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LĂ©on Pales

Léon Pales, né le à Toulouse et mort le à Issy-les-Moulineaux, est un médecin militaire, anthropologue et préhistorien français. Il a associé ces trois spécialités en développant la paléopathologie en début de carrière, avant de s'orienter par la suite vers l'anthropologie, puis la préhistoire.

LĂ©on Pales
portrait de trois-quart face d'un homme dans la force de l'âge, portant la rosette de la Légion d'Honneur
LĂ©on Pales en 1957
Biographie
Naissance
Décès
SĂ©pulture
Cimetière de Castelnau-Durban (d)
Nom de naissance
LĂ©on Pales
Nationalité
Française
Activités
Période d'activité
1929-1975
Conjoint
Angélina Georgette Marie Cayer
Enfant
Annette Pales-Gobilliard
Titre honorifique
Professeur
signature de LĂ©on Pales
Signature

Biographie

Prémices d'une vocation

Léon Pales naît à Toulouse au domicile de ses parents, 19 rue Saint-Rome, le , de Jean-Baptiste Pales, avocat, et Anne Victorine Déjean[n 1]. Il passe une grande partie de son enfance en Ariège, terroir auquel il restera toujours fidèle[1]. C'est là que s'exprime d'abord son goût pour la préhistoire et l'observation. Ainsi en 1920 déjà, il confie au futur professeur Gaston Astre (1896-1975) de Toulouse un épi fossile dans un état exceptionnel qu'il a lui-même récolté[2]. Il explore et fouille plusieurs grottes[n 2] de la région : Lespiougue, Le Bourdal, et sur la commune de Montseron, Las Boufios, Soulabé, Las Maretas, etc. Beaucoup plus tard, il achètera ces deux dernières grottes situées dans le cirque de Malarnaud sur la rive gauche de l'Arize[3]. Il est bachelier en 1921 et 1922[n 3] en latin, sciences et philosophie ; en 1923, il obtient le PCN et les certificats de zoologie appliquée et d'archéologie préhistorique[4] à l'université de Toulouse[5]. Cette précocité lui vaut de fréquenter déjà des célébrités de la paléontologie comme Henri Begouën, l'abbé Henri Breuil[n 4], qui l'initie, entre autres, à la lecture des pierres gravées, Marcellin Boule, et à Toulouse Henri Victor Vallois qui le forme à l'anatomie et l'anthropologie[2].

Il commence pourtant des Ă©tudes de mĂ©decine Ă  Toulouse, qu'il poursuit en intĂ©grant Ă  Bordeaux en l'École principale du service de santĂ© de la Marine et des troupes coloniales (matricule 709)[2] - [7] - [8] oĂą il devint aide d'anatomie en 1927[4]. Pendant les quatre annĂ©es passĂ©es Ă  Bordeaux, LĂ©on Pales se multiplie : secrĂ©taire de la section prĂ©historique Ă  la sociĂ©tĂ© linnĂ©enne de Bordeaux, membre de la sociĂ©tĂ© d'histoire naturelle de Toulouse, de la sociĂ©tĂ© prĂ©historique française, de l'association française pour l'avancement des sciences et de l'institut international d'anthropologie ; toutes sociĂ©tĂ©s au sein desquelles il prend la parole et publie des textes d'autoritĂ© qui prĂ©parent sa thèse de mĂ©decine[9], il n'a que 24 ans et rĂ©dige dĂ©jĂ  savamment. PalĂ©ontologue prĂ©coce et dĂ©sormais mĂ©decin, il soutient en 1929 sa thèse de mĂ©decine consacrĂ©e Ă  la palĂ©opathologie[10]. Durant la prĂ©paration de celle-ci, il est successivement en contact et influencĂ© par Roy Lee Moodie, George Grant MacCurdy (en) et Paul Rivet. Le , il Ă©pouse AngĂ©lina Cayer Ă  Bordeaux [n 5].

Une thèse qui marque l'histoire

 couverture en noir et blanc de la thèse de Léon Pales en 1929
Couverture de la thèse de Léon Pales.

Ce travail qui fait l'état des lieux de l'ostéo-archéologie est d'une telle valeur qu'il est publié dès l'année suivante[11] avec une préface de Paul Rivet et fait l'objet de commentaires internationaux[12].

Dans ce travail, Léon Pales démontre des qualités originales et personnelles. Premièrement par sa méthode qui s'appuie sur l'usage systématique de l'histologie et de la radiographie pour identifier et interpréter la physiopathologie de lésions osseuses anciennes. Ainsi, il peut modifier des diagnostics qui avaient été antérieurement portés (discussion sur le prétendu rachitisme des hommes de Néandertal et de Cro-Magnon, distinction entre lésions osseuses de la maladie de Paget et celles de la syphilis, etc.). Malgré l'évolution des connaissances, nombre de ses observations et conclusions sont considérées comme toujours valides au début du XXIe siècle[5]. Ensuite, par l'affirmation que la paléopathologie peut servir la médecine en ce qu'elle procure de connaissance sur l'histoire naturelle des maladies[8].

Cette thèse, et l'ouvrage qui en découle, fut paradoxalement la dernière synthèse en paléopathologie en langue française avant que cette discipline ne s'enfonce dans un sommeil trentenaire jusqu'aux années 1960. Longtemps, cet ouvrage s'est imposé donc comme le seul traité d'ostéo-archéologie en français. Des décennies plus tard, Pierre L. Thillaud n'hésite pas à écrire en 2002, concernant cette période de la paléopathologie française qu'il s'est agit d'« un âge d'or (1900-1930) qui fut dominé par l'œuvre de Marc Armand Ruffer et dont l'issue fut pour la France marquée par la thèse de Léon Pales. En 1929, soit près d'un demi-siècle après celle de Jules Le Baron, la thèse de Léon Pales marque à son tour la paléopathologie française. »[8].

Brazzaville

Ă€ l'issue de sa formation initiale Ă  Bordeaux[n 6], LĂ©on Pales choisit de servir dans le Corps de santĂ© des troupes coloniales et suit l'enseignement de l'École d'application du service de santĂ© des troupes coloniales au Pharo Ă  Marseille. Il en ressort major de promotion en 1930[5] - [n 7]. Il commence sa carrière de praticien comme mĂ©decin-lieutenant en tant que mĂ©decin rĂ©sident et chirurgien Ă  l'hĂ´pital gĂ©nĂ©ral de Brazzaville entre 1931 et 1933[4]. Durant ce premier sĂ©jour, il reste anthropologue dans l'âme et s'intĂ©resse dorĂ©navant Ă  la typologie des ethnies africaines qu'il cĂ´toie, comme le prouve le don de moulages anatomiques au musĂ©um d'histoire naturelle de Toulouse[14]. Pendant ce sĂ©jour, LĂ©on Pales est confrontĂ© Ă  l'effroyable mortalitĂ© dont sont victimes les travailleurs du chantier du Chemin de fer Congo-OcĂ©an (CFCO). Il est alors sur le territoire de la colonie le seul capable de rĂ©aliser des autopsies auxquelles sa formation de pathologiste l'a prĂ©parĂ©. De plus, il peut s'appuyer sur les laboratoires de l'Institut Pasteur Ă  Brazzaville pour analyser les pièces anatomiques qu'il prĂ©lève. Il rĂ©alise ainsi plusieurs dizaines d'autopsies, et il dĂ©crit particulièrement celles rĂ©alisĂ©es chez des travailleurs du CFCO[15]. Il diagnostique chez eux plusieurs causes infectieuses de dĂ©cès (tuberculoses et pneumonies dissĂ©minĂ©es, etc.). Mais surtout, il dĂ©crit une sĂ©rie de victimes prĂ©sentant un Ă©tat de dĂ©nutrition avancĂ© qu'il nomme la « Cachexie du MayombĂ© » du nom du massif montagneux si difficile Ă  franchir par le chantier ferroviaire et si cruel pour les ouvriers forcĂ©s d'y travailler. Cette cachexie s'accompagne chez de nombreux patients d'une atrophie cĂ©rĂ©brale et de lymphadĂ©nopathie, tandis que ces patients dĂ©nutris avaient conservĂ© jusqu'au terme de leur agonie un appĂ©tit normal[15]. Plus de 80 ans plus tard, cette description de la cachexie du MayombĂ© est considĂ©rĂ©e par plusieurs auteurs comme la possible confirmation de la circulation du virus de l'immunodĂ©ficience humaine (VIH) en Afrique centrale dès les annĂ©es 1920, en concordance avec les estimations phylogĂ©nĂ©tiques sur l'origine du virus de l'immunodĂ©ficience humaine[15] - [16] - [17] - [n 8].

Fort-Lamy

Léon Pales poursuit sa carrière comme médecin-chef du département sanitaire du Baguirni-Chari et de l'hôpital de Fort-Lamy[4], conseiller technique du représentant du gouverneur pour la région du Tchad de 1934 à 1936[13] - [7]. Durant cette deuxième affectation, sa curiosité pour l'anthropologie ne se dément pas comme le rappelle ses fouilles menées aux environs de Fort-Lamy en [18] - [n 9].

Marseille et la guerre

 portrait de trois-quart droit d'un médecin des troupes coloniales coiffé du képi à quatre galons et de l'ancre d'or, on note au revers droit la présence de l'insigne de l'école du Pharo
Portrait de LĂ©on Pales au moment oĂą il prend la commandement de l'ACL 222.

Au terme de ses congés de fin de séjour, Léon Pales est affecté en 1937 à Marseille comme assistant du laboratoire d'anatomie de l'école d'application du service de santé des troupes coloniales. Il passe le concours de chirurgien des hôpitaux coloniaux et l'agrégation d'anatomie et clinique chirurgicale en 1938[4]. En 1938, il est chirurgien-chef de l'hôpital embarqué des réfugiés espagnols de Marseille à bord du Providence-Marseille et du Patria-Marseille[7] - [19]. À Marseille, il étudie les caractéristiques d'un bataillon de tirailleurs afin « d'améliorer la connaissance anthropologique des Soudanais occidentaux sélectionnés et transplantés »[20]. En 1937-1938, il dispense un cours d'anthropologie et d'ethnologie à la faculté de médecine et de pharmacie de Marseille[4]. En 1939, il est nommé professeur agrégé dans la chaire d'anatomie à l'École du Pharo.

Le mĂ©decin-commandant LĂ©on Pales prend Ă  Paris (Caserne Mortier) le commandement de l'ambulance chirurgicale lĂ©gère 222 (ACL 222), seule ambulance chirurgicale du Corps d'armĂ©e colonial[21] - [1] - [n 10] lequel est intĂ©grĂ© Ă  la 3e armĂ©e[22]. Celle-ci est engagĂ©e sur le front face Ă  la Sarre dès le [23] et se dĂ©ploie au château de Logne (Rurange-lès-Thionville) devant Hagondange Ă  moins de 30 kilomètres de la frontière de la Sarre[24].

Le personnel technique (4 chirurgiens, stomatologiste, radiologiste, 3 dentistes, pharmaciens, infirmières, administrateur) est au complet, ce qui n'est pas le cas du personnel d'exploitation (12 brancardiers militaires pour 51 prĂ©vus) tandis que les conducteurs de vĂ©hicules sont limitĂ©s aux vĂ©hicules prĂ©sents, c'est-Ă -dire en nombre insuffisant[25]. Dès les premiers jours, fort de son expĂ©rience d'exercice de la chirurgie en situation dĂ©gradĂ©e connue en Afrique Équatoriale, LĂ©on Pales remet en cause la doctrine d'emploi de son ambulance. Celle-ci Ă©dicte qu'une Ă©quipe chirurgicale est composĂ©e de 2 chirurgiens opĂ©rant ensemble dans un bloc opĂ©ratoire. L'ambulance peut donc mettre en Ĺ“uvre 2 Ă©quipes alors que le principe rĂ©glementaire du chantier opĂ©ratoire est de pouvoir mettre en service 3 Ă©quipes travaillant sur le rythme des 3x8. Par ailleurs, LĂ©on Pales prĂ©voit que dans cette guerre qui dĂ©bute, l'impact des bombardements aĂ©riens et des armes automatiques sera important et qu'il faudra aussi prendre en charge de nombreux blessĂ©s civils. Dès lors, il dĂ©cide de sa propre autoritĂ© de constituer 4 Ă©quipes chirurgicales, chacune avec 1 chirurgien aidĂ© par un aide-chirurgical en la personne d'un dentiste ou du stomatologiste. Ainsi, ses Ă©quipes peuvent opĂ©rer en continu, 24h/24, 8 heures chacune, pendant que la quatrième Ă©quipe est de repos et de rĂ©serve, ce qui permet un glissement quotidien de la tranche horaire dĂ©volue Ă  chaque Ă©quipe et donc la possibilitĂ© d'un repos de nuit complet tous les 3 jours[25]. Outre ses Ă©quipes chirurgicales, l'ACL 222 comporte une section de triage essentielle Ă  la bonne rĂ©partition des blessĂ©s lors de leur arrivĂ©e ; cette mission nĂ©cessite la plus grande compĂ©tence et est toujours rĂ©alisĂ©e par LĂ©on Pales en personne pendant toute la campagne[26].

Cette organisation originale est confortĂ©e et validĂ©e par l'expĂ©rience acquise tout au long de la « drĂ´le de guerre » entre le et le . Pendant cette longue pĂ©riode de près de 8 mois, l'ACL 222 est engagĂ©e sur le front en Moselle et son activitĂ© chirurgicale est quotidienne et soutenue. Ainsi, au [n 11], soit près de 6 mois d'engagement, l'ACL 222 a rĂ©alisĂ© 590 interventions chirurgicales pour 300 blessĂ©s de guerre. L'ACL 222 prouve sa capacitĂ© Ă  la mobilitĂ© en se dĂ©ployant successivement au château de Logne (Rurange-lès-Thionville), au château de Bertrange (Uckange) et plus durablement au collège de Rombas.

Du fait de l'offensive allemande du , l'ACL 222 est dĂ©placĂ©e le en Argonne, Ă  Vienne-le-Château oĂą elle se dĂ©ploie pour la dernière fois en entier[28]. Le , elle commence son repli vers le sud et vient Ă  Vertes-Voyes, quartier de Sainte-Menehould, occuper les locaux laissĂ©s vacants par l'hĂ´pital d'Ă©vacuation (HoE) depuis la veille. Ă€ 16h30, un important bombardement aĂ©rien dĂ©truit la moitiĂ© du matĂ©riel de l'ACL 222, fait 18 victimes parmi les personnels de santĂ©, tue un conducteur sur sept et 9 brancardiers[28]. L'ambulance est alors rĂ©duite Ă  la fonction de poste de secours, toujours commandĂ© par LĂ©on Pales. Elle se dĂ©place successivement entre Sainte-Menehould et Les Islettes, puis Ă  Pierrefitte-sur-Aire oĂą elle perd encore des vĂ©hicules, Menaucourt oĂą elle est de nouveau bombardĂ©e, Biesles et enfin Bourbonne-les-Bains le . LĂ©on Pales tente avec sa formation d'Ă©chapper Ă  l'encerclement mais ils sont faits prisonniers Ă  Villars-Saint-Marcellin le et conduits Ă  l'hĂ´pital thermal militaire de Bourbonne-les-Bains, Ă©vacuĂ© depuis le 15, et dans lequel il prend en charge 11 blessĂ©s graves victimes de la route. C'est lĂ  que l'ACL 222 se rĂ©organise et accueille deux trains sanitaires complets (nos 104 et 362) qui confient Ă  l'ambulance la responsabilitĂ© de 600 blessĂ©s et malades. L'hĂ´pital se vide de ses patients et ferme le . Le personnel de l'ambulance est progressivement libĂ©rĂ© Ă  l'exception de LĂ©on Pales qui reste le seul incarcĂ©rĂ© au-delĂ  du et quitte les lieux le [28]. IncarcĂ©rĂ© au Frontstalag 123, il officie comme mĂ©decin du camp de prisonniers de la Citadelle Ă  Langres (Haute-Marne)[5]. LibĂ©rĂ© pour raisons sanitaires [4] en , il est alors chirurgien-chef Ă  l'hĂ´pital BĂ©gin près de Paris, puis revient en zone libre[5].

Il dirige le service de chirurgie de l'hôpital militaire Michel-Lévy de Marseille (1942-1943) tout en étant professeur titulaire de la chaire d'anatomie et de clinique chirurgicale à l'École du Pharo. Il est le premier rédacteur en chef de la revue Médecine Tropicale créée le par les secrétariats d'État à la Guerre et aux Colonies et éditée par l'école[29]. En cette période où les contacts scientifiques sont coupés entre la métropole et l'empire colonial, Pales étoffe sa revue de ses propres réflexions. Ainsi publie-t-il dans deux issues successives de 1942 une longue réflexion sur les cicatrices chéloïdes où se succèdent la synthèse historique, la critique des hypothèses étiologiques classiques, les connaissances du chirurgien et du pathologiste puis la vision de l'anthropologue pour finir sur l'énoncé d'un programme de recherche moderne sur le sujet[30] - [31]. Il fonde l'Association d'entraide des anciens du Groupe d'ambulances du Corps d'armée colonial (GACAC). À partir de 1942, il est professeur de nutrition, de pathologie et raciologie comparatives[1] - [5] - [13] et professeur titulaire d'anatomie au Pharo en 1942-1943 ; de plus, en 1941-1942, il dispense de nouveau des cours d'anthropologie et d'ethnologie[4] à l'Institut de médecine et pharmacie coloniale de la Faculté de médecine et pharmacie de Marseille. Son laboratoire d'anatomie à Marseille est tout autant un laboratoire d'anthropologie, science qu'il s'efforce de promouvoir[13].

L'anthropologue

couverture sans aucune image d'un livre de 1930 portant le titre Paléopathologie et pathologie comparative
Couverture du livre tiré de la thèse de médecine de Léon Pales, véritable bible francophone de paléopathologie pendant des décennies[8].

En 1943, Léon Pales s'éloigne de la médecine clinicienne. En effet, placé hors-cadre des armées[7], il est à Paris chargé des fonctions de sous-directeur du musée de l'Homme où il remplace Jacques Soustelle, lui aussi disciple de Paul Rivet, qui a rejoint la France libre à Londres dès . Sans compromission avec l'occupant, il préserve les collections du musée qu'on lui a confié[1]. Il oriente alors définitivement sa carrière vers l'anthropologie. En 1945, il est nommé à Dakar adjoint technique à la direction de la santé publique de l'Afrique occidentale française (AOF). Il y soumet à son directeur Marcel Vaucel, lui aussi médecin des troupes coloniales, un programme de recherches d'anatomie et de pathologie comparatives. Celui-ci considère, à l'instigation d'André Mayer (du Collège de France) représentant de la France aux Nations unies, que cette proposition s'inscrit dans le cadre des engagements pris en 1943, à Hot Springs (Virginie) (en) aux États-Unis par Hervé Alphand au nom du Comité français de la Libération nationale[32]. À l'occasion de cette conférence voulue par le président Franklin D. Roosevelt, sont jetées les bases de la future Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de nombreuses recommandations enjoignent les nations participantes à se doter d'outils d'évaluation de l'état nutritionnel de leurs populations, y compris colonisées, et à déployer une politique d'amélioration de la nutrition et de l'agriculture[33]. Les engagements pris et le contexte de crise des légitimités coloniales amène l'administration de l'AOF à produire un savoir nouveau sur les niveaux de vie des populations colonisées, notamment en termes d'alimentation[34].

Ainsi est créé, par arrêté du Gouvernement général de l'AOF, le , l'Organisme d'enquête pour l'étude anthropologique des populations indigènes de l'AOF (alimentation et nutrition), plus communément appelée la Mission anthropologique[32] - [34]. Léon Pales en est immédiatement nommé chef et son équipe comporte initialement cinq médecins et quatre pharmaciens[20]. La Mission anthropologique est basée à Dakar et travaille en liaison avec l'Institut français d'Afrique noire et l'ORSTOM. Il y passe cinq années[5] - [2]. Son équipe s'ouvre progressivement à la multidisciplinarité et comprend en particulier l'anthropologue Marie Tassin-de-Saint-Péreuse[n 12], des spécialistes en psychologie, chimie biologique, nutrition, séro-anthropologie, etc. Le travail de la Mission constitue l'une des premières entreprises de quantification de la ration alimentaire dans les colonies françaises d'Afrique, établie à des fins de comparaison internationale et au moyen de procédés d'enquête bien explicités. Ses orientations de recherches sont encore « très influencées par les postulats de l'anthropologie coloniale de l'entre-deux-guerres avec, en particulier, le paradigme racial qui reste posé comme une clef d'explication possible des profils et des comportements alimentaires »[34].

Les premières recherches de terrain sont menĂ©es par LĂ©on Pales entre 1946 et 1948 au SĂ©nĂ©gal, au Soudan, en GuinĂ©e. Quatre tournĂ©es successives sont organisĂ©es sur une pĂ©riode de quinze mois. Le nombre de personnes observĂ©es dans le cadre des enquĂŞtes alimentaires est Ă  la mesure de celui très restreint des enquĂŞteurs. Cinq cent enquĂŞtes familiales sont menĂ©es avec, pour objectif, le calcul de la valeur qualitative et quantitative de la ration individuelle moyenne[34]. Des enquĂŞtes biochimiques basĂ©es sur des prĂ©lèvements sanguins sont Ă©galement faites Ă  Dakar afin de mesurer les Ă©ventuelles carences nutritionnelles. Les premières recherches biochimiques sur les avitaminoses sont ainsi faites en 1948. Au terme de cette pĂ©riode, LĂ©on Pales publie 3 rapports[36] - [37] - [38] et une carte de rĂ©partition de la stature des populations de l'A.O.F. (1946)[39], les premières cartes ethniques et anthropologiques de l'AOF, et celle de la rĂ©partition de la stature des populations[1]. Tant la mĂ©thodologie de ces enquĂŞtes que leur analyse et les conclusions qui en sont tirĂ©es peuvent prĂŞter Ă  discussion au XXIe siècle, mais au milieu du XXe siècle elles sont parmi les rares donnĂ©es disponibles sur la situation nutritionnelle en Afrique coloniale. Le retentissement de ses travaux est nĂ©anmoins très important et amène la Commission de coopĂ©ration technique en Afrique[40] Ă  confier Ă  la France l'organisation de la première confĂ©rence inter-africaine sur l'alimentation et la nutrition tenue Ă  Dschang au Cameroun en au cours de laquelle ces rĂ©sultats sont dĂ©battus[41] - [42] - [34].

LĂ©on Pales reste nĂ©anmoins marquĂ© par les paradigmes de l'anthropologie d'avant-guerre parmi lesquels l'anthropomĂ©trie Ă  une grande importance. C'est ainsi qu'en 1946, il dĂ©veloppe un programme d'Ă©tude anthropomĂ©trique devant porter sur 139 ethnies de l'AOF en collectant « un nombre prĂ©cis de donnĂ©es biomĂ©triques relatives Ă  la stature, aux dimensions de la tĂŞte et Ă  celles du nez afin de mettre Ă  jour la carte ethnique de l'AOF »[34]. Au total, il relève plus de 700 000 mensurations sur près de 10 000 sujets[13]. Dans l'optique de LĂ©on Pales, l'intĂ©rĂŞt de cette recherche rĂ©side dans le croisement de ce travail anthropologique avec des objets d'Ă©tudes pour lesquels la race pourrait avoir un rĂ´le dĂ©terminant et, en particulier, avec l'alimentation. Évoluant dans ses conceptions au fil de ses travaux, il en arrive Ă  considĂ©rer que l'hypothèse d'un dĂ©terminisme racial doit ĂŞtre globalement Ă©cartĂ©e, au moins pour ce qui est des besoins alimentaires. « Pour le glucose, par exemple, LĂ©on Pales part du constat d'une hypoglycĂ©mie courante chez les populations de l'AOF au regard des normes europĂ©ennes, avant de se demander si cela ne rĂ©vĂ©lerait pas une caractĂ©ristique naturelle chez « les Noirs » plutĂ´t qu'une carence alimentaire. Ă€ la suite de ses recherches biochimiques, il convient que les « dĂ©ficiences que l'on observe sur les Africains relèvent d'une alimentation insuffisante » et, en cela, peuvent ĂŞtre qualifiĂ©es de « non raciales ». Globalement, l'idĂ©e d'une universalitĂ© des besoins alimentaires et de l'unicitĂ©, de la physiologie humaine s'impose dans les conclusions de l'ensemble des travaux de la Mission anthropologique Ă  la fin de la dĂ©cennie. »[34].

Parallèlement, Léon Pales organise des enquêtes systématiques sur la drépanocytose, le cancer, le goitre. Durant cinq ans, il ne quitte l'Afrique que pour représenter la France à des congrès internationaux d'ethno-anthropologie ou de nutrition[13]. À son départ, un établissement permanent, l'ORANA ou Organisme de recherche sur l'alimentation et la nutrition africaines[n 13] est créé et prend le relais de sa mission à Dakar[13] - [32].

L'archéologue préhistorien

portrait d'homme âgé de trois-quart droit avec un béret pyrénéen
Portrait de LĂ©on Pales Ă  l'heure de la retraite.

De retour à Paris, Léon Pales est détaché à l'ORSTOM puis élu en 1951 sous-directeur au musée de l'Homme[n 14] dont il assure la direction scientifique dans trois domaines, l'anthropologie, l'ethnologie et la préhistoire. Il y reprend l'élaboration de ses travaux anthropologiques africains, dont une grande étude comparative sur le pied humain[2] qui lui servira plus tard à interpréter les traces des pas humains conservées dans les grottes[13].

Sur les conseils de l'abbĂ© Breuil, il rĂ©alise le relevĂ© des pierres gravĂ©es de la grotte de la Marche sur Lussac-les-Châteaux (Vienne), dĂ©couverte en 1937. Une abondante collection de 1 512 plaques en calcaire gravĂ©es, unique dans l'histoire de l'archĂ©ologie prĂ©historique, sont regroupĂ©es au MusĂ©e de l'Homme par LĂ©on Pales et Marie Tassin de Saint-PĂ©reuse qui mettant en Ĺ“uvre des techniques d'analyses novatrices (empreintes, relevĂ©s, calques, photographies), consacrant 4 volumes Ă  leur Ă©tude[43] - [44] - [n 15]. Fin 1952, il fait partie du groupe de rĂ©flexion constituĂ© au musĂ©e de l'Homme qui dĂ©cide de la crĂ©ation du ComitĂ© du film ethnographique, lequel est le maĂ®tre d'Ĺ“uvre du Bilan du film ethnographique, crĂ©e en et qui devient le Festival International Jean Rouch en [45].

En 1957, il prend sa retraite du Service de santé des armées au grade de médecin colonel, « marginal, mais toujours prêt à accueillir et à aider les jeunes chercheurs... Léon Pales, se détournant de l'enseignement parisien, ... s'engage dans une aventure scientifique solitaire »[1] et quitte aussi le musée de l'Homme alors que d'aucun le voyait en prendre la direction[13] - [2] pour devenir directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il se consacre dès lors pleinement à la recherche et à la formation des chercheurs. Méthodique, rigoureux, scrupuleux Léon Pales apparaît comme un précurseur dans de nombreux domaines. Il publie une étude comparative du pied dans les races humaines (1960)[46], un Inventaire provisoire des sites préhistoriques d'Afrique australe visités, relevés ou signalés par l'abbé Breuil (1962)[47], des volumes consacrés aux gravures de la grotte de la Marche, l'Atlas ostéologique pour servir à l'identification des mammifères du quaternaire (1981-1982)[48] - [49]… Ainsi, il infléchit la recherche anthropologique de son temps vers une plus grande rigueur méthodologique[1].

En 1963, il construit à ses frais dans la commune de Montseron le musée-laboratoire de préhistoire et paléontologie de Malarnaud-Soulabé, à 200 mètres de la grotte éponyme, et y abrite ses collections[13]. Cet espace ne lui survivra pas.

Il prend sa retraite en 1975 et ne se consacre plus qu'à la préhistoire. Il passe alors une grande partie de son temps dans son laboratoire de Malarnaud-Soulabé qu'il a fouillé de 1925 à 1979, et dont l'exploitation des données a perduré au-delà de sa mort, confirmant l'occupation néandertalienne du site[50]. Il étudie aussi les gravures et sculptures de l'abri Durif à Enval (Vic-le-Comte)[51]. Il continue aussi de déchiffrer les pierres gravées de la Marche, le quatrième et dernier tome de cet immense chantier paraissant après sa mort[13]. Il est inhumé à Castelnau-Durban.

Famille

Le docteur LĂ©on Pales est père de 4 enfants, dont l'historienne-mĂ©diĂ©viste Annette Pales-Gobilliard (1929-2004)[52] qui a particulièrement Ă©tudiĂ© l'Inquisition en Ariège[53] et Ă  Toulouse[54].

Publications et collections

 papier jauni portant la signature de Léon Pales à côté de son nom imprimé
Signature de Léon Pales sur le tiré à part d'un de ses articles de 1929.

LĂ©on Pales est Ă  l'origine de 191 publications scientifiques[13], dont 29 publiĂ©es par PersĂ©e sur la pĂ©riode de 1932 Ă  1979[55]. Ses collections jusque lĂ  rĂ©unies dans son musĂ©e-laboratoire, sont distribuĂ©es Ă  sa disparition entre le musĂ©e de l'Homme (puis au musĂ©e du quai Branly lors de la crĂ©ation de ce dernier[n 16]), le MusĂ©um national d'Histoire naturelle Ă  Paris, l'IFAN Ă  Dakar[13] et le MusĂ©e national de PrĂ©histoire, situĂ© aux Eyzies-de-Tayac, en Dordogne [57] - [58] - [59] - [60].

Hommages et distinctions

Le Docteur Léon Pales est Officier de la Légion d'honneur Officier de la Légion d'honneur en 1954, titulaire de la Croix de guerre 1939-1945 Croix de guerre 1939-1945 et de la Croix du Combattant, Commandeur de l'Étoile noire, Commandeur de l'ordre des Palmes académiques Commandeur de l'ordre des Palmes académiques en 1963, Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres en 1966.

Il est laurĂ©at du prix de la Fondation legs Lore-Marquet et du prix Godard (prix de thèse) de la facultĂ© de mĂ©decine de Bordeaux en 1929, du prix Maury de l'AcadĂ©mie des sciences inscriptions et belles-lettres de Toulouse en 1930, du prix du Comte Hugo de l'AcadĂ©mie de mĂ©decine de Paris en 1930 (dĂ©cernĂ© tous les 5 ans), du prix Broca de la SociĂ©tĂ© d'Anthropologie de Paris en 1938[13] (dĂ©cernĂ© tous les 2 ans)[n 17] et par deux fois laurĂ©at de l'AcadĂ©mie des sciences : prix AndrĂ©-C. Bonnet en 1944[61] et prix Docteur et Madame Henri LabbĂ© en 1954[62].

Notes et références

Notes

  1. Archives de Toulouse. Registre d'Ă©tat-civil : naissances 1905, cote : 1E621, page 370.
  2. « Seul, la lampe et le pic au poing, l'enfant devenu adolescent se penchait sur son passé. Fidèle à sa tâche dans la périodicité des saisons qui dictait celle des vacances, puis des congés, il a poursuivi les fouilles »[1].
  3. À l'époque, l'examen se valide en deux parties sur deux années.
  4. Léon Pales sera l'exécuteur testamentaire de l'Abbé Breuil en 1961[6].
  5. Archives de Toulouse. Registre d'Ă©tat-civil : naissances 1905, cote : 1E621, page 370.
  6. Il écrit dans un document des années 1960 intitulé Titres et travaux du Docteur L. Pales, être sorti major de sa promotion de Santé navale ce que confirme Denise Ferembach dans la nécrologie qu'elle lui consacre[13].
  7. L'ouvrage collectif Devoirs de mémoire le classe deuxième de sa promotion[7].
  8. Voir à ce sujet le documentaire par Rémi Lainé, « Sida, sur la piste africaine », sur audiovisuel.ird.fr, .
  9. Le , la RĂ©publique du Tchad Ă©met une sĂ©rie de 5 timbres-poste consacrĂ©s Ă  des objets de la culture Sao, dĂ©couverts lors de fouilles archĂ©ologiques. Le timbre de 15 francs CFA (Yvert et Tellier n° TD89) reproduit un masque ancestral en argile dĂ©couvert par LĂ©on Pales en 1936, le timbre porte la mention "Fouilles LĂ©on Pales".
  10. Il n'y a pas d'ambulance chirurgicale plus en avant au niveau des divisions, il existe par contre au même niveau une ambulance médicale.
  11. Les registres opératoires au-delà de cette date ont disparu lors de la destruction de l'ACL 222 en .[27]
  12. Cette scientifique méconnue accompagne dorénavant Léon Pales dans toute sa carrière et ses publications. S'agit-il de la Mademoiselle de Sainte-Péreuse infirmière à l'ACL 222 ou d'une parente[35] ?
  13. Devenu, Office de recherches pour l'alimentation et la nutrition en Afrique par la suite.
  14. Le directeur en est alors le professeur Vallois son premier maître à Toulouse.
  15. L'intérêt de ce gisement tient au fait qu'on n'a trouvé nulle part ailleurs une telle quantité de pierres gravées (plaques, plaquettes, blocs de calcaire) et que les sujets figurés (humains, ours, félins, équidés et bovidés) sont les thèmes les plus rarement traités dans l'art paléolithique. Leur lecture est rendue difficile par des enchevêtrements de lignes superposées[43].
  16. Le musĂ©e du quai Branly dĂ©tient 4 915 photographies d'intĂ©rĂŞt ethnographique rĂ©alisĂ©es par LĂ©on Pales pendant ses diffĂ©rents sĂ©jours africains, donations effectuĂ©es par la famille[56].
  17. Léon Pales est par la suite président de la Société d'Anthropologie de Paris en 1952.

Références

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  61. « Prix et subventions attribués en 1944 », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, Paris, Gauthier-Villars, t. 219, no 2,‎ , p. 647-656.
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Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • LĂ©on Pales (prĂ©f. Paul Rivet), PalĂ©opathologie et pathologie comparative, Paris, Masson et Cie, , 352 p., 19 Ă— 28 cm, brochĂ©, couleur beige
Comporte en plus 63 planches sur papier glacĂ© de dessins, croquis, photographies noir et blanc et radiographies de pièces osseuses pathologiques, humaines ou animales, commentĂ©es par l'auteur.
  • LĂ©on Pales et Marie Tassin de Saint Pereuse, 1954, L’alimentation en AOF, Organisme de recherche sur l’alimentation et la nutrition africaines, Dakar
  • Maurice Gabai, L'Ambulance chirurgicale lĂ©gère 222 du Corps d'armĂ©e colonial dans la guerre 1939-1940 (thèse de doctorat en mĂ©decine), Paris, Jouve et Cie, , 148 p. Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Philippe Jaussaud et Édouard-Raoul Brygoo, Du Jardin au MusĂ©um en 516 biographies, Paris, Publications scientifiques du MusĂ©um (MNHN), , sur books.openedition.org (ISBN 9782856538531, lire en ligne), « Pales LĂ©on », p. 405-431. Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article

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