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Inerrance biblique

En thĂ©ologie chrĂ©tienne et juive, l’inerrance biblique (ou simplement inerrance) est une position doctrinale selon laquelle la Bible ne comporte aucune erreur dans ses manuscrits d'origine, tant en ce qui concerne la foi et la vie du croyant qu'au sujet de l'authenticitĂ© du texte et des dĂ©tails relatifs aux thĂšmes scientifiques, historiques et gĂ©ographiques. Cela implique que les auteurs bibliques auraient suivi la volontĂ© de Dieu, et que celui-ci leur aurait Ă©vitĂ© toute erreur dans l'Ă©vocation des faits.

Rembrandt, L'ÉvangĂ©liste Matthieu inspirĂ© par un ange, 1661.

Dans le christianisme, cette doctrine s'appuie notamment sur la DeuxiĂšme Ă©pĂźtre Ă  TimothĂ©e, Ă©crite par un disciple de Paul de Tarse : « Toute Écriture est inspirĂ©e de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et propre Ă  toute bonne Ɠuvre[1]. »

Elle est professĂ©e par plusieurs confessions, principalement les protestants fondamentalistes. En revanche, les Églises catholique, orthodoxe et protestantes historiques (luthĂ©rienne, calviniste et anglicane) affirment que la Bible est inspirĂ©e de Dieu et infaillible en matiĂšre de foi et de morale, mais que cette infaillibilitĂ© ne s'Ă©tend pas Ă  son contenu historique, gĂ©ographique ou scientifique.

JudaĂŻsme

Fac-similé d'un fragment du Talmud de Jérusalem.

AprĂšs la destruction du Second Temple de JĂ©rusalem en 70 EC, le judaĂŻsme rabbinique s'attache Ă  la notion de « Torah orale » (hĂ©breu : ŚȘÖŒŚ•Ö茚֞Ś” Ś©Ö¶ŚŚ‘Ö°ÖŒŚąÖ·ŚœÖŸŚ€Ö¶ÖŒŚ”, Torah SheBe'al-Pe, littĂ©ralement « Torah sur la bouche ») : il s'agit de prĂ©ceptes moraux, de rituels, de concepts juridiques et d'interprĂ©tations thĂ©ologiques non dĂ©finis explicitement dans le Pentateuque, ou « Torah Ă©crite » (ŚȘÖŒŚ•Ö茚֞Ś” Ś©Ö¶ŚŚ‘ÖŽÖŒŚ›Ö°ŚȘÖžŚ‘, Torah SheBiktav, « Loi Ă©crite »), mais tout aussi importants.

Selon la tradition rabbinique, Dieu a transmis oralement tout ou partie de cette Torah orale Ă  MoĂŻse sur le mont SinaĂŻ, avant que ce corpus soit relayĂ© de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration jusqu’à sa mise par Ă©crit. L'ensemble de ces textes constitue le Talmud, Ă©ditĂ© sous deux formes : le Talmud de JĂ©rusalem (v. 300-350) et le Talmud de Babylone (v. 450-500).

Christianisme

Pùres de l'Église

Dans son Commentaire sur l'ÉpĂźtre aux Galates, JĂ©rĂŽme estime que le reproche Paul Ă  Pierre en Galates 2: 11-14 pour avoir agi comme un Juif Ă  propos de la faction juive de l’Église primitive manquait de sincĂ©ritĂ© car Paul lui-mĂȘme avait fait la mĂȘme chose[2]. Cependant, Augustin rĂ©fute l’interprĂ©tation de JĂ©rĂŽme et affirme que les Écritures ne contiennent aucune erreur et qu’admettre une seule erreur jetterait le doute sur l’ensemble de l’Écriture[3].

Renaissance et Temps modernes

À partir du XVe siĂšcle, les dĂ©couvertes scientifiques, contredisant certaines affirmations des Écritures, menacent l'autoritĂ© biblique. Au XVIe siĂšcle, le dĂ©veloppement de la philologie contribue Ă  jeter un doute sur la valeur historique de certains passages du texte. Lors du concile de Trente, l’Église catholique pose que l'interprĂ©tation du texte sacrĂ© passe aussi par les traditions transmises depuis les apĂŽtres, et qu'elle est donc juge du sens vĂ©ritable Ă  leur donner[4].

La doctrine de l’inerrance, toutefois, ne fait pas l'unanimitĂ© Ă  cette Ă©poque. Si le concile de Trente ne reconnaĂźt l’inerrance de la Bible que « en matiĂšre de foi et de morale », le cardinal jĂ©suite Robert Bellarmin rĂ©torque dans son De verbo Dei (1586), premier volume de ses Disputationes de controversiis christianae fidei adversus hujus temporis haereticos : « Il ne peut y avoir d’erreur dans l’Écriture, qu’elle traite de la foi ou qu’elle traite de la morale, ou qu’elle Ă©nonce quelque chose de gĂ©nĂ©ral et de commun Ă  toute l’Église, ou quelque chose de particulier et ne se rapportant qu’à une seule personne. » Les vues de Bellarmin ont jouĂ© un rĂŽle majeur dans la condamnation de GalilĂ©e et dans le dĂ©bat entre catholiques et protestants[5].

La question de l'inerrance biblique s'est en effet posée avec acuité lors de l'affaire Galilée (1616-1633), alors que les positions héliocentriques du savant italien semblaient contredire certains passages de la Bible.

En 1670, Spinoza publie son Tractatus theologico-politicus, dans lequel il prĂŽne l'extension de la libertĂ© de penser, non seulement Ă  la philosophie politique, mais encore Ă  l'interprĂ©tation du texte biblique. De son cĂŽtĂ©, Richard Simon Ă©crit en 1678 une Histoire critique du Vieux Testament[6], qui rencontre l'hostilitĂ© de l’Église[7].

Les débats du XIXe siÚcle

ConsĂ©quence du dĂ©veloppement de la mĂ©thode historico-critique allemande, la controverse autour des Écritures ne cesse de se dĂ©velopper, au fil du XIXe siĂšcle, d'abord dans toute l'Europe puis, plus tardivement, aux États-Unis.

En 1814, William Van Mildert, qui sera Ă©vĂȘque de Durham, exprimant ce qui fait alors consensus en Grande-Bretagne, affirme encore que la raison est non compĂ©tente pour juger de l’inspiration divine dans la Bible. Coleridge, tenant compte des contestations historiques, gĂ©ographiques ou morales adressĂ©es Ă  la Bible, mais dĂ©fendant les Écritures et l'inspiration, propose une approche radicalement diffĂ©rente de celle des savants ou intellectuels britanniques qui n'aura toutefois d'influence que plus tard.

Au milieu du XIXe siÚcle, le débat reprend en Grande-Bretagne à la suite des nouvelles questions posées par les sciences naturelles (autant par Vestiges of the Natural History of Creation (1844) de Robert Chambers que par L'Origine des espÚces (1859) de Charles Darwin)[8].

L'enseignement de Vatican I

Le concile Vatican I (1869-1870) a donnĂ© valeur de dogme Ă  l'inspiration divine de l'Écriture[9], en reprenant l’enseignement dĂ©jĂ  formulĂ© par les conciles de Florence (1439-1441) et de Trente (1542-1563) : « L’Église tient [les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament] pour [sacrĂ©s et canoniques] [
] parce que, Ă©crits sous l’inspiration du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur et ont Ă©tĂ© transmis comme tels Ă  l’Église[10]. »

Toutefois, l'Église catholique n'a pas pris position sur l'exĂ©gĂšse biblique avant les derniĂšres annĂ©es du XIXe siĂšcle. L’occasion en est fournie par un article publiĂ© en janvier 1893 par Maurice d'Hulst, recteur de l’Institut catholique de Paris, qui distingue deux types d'approche[11] - [12] : d’un cĂŽtĂ©, une « Ă©cole large » qui limite l'inspiration de la Bible et son inerrance aux vĂ©ritĂ©s de la foi et accorde toute libertĂ© Ă  l’exĂ©gĂšse dans les autres domaines ; d'autre part, une « Ă©cole Ă©troite » qui enseigne l’inerrance absolue de l’Écriture, puisque Dieu en est l’auteur (causa efficiens)[10] - [13]. L'opposition entre l'Ă©cole Ă©troite et l'Ă©cole large peut se rĂ©sumer en ces termes : la premiĂšre soutient la doctrine d'une inerrance totale « Ă  partir de la causalitĂ© efficiente de l’inspiration, en faisant de Dieu l’auteur de toutes les assertions de l’hagiographe », Ă©crit l'historien Francesco Beretta, tandis que la seconde conçoit « l’inspiration Ă  partir de la cause finale : ce qui compte est le but qu’avait Dieu en inspirant l’hagiographe, ce but Ă©tant le Salut chrĂ©tien. Toutes les assertions bibliques qui se rapportent Ă  cette fin — la cause finale — sont vraies, les autres sont humaines, donc elles peuvent ĂȘtre inexactes »[10]. Maurice d'Hulst estime que le concile Vatican I n'a pas tranchĂ© ce dĂ©bat et propose d'engager la discussion[14]. Du point de vue des JĂ©suites de Rome, le fait que Vatican I n’ait pas traitĂ© de l’inspiration des Écritures laisse ouvert un espace dans lequel John Henry Newman, August Rohling et François Lenormant ont pu dĂ©velopper des thĂšses problĂ©matiques.

Les réponses magistérielles

Pour rĂ©soudre le conflit entre l'Ă©cole Ă©troite et l'Ă©cole large, LĂ©on XIII publie l'encyclique Providentissimus Deus (1893), oĂč il explique que les rĂ©cits Ă©vĂ©nementiels de la Bible sont destinĂ©s Ă  manifester des vĂ©ritĂ©s religieuses, et non Ă  dĂ©crire les Ă©vĂ©nements eux-mĂȘmes[9]. Il indique Ă©galement que l’inspiration insufflĂ©e aux rĂ©dacteurs par l’Esprit saint ne s’étend pas Ă  l'explication des phĂ©nomĂšnes naturels ; par consĂ©quent, ceux-ci sont Ă©voquĂ©s tels qu’ils Ă©taient considĂ©rĂ©s Ă  l'Ă©poque de la rĂ©daction, ou encore par le truchement de mĂ©taphores[9]. Il ne saurait donc exister de conflit entre les descriptions bibliques des phĂ©nomĂšnes naturels et la science, parce que les rĂ©dacteurs ne cherchaient pas Ă  en donner une description scientifique et parce que Dieu est l’auteur de la Bible[9]. Cependant, pour LĂ©on XIII, il demeure formellement interdit de « restreindre l’inspiration Ă  certaines parties seulement de la sainte Écriture » et de « concĂ©der que l’auteur sacrĂ© lui-mĂȘme s’est trompĂ© » : l'encyclique condamne « ceux qui [...] ne craignent pas d’admettre que l’inspiration divine s’applique aux choses de la foi et des mƓurs, mais Ă  rien de plus, parce qu’ils croient faussement que s’il s’agit de la vĂ©ritĂ© des textes, on ne doit pas tant rechercher ce que Dieu a dit, qu’examiner pour quel motif il l’a dit »[10].

LĂ©on XIII rĂ©affirme donc que Dieu est l'auteur de toutes les assertions de l’Écriture, ce qui implique la doctrine de son inerrance absolue, y compris en matiĂšre d'Ă©vĂ©nements historiques[10]. Quant Ă  l'exĂ©gĂšse, elle doit s'en tenir Ă  la mĂ©thode scolastique et se limiter Ă  la traduction latine de la Vulgate, en Ă©vitant les textes d'origine en hĂ©breu et en grec[10].

Dans l'encyclique Spiritus Paraclitus (1920), BenoĂźt XV rappelle l'inerrance absolue de la Sainte Écriture : toutes les parties de la Bible Ă©tant inspirĂ©es, il est impossible que s'y trouve la moindre erreur. BenoĂźt XV a notamment fustigĂ© les dĂ©rives des modernistes qui croient Ă  tort que l'immunitĂ© d'erreur se limite « au seul Ă©lĂ©ment principal ou religieux »[15].

Cependant, l'encyclique Divino afflante Spiritu, publiĂ©e par Pie XII en 1943, revient sur la question de l'exĂ©gĂšse biblique. Elle autorise Ă  lire les Écritures dans d'autres versions que la Vulgate, mais aussi elle permet la critique textuelle (ou « critique basse Â») ainsi que la mĂ©thode historico-critique (ou « critique haute Â»)[16]. L’encyclique prend acte des dĂ©veloppements rĂ©cents de l’exĂ©gĂšse, y compris la mĂ©thode historico-critique, et la dĂ©fend contre ses adversaires au sein de l’Église qui « combattent ou suspectent tout ce qui est nouveau, simplement parce que c'est nouveau » (II § 4). Pie XII encourage explicitement les Ă©tudes de la forme et du genre littĂ©raire des textes bibliques, et dĂ©clare ces mĂ©thodes lĂ©gitimes[17].

L'enseignement de Vatican II

Dans la constitution dogmatique Dei Verbum (1965), le concile Vatican II dĂ©clare que, si les Écritures ne contiennent pas d’erreur en matiĂšre de foi, la RĂ©vĂ©lation traduit la volontĂ© qu’a Dieu de se faire connaĂźtre aux hommes tout au long de l’histoire du peuple Ă©lu, par la parole des prophĂštes et d’une maniĂšre totale en la personne de JĂ©sus-Christ. Le concile prĂ©cise Ă  ce sujet :

« Puisque tout ce qui est affirmĂ© par les auteurs inspirĂ©s ou les Ă©crivains sacrĂ©s doit ĂȘtre tenu pour affirmĂ© par le Saint-Esprit, il s’ensuit que les livres de l’Écriture doivent ĂȘtre reconnus comme enseignant solidement, fidĂšlement et sans erreur cette vĂ©ritĂ© que Dieu a voulu mettre dans les Ă©crits sacrĂ©s en vue du salut[18]. »

Le concile ajoute :

« Cependant, puisque Dieu, dans la Sainte Écriture, a parlĂ© par des hommes Ă  la maniĂšre des hommes, il faut que l’interprĂšte de la Sainte Écriture, pour voir clairement ce que Dieu lui-mĂȘme a voulu nous communiquer, cherche avec attention ce que les hagiographes ont vraiment voulu dire et ce qu’il a plu Ă  Dieu de faire passer par leurs paroles[19]. »

Toutefois, les thĂ©ologiens s'interrogent sur la question de savoir si les mots « en vue du salut » signifient que l'Église passe de l’inerrance totale Ă  l’inerrance limitĂ©e[20]. Ainsi, Raymond E. Brown remarque : « Il convient de prendre [ces mots] comme spĂ©cifiant : L’enseignement scripturaire est la vĂ©ritĂ© sans erreur dans la mesure oĂč il est conforme au dessein salvifique de Dieu[21]. »

Raymond E. Brown Ă©crit Ă©galement :

« Au cours des cent derniĂšres annĂ©es, nous sommes passĂ©s d’une approche oĂč l’inspiration divine garantissait que la Bible Ă©tait totalement inerrante Ă  une approche oĂč l’inerrance se limite Ă  l’enseignement biblique de « cette vĂ©ritĂ© que Dieu a voulu mettre dans les Écritures saintes en vue de notre salut ». Dans ce long voyage de la pensĂ©e, le concept d’inerrance n’a pas Ă©tĂ© rejetĂ© mais il a Ă©tĂ© sĂ©rieusement modifiĂ© pour s’adapter Ă  la dĂ©monstration par l'exĂ©gĂšse biblique que la Bible n’était pas inerrante dans le domaine de la science, de l'histoire et mĂȘme des croyances religieuses liĂ©es Ă  leur Ă©poque[22]. »

Tout en approuvant « une certaine insistance doctrinale chez les fondamentalistes », Brown récuse leur méthode et conclut : « Une lecture de la Bible strictement à la lettre est intellectuellement indéfendable et tout à fait inutile pour la défense des points essentiels du christianisme[23] »

Le sociologue des religions et historien Émile Poulat rĂ©sume l'Ă©volution de la pensĂ©e de l'Église : « L'immense effort dĂ©veloppĂ© au nom de la « science» dans tous les domaines sans en exclure la Bible a dissipĂ© notre reprĂ©sentation religieuse de l'homme et du monde. Les Six Jours, Adam et Eve, le DĂ©luge, la composition du Pentateuque, le monde du Proche-Orient, les « sources » des Ă©vangiles, les genres littĂ©raires, l'histoire des manuscrits et du canon, la Bible reste un univers religieux mais dont il a fallu sortir pour l'Ă©tudier et le comprendre avec un outillage intellectuel et un Ă©quipement culturel qui ne lui doivent rien. Leur mise en Ɠuvre a d'abord Ă©tĂ© ressentie comme un sacrilĂšge avant que leur nouveautĂ© ne soit tardivement reçue par Pie XII dans son encyclique Divino Afflante Spiritu (1943), puis assumĂ©e par Vatican II dans la constitution Dei Verbum (1965) »[24]. À l'Ăšre prĂ©scientifique, en symbiose avec la culture de leur Ă©poque et de leur milieu, les auteurs bibliques ne cherchaient pas Ă  Ă©viter des erreurs et des contradictions qui demeuraient sans lien avec l'inspiration et le message qu'ils voulaient transmettre[25] ».

Ainsi, la formulation de Vatican II prĂ©cise l'objet formel sur lequel porte l'inerrance, Ă  savoir Dieu et le salut des hommes[26] : l’Église n'entend pas se prononcer sur les domaines scientifiques. Elle rappelle seulement l'historicitĂ© des quatre Ă©vangiles canoniques en ce qu'ils nous transmettent fidĂšlement ce que JĂ©sus a fait et enseignĂ© [27]. L'Église rejette la doctrine fondamentaliste[28] de l'inerrance et considĂšre que la Bible ne vise pas Ă  renseigner le lecteur concernant les sciences naturelles, la cosmologie, l'histoire, la gĂ©ographie, ou tout autre domaine de connaissance sans rapport avec le salut de l'ĂȘtre humain[29].

L'acceptation de l'exĂ©gĂšse historico-critique est l'un des thĂšmes principaux de Dei Verbum[30]. Pendant la crise moderniste, en effet, de nombreux exĂ©gĂštes qui ont utilisĂ© la mĂ©thode historico-critique ont Ă©tĂ© condamnĂ©s par l’Église catholique, et le concile juge dĂ©sormais nĂ©cessaire de prendre position sur cette question. MĂȘme si la relation entre exĂ©gĂšse critique et exĂ©gĂšse canonique n’est pas clairement dĂ©finie, il est devenu Ă©vident que la mĂ©thode historico-critique ne peut plus ĂȘtre Ă©vitĂ©e[30]. En ce sens, toutes les mĂ©thodes de recherche qui rĂ©vĂšlent le « message originel des prophĂštes et des apĂŽtres » sont confirmĂ©es[31].

Outre les quatre sens de l'Écriture, l'Église catholique rappelle l'existence des genres littĂ©raires qu'il est nĂ©cessaire de connaĂźtre et de distinguer pour interprĂ©ter correctement les textes[32].

Le thĂ©ologien Luc Chartrand prĂ©cise : « L'inerrance de l'hagiographe, ou plus justement celle de la Bible, doit ĂȘtre replacĂ©e dans la perspective propre de la RĂ©vĂ©lation biblique, c'est-Ă -dire de tout ce qui a rapport au salut de l'homme et rien d'autre. La RĂ©vĂ©lation s'accomplit Ă  l'intĂ©rieur d'un dĂ©veloppement ». À ce sujet, il cite le thĂ©ologien Pierre Grelot : « Bien mieux, elle a dĂ©pendu dans une large mesure des milieux culturels avec lesquels la Providence la mettait en rapport. Puisque chaque auteur sacrĂ© a Ă©crit pour ses contemporains, c'est en fonction de ce cadre historique qu'il faut apprĂ©cier la portĂ©e de son Ɠuvre. On ne saurait le faire sans recourir aux donnĂ©es de l'ethnologie et des autres sciences humaines, comme disait dĂ©jĂ  l'encyclique Divino Afflante Spiritu »[33] - [34].

RĂ©forme protestante

À l’époque de la RĂ©forme protestante, il n’existe toujours pas de doctrine officielle de l’inerrance.

L’humaniste chrĂ©tien Érasme (1466-1536) ne se soucie pas des erreurs mineures qui n'ont pas de consĂ©quences sur la thĂ©ologie et il pense mĂȘme que Matthieu confond deux noms. Dans une lettre Ă  Johannes Eck, il Ă©crit que « l’autoritĂ© de toute l’Écriture ne serait pas instantanĂ©ment mise en pĂ©ril, comme vous le suggĂ©rez, si un Ă©vangĂ©liste, par Ă©tourderie, mettait un nom Ă  la place d'un autre, IsaĂŻe par exemple au lieu de JĂ©rĂ©mie, car ce n’est pas un point capital »[3].

Pour sa part, Jean Calvin (1509-1564) affirme : « Il est bien connu que les Ă©vangĂ©listes n’étaient guĂšre prĂ©occupĂ©s par l’observation des sĂ©quences temporelles[5]. »

Pour Martin Luther (1483-1546), l’inspiration biblique ne garantit pas l’inerrance de tous les dĂ©tails : Luther reconnaĂźt les erreurs et les incohĂ©rences des Écritures mais ne s'en soucie gĂšre car elles ne touchent pas au cƓur de l’Évangile[35]. Quand Matthieu semble confondre JĂ©rĂ©mie avec Zacharie en Mt 27:9, Luther confie que « de tels points ne [le] dĂ©rangent pas particuliĂšrement »[35].

Si Luther replace l'Écriture au centre de la foi[36], il « compare la Bible au berceau de jonc qui portait MoĂŻse sur les eaux du Nil. Le berceau n’a de valeur qu’à cause de l’enfant qui s’y trouve couchĂ©. Le berceau n’est pas l’enfant, mais, sans le berceau, l’enfant se serait noyĂ© et aurait pĂ©ri. De mĂȘme, la Bible n’est pas la parole de Dieu, mais sans la Bible qui la porte, la parole divine ne nous parviendrait pas »[37].

AndrĂ© Gounelle reprend cette image en ces termes : « La Bible a Ă©tĂ© Ă©crite non pas par Dieu ou sous sa dictĂ©e, mais par des hommes qui y racontent comment ils ont entendu, reçu, compris, interprĂ©tĂ© la parole de Dieu dans des expĂ©riences privilĂ©giĂ©es qu’ils ont vĂ©cues. À proprement parler, la Bible n’est pas parole de Dieu, elle est le rapport qui en a Ă©tĂ© donnĂ©, le tĂ©moignage qui lui a Ă©tĂ© rendu. Elle nous fait entendre, dans un langage imparfait, parfois contradictoire, avec des erreurs et des ratĂ©s, ce que Dieu nous annonce, et ce qu’il veut que nous devenions[37]. »

Christianisme évangélique

Pour les chrĂ©tiens Ă©vangĂ©liques, la Bible est « inspirĂ©e » par Dieu lui-mĂȘme et est l'autoritĂ© souveraine dans la foi chrĂ©tienne[38]. Souvent appelĂ©e « la Parole de Dieu » ou l’Écriture (langage biblique), elle est considĂ©rĂ©e comme infaillible et, dans certains milieux Ă©vangĂ©liques, sans erreur[39]. Ceci lui vaut parfois d’ĂȘtre interprĂ©tĂ©e d’une maniĂšre trĂšs littĂ©rale, dans certains courants. La Bible dĂ©tient l’autoritĂ© suprĂȘme en matiĂšre de foi et de direction de la vie du croyant[40]. Elle est considĂ©rĂ©e comme un manuel de vie qui concerne tous les aspects de la vie [41].

En 1978, des thĂ©ologiens Ă©vangĂ©liques ont signĂ© la DĂ©claration de Chicago (en). Elle s'engage Ă  ce qu'une affirmation factuelle soit reçue selon l'intention de l'auteur de la communiquer comme telle. MĂȘme si elle concĂšde qu'il est impossible de connaĂźtre l'intention des auteurs originels et que la Bible ne contient pas uniquement des affirmations factuelles, la dĂ©claration rĂ©affirme l'authenticitĂ© de la Bible dans son entiĂšretĂ© en tant que « Parole de Dieu » : accepter une erreur dans la Bible amĂšnerait in fine Ă  lui dĂ©nier toute valeur supĂ©rieure Ă  n'importe quel autre livre.

Notes et références

  1. 2 Tm 3:16-17, trad. Louis Segond, 1910.
  2. Shaye J. D. Cohen, The beginnings of Jewishness: Boundaries, varieties, uncertainties, Vol. 31, University of California Press, 1999, p. 368.
  3. John Woodbridge, "Evangelical Self-Identity and the Doctrine of Biblical Inerrancy", in Understanding the Times: New Testament Studies in the 21st Century: Essays in Honor of D. A. Carson on the Occasion of His 65th Birthday, Crossway, 2011, p. 111.
  4. Yves Chiron, Histoire des conciles, Éditions Perrin, (ISBN 978-2-262-03309-5), p. 192-193.
  5. Ronald Hendel, "The Dream of a Perfect Text: Textual Criticism and Biblical Inerrancy in Early Modern Europe," in J. J. Collins, Sibyls, Scriptures, and Scrolls: John Collins at Seventy, Brill, 2017, p. 517-541, en particulier p. 524-531. À la p. 529, Hendel Ă©crit : « La doctrine de l'inerrance absolue et de la lecture littĂ©rale de l'intĂ©gralitĂ© des dĂ©tails est une invention ultĂ©rieure au concile de Trente due Ă  la controverse entre catholiques et protestants. »
  6. Richard Simon et Ezechiel Spanheim, Histoire critique du Vieux Testament, Rotterdam, Reinier Leers, (lire en ligne)
  7. Jean Louis Ska, « Richard Simon : un pionnier sur les sentiers de la tradition », Recherches de science religieuse, vol. 97, no 2,‎ , p. 307 (ISSN 0034-1258 et 2104-3884, DOI 10.3917/rsr.092.0307, lire en ligne, consultĂ© le )
  8. FrĂ©dĂ©ric Slaby, « PrĂ©sentation d’une controverse : les Écritures face Ă  la critique biblique au xixe siĂšcle en Grande-Bretagne », Revue LISA/LISA e-journal [Online], vol. V, no 4,‎ (DOI 10.4000/lisa.1242, lire en ligne, consultĂ© le )
  9. Charles Belmonte, Faith Seeking Understanding, vol. I, Mandaluyong, Metro Manila, Philippines, Studium Theologiae Foundation, Inc., , 2nd Ă©d., 122-123 p. (ISBN 971-91060-4-2, lire en ligne).
  10. Francesco Beretta, « La doctrine romaine de l’inspiration de LĂ©on XIII Ă  BenoĂźt XV (1893-1920) : La production d’une nouvelle orthodoxie », dans François Laplanche, Ilaria Biagioli et Claude Langlois (dirs.), Autour d’un petit livre : Alfred Loisy cent ans aprĂšs, Turnhout, Brepols, , p. 47-60, lire en ligne.
  11. Maurice d'Hulst, La question biblique, in Le Correspondant 134 (1893), p. 201–251.
  12. Émile Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Albin Michel, 1996 (ISBN 2-226-08464-9), p. 301-302.
  13. Harvey Hill, Leo XIII, Loisy, and the "Broad School": An Early Round of the Modernist Crisis, 2003, p. 45.
  14. Klaus Unterburger, Papst Leo XIII. Enzyklika Providentissimus Deus (1893), Berlin / Boston 2016, p. 590.
  15. Dictionnaire de théologie catholique, T.7 pt.2, p.2243.
  16. Richard N. Soulen, R. Kendall Soulen, Handbook of Biblical Criticism (3rd ed.), 2001, Louisville, Kentucky, Westminster John Knox Press, p. 49.
  17. Peter Scheuchenpflug, Bibelbewegung, in Walter Kasper (dir.), Lexikon fĂŒr Theologie und Kirche, vol. 2, Herder, Freiburg im Breisgau 1994, p. 402.
  18. « Dei verbum » [archive du ], sur www.vatican.va
  19. Dei Verbum, 12.
  20. Raymond E. Brown, The New Jerome Biblical Commentary, Prentice-Hall, , « Church Pronouncements ».
  21. Raymond E. Brown, The New Jerome Biblical Commentary, Prentice-Hall, , « Church Pronouncements ».
  22. Raymond Brown, The Virginal Conception and Bodily Resurrection of Jesus, Paulist Press, , 8–9 p..
  23. Raymond E. Brown, 101 questions sur la Bible et leurs réponses, Lexio/Cerf, 1993 (ISBN 978-2-204-11305-2), p. 68.
  24. Émile Poulat, École des hautes Ă©tudes en sciences sociales (Paris), Comment lire la Bible, p. 217-234, dans Les retours aux Écritures. Fondamentalismes prĂ©sents et passĂ©s. ÉditĂ© par Évelyne Patlagean et Alain Le Boulluec, Peeters, Louvain et Paris, 1993, 225.
  25. Pierre LathuiliÚre, Le Fondamentalisme catholique. Signification et ecclésiologie, Cerf, Paris, 1995, 334 pages, p. 199
  26. Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre : Le fondamentalisme questionné, Médiaspaul, (ISBN 978-2-89420-279-1), p. 92
  27. Dei Verbum (concile Vatican II), (chapitre V)
  28. « DĂ©finition : Fondamentalisme - Église catholique en France », sur Église catholique en France (consultĂ© le ).
  29. Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre, le fondamentalisme questionné, Médiaspaul, 1995
  30. Joseph Ratzinger, Alois Grillmeier, BĂ©da Rigaux, Dogmatische Konstitution ĂŒber die göttliche Offenbarung, in Josef Höfer, Karl Rahner (dir.), Lexikon fĂŒr Theologie und Kirche, vol. 13, Herder, Freiburg im Breisgau, 1967, p. 497–583, ici p. 497-499.
  31. Thomas Söding, Theologie mit Seele, Der Stellenwert der Schriftauslegung nach der Offenbarungskonstituion Dei Verbum, in Jan-Heiner TĂŒck (dir.), Erinnerung an die Zukunft. Das Zweite Vatikanische Konzil, Herder, Freiburg im Breisgau, 2012 (ISBN 978-3-451-32568-7), p. 423–448, ici p. 438.
  32. « C’est de façon bien diffĂ©rente que la vĂ©ritĂ© se propose et s’exprime en des textes diversement historiques, ou prophĂ©tiques, ou poĂ©tiques, ou mĂȘme en d’autres genres d’expression. Il faut, en consĂ©quence, que l’interprĂšte cherche le sens que l’hagiographe, en des circonstances dĂ©terminĂ©es, dans les conditions de son temps et de sa culture, employant les genres littĂ©raires alors en usage, entendait exprimer et a, de fait, exprimĂ©. En effet, pour vraiment dĂ©couvrir ce que l’auteur sacrĂ© a voulu affirmer par Ă©crit, il faut faire minutieusement attention soit aux maniĂšres natives de sentir, de parler ou de raconter courantes au temps de l’hagiographe, soit Ă  celles qu’on utilisait Ă  cette Ă©poque dans les rapports humains. » Dei Verbum 12.
  33. Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre, Le fondamentalisme questionné, Médiaspaul, 1995, p. 118
  34. Pierre Grelot, « Commentaire du chapitre III - L'Inspiration de l'Écriture et son interprĂ©tation », in La RĂ©vĂ©lation divine - Constitution dogmatique « Dei Verbum », texte latin et traduction française par Jean-Pierre Torrell, commentaires publiĂ©s sous la direction de B.-D. Dupuy, Paris, Éditions du Cerf, (Coll. Unam Sanctam, 70b), 1968, p. 347-380
  35. Bainton, "The Bible in the Reformation," in S. L. Greenslade, The Cambridge History of the Bible, Vol 3: The West from the Reformation to the Present, Cambridge University Press, 1963, p. 12-13.
  36. Hans J. Hillerbrand, Encyclopedia of Protestantism: 4-volume Set, Routledge, Abingdon-on-Thames, 2016, p. 377
  37. André Gounelle, « La Bible est-elle Parole de Dieu ? ».
  38. Michel Deneken, Francis Messner et Frank Alvarez-Pereyre, La théologie à l'Université: statut, programmes et évolutions, GenÚve, Editions Labor et Fides, , p. 66-67
  39. Religioscope et SĂ©bastien Fath, « À propos de l’évangĂ©lisme et des Églises Ă©vangĂ©liques en France : Entretien avec SĂ©bastien Fath », sur religion.info, (consultĂ© le )
  40. (en) Samuel S. Hill, The New Encyclopedia of Southern Culture, vol. 1 : Religion, University of North Carolina Press, USA, , p. 17
  41. SĂ©bastien Fath, « ÉVANGÉLISME ET ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES », sur EncyclopĂŠdia Universalis (consultĂ© le )

Bibliographie

  • Francesco Beretta, « De l’inerrance absolue Ă  la vĂ©ritĂ© salvifique de l’Écriture : L'encyclique Providentissimus Deus (1893) entre Vatican I et Vatican II », Freiburger Zeitschrift fĂŒr Philosophie und Theologie, vol. XLVI,‎ , p. 461-501, lire en ligne.
  • Francesco Beretta, « La doctrine romaine de l’inspiration de LĂ©on XIII Ă  BenoĂźt XV (1893-1920) : La production d’une nouvelle orthodoxie », dans François Laplanche, Ilaria Biagioli et Claude Langlois (dirs.), Autour d’un petit livre : Alfred Loisy cent ans aprĂšs, Turnhout, Brepols, , p. 47-60, lire en ligne.
  • Raymond E. Brown, 101 questions sur la Bible et leurs rĂ©ponses, Lexio/Cerf, 1993 (ISBN 978-2-204-11305-2), Question 31 sq, p. 67 sq
  • Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et Mythologie, Labor et Fides, GenĂšve, 2013
  • Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre, le fondamentalisme questionnĂ©, MĂ©diaspaul, 1995
  • Bart D. Ehrman, La Construction de JĂ©sus : Aux sources de la tradition chrĂ©tienne, H&O, 2010 (ISBN 9782845472174)
  • Bart D. Ehrman, JĂ©sus avant les Évangiles : Comment les premiers chrĂ©tiens se sont rappelĂ©, ont transformĂ© et inventĂ© l'histoire du Sauveur, Bayard, 2017 (ISBN 978-2-227-48913-4)
  • Josef Neuner, Heinrich Roos, Der Glaube der Kirche in den Urkunden der LehrverkĂŒndigung, Ă©d. Karl Rahner et Karl-Heinz Weger, 13e Ă©dition, Pustet Verlag, Ratisbonne, 1992 (ISBN 3-7917-0119-3)

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