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Langues paléo-balkaniques

Les langues palĂ©o-balkaniques sont le regroupement avant tout gĂ©ographique des langues indo-europĂ©ennes parlĂ©es durant l’AntiquitĂ© dans les Balkans et les rĂ©gions limitrophes, et dont est issu l’albanais moderne, seule langue vivante du regroupement. Initialement, le terme thraco-illyriennes dĂ©signait une branche hypothĂ©tique des langues indo-europĂ©ennes, mais le progrĂšs des recherches a menĂ© les linguistes Ă  revoir leurs classements, et un certain nombre de langues considĂ©rĂ©es comme « thraco-illyriennes Â» auparavant ont Ă©tĂ© reclassĂ©es dans d’autres branches des langues indo-europĂ©ennes : c'est pourquoi aujourd'hui on parle au sens plus large de langues palĂ©o-balkaniques.

Les langues paléo-balkaniques.

Classification interne

HypothĂšse de classification

À l’exception du messapien[1], les langues de l’ensemble thraco-illyrien sont peu documentĂ©es. Depuis les travaux de Hans Krahe, il est probable qu’aucune certitude ne pourra, en l’état actuel des sources, se dĂ©gager Ă  ce sujet, sauf en ce qui concerne l’appartenance du groupe messapien-illyrien ou macro-illyrien et du groupe albanais au groupe centum des langues indo-europĂ©ennes.

La dĂ©nomination de « langues thraces et illyriennes Â» regroupe Ă©galement (toutes disciplines confondues, qu’elles soient gĂ©nĂ©alogiques, typologiques, ou purement de gĂ©ographie palĂ©o-balkanique) les langues suivantes :

Le messapien n’est pas palĂ©o-balkanique Ă  proprement parler : c’est une langue du Sud-Est de la pĂ©ninsule italienne et le rapprochement avec l'illyrien se base sur quelques anthroponymes que l’on retrouve sur les stĂšles funĂ©raires, qui pourraient aussi bien tĂ©moigner d’une parentĂ© indo-europĂ©enne plus gĂ©nĂ©rale, ou encore de mouvements migratoires depuis l’Illyrie (comme il s’en est produit plus tardivement depuis l’Albanie).

DĂ©classements et reclassements

Ont été retirées du regroupement thraco-illyrien et reclassées ailleurs par la linguistique les langues suivantes :

Position de l’albanais dans l’ensemble thraco-illyrien

Le rapprochement entre l’albanais et l’illyrien a Ă©tĂ© fait dĂšs 1709 par Gottfried Wilhelm Leibniz, qui appelle l’albanais « la langue des anciens Illyriens ». Plus tard, le linguiste Gustav Meyer (1850-1900) dĂ©clara qu’« appeler les Albanais "nouveaux Illyres" est aussi juste que d’appeler les Grecs actuels "Grecs modernes" ». La langue albanaise constituait pour lui l’étape la plus rĂ©cente de l’un des dialectes illyriens. À la suite de l’échec de Hans Krahe de pouvoir circonscrire dans les Balkans un substrat illyrien distinct d’un substrat indo-europĂ©en ancien commun, et de donner un sens aux traces de l’illyrien dans une perspective palĂ©olinguistique ou phylogĂ©nĂ©tique de l’indo-europĂ©en, les hypothĂšses relatives Ă  un ensemble cohĂ©rent de langues thraco-illyriennes et Ă  l’origine illyrienne de l’albanais ont Ă©tĂ© graduellement abandonnĂ©es par les linguistes et notamment les indo-europĂ©anistes modernes. Le fait que l’albanais ne peut descendre phylogĂ©nĂ©tiquement en ligne directe de l’illyrien (disparu par romanisation → Dalmate) est admis aujourd’hui par l’ensemble des linguistes spĂ©cialistes de la question[2].

Ce consensus linguistique international est cependant toujours contestĂ© par des historiens albanais et kosovars protochronistes pour lesquels l’origine illyrienne (donc autochtone) de l’albanais est une question d’identitĂ© nationale[3]. Plusieurs facteurs expliquent la position « illyrienne Â» des historiens albanais dont les principaux arguments sont la prĂ©sence de traits centum en illyrien et en albanais, et la ressemblance entre anthroponymes albanais actuels et vocabulaire illyrien : par exemple Ă  l'albanais dash « bĂ©lier », correspondrait l'illyrien Dassius ou Dassus, de mĂȘme que l'albanais bardhi « blanc » correspondrait Ă  Bardus, Bardullis, Bardyllis. Quelques ethnonymes de tribus illyriennes sont Ă©galement supposĂ©s avoir leur correspondant albanais : c'est ainsi que le nom des Dalmates correspondrait Ă  l'albanais delmĂ« « brebis » et le nom des Dardaniens correspondrait Ă  l'albanais dardhĂ« « poire, poirier »[4].

La conjoncture politique qui a prĂ©valu dans les Balkans avant et aprĂšs l’effondrement des empires austro-hongrois et ottoman, est celle d’une gĂ©opolitique complexe dont l’enjeu Ă©tait l’étendue territoriale de chaque Ă©tat et dont l’argument historique Ă©tait l’antĂ©rioritĂ© de chaque peuple sur cette Ă©tendue revendiquĂ©e : chaque nation moderne s’efforçait donc de minimiser ses migrations et de dĂ©montrer une autochtonie antĂ©rieure Ă  celle des voisins qui, de leur cĂŽtĂ©, contestaient ces dĂ©monstrations en employant la mĂ©thode hypercritique, comme le linguiste serbe Pavle Ivić face Ă  l’historiographie albanaise. Kersaudy, historien et traducteur, voit dans l’albanais moderne une langue qui « s’est formĂ©e sur un fond thraco-illyrien vers le VIe siĂšcle, et [qui] a subi un dĂ©but de latinisation encore sensible dans la langue moderne ». Le collectif Schwandner-Sievers (2002) considĂšre l’origine illyrienne de l’albanais comme un mythe identitaire[4].

En raison de ces enjeux, les perspectives théoriques sont divergentes :

  1. Les faits linguistiques de l’albanais s’expliqueraient mieux dans un ensemble phylogĂ©nĂ©tique daco-thrace[5].
  2. Les correspondances observables parmi les langues de l’ensemble palĂ©o-balkanique s’expliquent plus facilement comme phĂ©nomĂšnes d’emprunts et de convergence dans un contexte de contacts linguistiques, Ă  l’image de ce qui se passe dans les Balkans de la modernitĂ©, oĂč toutes les langues de la rĂ©gion convergent dans leurs structures vers un modĂšle typologique prĂ©dominant, l’« union linguistique balkanique Â». Dans cette perspective, les langues de l’ensemble palĂ©o-balkanique appartiennent Ă  des branches distinctes les unes des autres dont la divergence est trĂšs antĂ©rieure au dĂ©veloppement des caractĂ©ristiques communes, celles-ci rĂ©sultant d’un phĂ©nomĂšne ultĂ©rieur de convergence linguistique plutĂŽt que d’un hĂ©ritage ou d’un substrat ancien commun[6].
  3. Dans la perspective oĂč le rapprochement illyrien-messapien est hypothĂ©tique en raison de la raretĂ© des donnĂ©es sur l’illyrien et oĂč les faits du messapien sont mieux connus que ceux de l’illyrien, les faits linguistiques du messapien ne s’expliquent d’aucune façon comme proches de l’albanais[7].
  4. Le messapien appartenant indubitablement au groupe centum des langues indo-europĂ©ennes, sa parentĂ© avec l’albanais, langue satem, doit ĂȘtre exclue[8].

En principe, les perspectives 3 et 4 font l’unanimitĂ© dans la mesure oĂč elles sont compatibles avec les perspectives 1 et 2 : les typologistes universalistes de la perspective 2 et les gĂ©nĂ©alogistes daco-traces de la perspective 1 sont confortĂ©s par l’impossiblitĂ© de dĂ©montrer de l’hypothĂšse « macro-illyrienne Â» regroupant messapien, illyrien et albanais. Les uns y voient une confirmation que toute hypothĂšse de classification phylogĂ©nĂ©tique des langues palĂ©o-balkaniques est illusoire, les autres y voient la confirmation que le rattachement de l’albanais au groupe daco-thrace des langues palĂ©o-balkaniques est plausible. Ce genre de consensus laisse en suspens une foule de dĂ©tails : notamment, en raison de la pauvretĂ© des donnĂ©es sur la langue, il n’y a pas mĂȘme de consensus pour savoir si l’illyrien Ă©tait bien une langue centum (historiographie albanaise) ou bien satem (autres ouvrages).

En conclusion, s’il y a consensus (protochronistes mis Ă  part), c’est pour rejeter tout lien de l’albanais avec le messapien et l'illyrien ; un courant majoritaire laisse indĂ©terminĂ©e la position de l’albanais dans l’ensemble palĂ©o-balkanique, et un courant minoritaire rattache l’albanais au groupe daco-thrace des langues thraco-illyriennes, avec deux hypothĂšses :

  • une origine thrace Ă  l’est de l’antique Illyrie mais voisine de celle-ci, dans les actuels Kosovo et Serbie (impliquant donc une autochtonie balkanique) ;
  • une origine dace au nord du Danube (rejetĂ©e par l’historiographie albanaise car elle implique une non-autochtonie) : selon ce point de vue, la toponymie et une partie du lexique albanais montreraient que les territoires actuels de l’Albanie et du Kosovo ont Ă©tĂ© romanisĂ©s dans l’intĂ©rieur et hellĂ©nisĂ©s sur la cĂŽte avant que les ancĂȘtres des Albanais modernes n’arrivent de Dacie : ce seraient des Daces non-romanisĂ©s, les Carpes dont on sait qu’ils ont migrĂ© au IVe siĂšcle vers les Balkans pour fuir les invasions des Goths, des Huns et des GĂ©pides, ce qui expliquerait le lexique commun Ă  l’albanais et au roumain[9] - [10] - [11].

MĂȘme contradictoires et polĂ©miques, toutes ces hypothĂšses situent unanimement l’ethnogenĂšse albanaise avant l’arrivĂ©e des Slaves mĂ©ridionaux au VIe siĂšcle.

Notes et références

  1. Le messapien nous est connu par un corpus d'environ 260 inscriptions remontant pour la plus ancienne Ă  environ 600 av. J.-C.
  2. Notamment, en ordre alphabĂ©tique: Alföldy (1964), Duridanov (1976), Georgiev (1960a, 1960b, 1961, Hamp (1957, 1966), Katičić (1964, 1976), Kortlandt (1988), Krahe (1925, 1929, 1955), Kronasser (1962, 1965), Neroznak (1978), Paliga (2002), PolomĂ© (1982), Sergent (1995), de Simone (1964), Rădulescu (1984, 1987, 1994), Russo (1969), Untermann (1964, 2001), Watkins (1998), Wilkes (1992).
  3. Pollo & Buda (1969) et Pollo & Arben (1974) rapportent que ce "mythe du XIXe siÚcle" a été élevé au statut de "dogme" durant le régime communiste.
  4. MĂ©tais (2006:33)
  5. Georgiev (1960a, 1960b, 1961, Kortlandt (1988 ), Russu (1969), Sergent (1995).
  6. Duridanov (1976), Hamp (1957, 1966), Krahe (1925, 1929, 1955), Rădulescu (1984, 1987, 1994), Watkins (1998), Wilkes (1992). Georgiev (1960a, 1960b, 1961, Kortlandt (1988 ) et Russu (1969) souscrivent Ă  la conclusion que les diffĂ©rences entre le messapien, l’illyrien et le daco-thrace sont plus importantes que les correspondances et que ces correspondances peuvent ĂȘtre attribuables aux seules interfĂ©rences que produisent le contact des langues, mais plaident pour une parentĂ© tricotĂ©e serrĂ©e entre les langues daco-traces auxquelles ils rattachent l’albanais.
  7. Hamp (1957, 1966), Katičić (1964, 1976), Krahe (1925, 1929, 1955), Neroznak (1978), PolomĂ© (1982), de Simone (1964), Untermann (1964, 2001), Wilkes (1992).
  8. Katičić (1964, 1976), Krahe (1925, 1929, 1955), de Simone (1964).
  9. Carlos Quiles, A Grammar of Modern Indo-European, (ISBN 8461176391), page 76, fig. 47
  10. Asterios Koukoudis, The Vlachs : Metropolis and Diaspora, Ă©d. Zitros, Thessaloniki 2003, (ISBN 9789607760869)
  11. T.J. Winnifruth, Romanized Illyrians & Thracians, ancestors of the modern Vlachs, Badlands-Borderland 2003, page 44, (ISBN 0-7156-3201-9).

Voir aussi

Bibliographie

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  • Georgiev, Vladimir (1960a). "Albanisch, Dakisch-Mysisch und Rumanisch: Die Herkunft der Albaner." Linguistique Balkanique 2.1–19.
  • Georgiev, Vladimir (1960b). "The Genesis of the Balkan peoples." The Slavonic and East European Review 44(103).285-297.
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  • Russu, Ion I. (1969). Limba traco-dacilor. Bucharest: Edit. Stiintifica.
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