Le Téléphone
Le Téléphone est une œuvre d'art contemporain imaginée en 2006 par l'artiste française Sophie Calle, et conçue avec la collaboration de l'architecte américano-canadien Frank Gehry, dans le cadre d'une commande publique destinée à accompagner l'implantation du Tramway des Maréchaux Sud à Paris.
Type |
sculpture monumentale dans un espace public |
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Destination initiale | |
Style | |
Architecte | |
Construction | |
Hauteur |
5 mètres |
Propriétaire |
Pays | |
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Région | |
Commune | |
Arrondissement |
Coordonnées |
48° 50′ 21,2″ N, 2° 16′ 05,8″ E |
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Installée jusqu'au [1] - [2] - [3] sur le pont du Garigliano, elle consistait en une cabine téléphonique en forme de fleur, n'ayant pas d'autre fonction que de recevoir des appels de Sophie Calle.
Localisation
S'apparentant à du mobilier urbain, l'œuvre était installée dans l'espace public du sud-ouest parisien, sur le trottoir aval du pont du Garigliano, à mi-chemin entre les deux rives, où elle surplombait la Seine de 11 mètres.
Elle était donc à la limite entre les quartiers d'Auteuil, dans le 16e arrondissement, et de Javel, dans le 15e, bien qu'elle soit administrativement rattachée à ce dernier[4].
Description
Le concept : un téléphone public particulier
Il s'agissait d'un téléphone public. Mais étant dépourvu de cadran et de moyen de paiement, il ne pouvait pas émettre d'appel sortant. Il ne pouvait pas non plus recevoir d'appel entrant, à part de l'artiste elle-même, seule à en connaître le numéro.
Ainsi faisait-elle régulièrement sonner le combiné depuis son domicile de Malakoff, à des moments aléatoires (« quand bon me semblera »[5], dit-elle, « à 04:00 du matin ou à des heures plus convenables »[6], et « peut-être trois fois dans la même nuit »[7]), afin de dialoguer avec les passants que la sonnerie aura attirés, leur raconter des histoires, pendant une durée tout aussi aléatoire (« huit secondes ou quatre heures »[8]). Elle s'est engagée contractuellement à exécuter cette performance interactive cinq fois par semaine pendant au moins trois ans.
Le combiné était accroché sur le côté d'un gros boîtier rouge, fixé de manière oblique à la structure de la cabine, et portant une plaque métallique sur laquelle était gravé un texte explicatif rédigé en français et en anglais.
Cette plaque, absente lors de l'inauguration de l'œuvre en [9], est ajoutée dans le mois qui suit, avec le texte[10] - [11] :
Mon nom est Sophie Calle |
Environ deux mois plus tard, elle est à nouveau remplacée par une autre plaque presque identique, présentant le même texte mais avec une typographie et une disposition légèrement différente[12] - [13] :
Mon nom est Sophie Calle |
Sophie Calle explique qu'elle a eu cette idée après avoir « lu un article sur une cabine téléphonique qui se trouvait dans le désert, qui avait été laissée là à la suite de travaux. Peut-être un an plus tard, quelqu'un a vu qu'elle fonctionnait toujours. Et c'est devenu un endroit où les gens allaient attendre des coups de fil d'on ne sait où. »[7]. Cette cabine a effectivement existé aux États-Unis, dans le désert des Mojaves ; elle est connue sous le nom de Mojave phone booth. Le site web hébergeant le projet qui à l'origine de l'engouement pour cette cabine téléphonique s'est d'ailleurs fait l'écho de l'œuvre de Calle[14].
Cette idée fait aussi écho à une autre œuvre de Sophie Calle, réalisée plus de dix ans plus tôt, en 1994 : Gotham Handbook (New York mode d'emploi). Du mercredi 21 au mardi , conformément à l'une des directives que lui avait données Paul Auster, elle a « adopté un lieu public » : une cabine téléphonique à l'angle des rues Greenwich et Harrison. Elle l'a décorée, aménagée, y a mis de la nourriture à disposition des passants et des usagers de la cabine, et les a invités à laisser leurs impressions. Elle y assurait une permanence une heure par jour, durant laquelle elle prenait des photos[8] - [15].
Le but est aussi de démystifier le rapport entretenu par le grand public avec l'art contemporain, souvent jugé inaccessible[16].
Plus d'un an après la mise en service de cette cabine, Calle affirme qu'aucun des appels qu'elles a passés n'a duré plus de trois minutes ni n'a débouché sur autre chose, qu'on n'a pas su lui poser de question précise et qu'il n'y a pas eu d'échange au-delà de la conversation sympathique ; de plus, elle précise que la plupart de ses appels restent sans réponse, mais que ça ne la dérange pas, expliquant qu'elle « aime bien l'idée d'un téléphone qui sonne comme ça sur un pont venteux », et que c'est même la raison pour laquelle elle a choisi de la placer sur un pont plutôt qu'une place fréquentée[17]. L'utilisation de ce moyen de communication qu'est le téléphone pourrait être une manière de créer de la rencontre dans un lieu qui y est impropre[18].
Le support : une sculpture monumentale
Le pont du Garigliano avant l'installation de la sculpture. (un cercle rouge indique son emplacement) |
Ce combiné téléphonique était placé au sein d'une grande sculpture d'environ 5 mètres de haut, implantée sur le bord extérieur du trottoir, et arrimée au garde-corps du pont. En forme de fleur, ses six pétales étaient faits d'aluminium peint en rouge, jaune et rose, avec un aspect de papier froissé. Elle est éclairée la nuit.
C'est cette œuvre de Frank Gehry qui a remporté le concours organisé de manière informelle par Sophie Calle, auquel prenaient également part Jean Nouvel et Dominique Lyon[5]. Gehry et Calle se sont rencontrés à Los Angeles, aux Jeux olympiques d'été de 1984[8]. Le choix du motif floral serait un clin d'œil à l'amitié les unissant, Gehry faisant livrer des fleurs à Calle pour chacun de ses vernissages, et cette dernière les conservant consciencieusement sous forme séchée[19]. Une autre plaque, également en anglais et en français, était fixée sur le garde-corps du pont, à côté de l'œuvre, où sont mentionnés son titre et le nom de ses deux auteurs.
Depuis Los Angeles, Gehry a réalisé une maquette en résine à l'échelle 1/10e, à partir de laquelle des moules ont été fabriqués. C'est SOCRA, une société de Marsac-sur-l'Isle ayant déjà restauré plusieurs sculptures parisiennes[note 1], qui s'en est chargée[20].
De l'aluminium a ensuite été coulé dans ces moules, opération assurée par la fonderie Blanc, à Angoulême.
C'est à nouveau SOCRA qui a réalisé l'assemblage des pétales ainsi coulés, d'abord à blanc dans ses ateliers, puis in situ.
Une œuvre de commande
Elle est la première des neuf œuvres d'art contemporain commandées par les pouvoirs publics (Ville de Paris, conseil régional d'Île-de-France, ministère de la Culture) pour jalonner le tracé du premier tronçon du Tramway des Maréchaux (ligne 3 du tramway d'Île-de-France, actuelle 3a), mis en service en .
En l'occurrence, l'œuvre a été édifiée sur le pont qui donne son nom au terminus ouest de ce tronçon, distant d'environ 200 mètres : la station Pont du Garigliano.
Elle a été financée par la Ville de Paris à hauteur de 269 880,36 euros[21], sur les 4 millions alloués à l'ensemble des neuf œuvres, auxquels a été ajoutée en 2007 une dépense supplémentaire de 8 025 euros, soit un total de 277 905,36 euros (montants toutes taxes comprises)[22].
La maîtrise d'ouvrage a été confiée à Art public contemporain, comme pour toutes les œuvres composant l'accompagnement artistique du tramway, sous la direction artistique d'Ami Barak[23].
Son inauguration est intervenue le , deux jours avant celle du tramway, en présence de Sophie Calle et du fils de Frank Gehry, Sam[24].
Critique
Quelques jours avant l'inauguration de l'œuvre, le maire UMP du 15e arrondissement, René Galy-Dejean, sur les conseils de son adjointe Ghislène Fonlladosa[25], a émis auprès du préfet de police deux appréhensions à propos de son implantation[26] :
- la sculpture étant relativement volumineuse, elle gênerait le passage des piétons sur le trottoir (pourtant large de 3,50 mètres[27]), les obligeant à passer sur la chaussée, et donc à côtoyer les véhicules, ce qui constituerait une menace pour leur sécurité ;
- la sculpture faciliterait l'enjambement du garde-corps, et pourrait être utilisée comme une sorte de plongeoir dans la Seine ; l'installation d'un filet de sécurité a donc été suggérée.
Le fait qu'elle ne soit pas directement sur le parcours du tram a également suscité quelques interrogations[25], et il a été proposé qu'elle soit installée à un endroit plus proche du terminus, par exemple à l'emplacement initialement prévu pour l'œuvre de Buren n'ayant finalement pas été retenue, mais ceci a été rejeté[28].
L'œuvre a également été largement présentée comme un gaspillage d'argent public[29]. D'autres ont regretté que l'on ait fait appel à une « artiste-vedette » comme Sophie Calle[30].
L'objet a été recouvert rapidement de tags[13] - [31]. La Mairie de Paris a ainsi dépensé 20 000 € de 2008 à 2012 pour son nettoyage[32].
L'œuvre a fait l'objet d'un numéro de l'émission télévisée D'art d'art, diffusé le (rediffusé le ) ; Frédéric Taddeï y insiste sur le fait que Sophie Calle a fait preuve d'un art non pas du geste ou de la forme, mais de l'idée. D'autres soulignent que Le Téléphone rend floue la frontière entre l'artiste, l'œuvre et le public, suggérant que le passant répondant au téléphone pourrait tout aussi bien être considéré comme l'artiste, la conversation comme l'œuvre, et Sophie Calle comme le public[33].
Notes et références
Note
- la réplique de la Statue de la Liberté sur l'île aux Cygnes, le Lion de Belfort sur la place Denfert-Rochereau, des éléments de l'Opéra Garnier, du Palais de Chaillot, du pont Alexandre-III, du Grand Palais, etc.
Références
- Constatations faites le 18 mars 2012 : voir la page de discussion
- Le Téléphone pleure, mais il n'est plus là, article du 12 mars 2012 sur paris16info.blogspirit.com, blog d'information des habitants du 16e arrondissement. Consulté le 1er avril 2012.
- L'art se déploie le long des rails, article du 31 mars 2012 sur 'www.lejdd.fr. Consulté le 1er avril 2012.
- (fr) Fiche technique de l'œuvre dans « L'art pour le tram », dossier de presse, 14 décembre 2006, sur le site du tramway (section du site de la Ville de Paris), p. 17.
- (fr) Interview audio de Sophie Calle, par Danielle Brick, dans « Les artistes du T3 et leurs œuvres », sur RFI, 16 décembre 2006.
- (fr) « Le tramway des Maréchaux ouvre la voie à l'art contemporain », dépêche AFP, 14 décembre 2006, 15:10.
- (fr) Marie Quenet, « Une cabine en fleur dans le 15e », Le Journal du dimanche, no supplément Paris Île-de-France, .
- (fr) Marc Héneau, « Allô, bonjour, c'est Sophie Calle à l'appareil », 20 minutes, (lire en ligne).
- (fr) Photo dans le billet « La fleur qui sonne sur le pont du Garigliano... », sur le blog paris16info, 16 décembre 2006.
- (fr) Photos dans le billet « Allo », sur le blog Over the rainbow, 17 janvier 2007.
- (fr) Photos dans « Vues de Paris : Le tramway parisien », sur le site cestpascher.com, janvier 2007.
- (fr) Photo dans le billet « Promenade sur le pont de Garigliano », sur le blog fleurdecorail, 15 mars 2007.
- (fr) degrés 360, « Téléphone », sur Flickr, 18 mars 2007
- (en) Actualité du 14 décembre 2006, sur deuceofclubs.com.
- (en) Julie Martin, « Maria, Myself and I », New York Times, (lire en ligne).
- (fr) Pascaline Vallée, « La sculpture contemporaine sur les rails », sur Paris-Art, 16 janvier 2007. Consulté le 22 juin 2008.
- Elliot Lepers, « Sophie Calle nous fait parler d'amour », sur LaTeleLibre.fr, 2 avril 2008 : interview vidéo à l'occasion de son exposition Prenez soin de vous à la BnF. Consulté le 22 juin 2008.
- (fr) Patrice Vergriete (dir.), Visions, vol. 3 : Ces territoires qui se fabriquent avec les artistes, Dunkerque, Agence d'urbanisme et de développement de la région Flandre-Dunkerque, , 83 p. (ISBN 2-9525534-4-0, lire en ligne), « Produire de la rencontre dans l'espace public », p. 31.
- (fr) Carole Lefrançois, « Un tramway nommé des arts », Télérama, (lire en ligne).
- (fr) Alain Bernard, « Un tramway nommé beauté », Sud Ouest, .
- (fr) « Marché de réalisation d'une œuvre de Sophie Calle intitulée “Le téléphone” installée sur le Pont de Garigliano (15e) dans le cadre de l'accompagnement artistique du Tramway », délibération 2006 DAC 330 du Conseil de Paris, 25 et 26 septembre 2006.
- (fr) « Autorisation à M. le Maire de Paris de signer un avenant au marché de réalisation d'une œuvre de Sophie Calle intitulée “Le téléphone” installée sur le Pont de Garigliano (15e) dans le cadre de l'accompagnement artistique du tramway », délibération 2007 DAC 266 du Conseil de Paris, 16 et 17 juillet 2007.
- (fr) « Tramway des Maréchaux Sud », sur le site d'Art public contemporain.
- (fr) Édouard Launet, « Boulevards des arts », Libération, (lire en ligne).
- (fr) [PDF] « Mémoire XV/2006/183 - DAC20060330 – Marché de réalisation d'une œuvre de Sophie Calle intitulée « Le Téléphone » installée sur le Pont Garigliano à Paris 15e dans le cadre de l’accompagnement artistique du Tramway », transcription des débats du Conseil du 15e arrondissement, 18 septembre 2006, p. 30–34.
- (fr) « Ne prenez pas le « téléphone » pour un plongeoir », Le Parisien, (lire en ligne).
- (fr) Fiche du pont du Garigliano, sur le site de la Ville de Paris, 7 mars 2006.
- (fr) [PDF] « Vœu no 109 déposé par le groupe UMP relatif à l'implantation de l'œuvre de Sophie Calle », compte-rendu du Conseil de Paris des 25 et 26 septembre 2006, p. 94.
- (fr) « Calle talent ! », sur Le Perroquet libéré, (version enregistrée par Internet Archive au ).
- Sophie Flouquet et Martine Robert, « Grandeurs et misères de la commande publique », L'Œil, no 610, février 2009.
- (en) gadl, « Sophie Calle's phone both », sur Flickr, 25 mars 2007 : panorama 360° depuis l'intérieur de la cabine, de nuit (vue dynamique du panorama).
- Christel Brigaudeau, « Sur le pont du Garigliano, le téléphone pleure », Le Parisien, 28 janvier 2012.
- Vanina Mozziconacci, « L'intime mis en reliefs : Quelques œuvres de Sophie Calle », raison-publique.fr, 27 avril 2011.