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Jacques-Paul Martin

Jacques Martin (né le à Amiens[1] - mort le au Vatican) est un cardinal français de la Curie romaine, préfet émérite de la Maison pontificale.

Jacques-Paul Martin
Image illustrative de l’article Jacques-Paul Martin
Biographie
Naissance
Ă  Amiens (France)
Ordination sacerdotale
DĂ©cĂšs
au Vatican
Cardinal de l'Église catholique
Créé
cardinal
par le
pape Jean-Paul II
Titre cardinalice Cardinal-diacre
du Sacro Cuore di Cristo Re
ÉvĂȘque de l'Église catholique
Ordination Ă©piscopale par le
card. Paolo Marella
Préfet de la Maison pontificale
–
ÉvĂȘque titulaire puis archevĂȘque titulaire de NĂ©apolis-en-Palestine (de)
–

Blason
Simpliciter et Confidenter
(en) Notice sur www.catholic-hierarchy.org

De 1936 à son départ en retraite en 1986, le prélat français demeura à la Curie romaine au service de six papes, de Pie XI à Jean-Paul II.

Biographie

PrĂȘtre

Jacques Martin fit ses Ă©tudes Ă  l'UniversitĂ© de Strasbourg, oĂč il obtint une licence en Lettres. Jacques Martin est ordonnĂ© prĂȘtre le Ă  Paris par Monseigneur Henri Friteau, spiritain, pour le diocĂšse de Nice. Puis il poursuit ses Ă©tudes Ă  Rome. Il frĂ©quente le sĂ©minaire de l’UniversitĂ© pontificale grĂ©gorienne de 1929 Ă  1936, oĂč il obtient un doctorat en thĂ©ologie ; cela fait suite Ă  sa thĂšse "Le Chartreux Louis XIV, Dom Innocent Le Masson".  Martin a frĂ©quentĂ© l' AcadĂ©mie pontificale ecclĂ©siastique de Rome entre 1936 et 1938 et l' UniversitĂ© pontificale du Latran , oĂč il a obtenu un doctorat en droit canon. Il entre Ă  la Curie romaine[1] en intĂ©grant la SecrĂ©tairerie d'État du Vatican en 1938.

Il devait toute sa vie rester Ă  Rome, appelĂ© dĂšs 1936 Ă  la section française de la secrĂ©tairerie d’État du Vatican, chargĂ© de rĂ©diger en français les rĂ©ponses, les tĂ©lĂ©grammes, les textes officiels, soumis Ă  la signature du pape ou du secrĂ©taire d'État. Pendant la guerre, nombre de documents diplomatiques Ă©manĂšrent de sa plume et de sa rĂ©flexion. Mais jamais il ne consentit Ă  l'admettre.

Il a été membre de la délégation papale au 34e CongrÚs eucharistique international à Budapest (12 mai 1938) et est nommé chambellan privé surnuméraire le 2 juin 1941 par Pie XII.

Notamment, le , il rencontre le général de Gaulle de passage à Rome, et le qualifie d'« homme vraiment supérieur, [qui] inspire pleine confiance [et] personnifie la France réhabilitée »[2].

Au souvenir du pape Pie XII (1939-1958), il ne tolĂ©rait pas qu'on pĂ»t apporter des rĂ©serves. Durant toute la guerre, Mgr Martin, jeune prĂ©lat, avait assurĂ© la liaison entre la RĂ©sistance française et le Vatican, contribuant par exemple Ă  transmettre Ă  Londres des exemplaires clandestins de tĂ©moignage chrĂ©tien. Ensuite, sa collaboration quotidienne avec Mgr Montini, substitut Ă  la secrĂ©tairerie d'État, futur Paul VI, se noua, devenant presque une amitiĂ©, qui ne se dĂ©mentit pas jusqu'au dernier jour.

Sous Pie XII, Jean XXIII (1958-1963), puis Paul VI (1963-1978), Mgr Jacques Martin demeura Ă  la tĂȘte de la " section française ", bientĂŽt aidĂ© de Mgr Veuillot, de Mgr Pichon, de Mgr Poupard, puis grossie de collaborateurs nouveaux.

Il fut nommĂ© prĂ©lat domestique de Sa SaintetĂ© le 20 juin 1951. Il reprĂ©senta la secrĂ©tarie d'Etat vaticane aux fĂȘtes polonaises d'Assise pour le septiĂšme centenaire de la canonisation de Saint Stanislas par Innocent IV le 16 septembre 1953. Il eut l'honneur d'ĂȘtre l'envoyĂ© spĂ©cial du Vatican Ă  la cĂ©lĂ©bration du jubilĂ© d'argent du couronnement de HailĂ© SĂ©lassiĂ© Ier, empereur d'Éthiopie en 1954. Il fut nommĂ© Canon de la Basilique Patriarcale Vaticane et Protonotaire SurnumĂ©raire Apostolique le 10 dĂ©cembre 1958 par Pie XII. Il devint organisateur des voyages pontificaux.

ÉvĂȘque

Lorsque Paul VI dĂ©cida de son voyage en Terre Sainte en janvier 1964, officiel du SecrĂ©tariat d'État, chanoine de la Basilique du Vatican, c'est Monseigneur Martin qui en mit au point la prĂ©paration matĂ©rielle, et il eut la surprise d'apprendre sur place, le , du pape Paul VI lui-mĂȘme, qu'il Ă©tait nommĂ© Ă©vĂȘque titulaire de Naplouse en Palestine (Neapoli di Palestina), il fut consacrĂ© le 11 fĂ©vrier suivant par le Cardinal Paolo Marella, archiprĂȘtre de la Basilique Saint-Pierre, Cardinal-prĂȘtre de la Basilique Saint-AndrĂ©-des-Buissons , co-consacrants Messeigneurs Angelo Dell'Acqua , ArchevĂȘque titulaire de ChalcĂ©doine, supplĂ©ant du SecrĂ©tariat d'État, et Paul-Pierre Philippe , OP , archevĂȘque titulaire Eracleopoli Maggiore, secrĂ©taire de la sacrĂ©e CongrĂ©gation des religieux.

Il est pĂšre conciliaire des troisiĂšme (14 septembre - 21 novembre 1964) et quatriĂšme (14 septembre - 8 dĂ©cembre 1965) session du IIe concile ƓcumĂ©nique du Vatican.

Le , il est nommĂ© prĂ©fet de la Maison pontificale, charge qu'il assume durant dix-sept annĂ©es jusqu'Ă  sa retraite le 18 dĂ©cembre 1986[3]. Il est alors Ă©levĂ© au rang d'archevĂȘque[1].

Figure familiĂšre au Vatican durant cinq dĂ©cennies, aux cĂŽtĂ©s de six pontifes, il organisa plusieurs voyages pontificaux et voyagea avec eux, supervisant lors d’audiences privĂ©es.

Il est promu par le pape Jean-Paul II au titre personnel d'archevĂȘque titulaire de NĂ©apolis-en-Palestine (de) et nommĂ© prĂ©fet Ă©mĂ©rite de la maison pontificale le 18 dĂ©cembre 1986.

Cardinal

Il est crĂ©Ă© cardinal par Jean-Paul II lui-mĂȘme lors du consistoire du avec le titre de cardinal-diacre du Sacro Cuore di Cristo Re. ÉlevĂ© au cardinalat, il reçoit le titre de la barrette rouge et le diaconat du Sacro Cuore di Cristo Re (SacrĂ©-CƓur du Christ Roi) le mĂȘme jour. Mais atteint par la limite d'Ăąge, il perd dĂšs le mois d'aoĂ»t le droit de vote en cas de conclave[1].

DĂ©cĂšs

Le cardinal Jacques Martin est dĂ©cĂ©dĂ© dans la CitĂ© du Vatican le matin du 27 septembre 1992, Ă  l'Ăąge de 84 ans, des suites d'une grave crise cardiaque. Le pape Jean-Paul II a prĂ©sidĂ© le rite des funĂ©railles, cĂ©lĂ©brĂ©es dans la basilique vaticane patriarcale le jeudi 1er octobre ; les cardinaux prĂ©sents Ă  Rome ont concĂ©lĂ©brĂ© avec le Pontife, qui a Ă©galement prononcĂ© l’homĂ©lie. Il a Ă©tĂ© enterrĂ© dans la tombe du chapitre du Vatican dans la chapelle des chanoines de la basilique Saint-Pierre, Ă  l'intĂ©rieur du cimetiĂšre Campo Verano de Rome, puis a ensuite Ă©tĂ© transportĂ© dans sa diaconie dans la chapelle de la Riconciliazione Ă  l'intĂ©rieur de la basilique du Sacro Cuore di Cristo Re Ă  Rome le 2 dĂ©cembre 1997.

TĂ©moignages sur la vie des Papes

Étonnant mĂ©morialiste, ce grand commis de l'Église, que ses familiers appelaient "Monsieur de Naplouse", prit des notes tout au long de sa vie vaticane afin de ne pas laisser dans l'oubli la petite histoire de l'Église, tĂ©moignages directs ou de premiĂšre main.

Du cardinal Pacelli Ă  Pie XII

Mars 1939 - "Quel beau Pape ce sera!" La prĂ©diction [de Pie XI] s'est vĂ©rifiĂ©e. Peut-ĂȘtre les missions pontificales confiĂ©es au secrĂ©taire d'État dans tous les points du globe Ă©taient-elles la prĂ©paration de l'Ă©lection du 2 mars 1939. Jour de triomphe! "Pour nous jour d'angoisse!" confiait le cardinal Pacelli devenu Pie XII Ă  plusieurs de ceux qui l'approchĂšrent au lendemain de son Ă©lection.

Octobre 1939 - Parmi mes plus chers souvenirs de cette Ă©poque (1936-1939) sont les entrevues avec le cardinal Pacelli. J'ai pu voir de prĂšs son Ăąme angĂ©lique se trahir dans la ferveur de sa priĂšre: l'AngĂ©lus dit seul avec lui, un dimanche, dans son bureau, l'immobilitĂ© de tout son ĂȘtre devant le Saint-Sacrement pendant les offices et les processions
 Un jour que j'attendais dans son antichambre en rĂ©citant mon brĂ©viaire, il n'a pas voulu m'interrompre, m'a fait entrer et continuer, et a attendu que j'eusse fini pour me parler des affaires pour lesquelles il m'avait convoquĂ©. Je n'avais pas quatre ans de sacerdoce
 et il Ă©tait cardinal! Presque chaque fois il me demandait mon avis, avec l'humilitĂ© des saints: comme si ç'eĂ»t Ă©tĂ© Ă  moi de l'Ă©clairer ou de le critiquer!

La tiare ne l'a pas changĂ©. Il m'a fait appeler, Ă  quelques jours de son Ă©lection, et aprĂšs que je lui eus donnĂ© mon avis sur le français d'un document: "Et comme conception, cela va bien aussi? a-t-il ajoutĂ© (E comme concetto va bene pure?)" Cette humilitĂ© vraie et profonde se trahissait Ă  chaque instant, soit qu'il confiĂąt l'Ă©motion intense qu'il avait ressentie en montant dans la chaire de Notre-Dame de Paris, soit qu'il parlĂąt du pape (Ă©tant encore cardinal) ou de l'Église: "Je peux me tromper. Je me suis trompĂ©? Je me suis trompĂ©. Mais le Pape!" (Io posso sbagliare. Ho sbagliato? Ho sbagliato. Ma il Papa!). Aussi que de minutieuses rĂ©visions avant d'apposer au bas d'une lettre, si insignifiante fĂ»t-elle, une signature qui engageait la responsabilitĂ© du pape. Quelle minutie Ă  corriger les phrases oĂč tel ou tel mot pouvait ĂȘtre mal interprĂ©tĂ© ou risquer de froisser quelqu'un! Que de vĂ©rifications dans les dictionnaires, dont il avait une collection. "Que ferais-je, disait-il, sans les dictionnaires! (Senza vocabolarĂź, comme faccio?)"

Pendant la guerre de 1940. Les persécutions en Allemagne et le silence reproché à Pie XII

AoĂ»t 1941 - Du pĂšre Leiber, s.j., confident du pape. PersĂ©cutions en Allemagne: les bĂ©nĂ©dictins sont chassĂ©s de partout, sauf Marialaach et Beuron: les instituts missionnaires n'ont plus une seule maison; les jĂ©suites en ont encore quelques-unes, notamment celle de Francfort. Le silence du pape, dit le PĂšre Leiber, ne pourra pas durer toujours. Mais ce sont les Ă©vĂȘques polonais eux-mĂȘmes, les plus persĂ©cutĂ©s, qui le supplient de se taire, pour Ă©viter des reprĂ©sailles qui rendraient leur condition encore plus affreuse. D'oĂč la phrase du Saint PĂšre dans son message du 29 juin sur les "indicibles persĂ©cutions que la sollicitude envers ceux qui souffrent ne permet pas de rĂ©vĂ©ler dans tous leurs douloureux et Ă©mouvants dĂ©tails".

Vers la mĂȘme Ă©poque, Monseigneur Tardini me dit: "Le Pape parle, il ne crie pas" (Il Papa parla, non grida). Rien ne serait plus facile qu'une protestation Ă  grand effet. Le moment n'est pas venu. C'est au Pape de juger quand elle sera le plus utile. Avant tout il doit rĂ©aliser le Pasce oves meas (Paix mes brebis): garder le contact avec les Ă©vĂȘques d'Allemagne, avec les Ă©vĂȘques de Pologne, les soutenir, les encourager, sans quoi mĂȘme les plus virils finiraient par se laisser abattre. Monseigneur Gall est mort avec un autographe du Pape entre les mains. Pratiquement on arrive Ă  faire passer tout ce qu'on veut, en utilisant tantĂŽt l'un tantĂŽt l'autre. Tout cela disparaĂźtrait le jour oĂč le pape parlerait trop haut.

6 octobre 1941 - Le Pape a dit hier soir Ă  Monseigneur Montini: "Si l'Axe gagne cette guerre, c'en est fait du christianisme en Europe!"

NoĂ«l 1941 - Discours du Pape, qui dit cette fois clairement que malgrĂ© son souci d'Ă©viter jusqu'Ă  l'apparence de l'esprit de parti, il est obligĂ©, au nom de la vĂ©ritĂ©, de dire un mot sur la persĂ©cution religieuse de plus en plus violente "en certaines rĂ©gions", pour empĂȘcher aussi que son silence ne soit une cause d'Ă©garement pour les consciences des fidĂšles (
). Le PĂšre Leiber, rencontrĂ© hier, m'a avouĂ© qu'il n'espĂ©rait mĂȘme pas que le Pape en dirait si long. Il ne doute pas que l'effet en Angleterre et en AmĂ©rique ne soit excellent. Il m'a dit qu'on Ă©value Ă  quatre mille les prĂȘtres dĂ©tenus dans les camps de concentration en Allemagne et dans les pays annexĂ©s actuellement.

Février 1942 - Le Pape a reçu de source sûre des détails effrayants sur le traitement infligé par l'armée allemande aux prisonniers russes. Il a dit à l'un de ses familiers: "Si nous avions su tous ces détails à Noël, nous aurions parlé plus fort dans notre message à la radio."

Mai 1942 - Jubilé épiscopal du Saint-PÚre. Son discours a été retransmis par les radios nationales de bien des pays mais pas par l'Allemagne ni par l'Italie. "Voilà leur cadeau pour mon jubilé! (Ecco il loro regalo per il mio giubileo)", a dit le Pape à un de ses familiers, Monseigneur Rossignani.

Cela a provoqué quelques trop rares mais bienfaisantes réactions. Le cardinal Piazza, patriarche de Venise, prenant la parole à Saint Marc, a dit entre autres"

Nous protestons contre le fait qu'on empĂȘche la voix du PĂšre d'arriver jusqu'Ă  ses fils. Nos paroles, nous le savons, ne seront pas agrĂ©ables aux AutoritĂ©s - qui sont absentes ici - mais l'heure est venue de parler clairement. Tant qu'il ne s'agit que des sacrifices imposĂ©s Ă  tous par la guerre, le pain noir, la rĂ©duction des bulletins religieux par manque de papier, patience. Mais qu'on empĂȘche encore par surcroĂźt la parole du PĂšre de venir rĂ©conforter ses fils dans leurs peines, c'est lĂ  une exĂ©crable imposition (questa Ăš un' imposizione esecrabile).

Le cardinal a été applaudi à deux reprises en pleine basilique au cours de son discours.

20 juillet 1943 - Hier journĂ©e d'intense Ă©motion: bombardement de Rome. Il y a trois semaines encore, le Pape faisait faire par le cardinal Maglione une dĂ©marche auprĂšs des autoritĂ©s italiennes pour qu'on Ă©loignĂąt de Rome les Allemands et qu'on ĂŽtĂąt tout motif Ă  un bombardement. Peine perdue! Le Pape a voulu aller hier en personne avec Monseigneur Montini voir les dĂ©gĂąts, prier, consoler, bĂ©nir, distribuer des secours. Les femmes en pleurs l'accueillaient en criant: "Saint PĂšre, donnez-nous la paix, la paix! Nous n'en pouvons plus! (Santo Padre, dateci la pace, la pace! Non ne possiamo piĂč!). Mais de ces cris ce n'est pas dans les journaux qu'il faut chercher l'Ă©cho. De mĂȘme ce n'est pas dans les journaux qu'on apprend qu'il y avait un Ă©tat-major allemand installĂ© dans un bĂątiment Ă  cent mĂštres de la basilique de San Lorenzo


24 juillet 1943 - A propos de la gare de triage de San Lorenzo, recueilli ce témoignage intéressant et non suspect: un employé du consulat suisse, lundi à dix heures du matin, disait à quelqu'un qui l'a répété à l'auditeur de Rote anglais: "Si les Anglais savaient ce qu'il y a en ce moment au Scalo San Lorenzo, ils n'attendraient pas une demi-heure pour venir bombarder!" Vingt minutes plus tard, les premiÚres bombes tombaient


Fin janvier 1944 - Débarquements alliés à Anzio et Nettuno.

Enfin! À Rome, le Pape veut avoir sa part des souffrances communes et a dĂ©cidĂ© de ne pas se chauffer de l'hiver. Par contre-coup nous partageons la pĂ©nitence. Aucun bureau n'est chauffĂ©. Au froid va peut-ĂȘtre s'ajouter bientĂŽt la faim. Il n'y a plus que pour huit jours de farine dans Rome, et une colonne de camions du Vatican part aujourd'hui pour en chercher, Ă  la demande du Gouverneur de Rome (dans l'espĂ©rance que le pavillon pontifical assurera la rĂ©ussite de l'entreprise). À la faim s'ajoutera normalement l'Ă©meute. La foule se jette dĂ©jĂ  sur les arbres des routes et a mis en coupe toute une surface du parc de la Villa Doria-Pamphili au Janicule (on ne trouve plus de charbon de bois qu'Ă  des prix astronomiques). Le Vatican semble prĂ©voir l'irruption possible de la foule. De solides grilles de fer ont Ă©tĂ© installĂ©es, il y a dĂ©jĂ  quelques mois, Ă  la porte Sainte-Marthe, et on vient de les renforcer tout derniĂšrement par des arc-boutants, en fer Ă©galement, destinĂ©s Ă  empĂȘcher qu'elles ne cĂšdent Ă  une forte pression.

Mars 1944 - Massacre d'otages (enterrés aux Fosse Ardeatine).

AtmosphĂšre lourde Ă  Rome. Ration de pain : 100 grammes par personne et par jour.

5 juin 1944 - Hier, à neuf heures du soir, les armées alliées sont entrées dans Rome. La cloche du Capitole a sonné. Ce matin, dans un délire de joie, le peuple romain acclame les longues colonnes qui continuent rapidement vers le nord, poursuivant les Allemands en déroute. Les soldats alliés distribuent des cigarettes et du chocolat. Les Romaines répondent en leur jetant des fleurs. Autant l'arrivée des Allemands le 8 septembre a été un jour sombre, autant le 5 juin est un jour radieux. Tous les malheureux jeunes gens sur qui pesaient une condamnation à mort et une menace continuelle d'arrestation à domicile respirent maintenant librement et sortent de leurs cachettes.

Quel changement d'atmosphĂšre! On peut bien Ă  nouveau dormir dans son lit, sortir de chez soi
La Canonica vaticane se vide de ses hĂŽtes. De leurs cachettes sortent Ă©galement les pauvres juifs, les officiers italiens
La presse de nouveau libre (aprĂšs vingt-deux ans!) s'en donne Ă  cƓur joie. Chaque jour voit naĂźtre quelque nouveau parti et paraĂźtre quelque nouveau journal.

Pour nous, Français, jours de gloire inoubliables. DÚs le 5 juin, le conseiller De Blesson et le secrétaire De Vial ont remis leurs démissions à Léon Bérard, pris contact avec les envoyés d'Alger et repris possession, au nom de la France, du Palais FarnÚse, de la Villa Médicis. Quelle revanche sur juin 1940! Puis cela a été l'émouvante réception au FarnÚse de la colonie française. Quand le général Juin a évoqué en phrases brÚves la signification à Rome de l'armée française, tout le monde, à commencer par le cardinal Tisserand, avait les larmes aux yeux. Le général nous a demandé de prier.

Le Pape a reçu les gĂ©nĂ©raux français et le gĂ©nĂ©ral Juin en audience privĂ©e. "Portez Ă  la France, leur a-t-il dit, l'assurance renouvelĂ©e de notre amour, de nos vƓux, de nos espĂ©rances!"

30 juin 1944 - De Gaulle Ă  Rome. Je j'ai accueilli dans la cour Saint-Damase et accompagnĂ© jusqu'Ă  l'antichambre du Pape. Impression: un homme grave, mĂ©ditatif, qui ne sourit jamais, lent dans sa dĂ©marche et dans ses mouvements; curieux contraste avec sa vie si prodigieusement active. Nous essayons de faire coĂŻncider l'idĂ©e que nous nous faisons du personnage avec le personnage lui-mĂȘme. Du cĂŽtĂ© du Saint SiĂšge, on fait le maximum de ce qu'on pouvait faire pour honorer un chef d'État non reconnu: cortĂšge, visite Ă  Saint-Pierre et entrĂ©e par le grand portail, accueil par les chanoines


Grand remue-ménage au Vatican tous ces jours-ci. Les diplomates de l'Axe sont contraints à entrer dans la Cité par les autorités militaires alliées. Les diplomates alliés n'en finissent pas d'en sortir. Pénible embouteillage. Seize Japonais ont dormi la nuit derniÚre dans sept piÚces dont plusieurs encore occupées par le chauffeur et les meubles du prédécesseur. Allemands, Roumains et Finlandais s'installent à Santa Marta.

29 août 1944 - Les événements ont marché en France à une allure vertigineuse: débarquement sur la CÎte d'Azur, Toulon, Marseille, Avignon, Grenoble, rejointes en un rien de temps, tandis qu'au nord c'était l'avance sur Paris, enfin délivré il y a trois jours à peine, acclamant la division Leclerc et le général de Gaulle dans un délire d'enthousiasme.

De la fin de la guerre Ă  la mort de Pie XII (1945-1958)

Juin 1945 - Magnifique discours du Saint-PÚre aux cardinaux. Parlant enfin "en clair", il a fait le bilan des abominables persécutions dont le nazisme s'est rendu coupable contre le christianisme et l'humanité en général.

NoĂ«l 1945 - Par une promotion de trente-deux cardinaux (unique dans l'histoire jusqu'ici) Pie XII porte au complet le SacrĂ© CollĂšge, ce qui ne se faisait plus depuis le XVIIIe siĂšcle, et Ă©tend la pourpre aux cinq parties du monde. C'est l'universalitĂ© de l'Église qui resplendit cette fois. Autre note trĂšs suggestive: au lendemain des longues souffrances de l'Église sous la tyrannie national-socialiste, le Pape rĂ©compense de façon Ă©clatante ceux qui ont luttĂ© avec courage pour la libertĂ© de l'Église et ont refusĂ© de pactiser avec l'ennemi: un SaliĂšge en France, un Von Galen en Allemagne, un De Jong en Hollande, un Sapieha en Pologne.

Mars 1946 - Splendeurs du consistoire public du 21 fĂ©vrier dans Saint Pierre Ă©blouissant de lumiĂšres, d'uniformes bigarrĂ©s et d'Ă©toffes chatoyantes. Quand l'hĂ©roĂŻque Ă©vĂȘque de MĂŒnster, Monseigneur Von Galen, s'est avancĂ© vers le trĂŽne pontifical, les applaudissements ont crĂ©pitĂ© de tous les points de l'immense basilique: juste hommage au courage intrĂ©pide de ce confesseur de la foi! Il unit d'ailleurs la grandeur Ă  la simplicitĂ©, comme tous ceux qui sont vraiment grands. Ayant Ă  traiter avec lui de son retour en Allemagne, je l'ai entendu me dire avec un bon sourire: "Qu'on tĂąche de me rĂ©server un compartiment
à cause de cela (il montrait sa pourpre). Si ce n'Ă©tait que pour moi, j'entrerais aussi bien dans MĂŒnster sur le dos d'un Ăąne! (FĂŒr mich, auch auf einem Esel!)"

Août 1946 - Le Pape cédant aux pressions de son entourage a été se reposer à Castel Gandolfo. Etonné de l'accueil enthousiaste d'une population qui a voté communiste il y a quelques mois. il a dit, en se retournant vers ses familiers: "On ne dirait pas que c'est la population qui résulte des élections! (Non sembrerebbe la popolazione quale risulta dalle elezioni!)"

DĂ©cembre 1947 - Une note gaie, aprĂšs des compliments Ă  Pie XII sur sa maĂźtrise de la langue française: "Si ce sont les communistes qui gagnent, j'aurai un mĂ©tier: enseigner le français! (Se vincono i comunisti, avrĂČ un mestiere: insegnare il francese!)"

Un autre mot, à propos de De Gaulle, que tout le monde alors n'approuvait pas. Il en avait parlé avec l'amiral D'Argenlieu, venu lui offrir toutes ses décorations: "De Gaulle? Mais il a sauvé la France.

2 janvier 1949 - Notes sombres au seuil de la nouvelle année: persécutions en Roumanie et en Hongrie (arrestation du cardinal Mindszenty), la Chine presque entiÚrement aux mains des communistes, continuation de l'interminable conflit indochinois
 Le Pape est triste, préoccupé, conturbato, nous a dit Montini à l'occasion des veux de Noël, plus qu'il ne l'était pendant la guerre.

29 octobre 1949 - Émouvante audience du Saint-PĂšre hier soir pour prĂ©senter l'abbĂ© Veuillot (venu de Paris pour m'aider) et
 le dĂ©cider Ă  rester! Le Pape seul dans son perchoir de Castel Gandolfo, surplombant le lac d'Albano. Tout autour, solitude et silence. Dans les lointains, quelques lumiĂšres. Le Saint-PĂšre, en "tenue de travail", avec une espĂšce de camail en grosse laine blanche: "Le Pape-ouvrier!" nous a-t-il dit dĂšs l'entrĂ©e, en s'excusant (il voulait se changer pour nous recevoir!). Il a fallu l'insistance de Monseigneur Montini pour l'en dissuader: "Avertissez-les qu'ils me trouveront comme cela. Qu'ils m'excusent! (Li avverta perĂČ, li avverta che mi troveranno cosĂŹ. Mi scusino!)" Couronnant cette exquise humilitĂ©, une charitĂ© plus exquise encore. Tout prĂ©occupĂ© des sacrifices qu'il impose au cher abbĂ© en l'arrachant Ă  son apostolat parisien, il lui explique que c'est pour un plus haut service et lui cite un mot de saint Ignace: "Quo universalius, eo divinius (plus c'est universel, plus c'est divin)." L'abbĂ© ne rĂ©siste pas Ă  cette Ă©mouvante invitation: il restera. Le Pape nous remercie tous deux "de vouloir bien l'aider", il nous force presque Ă  accepter des chapelets et nous bĂ©nit. Une particularitĂ© de ce pontificat: l'absence de titulaires aux postes rĂ©putĂ©s les plus importants de la curie. Quand on a eu rĂ©digĂ© la bulle d'Indiction, de la prochaine annĂ©e sainte, on ne trouva pour la signer ni secrĂ©taire d'État, ni chancelier, ni camerlingue, les trois charges Ă©tant depuis des annĂ©es sans titulaire! C'est le Pape lui-mĂȘme qui a tout signĂ© (y compris les bulles annexes rĂ©servĂ©es normalement Ă  la signature des moindres personnages).

1950 - L'annĂ©e sainte. Elle s'achĂšve par la proclamation de l'Assomption comme dogme de foi et par la publication de l'encyclique Humani generis. Au sujet de celle-ci, le Pape aurait dit Ă  un Ă©vĂȘque français: "On voulait me faire faire un Syllabus, mais je n'ai pas voulu!"

On s'attendait aussi Ă  une promotion cardinalice couronnant l'annĂ©e sainte (le poste de secrĂ©taire d'État - entre autres - est depuis six ans sans titulaire!). Le cardinal Canali ayant fait une discrĂšte allusion Ă  un Ă©ventuel consistoire Ă  NoĂ«l, "Non lo faccio, non lo faccio", a rĂ©pondu le Pape avec vivacitĂ©.

La dĂ©finition de l'Assomption le 1er novembre a rassemblĂ© sur la place Saint Pierre huit cents Ă©vĂȘques, plusieurs souverains et chefs d'État, des ambassadeurs, une foule incalculable
Un soleil de printemps baignait l'inoubliable spectacle. Et l'on devinait l'Ă©motion de ce demi-million de chrĂ©tiens mis en priĂšre par le Pape "Et maintenant, prions! (E adesso preghiamo), sans compter les millions d'autres reliĂ©s par la radio. Et puis la voix claire du chef, humble et doux, mais sĂ»r de lui et maĂźtre infaillible: "pronuntiamus, declaramus, definimus"
 et la tempĂȘte d'acclamations succĂ©dant au silence de la priĂšre. Un grand moment dans l'histoire de l'Église de ce temps!

À propos du dogme de l'Assomption, un mot vraiment inspirĂ© de Pie XII aux deux pasteurs protestants de TaizĂ©, qui, reçus en audience, lui faisaient de timides objections: "Comment voulez-vous que je ne proclame pas la foi de l'Église?"

Septembre 1951 - (de Monseigneur Principi). Pie XII a défini l'Assomption, mais il ne définira pas Marie-Médiatrice: il n'en est pas persuadé (non ne Ú persuaso).

DĂ©cembre 1952 - Annonce d'un consistoire et rĂ©vĂ©lation faite par le Saint-PĂšre du refus de Monseigneur Tardini et de Monseigneur Montini, qu'il avait mis en tĂȘte de sa liste. VoilĂ  leur humilitĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e au monde entier! Et l'esprit romain n'a pas tardĂ© Ă  dĂ©couvrir dans la Ville sainte les deux rues qui conduisent aux grandes destinĂ©es: la via dell'UmiltĂ  et la via della Lungara
 Deux nominations dans des pays Ă  gouvernement communiste: Wyszynsky (Pologne) et Stepinać (Yougoslavie).

Décembre 1954 - Grave accroc de santé du Saint-PÚre: hoquet provoqué par une hernie du diaphragme. On l'a cru mort. Il se rétablit doucement.

Mars 1956 - ApothĂ©ose de la PapautĂ© Ă  l'occasion de quatre-vingts ans de Pie XII, fĂȘtĂ©s triomphalement dans le monde catholique. Un vrai plĂ©biscite! Jamais sans doute un pape n'a Ă©tĂ© connu et aimĂ© dans d'aussi vastes proportions, mĂȘme au-delĂ  des frontiĂšres du catholicisme. Afflux incroyable de dons de toutes sortes, de trĂ©sors spirituels, d'adresses, de tĂ©lĂ©grammes (quatorze mille le 2 mars!), de lettres
 Missions extraordinaires de cinquante nations Ă  la basilique vaticane pour la Chapelle papale du dimanche 11 mars


9 octobre 1958 - AprÚs deux jours d'attente angoissée, mort du pape Pie XII ce matin, un peu avant quatre heures, dans sa villa de Castel Gandolfo. Son rythme d'activité en septembre avait passé les bornes de la prudence humaine (plusieurs grand discours chaque semaine). Il est mort sur la brÚche, à quatre-vingt-deux ans.

14 octobre 1958 - CortÚge triomphal pour ramener la dépouille de Castel Gandolfo à Rome. Affluence sans précédent pour la vénérer dans Saint Pierre. Plébiscite mondial de condoléances. L'homme le plus universellement connu et aimé disparaßt. Une grande voix se tait. Le monde se sent tout à coup orphelin


Mars 1991 - Un complĂ©ment peut et doit ĂȘtre ajoutĂ© aujourd'hui, concernant le silence reprochĂ© Ă  Pie XII notamment vis-Ă -vis des juifs. Il s'agissait d'une vĂ©ritable campagne de dĂ©nigrement, dont un des sommets avait Ă©tĂ© la piĂšce de Rolf Hochhut "Le Vicaire". Paul VI en avait Ă©tĂ© si choquĂ© que, dĂšs novembre 1963, il adressait aux Ă©vĂȘques d'Allemagne une lettre rĂ©digĂ©e dans un style d'une vigueur qui ne lui Ă©tait pas habituelle:

Nous dĂ©plorons avec vous, leur Ă©crivait-il, les calomnies et les injures portĂ©es faussement dans votre pays contre la vĂ©nĂ©rable mĂ©moire du pape Pie XII, par des fables insolentes que l'on devrait avoir honte d'avoir forgĂ©es et divulguĂ©es. Il faut qu'une pareille ignominie cesse, et que l'iniquitĂ©, qui se rĂ©jouit misĂ©rablement de cette lucrative falsification, cĂšde le pas Ă  la vĂ©ritĂ©. La vĂ©ritĂ©, c'est que Pie XII fut bien le protecteur des opprimĂ©s, le messager et l'ouvrier actif de la charitĂ© Ă©vangĂ©lique, le dĂ©fenseur acharnĂ© des persĂ©cutĂ©s. Pendant la guerre, et au milieu des difficultĂ©s de l'aprĂšs-guerre, il s'employa gĂ©nĂ©reusement Ă  soulager les misĂšres et Ă  protĂ©ger les droits de la sociĂ©tĂ© humaine, ne nĂ©gligeant rien de ce qui pouvait ĂȘtre fait dans ce sens, mĂȘme si les circonstances empĂȘchaient trĂšs souvent que son action multiforme pĂ»t ĂȘtre commue et bien apprĂ©ciĂ©e de tous.

Mais il ne suffisait pas que cette mĂ©moire de Pie XII fĂ»t limitĂ©e aux Ă©vĂȘques d'Allemagne. Le monde entier devait en ĂȘtre informĂ©. Or il se trouvait qu'Ă  quelques semaines de lĂ  Paul VI exĂ©cutait son voyage en Terre sainte, que nous Ă©tions allĂ©s prĂ©parer avec son secrĂ©taire Don Macchi. Il voulut profiter de l'occasion pour faire une dĂ©claration trĂšs explicite en un endroit et Ă  un moment qu'il avait dĂ©libĂ©rĂ©ment choisis parce que particuliĂšrement suggestifs: ce fut dans le discours d'adieu Ă  IsraĂ«l Ă  la porte de Mandelbaum, le 5 janvier 1964. AprĂšs les remerciements d'usage pour l'accueil qui lui avait Ă©tĂ© rĂ©servĂ©, Paul VI s'exprima ainsi:

Nous sommes venus parmi vous avec les sentiments de Celui que Nous avons conscience de reprĂ©senter et que les prophĂštes ont annoncĂ© jadis avec le nom de "Prince de la Paix". C'est dire que Nous ne nourrissons envers tous les hommes et envers tous les peuples que des pensĂ©es de bienveillance. L'Église, en effet, les aime Ă©galement tous.

Notre grand prĂ©dĂ©cesseur Pie XII l'affirma avec force et Ă  maintes reprises au cours du dernier conflit mondial, et tout le monde sait ce qu'il a fait pour la dĂ©fense et le salut de tous ceux qui Ă©taient dans l'Ă©preuve, sans aucune distinction. Et pourtant vous le savez, on a voulu jeter des soupçons et mĂȘme des accusations contre la mĂ©moire de ce grand pontife. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de l'affirmer en ce jour et en ce lieu: rien de plus injuste que cette atteinte Ă  une aussi vĂ©nĂ©rable mĂ©moire.

Ceux qui ont comme Nous connu de prĂšs cette Ăąme admirable savent jusqu'oĂč pouvait aller sa sensibilitĂ©, sa compassion aux souffrances humaines, son courage, sa dĂ©licatesse de cƓur. Ils le savaient bien aussi ceux qui, au lendemain de la guerre, vinrent, les larmes aux yeux, le remercier de leur avoir sauvĂ© la vie. Vraiment, Ă  l'exemple de Celui qu'il reprĂ©sente ici-bas, le Pape ne dĂ©sire rien tant que le bien vĂ©ritable de tous les hommes.

Les souffrances du pape Paul VI, par le cardinal Jacques Martin

« (
) Ce qui nous frappait le plus, c’était de le trouver prĂȘtre dans l’exercice mĂȘme de sa charge. Son Ăąme Ă©tait douloureuse : la dĂ©gradation du catholicisme en Ă©tait la principale cause. Il dut dĂ©noncer la « fumĂ©e de Satan » qui s’était introduite dans l’Église. Un long conflit avec le cardinal Alfrink et les Ă©vĂȘques de Hollande au sujet du cĂ©libat des prĂȘtres le fit particuliĂšrement souffrir. « J’espĂšre que Dieu me rappellera Ă  lui avant de voir cela ». Autre souffrance, la dĂ©fection des prĂȘtres, atteignant mĂȘme tels jĂ©suites-professeurs Ă  la GrĂ©gorienne (Pin, Tufari, Diez, Alegria), qui prennent position contre le Pape dans la question de l’introduction du divorce en Italie, en vertu, disent-ils, du principe de la libertĂ© religieuse proclamĂ©e par le rĂ©cent concile : « Ă  qui nous fier ? Si les jĂ©suites se comportent ainsi qu’en sera-t-il des autres ? Si vous saviez quelle souffrance c’est pour moi, cette dĂ©molition de l’Église par le dedans, de la part de ceux qui devraient la dĂ©fendre ». Dans un discours du mercredi, il dĂ©nonçait avec une tristesse indignĂ©e « les prĂȘtres et religieux qui crucifient l’Église ». A Bruxelles, en septembre 1970, se tenait le congrĂšs des thĂ©ologiens (progressistes) de la revue « Concilium ». Paul VI me confia : « j’ai lu hier soir et cette nuit les exposĂ©s des thĂ©ologiens de Bruxelles : c’est la destruction de toute autoritĂ© dans l’Église, tout vient d’en-bas ! ».

Fin des annĂ©es 1960 - dĂ©but des annĂ©es 1970 : la contestation Ă©tant devenue, en quelque sorte, le mot d’ordre dans la Sainte-Église,  Paul VI ne pouvait pas ne pas ĂȘtre le premier visĂ©. On ne s’adressait pas au Pape, encore moins Ă  Sa SaintetĂ©, mais au FrĂšre Paul, un chrĂ©tien comme un autre. Une de ces lettres au FrĂšre Paul date de 1968. Elle est signĂ©e de sept cents laĂŻcs et de quelques prĂȘtres. Elle conteste toutes les structures actuelles de l’Église, exige le retour Ă  la pauvretĂ© de l’Evangile, ne verrait pas d’un mauvais Ɠil la dĂ©molition de la basilique vaticane (« ce n’est pas nous qui pleurerons
 »). Une lettre ouverte Ă  Paul VI du 30 juin 1970 est, bien que dans une direction opposĂ©e, plus Ă©loquente encore : « depuis que Paul VI rĂšgne Ă  Rome, Rome enseigne un Evangile inversĂ©, inverti, corrompu, une ‘nouvelle Ă©conomie de l’Evangile’ selon votre propre aveu. En conscience, TrĂšs Saint-PĂšre, au nom de Dieu, au nom de l’Église que vous induisez en erreur, au nom de la Foi, nous ne pouvons accepter votre ‘nouvelle Ă©conomie de l’Evangile’, car l’Evangile n’a pas Ă  ĂȘtre soumis Ă  une nouvelle Ă©conomie. Il n’a pas Ă  ĂȘtre remaniĂ©, repensĂ©, changĂ©, modernisĂ©, adaptĂ©, aggiornamentĂ©, adultĂ©rĂ©, falsifiĂ©, montinisĂ©. La nouvelle religion, cette religion dĂ©vergondĂ©e que vous nous enseignez et que vous voulez nous contraindre Ă  pratiquer, la religion de Paul VI est une fausse religion. Dieu n’en veut pas. Il la condamne, comme il a condamne celle de Luther. L’Église de Paul VI, dĂ©vergondĂ©e intellectuellement et moralement, lui fait horreur ».

Novembre 1970 : titre proposĂ© pour la rĂ©cente assemblĂ©e de l’épiscopat français Ă  Lourdes ‘le virage de l’Église de France vers le socialisme’. Monseigneur Jenny (Cambrai), qui en arrive, me dĂ©crit la pression Ă  outrance de la ‘base’ pour un christianisme politique et socialisant, limitant son champ de vision Ă  la libĂ©ration de l’homme en ce monde. Diagnostic lucide du PĂšre Loew « Les Ă©vĂȘques ne peuvent Ă©luder leurs responsabilitĂ©s. Si des directives claires ne sont pas donnĂ©es, le silence de l’épiscopat Ă©quivaudra Ă  l’acceptation tacite de toutes les options, mĂȘme les plus Ă©trangĂšres Ă  l’Evangile et les plus corrosives de la foi des chrĂ©tiens ». Janvier 1973 sur la tenue des prĂȘtres et des Ă©vĂȘques : une chrĂ©tienne (dans le bulletin paroissial de LonguĂ©, Maine et Loire) : « Je reviens de Lourdes avec des malades. J’ai Ă©tĂ© peinĂ©e de voir mĂȘmes des Ă©vĂȘques venir rendre visite aux alitĂ©s en veston. S’ils savaient comme ils ont l’air miteux et sans dignitĂ© ». Cette bonne personne, sans le savoir, faisait Ă©cho au Pape lui-mĂȘme : « Comme ils me font de la peine, ces religieux et prĂȘtres qui cherchent Ă  ne pas apparaĂźtre pour ce qu’ils sont ! ». Et le Pape de noter le manque de cohĂ©rence : « Ils n’ont Ă  la bouche que le « signe », le geste « signifiant », le « sens », et en mĂȘme temps ils s’appliquent Ă  faire disparaĂźtre tout signe qui permettrait de les identifier. OĂč est la logique ? ». Octobre 1973 : continuation des extravagances : « Le prĂȘtre est superflu. S’il fonctionne encore, c’est parce qu’un peuple retardataire lui demande encore des sacrements, alors que la sociĂ©tĂ© s’éloigne de plus en plus de ces sortes de valeurs » (Parole et Pain, revue des PĂšres du Saint-Sacrement, no 56 de mai-juin 1973) cum permissu superiorum. Dans la mĂȘme revue (Ă©dition de septembre-octobre), un appel Ă  la lutte des classes  (Philippe Warnier), Ă  la libĂ©ration de l’Église (Landouze, Schreiner), Ă  la libertĂ© sexuelle (Bernadette Delarge) (
 toujours cum permissu Superiorum !

Continuation Ă©galement des lamentations des bons laĂŻcs. Elles ont soudain Ă©tĂ© comme catalysĂ©es par un article sur « la messe de 11h » dans « Le Figaro » de l’économiste FourastiĂ© qui a reçu en huit jours cinq mille lettres, car presque unique dans les expĂ©riences de ce genre. Il faudrait ĂȘtre sourd pour ne pas entendre le « grido di dolore » du peuple chrĂ©tien, blessĂ© dans ce qu’il a de plus cher : sa foi et sa confiance dans les prĂȘtres. Avril 1974, mort de Pompidou : mort de Georges Pompidou, et messe d’enterrement en grĂ©gorien, selon la volontĂ© du PrĂ©sident. RĂ©flexion d’une femme du peuple : « Pourquoi n’y a-t-il que le prĂ©sident de la RĂ©publique qui ait droit Ă  ces beaux chants ? ». MĂȘme son de cloche dans La Croix des 5-6 mai : « Nous sommes nombreux Ă  formuler le mĂȘme vƓu - que le PrĂ©sident -. Mais hĂ©las ! Il faut maintenant ĂȘtre au moins prĂ©sident de la rĂ©publique pour pouvoir manifester un dĂ©sir de la sorte et notre nouveau clergĂ© se refuse obstinĂ©ment Ă  se plier Ă  de telles exigences du dĂ©funt (
). Lorsqu’on compare la plate et morne contexture de nos actuelles messes de funĂ©railles Ă  la mystique implorante d’un plain-chant grĂ©gorien, on ne peut que dĂ©plorer une telle situation ».

Le rapport doctrinal de l’AssemblĂ©e de Lourdes 1973 (par Monseigneur Bouchex) caractĂ©rise la charge du prĂȘtre dans l’Église comme une « fonction de prĂ©sidence » (citation exacte : « le mot le plus englobant pour exprimer cette charge est celui de prĂ©sidence »). Mais qui voudra se faire prĂȘtre avec, pour tout idĂ©al, d’ĂȘtre « prĂ©sident d’assemblĂ©e » ? Le PĂšre Ravier, rencontrĂ© hier 13 mai 1975, connaĂźt des communautĂ©s de jĂ©suites oĂč les pĂšres ne disent plus la messe (mĂȘme le dimanche, assure-t-il) : pas d’assemblĂ©e, donc pas de « prĂ©sidence » et pas de messe ! Septembre 1976 : aggravation de la dissidence de Monseigneur Lefebvre. Toute l’Église est dans l’erreur sauf lui. AndrĂ© Piettre (« Le Monde » du 27 juillet) donne une explication : le schisme de « droite » n’aurait pas existĂ© s’il n’y avait eu, tolĂ©rĂ© et encouragĂ© par les Ă©vĂȘques, un schisme de « gauche », soi-disant sous le couvert du concile : cĂ©lĂ©brations sauvages, catĂ©chĂšse aberrante, extravagances doctrinales et morales sans nombre
 Il est Ă©vident pour tout le monde que s’il y avait eu en France des sĂ©minaires normaux, nul n’aurait songĂ© Ă  aller en fonder un Ă  EcĂŽne. Et s’il y avait eu partout une liturgie digne et Ă©difiante, on n’aurait pas Ă©tĂ© en chercher une en Suisse. En attendant, l’abbĂ© Oraison affirme impunĂ©ment dans « Paris-Match » que les anges n’existent pas : l’abbĂ© Charlot « chargĂ© de la catĂ©chĂšse dans l’Ouest » affirme qu’aprĂšs la consĂ©cration « le pain est toujours du Pain » (« JĂ©sus est-il dans l’hostie », brochure pour les catĂ©chistes). On ne saurait mieux s’y prendre pour fabriquer des Lefebvre ! »

Jean-Paul Ier

25 aoĂ»t 1978 - EntrĂ©e en conclave des cardinaux, qui seront enfermĂ©s ce soir par le marquis Sachetti, par moi et par le commandant de la garde suisse: le « triumvirat » qui a remplacĂ© le marĂ©chal et le gouverneur du conclave de jadis. Nombreuses rĂ©flexions sur les conditions de rĂ©clusion des cardinaux: fenĂȘtres scellĂ©es (en aoĂ»t, Ă  Rome!), manque de toilettes et des commoditĂ©s devenues habituelles Ă  notre Ă©poque, carreaux badigeonnĂ©s pour empĂȘcher de voir au dehors... Cela semble d'un autre Ăąge, et offensant pour les « reclus ». Et pourtant c’est un pape partisan de l'« ouverture» (Paul VI) qui a publiĂ© la derriĂšre constitution sur le conclave, qui renchĂ©rit encore en sĂ©vĂ©ritĂ© sur les prĂ©cĂ©dentes... Les pronostics sur le nouveau Pape vont leur train: Baggio, Bertoli, Pignedoli, Siri... Le pĂšre Congar se compromet ouvertement dans La Croix et dans des termes peu mesurĂ©s, en faveur de Willebrands, qui semble avoir bien peu de chances.

27 aoĂ»t 1978 - Hier soir Ă  dix-huit heures, aprĂšs Ă  peine vingt-quatre heures de conclave et quatre scrutins, Ă©lection imprĂ©vue du cardinal patriarche de Venise Luciani, Jean Paul Ier. Un des cardinaux me dit en passant: «Le monde serait Ă©tonnĂ© s'il savait la proportion des votes! Vraiment le doigt de Dieu est lĂ ! (digitus Dei est hic!) » ( Tenu par le secret, il ne pouvait en dire plus. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce une façon de dire que le nouveau Pape avait Ă©tĂ© Ă©lu Ă  la quasi-unanimitĂ© des suffrages). On a visiblement senti le besoin d'un homme « religieux » et non « politique ». Le nouveau Pape m'a rappelĂ© (je l'avais oubliĂ©) que nous nous Ă©tions rencontrĂ©s pour la premiĂšre fois Ă  Lourdes, prĂȘchant des retraites aux prĂȘtres malades, lui aux Italiens, moi aux Français.

Avec l'avocat Felici et les clĂ©s fournies par le cardinal Villot, nous avons ouvert l'appartement du Pape, fait sauter les scellĂ©s, fait faire le mĂ©nage et ouvrir les fenĂȘtres. À midi, j'accompagne le nouveau Pape Ă  la loggia pour l'AngĂ©lus, prĂ©cĂ©dĂ© de quelques mots sur son Ă©lection et la signification de son double nom. Il a ensuite dĂ©jeunĂ© seul avec le cardinal Villot, aprĂšs quoi nous sommes venus le chercher et l'introduire dans son appartement, l'y laissant avec son secrĂ©taire Don Diego (orioniste) et les deux frĂšres Gusso, anciens serviteurs du pape Jean et de Paul VI.

Il ne veut pas de tiare à son couronnement et fera modifier la formule Scias te esse regem regum, etc., préférant rappeler qu'il est le servus servorum Dei (Serviteur des serviteurs de Dieu).

28 aoĂ»t 1978 - Autre petite audience hier soir pour rĂ©gler certains dĂ©tails (blason, couronnement, audience du cardinal Villot...). Il avait fini son brĂ©viaire et rĂ©citait son chapelet, aprĂšs avoir pris connaissance des journaux, oĂč il avait relevĂ© pas mal d'erreurs dans son curriculum vitae. II suggĂšre que L'Osservatore Romano lui montre les Ă©preuves d'imprimerie avant de publier (pour l'honneur du journal !). Pour son couronnement, pas question de tiare, ni mĂȘme d'intronisation. II ne veut que «le dĂ©but officiel de son service pastoral (l' inizio ufficiale del suo servizio pastorale) ». Il me demande en riant comment faire pour faire le Pape: « J'ai fait le catĂ©chisme aux enfants toute ma vie. Quel changement! »

Réactions amusantes de la foule à son discours d'hier à midi. Un enfant: « E' buono, e non Ú noioso! (II est bon, et pas ennuyeux!)» On a apprécié son humilité, sa simplicité, son langage direct. Quant à lui, il a dit aux cardinaux qui venaient de l'élire: « Que Dieu vous pardonne ce que vous venez de faire! ». C'était une réminiscence de saint Bernard aprÚs l'élection de son disciple EugÚne III: Parcat vobis Deus...

28 aoĂ»t 1978, seize heures - Nouvel entretien avec le pontife et Monseigneur NoĂ© en vue de la cĂ©rĂ©monie de dimanche. Pas de sedia ! (quando saro vecchio! -  Quand je serai ĂĄgĂ© !). Pas d'assistance Ă  sa messe quotidienne en dehors des sƓurs et de son secrĂ©taire Don Diego avec lequel il concĂ©lĂšbre. Pourquoi faire lever si tĂŽt les deux domestiques (Gusso)? Hanno famiglia! Sur l’usage de la crosse, en du moins de la croix que Paul VI portait en public, contrairement Ă  l’usage ancien (le Pape n'a pas de crosse): il y voit un moyen de se donner une contenance (comme le pape Jean avec son chapeau) quand il ne sait que faire de ses mains. Finalement il demande notre avis. NoĂ© rĂ©pond qu'il est pour. Je rĂ©ponds que je suis contre: « Me voilĂ  comme l'Ăąne de Buridan! (Eccomi come l'asino di Buridano!) » Puis il finit par la prendre.

Il n'est pas dupe des acclamations populaires. Il rappelle celles qui accueillirent Pie IX en 1846: « E poi veenero le croci!... Per me le prime sono già venute. (Et puis vinrent les croix! Pour moi les premiÚres sont déjà venues.) »

30 aoĂ»t 1978 - Audience aux cardinaux. Pas un mot du discours prĂ©parĂ©. Il commence par s'excuser d'avoir dit «Dieu vous pardonne! ». Il n'avait aucune intention offensante. Puis il avoue sa totale ignorance de la curie et du gouvernement de l'Église: il a commence Ă  compulser l'Annuario pontificio, pour apprendre... Il espĂšre que les cardinaux de curie seront pour lui de bons samaritains. Il revient sur la surprise de sen Ă©lection: il a acceptĂ© de prendre sur ses Ă©paules la croix qui aurait Ă©tĂ© sur les leurs. Au cardinal KĂłnig (Vienne) : «Le ho un po rubato il posto! (-Je vous ai un peu volĂ© la place.-). Aux autres des souvenirs trĂšs prĂ©cis de rencontres antĂ©rieures (Ă  Venise).

1er septembre 1978 - Audience aux journalistes. Il ajoute au discours prĂ©parĂ© deux « excursus ». L'un est pour les inviter Ă  juger l'Église en faisant effort pour se placer « du dedans ». Il cite l’entrevue entre NapolĂ©on III et le roi de Prusse: les journalistes ne cherchaient pas Ă  savoir ce qu'ils s'Ă©taient dit, mais quelle Ă©tait la couleur du pantalon et la marque des cigarettes ! Le second est sur Saint Paul, qui, disait le cardinal Mercier, se ferait aujourd'hui journaliste. Il ferait davantage de nos jours: il irait demander Ă  la RAI-TV un espace plus grand Ă  la tĂ©lĂ©vision pour les choses religieuses.

7 septembre 1978 - Hier premiÚre audience générale. Jean Paul Ier donne à l'audience un nouveau style, en appelant auprÚs de lui un enfant. On n'assiste plus à un discours, mais à un dialogue, trÚs vivant et souvent pittoresque.

Ensuite, il s'adresse aux groupes. Cette fois-ci, il a cité aux nouveaux époux le mot de Montaigne sur le mariage comparé à une cage: ceux qui sont dehors font tout pour y entrer, ceux qui sont dedans font tout pour en sortir!...

Ce matin, le clergĂ© romain. Éloge de la grande disciplina, qui procĂšde d'une conviction.

Un Ă©vĂ©nement tragique: la mort subite du mĂ©tropolite orthodoxe Nikodim au cours de son audience. Le Pape nous confie qu'il a Ă©tĂ© profondĂ©ment Ă©difiĂ© par ce que cet Ă©vĂȘque orthodoxe lui a dit sur l'Église quelques minutes avant de mourir. Jamais il n'avait entendu quelque chose d'aussi touchant!

HumilitĂ© du pontife. Il est obligĂ© de se prĂȘter aux photographies officielles, assis et debout. Commentaire: «Ecco Arlecchino finto principe! (VoilĂ  Arlequin dĂ©guisĂ© en prince!) » Il ne tache pas qu'il a souffert de la faim Ă©tant enfant: il peut comprendre ceux qui souffrent! Quand je m'Ă©tonne de l'Ă©tendue de ses lectures (Twain, Montaigne, Rabelais !...), il m'explique qu'il a passĂ© de longs mois dans des cliniques et des hĂŽpitaux, et qu'il n'avait alors rien d'autre Ă  faire qu'Ă  lire.

15 septembre 1978 - Nouvelle audience générale. Il a accepté la sedia.

Aux jeunes Ă©poux, le mot de Lacordaire Ă  propos d'Ozanam « tombĂ© au piĂšge du mariage». Il cite le mot de Pie IX: «Je ne savais pas que Notre-Seigneur avait instituĂ© six sacrements et un piĂšge ! » Aux autres, une poĂ©sie de Trilussa, qu'il rĂ©cite par cƓur. Ce matin, enregistrement d'un texte en espagnol. (Ecco lo scolaretto... Arlecchino finto spagnuolo!)

29 septembre 1978 - Mort subite de Jean Paul Ier. Stupeur! (trouvé mort dans son lit à cinq heures trente).

4 octobre 1978 - Funérailles place Saint-Pierre, en partie sous la pluie : décision prise ce matin (Monseigneur Caprio, Noé et moi) malgré la menace: pour ne pas décevoir l'immense foule qui serait restée dehors, et pour éviter d'éventuelles comparaisons avec les obsÚques de Paul VI.

Longueur du pontificat: trente-trois jours. « L'espace d'un sourire », selon l'heureuse expression d'un journaliste. Cause de la mort: infarctus ou hĂ©morragie cĂ©rĂ©brale, peut-ĂȘtre provoquĂ©e par une soudaine prise de conscience de la lourdeur de la charge. On ne peut que rĂ©pĂ©ter ce qu'il avait lui-mĂȘme dit a la mort d'une personne chĂšre: «Nous n'avons pas Ă  poser des pourquoi Ă  Dieu. Nous avons Ă  nous demander: Et maintenant, que devons-nous faire?»

Homme plein d'esprit, ayant Ă©normĂ©ment lu et retenu, capable d'humour dans l’heure qui suivait son Ă©lection; un cardinal espagnol lui ayant demandĂ© Ă  table la permission de fumer: «Si rĂ©pondit-il, ma... fumata bianca!» Le «Pape du sourire » est universellement regrettĂ©. Nous avons vu des larmes aux yeux de beaucoup parmi les dizaines de milliers de personnes qui ont dĂ©filĂ© les jours derniers Ă  Saint-Pierre devant sa dĂ©pouille mortelle. De lui, comme de LĂ©on XI, qui ne rĂ©gna que vingt-six jours en 1605, on pourrait dire qu'il fut « plutĂŽt montrĂ© que donnĂ© » (Ă  l'Église): magis ostensus quam datus; mais il lui a suffi de ces quelques semaines pour conquĂ©rir tous les cƓurs.

Novembre 1991 - AprÚs tant d'années, on peut dire que le mystÚre de sa mort demeure entier. Mais il n'est pas là ou on croit. On a dit et écrit toutes les sottises possibles, jusqu'à prétendre que Jean Paul Ier avait été empoisonné par le cardinal Villot! On voit la vraisemblance...

Le mystĂšre est ailleurs. Le pape Luciani a dit maintes fois, et mĂȘme en audience publique, qu'il avait le cƓur malade et avait passĂ© de longs mois de sa vie dans les hĂŽpitaux. Peut-on croire que les cardinaux qui l'ont Ă©lu n'en aient rien su? Et s'ils le savaient, comment ont-ils pu confier Ă  un homme malade du cƓur la charge du suprĂȘme pontificat? VoilĂ  oĂč est le mystĂšre: c’est le mystĂšre de cette Ă©lection, bien plus que le mystĂšre de cette mort.

Jean-Paul II

Selon the Independent, le cardinal Jacques-Paul Martin, prĂ©fet de la Maison pontificale pendant le pontificat de Jean-Paul II, a confirmĂ© dans ses mĂ©moires posthumes que le pape polonais avait affrontĂ© le diable au Vatican en 1982, libĂ©rant une jeune femme victime d’une possession diabolique. Le prĂ©lat raconte comment l’évĂȘque de SpolĂšte, une rĂ©gion de PĂ©rouse en Ombrie, a demandĂ© une audience avec le pape pour lui prĂ©senter le cas de Francesca.

Complémentaires

Personnalité

Selon l’article que le Monde titrait annonçant sa mort : « Rien ne caractĂ©risait mieux la personnalitĂ© de Mgr Jacques Martin que l'ancienne formule des annonces mortuaires propres aux ecclĂ©siastiques : " Humble et discrĂšte personne ". Le prĂ©fet du palais apostolique, maĂźtre de maison du Vatican, apparaissait toujours lĂ©gĂšrement en retrait du pape dans les cĂ©rĂ©monies publiques, audiences ou remises de lettres de crĂ©ance. Il le suivait dans ses voyages, portant au plus haut degrĂ© les vertus du silence et de l'effacement, sans pour autant perdre le goĂ»t du sourire, ni de l'amitiĂ©. »

Littérature

Ses livres incluent La Nonciature de Paris et Les affaires ecclésiastiques de France sous Louis-Philippe (1949), Dom Innocent le Masson, Louis XIV des Chartreux (1976), Héraldique au Vatican (1987) et Le Vatican inconnu (1988).

Il a Ă©crit deux ouvrages populaires mais non traduits sur l’hĂ©raldique du Vatican et Le Vatican inconnu. Son Ɠuvre historique majeure est une Ă©tude de la nonciature parisienne du Saint-SiĂšge.

Martin obtient le Prix Montyon de l’AcadĂ©mie française, 1950 pour La Nonciature de Paris et les affaires ecclĂ©siastiques de France sous le rĂšgne de Louis-Philippe, et le Prix Marcel GuĂ©rin de l’AcadĂ©mie française, 1976 pour Le Louis XIV des Chartreux, Dom Innocent Le Masson.

Il arriva qu'il correspondĂźt avec le cĂ©lĂšbre Ă©crivain, ancien rĂ©sistant et ministre de la culture, secrĂ©taire de l’acadĂ©mie française Maurice Druon, qui prĂ©faça son livre Mes Six Papes.

Selon les mémoires de Jean Bry

" Occasionnellement, arrivait de Rome, durant les vacances, l’abbĂ© Martin. Son pĂšre, colonel en retraite, et la famille possĂ©daient une magnifique maison Ă  Vauvert, au pied de la falaise en haut de laquelle furent retrouvĂ©s les vestiges d’un oppidum gaulois. Sa vocation s’était rĂ©vĂ©lĂ©e Ă  TrĂȘves oĂč son pĂšre Ă©tait en occupation aprĂšs 14/18. Sur le conseil de l’AumĂŽnier gĂ©nĂ©ral, il fit son sĂ©minaire Ă  Nice puis partit au sĂ©minaire français de Rome oĂč il devait rester toute sa vie ; devint secrĂ©taire particulier de plusieurs papes, PrĂ©fet du Palais Apostolique, Ă©vĂȘque in partibus de Naplouse. En juin 1988, il a Ă©tĂ© nommĂ© cardinal. Aux cĂ©rĂ©monies pontificales de NoĂ«l et de PĂąques, il apparaissait aux cĂŽtĂ©s du pape sur le balcon de Saint-Pierre de Rome pour la bĂ©nĂ©diction urbi et orbi. Avec ma mĂšre, nous constations qu’il ressemblait en vieillissant, de plus en plus Ă  son pĂšre. "

Honneurs

  • ÉvĂȘque titulaire de Naplouse de la Palestine, prĂ©fet de la Maison pontificale, le 22 septembre 1972
  • Chevalier de la Grand-Croix de l'Ordre du MĂ©rite de la RĂ©publique Italienne, le 4 octobre 1985

Généalogie Episcopale

  • Cardinal Scipion Rebiba †, Patriarche Titulaire de Constantinople
  • Cardinal Giulio Antonio Santorio † (1566), Cardinal-prĂȘtre de la Basilique Saint-BarthĂ©lemy-en-l'Île
  • Cardinal Girolamo Bernerio , O.P. † (1586), Carninal-Ă©vĂȘque d’Albano
  • Mgr Galeazzo Sanvitale † (1604), archevĂȘque Ă©mĂ©rite de Bari (-Canosa)
  • Cardinal Ludovico Ludovisi † (1621), archevĂȘque de Bologne
  • Cardinal Luigi Caetani † (1622), Cardinal-prĂȘtre de Santa Pudenziana
  • Cardinal Ulderico Carpegna † (1630), Cardinal-prĂȘtre de la Basilique Sainte-Marie-du-Trastevere
  • Cardinal Paluzzo Paluzzi Altieri degli Albertoni † (1666) Camerlingue de la Chambre Apostolique
  • Pape BenoĂźt XIII (1675) (Pietro Francesco (Vincenzo Maria) Orsini de Gravina, O.P. †)
  • Pape BenoĂźt XIV (1724) (Prospero Lorenzo Lambertini †)
  • Pape ClĂ©ment XIII (1743) (Carlo della Torre Rezzonico †)
  • Cardinal Marcantonio Colonna † (1762), Cardinal-prĂȘtre de Sainte Marie de la Paix
  • Cardinal Hyacinthe-Sigismond Gerdil (Jean-François) , B.† (1777), Cardinal-prĂȘtre de Santa Cecilia
  • Cardinal Giulio Maria della Somaglia † (1788), Cardinal-Ă©vĂȘque d’Ostie (et Velletri)
  • Cardinal Carlo Odescalchi , S.J. † (1823), Cardinal-prĂȘtre de la Basilique des Saints-ApĂŽtres de Rome
  • Cardinal Costantino Patrizi Naro † (1828), Cardinal-Ă©vĂȘque de Porto-Santa Rufina
  • Cardinal Serafino Vannutelli † (1869), Cardinal-Ă©vĂȘque de Frascati
  • Cardinal Domenico Serafini , Cong. Subl. O.S.B. † (1900), Cardinal-prĂȘtre de Santa Cecilia
  • Cardinal Pietro Fumasoni Biondi † (1916), Cardinal-prĂȘtre de la Basilique Sainte-Croix-de-JĂ©rusalem
  • Cardinal Paolo Marella † (1933), Cardinal-prĂȘtre de la Basilique Saint-AndrĂ©-des-Buissons
  • Cardinal Jacques-Paul Martin

Notes et références

  1. (en) « Martin, Jacques (1908-1992) », sur http://www.fiu.edu/, The Cardinals of the Holy Roman Church (consulté le )
  2. (en) Christian Ferrier, « Galerie des portraits : Pie XII », sur https://sites.google.com/site/charlesdegaullebe/extraits-revue-grandeur/galerie-des-portraits-pie-xii, Le Cercle et l'Amiral de Gaulle (consulté le )
  3. Jacques Maritain et Charles Journet, Correspondance : 1950-1957, vol. 4, Éditions Saint-Augustin, , 952 p. (ISBN 978-2-88011-367-4, lire en ligne), p. 732.

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