparer pendant qu'on faisait le précédent. Tout ça est très étrange[53] ».

Bien que le coffret soit vendu un tiers plus cher que les albums habituels, il prend la première place des ventes dès le 23 mai 1970, et ce pour les trois semaines suivantes[a 6] - [a 7]. Si, du fait de sa forme inhabituelle, le coffret se vend moins bien en Angleterre, aux États-Unis sous forme d'album simple, il bat tous les records de pré-commandes dans l'histoire de l'industrie du disque, avec 3 700 000 exemplaires[57] - [a 6]. Celui-ci, comme la version simple de l'album parue en novembre, se maintient en tout 59 semaines dans les hit-parades britanniques, et pendant 55 semaines aux États-Unis[a 8]. Par ailleurs, les singles Get Back, Let It Be et The Long and Winding Road — ce dernier est uniquement paru aux États-Unis — atteignent le sommet des ventes[58]. Enfin, la bande originale du film Let It Be reçoit en 1971 le Grammy Award de la meilleure musique de film. Seul Beatle présent à la cérémonie, Paul McCartney, accompagnée par Linda, recevra le prix des mains de John Wayne[a 9]. Elle gagnera également l'Oscar de la meilleure musique de film cette même année, prix accepté pour les Beatles, absents de la cérémonie, par Quincy Jones.

Accueil critique

Pour certains critiques de l'époque, notamment le magazine Rolling Stone, l'album se situe nettement en deçà des productions précédentes du groupe[59]. L'album est, à l'époque, une relative déception pour les fans, notamment en comparaison avec Abbey Road, qui le précède[60]. Richie Unterberger d'AllMusic explique ainsi que Let It Be est le seul album du groupe à avoir engendré des critiques négatives, et parfois même hostiles[a 10]. Dans une critique assez sévère du Record Mirror, le 9 mai 1970, David Skan met en cause le travail de Phil Spector sur l'album : « Le contenu a été trifouillé, ou, selon la pochette, « rafraîchi ». Pour certains, « castré » est le terme approprié, à cause des chœurs ainsi que des harpes, violons, etc. L'idée que les chansons de John et de Paul aient besoin d'une production lisse est une impertinence »[61].

Pourtant, l'album s'attire aussi des avis favorables, sur fond de rumeurs de séparation définitive du groupe. McCartney a en effet, à l'occasion de la sortie de son premier album solo, rompu le secret qui tenait depuis septembre 1969, à propos du départ de John Lennon. Ainsi, le Times écrit le 8 mai 1970 : « Les oiseaux de mauvais augure font courir le bruit que Let It Be serait le dernier album des Beatles… Ne nous précipitons pas : pour l'instant, leur vitalité, si l'on se base sur Let It Be, est toujours aussi éclatante. […] Les Beatles n'en sont pas encore à racler les fonds de tiroir »[61]. Plus nuancé, Derek Jewell qualifie l'album, dans le Sunday Times du 10 mai, de « testament parfait, qui résume ce que les Beatles ont été en tant qu'artistes : brillants et inégalables à leur summum, négligents et complaisants à leur plus bas »[61].

Avec le temps, les critiques au sujet de l'album évoluent. Rolling Stone, qui avait peu apprécié l'album à sa sortie, le classe, dans les années 2000, 86e plus grand album de tous les temps. Ceci n'en fait pas moins, d'après ce magazine, un album secondaire de la discographie des Beatles, dans la mesure où trois des albums du groupe sont présents dans les cinq meilleures places de ce classement[a 11]. Lors de la préparation de l'Anthology, dans les années 1990, les Beatles encore en vie ont eu l'occasion de faire le point sur cet album. George Harrison a ainsi déclaré que le travail de Phil Spector était « une très bonne idée ». Ringo Starr dit, pour sa part : « J'aime ce que Phil a fait. Il a amené la musique ailleurs[53]. »

Paul McCartney et le producteur George Martin ne renvoient pas du tout le même son de cloche. Le premier déclare en effet, simplement : « J'ai récemment réécouté la version Spector : c'était horrible ». En revanche, dans le prologue du livre accompagnant l'édition Deluxe de 2021, McCartney affirme que malgré le fait qu'il « n'aimait pas certains de ses ajouts, il s'est avéré être un bel album des Beatles »[62]. De son côté, Martin déclare que le travail de Spector revenait à « ramener les disques des Beatles au niveau du prêt-à-porter […] C'était faire sonner leurs disques comme ceux des autres »[53]. Le producteur ironisera : « Produced by George Martin, overproduced by Phil Spector »[63]. Au début des années 2000, avec l'accord de George Harrison (juste avant sa mort) et de Ringo Starr, Paul McCartney fait ainsi réaliser par les ingénieurs du son d'Abbey Road une version dénudée de l'album, Let It Be... Naked, qui parait finalement le 18 novembre 2003. Elle présente un ordre des morceaux différent et des chansons sans les orchestrations de Spector. Par ailleurs, les passages parlés, ainsi que Dig It et Maggie Mae, sont supprimés, tandis que Don't Let Me Down, un montage des deux versions enregistrées sur le toit, est intégrée à l'album[64]. Les critiques sont mitigés : si certains voient là une redécouverte totale de l'album, d'autres parlent plus d'un battage médiatique important pour peu de chose[a 12].

Caractéristiques artistiques

Analyse musicale

Le projet Get Back visait à revenir aux sources du succès des Beatles, avec des morceaux proches de ceux qu'ils jouaient sur scène.

Lors de sa réalisation, Let It Be, alors encore appelé Get Back, devait marquer un retour aux fondamentaux des Beatles : un groupe uni jouant du rock. La période psychédélique de Sgt. Pepper et Magical Mystery Tour se referme, et il n'est pas non plus question que, comme sur l'« Album blanc », les membres jouent leurs morceaux chacun de leur côté. Ceci se ressent dans les chansons de l'album : à l'exception de I Me Mine, enregistrée après le départ de Lennon, toutes sont interprétées par le groupe au complet. Deux des chansons, I Me Mine et For You Blue, sont composées et chantées par George Harrison. Les huit autres sont signées par le duo Lennon/McCartney. L'album est, avec A Hard Day's Night, le seul à ne pas contenir de prestation vocale de Ringo Starr.

Quatre des chansons de l'album sont des morceaux purement rock, interprétés durant le Rooftop Concert : Get Back, Dig a Pony, One After 909 et I've Got a Feeling. La première est une composition de McCartney préalablement sortie en single. La seconde est une composition de Lennon assez représentative de ses chansons de l'époque puisqu'elle est consacrée à Yoko Ono. Comme il l'avait fait auparavant sur I Am the Walrus, Lennon enchaîne des phrases sans véritable sens servant de préambule au message véritable du texte : « all I want is you » (« je ne veux que toi »)[65]. One After 909 date pour sa part de plus de dix ans, et a été composée peu après la rencontre entre les deux compositeurs, en 1957. Déjà enregistrée en 1963, mais laissée de côté, elle est finalement reprise pour cet ultime album[66]. Il s'agit ainsi d'un retour aux sources du succès du groupe[67]. I've Got a Feeling est, enfin, un amalgame de deux chansons, composées séparément par les deux musiciens[68].

Two of Us et For You Blue sont des chansons plus axées sur la guitare acoustique, l'une folk et l'autre blues, composées respectivement par McCartney et Harrison. Let It Be, présentée au milieu de l'album, est une ballade de McCartney à dominante de piano, qui contraste avec la plupart des autres chansons de l'album. Lorsque celui-ci sort, la chanson est déjà connue du public, étant sortie en single deux mois plus tôt[69] dans une version quelque peu différente. Trois autres chansons se démarquent totalement de la volonté d'un album proche des prestations en direct du groupe : Across the Universe, I Me Mine et The Long and Winding Road. Ces chansons sont en effet totalement reprises par le producteur Phil Spector, qui y ajoute orchestres et chœurs. Si ce choix satisfait John Lennon, il ne convient pas du tout à Paul McCartney. Ces chansons ne sont pas les seules à avoir été retouchées par Spector, qui a retravaillé tout l'album, mais ce sont sur celles-ci que les différences sont les plus flagrantes, comme en témoigne la sortie, en 2003, de la version « déspectorisée » de l'album, Let It Be... Naked[57].

Let It Be se distingue enfin par les dialogues éparpillés tout au long de l'album pour, justement, rendre compte d'une certaine ambiance live typique des concerts ou des studios d'enregistrement. C'est la seule et unique fois que ce procédé est utilisé sur un disque des Beatles. L'album s'ouvre ainsi par une annonce humoristique de Lennon avant d'enchaîner sur Two of Us. De même, Dig a Pony débute sur un faux départ du groupe. Ce concept trouve son apogée dans les deux pistes qui entourent la chanson Let It Be. Dig It est en effet un extrait d'une improvisation du groupe au cours d'un « bœuf », tandis que Maggie Mae est une rapide reprise d'une chanson traditionnelle de Liverpool[70]. Get Back, qui clôt le disque, est introduite par les échauffements du groupe, et la performance se termine par les phrases prononcées par McCartney et Lennon à la fin du concert sur le toit d'Apple : « Thanks Mo'! » (« Merci Mo ! », à destination de Maureen Cox, épouse de Ringo) et « I'd like to say thank you on behalf of the group and ourselves, and I hope we passed the audition! » (« Je voudrais vous remercier au nom du groupe et de nous-mêmes, et j'espère que nous avons réussi l'audition ! »).

Coffret et pochette

La première version de l'album, alors intitulé Get Back, parodiait le concept de la pochette de Please Please Me, le tout premier album des Beatles, pour marquer leur retour à leurs racines[n 3]. Six ans plus tard, en , le groupe prend la même pose dans la cage d'escaliers des bureaux d'EMI, penché à la rambarde et regardant le photographe Angus McBean (en) en contrebas, arborant maintenant des cheveux longs, ainsi que des barbes ou moustaches[71] bien que, contrairement au film, McCartney est maintenant glabre tandis que c'est Lennon qui porte la barbe. Cependant, le projet est mis en veilleuse, et lorsqu'il est repris en 1970, une pochette différente est utilisée. Les deux clichés pris dans la cage d'escalier d'EMI en 1963 puis en 1969 sont utilisés sur les compilations The Beatles 1962–1966 et The Beatles 1967–1970, parues en 1973[71].

Let It Be est finalement paru sous la forme d'un coffret, qui n'est aujourd'hui plus disponible. À l'intérieur se trouvait le disque vinyle et un livre de 164 pages, intitulé The Beatles Get Back et contenant des photos d'Ethan A. Russell (en)[n 4], une transcription de quelques dialogues du film, et un texte de Jonathan Cott et David Dalton (en)[a 6]. La colle utilisée pour la reliure avait tendance à s'effriter et, comme le groupe, le livre s'est rapidement désintégré[72]. Ce coffret n'était pas disponible aux États-Unis. Un beau-livre de 240 pages suivant le même concept, accompagnant la sortie du documentaire The Beatles: Get Back, paraît le 12 octobre 2021[73].

La pochette de l'album, créée par John Kosh (en)[74], est sobre et présente quatre photographies carrées de chaque Beatle : John Lennon en haut à gauche, Paul McCartney à sa droite, Ringo Starr en bas à gauche, et George Harrison à ses côtés. Le reste de la pochette est noir, le nom du groupe est omis et le titre y est inscrit en lettres capitales blanches. L'arrière de la pochette reprend la même disposition de clichés, en présentant cette fois-ci d'autres photographies, cette fois plus petites et en noir et blanc, accompagnant la liste des chansons. Celle-ci est introduite par un court texte, d'ailleurs parsemé d'erreurs grammaticales et de ponctuation[n 5], qui annonce « une nouvelle phase dans les albums des Beatles », présentant « ce qu'ils jouent en live, reproduit sur disque par Phil Spector ». Tout ceci n'est, cependant, que du verbiage commercial. En effet, si le grand public ne le sait pas encore, le groupe n'existe déjà plus depuis un certain temps. De plus, le travail de Phil Spector, qui a effectué beaucoup d'ajouts aux morceaux, trahit le concept initial du disque, comme présenté dans le texte de pochette[a 6]. On y rajoute des remerciements à George Martin, Glyn Johns, Billy Preston, Mal Davies (ingénieur de son), Peter Brown (en), Richard Hewson et Brian Rogers.

Fiche technique

Liste des chansons

Toutes les chansons sont écrites et composées par John Lennon et Paul McCartney, sauf mention contraire.

Face 1
No TitreAuteurChant principal Durée
1. Two of UsJohn Lennon, Paul McCartney 3:37
2. Dig a PonyJohn Lennon 3:55
3. Across the UniverseJohn Lennon 3:49
4. I Me MineGeorge HarrisonGeorge Harrison 2:26
5. Dig ItJohn Lennon, Paul McCartney,
George Harrison, Ringo Starr
John Lennon 0:50
6. Let It BePaul McCartney 4:00
7. Maggie MaeTraditionnel, arr. The BeatlesJohn Lennon 0:41
Face 2
No TitreAuteurChant principal Durée
8. I've Got a FeelingJohn Lennon, Paul McCartney 3:37
9. One After 909John Lennon, Paul McCartney 2:56
10. The Long and Winding RoadPaul McCartney 3:37
11. For You BlueGeorge HarrisonGeorge Harrison 2:33
12. Get BackPaul McCartney 3:07

The Beatles

  • John Lennon : chant, chœurs, guitare rythmique, guitare solo sur Get Back, guitare lap steel sur For You Blue, guitare acoustique sur Two of Us, Across the Universe et Maggie Mae, basse six cordes sur Dig It, Let It Be et The Long and Winding Road, sifflement sur Two of Us
  • Paul McCartney : chant, chœurs, basse, guitare acoustique sur Two of Us et Maggie Mae, piano sur Dig It, Across the Universe, Let It Be, The Long and Winding Road et For You Blue, orgue Hammond sur I Me Mine, piano électrique sur I Me Mine et Let It Be, maracas sur Let It Be
  • George Harrison : guitares solo et rythmique, guitare acoustique sur For You Blue et I Me Mine, tambura sur Across the Universe, chant sur I Me Mine et For You Blue, chœurs
  • Ringo Starr : batterie, percussions sur Across The Universe

Musiciens additionnels

Selon le livret accompagnant l'album :

  • Richard Anthony Hewson : arrangements de cordes et cuivres sur I Me Mine et The Long and Winding Road
  • Brian Rogers : arrangements de cordes et cuivres sur Across The Universe
  • John Barham : arrangements des chœurs sur Across The Universe, I Me Mine et The Long and Winding Road
  • Billy Preston : orgue Hammond sur Dig it, Let It Be, piano électrique sur Dig a Pony, I've Got a Feeling, One After 909, The Long and Winding Road et Get Back
  • George Martin : maracas sur Dig It, arrangements des cuivres sur Let It Be, orgue Hammond sur Across The Universe
  • The Mike Sammes Singers : chœurs sur Across The Universe et The Long And Winding Road dans la post-production de Phil Spector[75]
  • Linda McCartney : chœurs sur Let It Be

Équipe de production

Rééditions

Lors de la réédition du catalogue complet du groupe en 1987 en format CD, ce disque a été remastérisé par George Martin et son équipe et publié le , le même jour que l'album Abbey Road.

Le 17 novembre 2003, une version alternative de l'album, intitulée Let It Be... Naked, est publiée avec des différences dans l'ordre des chansons et en omettant Maggie Mae et Dig It. On combine la première partie de la seconde prestation sur le toit de I've Got a Feeling avec la fin de la version entendue sur l'album[76] et on y rajoute un montage des deux prestations live de Don't Let Me Down, chanson qui était absente de Let It Be[77]. Les chansons de ce disque sont présentées dans leurs formes épurées, sans les orchestrations de Phil Spector.

Le , une nouvelle remastérisation de ce disque, comme de tous les autres, a été commercialisée. Cette fois, le boîtier en plastique « jewel » est remplacé par une pochette cartonnée qui s'ouvre en trois parties; à droite on trouve la pochette pour y insérer le disque et à gauche un repli pour le livret. Celui-ci contient un texte sur l'historique du disque (par Kevin Howlett et Mike Heatley) et un second sur l'enregistrement de l'album (par le producteur Allan Rouse assisté de Howlett). Les photos de la version originale s'y trouvent en plus de plusieurs autres.

Special Edition

L'album ressort le , remixé par Giles Martin, le fils de George Martin, et l'ingénieur du son Sam Okell aux studios Abbey Road, les mêmes qui ont remastérisé et modernisé le son des trois précédentes rééditions. Cette sortie se fait en marge de la diffusion de la série documentaire intitulée The Beatles: Get Back, réalisée par Peter Jackson, qui sera disponible en streaming sur Disney+ à partir de novembre[78]. Cette édition est sortie 51 ans après la sortie originelle à cause de reports dû à la pandémie de Covid-19. La collection est disponible en différentes configurations; en format super deluxe avec cinq CD et un disque Blu-ray ou quatre 33 tours vinyle avec un E.P. 12 pouces, en format deluxe avec deux CD ou en format standard avec un seul CD. Des éditions vinyles « picture disc » limitée ou standard seront aussi mises en vente en plus d'être disponibles en téléchargements ou en streaming[79].

Cette réédition a atteint la 5e position du Billboard 200 durant le semaine du 30 octobre[80] .

Album originel remixé

L'album d'origine est remixé par Martin et est mis en marché sous forme de vinyle 180 grammes noir, en picture-disc et en CD, cette dernière avec un livret accompagnateur.

Version Deluxe

Cette édition sur deux CD inclus l'album originel remixé, un CD de maquettes, de prises alternatives et de dialogues, en plus d'un livret de 40 pages.

Version Super Deluxe

Cette version en cinq CD et un disque Blu-ray comprend toujours l'album originel remixé en plus de deux disques de répétitions, d'improvisations et de pistes de dialogues. La première des trois tentatives par Glyn Johns de faire un album de ces enregistrements est aussi incluse en plus d'un EP contenant quatre chansons remixées. Une version de quatre 33 tours vinyles 180 grammes et un extended play 12 pouces, sans le disque Blu-Ray, est aussi disponible. Est également inclus un livre de 105 pages écrit par Kevin Howlett et John Harris[79].

Toutes les chansons inédites à l'album originel sont créditées à Lennon/McCartney sauf indication contraire.

Reprises

Laibach, groupe de musique industrielle slovène, a repris l'album presque au complet en 1988 utilisant le même titre. Seule la chanson Let It Be est absente du disque et, bien que le titre Maggie Mae soit présent dans la liste des chansons, c'est plutôt une chanson traditionnelle allemande qu'on entend à sa place[82].

Notes et références

Notes

  1. Ce single, sorti avant la parution de l'album Abbey Road, n'est pas réellement publié afin de promouvoir l'album Let It Be car celui-ci a tardé à être finalisé.
  2. Au Canada, comme ailleurs dans le monde, c'est l'étiquette verte sans la note qui est fixée.
  3. Par contre, cette pochette était inconnue aux États-Unis dû à la disparité des versions américaines.
  4. Incluant quelques photos prises en février, montrant McCartney sans la barbe.
  5. "This is a new phase BEATLES album... essential to the content of the film. LET IT BE was what (au lieu de « that ») they performed live for many of the tracks. In comes the warmth and the freshness of a live performance; as reproduced for disc by Phil Spector"

Ouvrages

  • (fr) The Beatles, The Beatles Anthology, Seuil, , 367 p. (ISBN 2-02-041880-0)
  • (en) Craig Cross, The Beatles: Day-by-Day, Song-by-Song, Record-by-Record, iUniverse, (ISBN 978-0-59534-663-9)
  • (fr) Mark Herstgaard, Abbey Road : l'Art des Beatles, Stock, , 498 p. (ISBN 2-234-04480-4)
  • (fr) Tim Hill, The Beatles : Quatre garçons dans le vent, Paris, Place des Victoires, , 448 p. (ISBN 978-2-84459-199-9)
  • (fr) Daniel Ichbiah, Et Dieu créa les Beatles, Les Cahiers de l'Info, , 293 p. (ISBN 978-2-9166-2850-9)
  • (en) Mark Lewisohn, The Beatles Recording Sessions, New York, Harmony Books, , 204 p. (ISBN 0-517-57066-1)
  • (fr) Mojo sous la direction de Paul Trynka, The Beatles, 1961–1970 : dix années qui ont secoué le monde, Tournon, , 456 p. (ISBN 2-914237-35-9)
  • (fr) Steve Turner, L'Intégrale Beatles : les secrets de toutes leurs chansons, Hors Collection, , 288 p. (ISBN 2-258-06585-2)

Références aux ouvrages

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  5. Mark Herstgaard 1995, p. 294
  6. Steve Turner 1999, p. 211
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  8. Mark Herstgaard 1995, p. 329
  9. Mark Lewisohn 1988, p. 168
  10. Recording Musicien, Studio Press (ISSN 1628-3392), p. 26
  11. Paul Trynka (trad. de l'anglais), The Beatles : 1961-1970 : dix années qui ont secoué le monde, Paris, Tournon, , 455 p. (ISBN 2-914237-35-9), p. 357
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Autres sources

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  12. (en) « Critic reviews for Let It Be... Naked », Metacritic. Consulté le 20 septembre 2010.

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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