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Lavage de cerveau

L'expression lavage de cerveau regroupe des procĂ©dĂ©s qui auraient la facultĂ© de reconditionner le libre arbitre d'un individu par la modification cognitive, peut-ĂȘtre aussi physiologique et neurologique, du cortex cĂ©rĂ©bral. Ces procĂ©dĂ©s sont Ă  distinguer d'autres types de manipulations mentales et comportementales (voir l'expĂ©rience de Milgram) ou chirurgicales (la lobotomie), la distinction principale dans ces derniers exemples Ă©tant de supprimer la capacitĂ© d'analyse et non de la fausser. Le lavage de cerveau est parfois assorti de violences verbales ou physiques afin de crĂ©er un rapport de domination du « laveur » sur le « lavĂ© ». On en trouve des exemples dans le cinĂ©ma d'espionnage par exemple.

Une représentation satirique du lavage de cerveau

Étymologie

L'expression « lavage de cerveau » est la traduction littĂ©rale d'une expression familiĂšre chinoise faite de deux caractĂšres xǐ nǎo (掗脑) par laquelle les Chinois dĂ©signaient la « rĂ©forme de la pensĂ©e » obligatoire mise en Ɠuvre aprĂšs la victoire du Parti communiste chinois en 1949 Ă  l'issue de la guerre civile chinoise. Ces caractĂšres peuvent reprĂ©senter des objets ou actes concrets, mais aussi abstraits : « laver, purifier, rectifier » - « tĂȘte, cerveau, pensĂ©e ». Le terme officiel Ă©tait sÄ«xiǎng gǎizĂ o (æ€æƒłæ”č造 soit « remodelage, reformatage idĂ©ologique »)[1].

Le terme amĂ©ricain « brainwashing » aurait Ă©tĂ© utilisĂ© la premiĂšre fois de façon courante lors d'Ă©tudes internes de la compagnie General Electric. Lors de la mise sur le marchĂ© des premiers tĂ©lĂ©viseurs de la firme, la direction avait fondĂ© un bureau de recherche travaillant sur l'effet de cette nouvelle invention sur les ondes alpha du cerveau, d'oĂč le terme. Dans les annĂ©es 1970, Marshall McLuhan Ă©crivit quelques livres Ă  succĂšs concernant l'influence de la tĂ©lĂ©vision sur le libre arbitre, idĂ©e Ă©galement prĂ©sente chez Noam Chomsky mais associĂ©e au concept de « fabrication du consentement » (« manufacturing consent »)[2].

Historique

Indochine française

En Indochine française sous occupation japonaise ou en cours de dĂ©colonisation, les prisonniers de l'armĂ©e française dĂ©tenus par les Japonais puis par le Viet Minh furent traitĂ©s diffĂ©remment selon leur grade et selon qu'ils Ă©taient EuropĂ©ens, MaghrĂ©bins, Africains, Asiatiques, et plus tard AmĂ©ricains. La « rĂ©forme de la pensĂ©e » nationaliste des Japonais, puis communiste du Viet Minh s'adressa en prioritĂ© aux sans-grade et aux troupes coloniales, considĂ©rĂ©s comme plus proches du prolĂ©tariat. Mais le taux de succĂšs fut faible car les mĂ©thodes employĂ©es, oĂč tortures physiques et psychologiques jouaient un rĂŽle central, eurent sur les dĂ©tenus un impact psychologique traumatisant et causĂšrent la mort d'un grand nombre d'entre eux[3]. Sur 37 979 militaires français capturĂ©s par le Viet Minh, on estime qu'environ 10% des 10 754 survivants ont Ă©tĂ© rĂ©ceptifs Ă  leur processus de « rĂ©forme de la pensĂ©e » par des commissaires politiques francophones comme Georges Boudarel[4] - [5] - [6] - [7].

Guerre de Corée

Durant la guerre de CorĂ©e aussi, le lavage de cerveau a Ă©tĂ© pratiquĂ© par les deux camps, sur les prisonniers de guerre[8]. AppliquĂ© par la RĂ©publique populaire de Chine et la CorĂ©e du Nord, le processus de « rĂ©forme de la pensĂ©e » a Ă©tĂ© systĂ©matique sur les prisonniers sud-corĂ©ens (qui, Ă  en croire la propagande nord-corĂ©enne, ont presque tous reconnu la supĂ©rioritĂ© du communisme sur tout autre systĂšme) mais occasionnel sur les prisonniers occidentaux et turcs (dans cette seconde catĂ©gorie, il aurait alors Ă©tĂ© constatĂ© que 15 % des prisonniers Ă©taient rĂ©fractaires Ă  toute forme de rĂ©Ă©ducation : les prisonniers en question Ă©taient alors tuĂ©s pour ne pas compromettre la rĂ©Ă©ducation des autres)[9] Depuis la fin des hostilitĂ©s, en CorĂ©e du Sud, des prisonniers politiques communistes dĂ©tenus par le rĂ©gime militaire sud-corĂ©en (dont plusieurs depuis la guerre de CorĂ©e, comme Ri In-mo), ont Ă©tĂ© soumis, aprĂšs 1973, Ă  une « conversion forcĂ©e », impliquant le recours Ă  la torture, en vue de leur faire renier leurs convictions[10]. Le film Un crime dans la tĂȘte met en scĂšne une personne manipulĂ©e de la sorte.

Guerre civile du Guatemala

L’armĂ©e guatĂ©maltĂšque et la Central Intelligence Agency (CIA) se sont livrĂ©es sur des prisonniers Ă  des « traitements psychologiques », issus des expĂ©riences des États-Unis au Vietnam, pendant le conflit armĂ© guatĂ©maltĂšque (1960 Ă  1996)[11] - [12].

L’Église a enquĂȘtĂ© sur ces pratiques dans les annĂ©es 1990, plusieurs prĂȘtres ayant comptĂ© parmi les victimes. Cette enquĂȘte a donnĂ© lieu Ă  une publication de 1 400 pages qui dĂ©taille les mĂ©thodes employĂ©es pour modifier la personnalitĂ© des captifs : « La sĂ©quence est la suivante : tortures, amabilitĂ©s ; tortures, enseignement et propagande ; entraĂźnement Ă  la nouvelle idĂ©ologie ; et, pour finir, pĂ©riode de suralimentation et forte chaleur humaine (l’individu est traitĂ© en convalescent). Le dĂ©tenu peut se comporter en fanatique et se prĂȘter Ă  des objectifs politiques absolument contraires, mais vient gĂ©nĂ©ralement le moment oĂč le prisonnier rebelle finit par reconnaĂźtre ses erreurs : il en dĂ©taille les causes, il exagĂšre mĂȘme sa culpabilitĂ©, anxieux qu’il est d’en finir avec le cycle des mauvais traitements. Toutes ces techniques, qui sont consignĂ©es dans les manuels de formation aux interrogatoires, sont un Ă©chantillon du subtil usage de la psychologie et de la psychiatrie pour provoquer la souffrance comme moyen d’atteindre des objectifs politiques ou militaires. » L’usage de drogues est frĂ©quent pour accentuer la confusion mentale du dĂ©tenu[11].

Une partie de la presse occidentale, dont en France Le Figaro Magazine, a complaisamment relayé la propagande des tortionnaires guatémaltÚques[11] - [12].

Bloc de l'Est

Le lavage de cerveau ou « rĂ©forme de la pensĂ©e » fut pratiquĂ© dans la plupart des pays du bloc de l'Est, URSS et Chine en particulier, soit dans ces centres de dĂ©tention psychiatriques surnommĂ©s psikhouchki (псохушĐșĐž), la contestation et la dissidence Ă©tant alors considĂ©rĂ©es comme des formes de schizophrĂ©nie[13] - [14] - [15], soit dans les rĂ©seaux de camps de travaux forcĂ©s de chaque pays, comme le Goulag et le Laogai. À titre d'exemple, en Roumanie communiste, un centre expĂ©rimental de reconditionnement psychologique (par la torture) a fonctionnĂ© de 1949 Ă  1954[16] - [17]. Dans tous ces pays, les prisonniers qui se laissaient « rĂ©former la pensĂ©e » avaient des chances de raccourcir leur peine, et parfois mĂȘme de la voir commuĂ©e en assignation Ă  rĂ©sidence : les modalitĂ©s variĂšrent en fonction des zones gĂ©ographiques, des pĂ©riodes de paix ou de guerre, et des populations carcĂ©rales : prisonniers d'opinion, politiques, ethniques, de droit-commun, de guerre, espions[18]


Une partie de la presse occidentale, dont en France L'Humanité des années 1930-1980, a complaisamment relayé la propagande des tortionnaires soviétiques et autres, visant à faire passer les psikhouchki pour de doux établissements de soins et les Goulags pour des centres d'aide par le travail proches des colonies de vacances communistes[19] (avant de revenir sur ses positions[20]).

Politique de la Chine au Tibet

Robert Webster Ford, un opĂ©rateur radio britannique qui a travaillĂ© au Tibet dans les annĂ©es 1950, fut arrĂȘtĂ© par l'armĂ©e chinoise d'invasion et soumis Ă  des interrogatoires et une « rĂ©forme de la pensĂ©e » pendant 5 ans dans les prisons chinoises. Il a dĂ©crit son expĂ©rience au Tibet dans un livre oĂč il analyse la mĂ©thode chinoise de la rĂ©forme de la pensĂ©e[21].

À la suite des troubles au Tibet en 2008, le photographe Gilles SabriĂ© indique que les autoritĂ©s chinoises ont renforcĂ© les dispositifs d'Ă©ducation politique. Les sĂ©ances de rĂ©Ă©ducation conduisent les moines du monastĂšre de Labrang Ă  lire une forme d'Ă©ducation patriotique ou rĂ©forme de la pensĂ©e[22] - [23]. Selon le gouvernement tibĂ©tain en exil, des sĂ©ances similaires se dĂ©roulent au monastĂšre de Drepung qui est, Ă  la suite des troubles en 2008, toujours fermĂ© dĂ©but 2009[24].

Contraintes religieuses et dérives sectaires

Les responsables de diverses confessions et communautĂ©s religieuses de toute obĂ©dience, mais parfois aussi les personnes exerçant une forte emprise autoritaire dans leur famille, peuvent ĂȘtre en situation d'Ă©touffer la libertĂ© de penser par soi-mĂȘme ou de manipuler mentalement leurs membres ou leurs proches, en s'appropriant parfois leurs biens et les maintenant par divers procĂ©dĂ©s dans un Ă©tat de sujĂ©tion psychologique ou physique qualifiĂ© de « lavage de cerveau »[25].

En France, la loi ne dĂ©finit pas ce qu'est une secte afin de ne pas porter atteinte aux libertĂ©s de conscience, d'opinion et de religion constitutionnelles, mais elle dĂ©finit et condamne ce qu'elle appelle les « dĂ©rives sectaires », Ă  savoir les comportements attentatoires au libre-arbitre des fidĂšles ou des proches, aux droits de l’homme ou aux libertĂ©s fondamentales, en particulier en cas d’emprise mentale vis-Ă -vis de personnes vulnĂ©rables (comme les enfants ou les personnes en situation de dĂ©tresse). Pour lutter contre ces « dĂ©rives sectaires », la France s'est dotĂ©e en 2002 d'une structure gouvernementale appelĂ©e Mission interministĂ©rielle de vigilance et de lutte contre les dĂ©rives sectaires (Miviludes), intĂ©grĂ©e au MinistĂšre de l'IntĂ©rieur en 2020[26] - [25].


Projets gouvernementaux

MK-ULTRA (ou MKULTRA) est le nom de code d'un projet de la CIA visant Ă  dĂ©velopper des techniques de contrĂŽle et de programmation de l’esprit. Les deux premiers caractĂšres MK sont appelĂ©s un digraphe et signifient qu'il s'agit d'un programme de la direction technique de la CIA. Le projet est approuvĂ© le 13 avril 1953 et prend fin au dĂ©but des annĂ©es 1970. Ce projet a Ă©tĂ© subventionnĂ© (en partie) par le gouvernement amĂ©ricains supplĂ©Ă© par celui du Canada. Le projet Ă©tant vaste Ă©tait Ă©parpillĂ© en plusieurs sous projet dont un du nom de projet « ARTICHOKE Â». Anciennement appelĂ© « BLUEBIRD Â» le projet visait Ă  lutter contre les possibles techniques de lavage de cerveau utilisĂ© par les corĂ©en et chinois. Le 22 janvier 1954, dans une note des documents publiĂ© par le gouvernement amĂ©ricain, il est notĂ© qu’une nouvelle ligne directrice du projet a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e pour crĂ©e un Assassin commandĂ©.

« Il a été proposé qu'un individu de sexe masculin, d'origine (censurée), ùgé d'environ 35 ans, bien éduqué, maßtrisant l'anglais et bien établi socialement et politiquement dans le gouvernement (censuré) soit amené sous ARTICHOKE à accomplir un acte, involontairement, de tentative d'assassinat contre un éminent politicien (nationalité censurée) ou, si nécessaire, contre un fonctionnaire américain. »


— Extrait traduit d'une note du projet ARTICHOKE datĂ©e du 22 janvier 1954


Selon ce document déclassifié, la programmation de l'esprit d'un individu afin qu'il commette un meurtre a été étudiée par les officiers du projet. La faisabilité d'une telle opération fut analysée par une équipe, qui conclut à l'existence de plusieurs failles opérationnelles. La question de l'élimination du sujet une fois l'expérimentation menée à son terme apparaßt comme ayant été une préoccupation majeure.

Controverses

La thĂ©orie du « lavage de cerveau » ne fait cependant pas l'unanimitĂ© des scientifiques, en particulier pour ce qui concerne l'adhĂ©sion Ă  une religion. Pour certains, ce n’est pas une thĂ©orie pertinente pour expliquer la conversion[27]. L’American Psychological Association a refusĂ© de prendre position parce que les recherches sur la question ne lui apparaissaient pas Ă©quilibrĂ©es[28].

Auteurs sur le thĂšme

Références

  1. Le lavage de cerveau en Chine au début des années cinquante
  2. Jean-Paul Kurtz, Dictionnaire Etymologique des Anglicismes et des Américanismes, ed. BoD - Books on Demand, 2013, en ligne
  3. La voix du combattant n° 1744 d'avril 2009, pages 12 à 14
  4. « Paris Journal; Vietnam Echo Stuns France: Case of Treachery? », New York Times, .
  5. (en) Alan Riding, « Paris Journal; Vietnam Echo Stuns France: Case of Treachery? » [« Journal de Paris ; Un Ă©cho du ViĂȘt Nam assourdi la France : un cas de trahison ? »], sur The New York Times, (consultĂ© le ).
  6. Biographie de Georges Boudarel.
  7. L'affaire Boudarel.
  8. Référence : Prisonnier de guerre, article sur l'Encyclopédie canadienne
  9. Encyclopédie Time-Life Le Monde des Sciences, volume Le Cerveau et la pensée)
  10. Source : « Ri In-mo, un homme inflexible », sur le site de l'association d'amitié belgo-coréenne (favorable à la Corée du Nord) « Korea is one »
  11. Henri Madelin, « Guatemala, aprÚs l'enfer », sur Le Monde diplomatique,
  12. « Au Guatemala, un jĂ©suite arrĂȘtĂ©, torturĂ© et « retournĂ© » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne)
  13. Docteur Jean Garrade, « L'éthique : de la recherche à la pratique », sur psydoc-fr.broca.inserm.fr,
  14. Cécile Vaissié, Pour votre liberté et pour la nÎtre, Paris, Robert Laffont,
  15. Elena Vassilieva, « Larissa Arap, membre de l'opposition russe, serait internĂ©e en hĂŽpital psychiatrique », Le Monde, AFP et Reuters,‎ (lire en ligne)
  16. Virgil Ierunca, Pitești, laboratoire concentrationnaire (1949-1952), Ă©d. Michalon, Paris 1996, trad. Alain Paruit, prĂ©face de François Furet.
  17. Irena Talaban : Psychologie et psychopathologie du traumatisme individuel et collectif dans une société totalitaire communiste : la Roumanie 1945-1989, thÚse de doctorat en psychologie clinique et psychopathologie à l'Université de Paris VIII, Paris 1998, 430 pp.
  18. Virginie Pironon, « Vers un retour des goulags ? »,
  19. François Hourmant, Le désenchantement des clercs, Presses universitaires de Rennes 1997, pp. 57-91 sur Res Publica
  20. Robert W. Ford, « Tibet Rouge, CapturĂ© par l’armĂ©e chinoise au Kham » Olizane, 1999; (ISBN 2-88086-241-8)
  21. Education, rééducation (1)
  22. Rue 89 Aggravation de la rééducation politique au Tibet
  23. (en) 42 monks of Tibet's Drepung monastery have been sentenced to imprisonment and many others left infirm due to severe torture
  24. « Qu'est-ce qu'une dérive sectaire ? », sur https://www.derives-sectes.gouv.fr/ (consulté le ).
  25. « Secte », sur Ortolang, le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales (consulté le )
  26. Le lavage de cerveau : mythe ou rĂ©alitĂ© ?, PrĂ©f. de Thomas Robbins ; Trad. de l’italien par Philippe Baillet. Paris, L’Harmattan
  27. réponse du « Board of social and ethical responsibility for psychology »

Voir aussi

Bibliographie

  • ANAPI, Les soldats perdus ; Prisonniers en Indochine 1945-1954, Paris, Indo Éditions, , 486 p. (ISBN 2-914086-24-5, lire en ligne)
  • 1984 de George Orwell

Documentaires et DVD

  • Documentaire Le tube de Luc Marriot, documentaire TĂ©lĂ©vision suisse romande.
  • DVD Face Ă  la mort de l'ECPAD durĂ©e 90 min.

Articles connexes

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