Deprogramming
Deprogramming est un terme amĂ©ricain (pouvant ĂȘtre traduit par « dĂ©programmation ») qui dĂ©signe une mĂ©thode pour persuader ou contraindre un individu Ă abandonner des croyances trĂšs souvent sectaires ou quelquefois religieuses jugĂ©es erronĂ©es ou dangereuses.
Origines
Cette pratique controversĂ©e, utilisant l'enlĂšvement et la sĂ©questration, est apparue Ă la fin des annĂ©es 1970 aux Ătats-Unis, au moment oĂč Ă©mergeait le foisonnement des nouvelles croyances religieuses en dehors des religions Ă©tablies. De nombreuses familles dĂ©semparĂ©es devant les choix spirituels de leurs enfants, et se constituant en groupes dâopposition Ă ces nouvelles formes de la spiritualitĂ©, ont souscrit Ă cette thĂ©orie et lui ont permis de se dĂ©velopper sans contrĂŽle jusquâen 1980. Les crĂ©ateurs et acteurs du deprogramming percevaient cette mĂ©thode comme une solution aux croyances jugĂ©es illusoires et aux effets considĂ©rĂ©s nĂ©fastes des groupes spirituels appelĂ©s "sectes"(« cults » aux Ătats-Unis), et principalement dirigĂ©e contre le lavage de cerveau. Bien que le premier groupe visĂ© par cette pratique fut Les enfants de Dieu ((en) Children of God), de nombreux autres groupes, comme celui des Hare Krishna ou de « Maharaj ji » ou encore les adeptes de lâĂglise de lâUnification de Moon ont rapidement Ă©tĂ© concernĂ©s[1].
Promoteurs et opposants
Les promoteurs du deprogramming le prĂ©sentaient comme une tentative de fournir des informations Ă un adepte afin quâil rĂ©alise lâemprise quâil subit au sein de son groupe spirituel et en particulier Ă quel point son libre arbitre lui a Ă©tĂ© retirĂ©.
Les opposants Ă cette mĂ©thode ont soulignĂ© le paradoxe des kidnappings et de la sĂ©questration pour restaurer le libre arbitre dâun individu[2]. Des tĂ©moignages dâabus de la part de personne « dĂ©programmĂ©es » ont contribuĂ© Ă ce que des peines de prison soient infligĂ©es Ă Ted Patrick, un des pionniers de la mĂ©thode[3] dont le livre « Let our children go » (« Laissez nos enfants partir », 1976) dĂ©crit sans ambiguĂŻtĂ© les enlĂšvements, la coercition physique et Ă©motionnelle pratiquĂ©e pendant les sĂ©ances[4]. Un autre procĂšs, cette fois contre Rick Ross autre pratiquant amĂ©ricain de la dĂ©programmation[5] dans les annĂ©es 1990 a mis un terme au deprogramming forcĂ© et a conduit Ă la dissolution du CAN (Cult Awereness Network[6], le groupe « antisectes » amĂ©ricain de lâĂ©poque), pour cause de faillite due au montant des dommages-intĂ©rĂȘts Ă payer.
En France, une ADFI (association pour la dĂ©fense de la famille et lâindividu) a ouvertement adoptĂ© cette mĂ©thode Ă la fin des annĂ©es 1970[7] puis lâa abandonnĂ©e au moment des procĂšs qui se dĂ©roulaient aux Ătats-Unis au dĂ©but des annĂ©es 1980.
Au cours de lâĂ©mission « ça se discute » de Jean-Luc Delarue du consacrĂ©e Ă la « manipulation », une mĂšre dĂ©crivait le deprogramming quâelle a fait subir Ă sa fille en 2005[8].
Les failles de la méthode
Certains des sociologues amĂ©ricains et anglais qui ont Ă©tudiĂ© la question du deprogramming ont relevĂ© ce quâils considĂšrent comme sept failles Ă la thĂ©orie du lavage de cerveau et Ă la dĂ©programmation prĂ©conisĂ©e pour soigner ceux qui lâauraient subi :
- Il nâa jamais Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© quâil existait des techniques non biologiques pour contrĂŽler lâesprit de quelquâun. Lâexemple classique des prisonniers de guerre pendant la guerre de CorĂ©e dĂ©montre au contraire quâil y avait trĂšs peu, voire aucun, rĂ©sultat Ă de telles tentatives. (Schein et al. 1961).
- La plus grande partie des personnes qui participent Ă des activitĂ©s des nouveaux mouvements religieux ne sâengagent pas du tout. (Barker 1984).
- De trÚs nombreux membres restés assez longtemps dans un groupe partent de leur propre gré (Bainbridge 1982, 1984a ; Wright 1983).
- Des chercheurs ont fait des enquĂȘtes Ă long terme au sein de mouvements religieux rĂ©cents, incluant tous ceux accusĂ©s de lavage de cerveau, et leurs rapports ne confirment pas ce concept. (Bainbridge 1978 ; Taylor 1983)
- Les sociologues ont une thĂ©orie plus plausible sur lâaffiliation Ă des nouveaux mouvements religieux, combinant plusieurs facteurs qui nâont pas besoin de lâhypothĂšse du lavage de cerveau pour expliquer la motivation dâun individu Ă sâengager dans une dĂ©marche spirituelle.
- Le concept de lavage de cerveau (ou manipulation mentale aujourdâhui) semble avoir Ă©tĂ© conçu pour discrĂ©diter les nouvelles spiritualitĂ©s et dĂ©responsabiliser leurs membres « sortants » critiques. En consĂ©quence, les actions que nous voyons aujourdâhui contre certains groupes ou individus sont lĂ©gitimĂ©es par ce concept sans lequel elles seraient considĂ©rĂ©es comme illĂ©gales et opposĂ©es aux droits de lâhomme (Bromley 1983 ; Kelley 1983).
- Le discours autour de lâidĂ©e du lavage de cerveau ou de la manipulation mentale suppose quâune personne mentalement saine doive ĂȘtre autonome sans subir la moindre influence collective (Richardson and Kilbourne 1983) et tente de nier lâimportance de la religion et de la communautĂ© dans les sociĂ©tĂ©s humaines (Hargrove, 1983).
La méthode d'exit counseling
Le deprogramming nâa pas tout Ă fait disparu. Il a Ă©voluĂ© aux Ătats-Unis vers une procĂ©dure appelĂ©e « exit counseling » (« accompagnement pour quitter la secte »)[9] - [10]. Les objectifs restent les mĂȘmes mais la procĂ©dure Ă©tant maintenant plus surveillĂ©e, la coercition a, en principe, Ă©tĂ© abandonnĂ©e. Le programme coĂ»te entre deux et quatre mille dollars aujourdâhui[11] et le « patient » est censĂ© pouvoir lâinterrompre quand il le souhaite.
L'exit counseling a été introduit en France par Me Daniel Picotin, avocat spécialisé dans le droit des dérives sectaires et président de l'association Infos Sectes Aquitaine, notamment pour aider une famille appartenant aux « reclus de Monflanquin »[12]. Ayant facturé cette procédure plus de 18 000 euros à un couple, l'avocat a été condamné le par la Cour d'Appel de Bordeaux[13] à leur restituer plus de 14 000 euros et à leur verser 1 500 euros de frais de justice, faute de pouvoir justifier la hauteur de ses honoraires personnels et des frais auprÚs de plusieurs prestataires[14].
Cette affaire concernant le prĂ©sident de son antenne en Aquitaine, le bureau national du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) a prĂ©cisĂ© en septembre 2015 dans un communiquĂ©[15] que le CCMM ne pratiquait pas l'« exit counseling » et que « conformĂ©ment aux principes de la laĂŻcitĂ© et aux lois de la RĂ©publique, lâobjet du CCMM est dâĂ©tudier et relever les agissements qui portent atteinte aux libertĂ©s et violent les droits de la personne humaine ». L'association a ajoutĂ© qu'elle agit « bĂ©nĂ©volement » Ă la demande spontanĂ©e des proches des victimes.
Cinéma
Le film Holy Smoke (Jane Campion, 1999) avec Kate Winslet et Harvey Keitel est basĂ© sur une sĂ©ance de deprogramming et le lien ambigu qui se tisse entre lâadepte dâune secte et le « dĂ©programmeur ».
Littérature de fiction
Dans le roman Les Miroirs de l'esprit, de Norman Spinrad, le personnage principal fait appel à un déprogrammeur pour tenter de faire sortir son épouse d'une secte. Le déprogrammeur n'a cependant jamais l'occasion de rencontrer cette derniÚre, et il se contente de conseiller son mari, avant de disparaßtre inexplicablement.
Références
- Certains groupes concernés
- Photos dâune sĂ©ance de Deprogramming avec Ted Patrick
- (en)[Price, Polly J. Regulation of religious proselytism in the United States. Brigham Young University Law Review. 2001 537-574]
- [page 96 Wes had taken up a position facing the car, with his hands on the roof and his legs spread-eagled. There was no way to let him inside while he was braced like that. I had to make a quick decision. I reached down between Wes's legs, grabbed him by the crotch and squeezed--hard. He let out a howl, and doubled up, grabbing for his groin with both hands. Then I hit, shoving him headfirst into the back seat of the car and piling in on top of him]
- Site de Rick Ross
- Le CAN(en)
- En 1976, Madame Lidwine Ovigneur, dirigeante de lâADFI de Lille, dĂ©clare au journal LâAurore Ă propos de Brigitte Backeland, une jeune adepte de lâĂglise de lâUnification, quâaprĂšs lââenlĂšvementâ elle âse repose maintenant Ă la campagne oĂč elle va ĂȘtre dĂ©programmĂ©eâ. Ce nâest pas le premier cas, dâaprĂšs Madame Ovigneur, qui ajoute : âNos techniques de dĂ©programmation sont maintenant bien au point, grĂące notamment aux expĂ©riences amĂ©ricainesâ Francis Schull, "LâĂ©tonnante histoire dâun patron âmoonisteâ", LâAurore, 27 janvier 1976. La jeune femme « dĂ©programmĂ©e » a portĂ© plainte pour coups et blessures volontaires, tentatives de viol et menaces de mort. Source : « Sectes, Religions et LibertĂ©s Publiques » de Christian Paturel.
- Un compte-rendu de lâĂ©mission sur le site du CICNS
- (en) Site de Freeedom of Mind
- (en) la tentative de faire d'une activité déviante, une thérapie par Anson Shupe
- (en) au sujet du deprogramming
- "Exit counseling", une méthode discrÚte pour exfiltrer les adeptes des sectes, Le Point, 16/04/2014.
- Cour d'Appel de Bordeaux, 5 mai 2015, n° 14/05255.
- « Exfiltration » dâune secte : lâavocat avait trop facturĂ©, Dalloz actualitĂ©, 12 mai 2015.
- Communiqué du CCMM, septembre 2015.