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HypothĂšse de Riemann

En mathĂ©matiques, l'hypothĂšse de Riemann est une conjecture formulĂ©e en 1859 par le mathĂ©maticien allemand Bernhard Riemann, selon laquelle les zĂ©ros non triviaux de la fonction zĂȘta de Riemann ont tous une partie rĂ©elle Ă©gale Ă  1/2. Sa dĂ©monstration amĂ©liorerait la connaissance de la rĂ©partition des nombres premiers et ouvrirait des nouveaux domaines aux mathĂ©matiques.

ReprĂ©sentation du module de la fonction zĂȘta de Riemann.

Cette conjecture constitue l'un des problÚmes non résolus les plus importants des mathématiques du début du XXIe siÚcle : elle est l'un des vingt-trois fameux problÚmes de Hilbert proposés en 1900, l'un des sept problÚmes du prix du millénaire et l'un des dix-huit problÚmes de Smale. Comme pour les six autres problÚmes du millénaire, l'énoncé exact de la conjecture à démontrer est accompagné d'une description détaillée[1], fournissant de nombreuses informations sur l'historique du problÚme, son importance, et l'état des travaux à son sujet[2] ; beaucoup des remarques informelles de cette page en proviennent.

La fonction zĂȘta de Riemann

La fonction zĂȘta de Riemann est dĂ©finie pour tous les nombres complexes s de partie rĂ©elle strictement supĂ©rieure Ă  1 par

Leonhard Euler l’introduit (sans lui donner de nom) uniquement pour des valeurs rĂ©elles de l’argument (mais aussi pour ), en liaison, entre autres, avec sa solution du problĂšme de BĂąle. Il montre[3] qu'elle est donnĂ©e par le produit eulĂ©rien oĂč le produit infini porte sur tous les nombres premiers p, mais ne converge pas forcĂ©ment : en effet, dans le ThĂ©orĂšme 7 de son article, Euler donne une dĂ©monstration de cette formule pour le cas (tout en notant que ), et il l’établit en gĂ©nĂ©ral dans son ThĂ©orĂšme 8. C'est ce rĂ©sultat qui explique l'intĂ©rĂȘt de la fonction zĂȘta dans l'Ă©tude de la rĂ©partition des nombres premiers (Euler dĂ©duit par exemple du cas , dans le ThĂ©orĂšme 19 du mĂȘme article[3] que la sĂ©rie des inverses des nombres premiers est divergente). Le rĂ©sultat reste bien entendu valable lorsque l’argument est complexe.

L'hypothĂšse de Riemann porte sur les zĂ©ros de cette fonction en dehors du domaine de convergence qu'on vient de voir, ce qui peut sembler n'avoir aucun sens. L'explication tient dans la notion de prolongement analytique : on peut dĂ©montrer qu'il existe une fonction holomorphe unique dĂ©finie pour tout complexe (diffĂ©rent de 1, oĂč elle prĂ©sente un pĂŽle simple) et coĂŻncidant avec zĂȘta pour les valeurs oĂč cette derniĂšre est dĂ©finie ; on note encore ζ(s) cette nouvelle fonction.

L'une des techniques[4] pour construire ce prolongement est la suivante.

  • Il est d'abord facile de vĂ©rifier que, pour s de partie rĂ©elle > 1, on a :

or la sĂ©rie de droite (appelĂ©e fonction ĂȘta de Dirichlet) converge pour tout s de partie rĂ©elle strictement positive[5]. On prolonge ainsi ζ Ă  tous les s ≠ 1 de partie rĂ©elle > 0 (mĂȘme ceux de la forme 1 + 2ikπ/ln(2) avec k entier non nul, car on montre qu'en ces points, la fonction possĂšde une limite finie).

  • On montre ensuite, pour tout s de partie rĂ©elle strictement comprise entre 0 et 1, l'identitĂ© fonctionnelle[6] oĂč Γ est la fonction Gamma d'Euler. Il devient alors possible d'utiliser cette formule pour dĂ©finir zĂȘta pour tout s de partie rĂ©elle nĂ©gative (avec ζ(0) = –1/2 par passage Ă  la limite).

On en dĂ©duit que les entiers pairs strictement nĂ©gatifs sont des zĂ©ros de zĂȘta (appelĂ©s zĂ©ros triviaux) et que les zĂ©ros non triviaux sont symĂ©triques par rapport Ă  l'axe Re(s) = 1/2 et sont tous de partie rĂ©elle comprise, au sens large, entre 0 et 1 ; cette rĂ©gion du plan complexe s'appelle la bande critique.

De plus, il n'y a aucun zĂ©ro sur l'axe Re(s) = 1 (ce rĂ©sultat est Ă©quivalent au thĂ©orĂšme des nombres premiers[7], voir section historique ci-dessous). Du coup, l'hypothĂšse de Riemann peut se reformuler ainsi : si 0 < Re(s) < 1 et si s est un zĂ©ro de ζ (ou, ce qui revient au mĂȘme, de η), alors sa partie rĂ©elle vaut 1/2.

Historique de la conjecture

« [
] es ist sehr wahrscheinlich, dass alle Wurzeln reell sind. Hiervon wĂ€re allerdings ein strenger Beweis zu wĂŒnschen; ich habe indess die Aufsuchung desselben nach einigen flĂŒchtigen vergeblichen Versuchen vorlĂ€ufig bei Seite gelassen, da er fĂŒr den nĂ€chsten Zweck meiner Untersuchung entbehrlich schien. »

« [
] il est fort probable que toutes les racines soient rĂ©elles. Bien sĂ»r, une dĂ©monstration rigoureuse en serait souhaitable ; pour le moment, aprĂšs quelques vagues tentatives restĂ©es vaines, j'ai provisoirement mis de cĂŽtĂ© la recherche d'une preuve, car elle semble inutile pour l'objectif suivant de mes investigations. »

— Ă©noncĂ© par Riemann de l'hypothĂšse, dans l'article de 1859 ; Riemann y parle d'une fonction obtenue Ă  partir de zĂȘta, dont toutes les racines devraient ĂȘtre rĂ©elles plutĂŽt que sur la ligne critique.

Riemann mentionna la conjecture, appelĂ©e plus tard « hypothĂšse de Riemann », dans son article paru en 1859, Sur le nombre de nombres premiers infĂ©rieurs Ă  une taille donnĂ©e (Über die Anzahl der Primzahlen unter einer gegebenen Grösse en allemand)[8], dans lequel il donnait une formule explicite pour le nombre de nombres premiers π(x) infĂ©rieurs Ă  un nombre donnĂ© x.

Cette formule affirme que les zĂ©ros de la fonction zĂȘta contrĂŽlent les oscillations des nombres premiers autour de leur position « attendue ». Riemann savait que les zĂ©ros non triviaux de zĂȘta Ă©taient distribuĂ©s symĂ©triquement autour de l'axe s = Âœ + it, et aussi qu'ils devaient tous ĂȘtre dans la bande critique 0 ≀ Re(s) ≀ 1. Il vĂ©rifia que les premiers zĂ©ros avaient pour partie rĂ©elle exactement 1/2 (ce point sera discutĂ© plus bas ; il s'agit bien d'une dĂ©monstration, et non d'un calcul numĂ©rique approchĂ©) et suggĂ©ra qu'ils pourraient bien ĂȘtre tous sur l'axe de symĂ©trie (la ligne critique) Re(s)=1/2 ; c'est cette conjecture qu'on appelle l'hypothĂšse de Riemann.

En 1896, Hadamard et La VallĂ©e-Poussin prouvĂšrent indĂ©pendamment qu'aucun zĂ©ro ne pouvait se trouver sur la ligne Re(s) = 1, et donc que tous les zĂ©ros non triviaux devaient se trouver dans l'intĂ©rieur de la bande critique 0 < Re(s) < 1. Ceci s'avĂ©ra ĂȘtre un rĂ©sultat-clĂ© dans la premiĂšre dĂ©monstration complĂšte du thĂ©orĂšme des nombres premiers.

En 1900, Hilbert inclut l'hypothÚse de Riemann dans sa célÚbre liste de 23 problÚmes non résolus : c'est le 8e problÚme. Il aurait dit à son propos : « Si je devais me réveiller aprÚs avoir dormi pendant mille ans, ma premiÚre question serait : l'hypothÚse de Riemann a-t-elle été prouvée[9] ? ».

En 1914, Hardy prouva qu'il y a une infinité de zéros sur la droite critique Re(s) = 1/2. Cependant il reste possible qu'il y ait une infinité de zéros non triviaux ailleurs. Des travaux ultérieurs de Hardy et Littlewood en 1921, puis de Selberg en 1942 ont donné une estimation de la densité moyenne de zéros sur la droite critique.

Des travaux plus rĂ©cents se sont focalisĂ©s sur le calcul explicite d'endroits oĂč se trouvent beaucoup de zĂ©ros (dans l'espoir de trouver un contre-exemple) et de placer des bornes supĂ©rieures sur la proportion de zĂ©ros se trouvant ailleurs que sur la droite critique (dans l'espoir de la rĂ©duire Ă  zĂ©ro).

L'hypothÚse de Riemann est l'un des sept problÚmes de Hilbert non encore résolus, et fut d'ailleurs le seul problÚme de Hilbert choisi pour figurer dans la liste des problÚmes du prix du millénaire de l'institut de mathématiques Clay.

Tests numériques

DĂšs l'Ă©noncĂ© par Riemann de la conjecture, des calculs numĂ©riques des premiers zĂ©ros non triviaux de la fonction permirent de la confirmer (on trouvera dans la table ci-dessous un exposĂ© des divers rĂ©sultats obtenus). Dans les annĂ©es 1980, Andrew Odlyzko s'Ă©tait spĂ©cialisĂ© dans ce type de calcul, et on affirme ainsi gĂ©nĂ©ralement que le milliard et demi de zĂ©ros calculĂ©s par lui vĂ©rifient tous l'hypothĂšse de Riemann ; on pourrait penser que cela signifie seulement qu'ils sont positionnĂ©s assez prĂšs de la droite critique (au sens oĂč l'imprĂ©cision de calcul ne permettrait pas d'exclure qu'ils peuvent y ĂȘtre exactement) ; il n'en est rien, comme on va le voir. Cependant, si on a une certitude mathĂ©matique pour, mettons, les premiers millions de zĂ©ros, la complexitĂ© (y compris informatique) des calculs rend plus relative la confiance qu'on peut avoir dans les derniers rĂ©sultats ; cette question est soigneusement analysĂ©e par Xavier Gourdon 2004 (page 3, et plus prĂ©cisĂ©ment section 3.3.1) oĂč il annonce le record de vĂ©rification des 1013 premiers zĂ©ros (et des tests statistiques sur des zĂ©ros bien plus Ă©loignĂ©s encore).

Les mĂ©thodes de vĂ©rification numĂ©rique partent le plus souvent de la remarque selon laquelle la fonction : a les mĂȘmes zĂ©ros que zĂȘta dans la bande critique, et qu'elle est rĂ©elle sur la droite critique (Ă  cause de l'Ă©quation fonctionnelle vue plus haut reliant et ). Il est alors facile de montrer l'existence d'au moins un zĂ©ro entre deux points de cette droite en vĂ©rifiant numĂ©riquement que cette fonction a des signes opposĂ©s en ces deux points. En pratique, on utilise la fonction Z (en) de Hardy et la fonction Ξ de Riemann-Siegel, avec : ; en dĂ©terminant de nombreux intervalles dans lesquels Z change de signe, on montre l'existence du mĂȘme nombre de zĂ©ros sur la ligne critique. Pour contrĂŽler l'hypothĂšse de Riemann jusqu'Ă  une partie imaginaire T donnĂ©e, il reste Ă  dĂ©montrer qu'il n'y a pas d'autres zĂ©ros dans cette rĂ©gion ; il suffit pour cela de calculer le nombre total de zĂ©ros dans la rĂ©gion en question (le rectangle de sommets 0,1, iT et 1+iT), ce qui peut se faire en appliquant le thĂ©orĂšme des rĂ©sidus Ă  la fonction 1/ζ (techniquement, le problĂšme d'Ă©ventuels zĂ©ros doubles fait qu'on utilise en rĂ©alitĂ© la fonction ζ'/ζ, mĂȘme si une autre conjecture est qu'il n'en existe pas) : comme ce nombre doit ĂȘtre entier, un calcul numĂ©rique suffisamment prĂ©cis de l'intĂ©grale appropriĂ©e donne une certitude. La table suivante recense les calculs effectuĂ©s jusqu'ici (lesquels, bien sĂ»r, ont tous confirmĂ© l'hypothĂšse) et donne des indications sur les mĂ©thodes utilisĂ©es.


Année Nombre de zéros Auteurs et méthodes utilisées
1859? 3 B. Riemann utilise la formule de Riemann-Siegel (non publié, mais cité par Siegel 1932).
1903 15 J. P. Gram 1903 utilise la formule d'Euler-Maclaurin et découvrit la loi de Gram. Il montre que les 10 zéros de partie imaginaire inférieure à 50 sont sur la droite critique en calculant la somme des puissances 10-Úmes des zéros qu'il a trouvés.
1914 79 (Îłn ≀ 200) R. J. Backlund 1914 introduit une meilleure mĂ©thode de contrĂŽle, en Ă©tudiant l'argument S(T) de la fonction zĂȘta.
1925 138 (Îłn ≀ 300) J. I. Hutchinson 1925 dĂ©couvre la premiĂšre exception Ă  la loi de Gram, au point de Gram g126.
1935 195 E. C. Titchmarsh 1935 utilise la formule de Riemann-Siegel, qui vient d'ĂȘtre redĂ©couverte, et qui est beaucoup plus rapide que la formule sommatoire d'Euler : il faut environ O(T3/2+Δ) Ă©tapes pour tester des zĂ©ros de partie imaginaire infĂ©rieure Ă  T, alors que la mĂ©thode d'Euler-Maclaurin prend environ O(T2+Δ) Ă©tapes.
1936 1041 E. C. Titchmarsh 1936 et L. J. Comrie sont les derniers à calculer des zéros à la main.
1953 1104 A. M. Turing 1953 trouve une méthode plus efficace pour contrÎler l'absence de zéros en dehors de la droite critique jusqu'à la hauteur T, en vérifiant que Z a le signe correct en plusieurs points de Gram consécutifs, et en utilisant le fait que S(T) est de valeur moyenne 0. Cela ne demande presque aucun calcul supplémentaire, car le signe de Z aux points de Gram est déjà connu ; cette méthode est toujours la plus fréquemment utilisée. Ce calcul est le premier à avoir été effectué par un ordinateur.
1956 15000 D. H. Lehmer 1956 découvre quelques cas de zéros « tout juste » sur la ligne : deux zéros sont si proches qu'il est difficile de montrer un changement de signe entre eux. Ceci est appelé le « phénomÚne de Lehmer », et se produit pour la premiÚre fois aux zéros de partie imaginaire 7005,063 et 7005,101, qui diffÚrent de seulement 0,04, alors que l'écart moyen entre d'autres zéros dans cette région est de l'ordre de 1.
1956 25000 D. H. Lehmer
1958 35337 N. A. Meller
1966 250000 R. S. Lehman
1968 3500000 Rosser, Yohe et Schoenfeld 1969 Ă©noncent la rĂšgle de Rosser (voir plus bas).
1977 40000000 R. P. Brent
1979 81000001 R. P. Brent
1982 200000001 R. P. Brent, J. van de Lune, H. te Riele, D. T. Winter
1983 300000001 J. van de Lune, H. te Riele
1986 1500000001 van de Lune, te Riele et Winter 1986 donnent des informations statistiques sur la rĂ©partition des zĂ©ros, et dĂ©terminent plusieurs graphes de Z en des points oĂč son comportement est inattendu.
1987 Quelques zéros à de grandes hauteurs A. M. Odlyzko 1987 calcule, avec une grande précision, un nombre beaucoup plus petit de zéros, mais à des hauteurs T de l'ordre de 1012, pour tester la conjecture de Montgomery sur les corrélations entre paires de zéros.
1992 Quelques zéros à de grandes hauteurs A. M. Odlyzko 1992 calcule quelques autres zéros à des hauteurs allant jusqu'à 1020, accompagnés d'une discussion approfondie des résultats.
2001 10000000000 J. van de Lune (non publié)
2004 900000000000 S. Wedeniwski (ZetaGrid ; informatique répartie)
2004 10000000000000 Xavier Gourdon 2004 et Patrick Demichel utilisent l'algorithme d'Odlyzko-Schönhage. Ils vérifient également quelques zéros à des hauteurs bien plus grandes.

Essais de démonstration

Des approches directes ayant réguliÚrement échoué, plusieurs lignes d'attaque plus élaborées ont été proposées. Il est d'abord possible de transformer l'hypothÚse en termes de théorie des nombres ; on montre par exemple que plusieurs conjectures, comme la conjecture de Mertens, entraßneraient l'hypothÚse de Riemann (on dit qu'elles sont plus fortes). Malheureusement, cette approche n'a eu comme seul résultat que de réfuter, par exemple, la conjecture de Mertens.

Certaines conjectures analogues, Ă  premiĂšre vue plus gĂ©nĂ©rales, se sont paradoxalement rĂ©vĂ©lĂ©es un peu plus faciles Ă  dĂ©montrer. C'est le cas des conjectures de Weil, dans lesquelles la fonction zĂȘta est remplacĂ©e par les fonctions L : elles ont Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©es par Pierre Deligne en 1974 Ă  l'aide des puissants outils de gĂ©omĂ©trie algĂ©brique dĂ©veloppĂ©s par Alexandre Grothendieck, mais cette technique semble impossible Ă  adapter au cas de la fonction zĂȘta.

Une autre piste part d'Ă©tranges analogies entre la rĂ©partition empirique des zĂ©ros connus et le spectre de certains opĂ©rateurs ; lĂ  encore, il n'a pas Ă©tĂ© possible d'en tirer mĂȘme un plan d'attaque.

En , une percée jugée prometteuse[10] reprend un résultat de 1927 dû à George Pólya qui relie l'hypothÚse à une propriété des zéros de certains polynÎmes (les polynÎmes de Jensen) ; Ken Ono, Don Zagier et deux autres chercheurs démontrent cette propriété pour une vaste classe de polynÎmes (insuffisante néanmoins pour résoudre le problÚme) par une approche complÚtement originale[11].

Arguments pour et contre l'hypothĂšse de Riemann

Les articles mathĂ©matiques sur l'hypothĂšse de Riemann ont tendance Ă  refuser prudemment de s'engager quant Ă  sa vĂ©ritĂ©. Parmi les auteurs qui expriment une opinion, la plupart, comme Riemann lui-mĂȘme[12] et Bombieri[1] laissent entendre qu'ils s'attendent Ă  ce qu'elle soit vraie, ou du moins qu'ils l'espĂšrent. Quelques auteurs expriment de sĂ©rieux doutes Ă  son sujet, comme Ivić[13], qui Ă©numĂšre quelques raisons Ă  son scepticisme, et Littlewood[14], qui dĂ©clare carrĂ©ment qu'il la croit fausse et qu'il n'y a aucune raison imaginable pour qu'elle soit vraie. Les articles de synthĂšse s'accordent Ă  dire que les preuves sont fortes mais pas accablantes, de sorte que, mĂȘme si elle est probablement vraie, il existe un doute raisonnable ; ils listent Ă  ce sujet les arguments suivants[1] - [15] - [16] - [13] :

  • Plusieurs rĂ©sultats analogues ont Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©s ; la dĂ©monstration des conjectures de Weil par Deligne[17] (correspondant au cas des variĂ©tĂ©s sur un corps fini) est peut-ĂȘtre la plus forte raison thĂ©orique en faveur de l’hypothĂšse, et donne des raisons d’espĂ©rer que soit vraie une conjecture plus gĂ©nĂ©rale, portant sur les fonctions analogues associĂ©es Ă  des formes automorphes. De mĂȘme, des analogues de l’hypothĂšse de Riemann sont vraies pour les fonctions zĂȘta de Selberg, et pour la fonction zĂȘta de Goss. En revanche, certaines fonctions zĂȘta d'Epstein (en) ne la vĂ©rifient pas, mais ces fonctions ont moins d’analogies avec la fonction de Riemann, n’ayant pas de produit eulĂ©rien ni de relations avec des formes automorphes[18].
  • Il semblerait Ă  premiĂšre vue que la vĂ©rification numĂ©rique de ce que tous les zĂ©ros jusqu’à une hauteur T de sont sur la droite critique est une forte confirmation de l’hypothĂšse. Mais en thĂ©orie analytique des nombres, il est souvent arrivĂ© que des conjectures de ce genre soient rĂ©futĂ©es, les premiĂšres exceptions se produisant pour des valeurs bien plus grandes que ce que permet de tester une approche directe, comme dans le cas de la conjecture ayant donnĂ© naissance au nombre de Skewes. Le problĂšme vient de ce que le comportement de la fonction zĂȘta Ă  la hauteur T est influencĂ© par des termes grandissant comme log log T, et tendant vers l'infini si lentement que le calcul ne permet pas de les dĂ©tecter : ainsi, un terme correctif (notĂ© gĂ©nĂ©ralement S(T) dans la littĂ©rature) augmenterait de 2 Ă  chaque passage de zĂ©ros non sur la droite critique, or il se comporte en (log log T)1/2 et ne dĂ©passe guĂšre 3 partout oĂč on a pu le calculer ; T devrait donc ĂȘtre supĂ©rieur Ă  pour que l'on ait une chance, selon ce raisonnement, de voir apparaĂźtre des contre-exemples Ă  la conjecture ; une telle hauteur est inaccessible au calcul avec nos mĂ©thodes actuelles.
  • Arnaud Denjoy a donnĂ© un argument probabiliste en faveur de l'hypothĂšse de Riemann[19], basĂ© sur la remarque selon laquelle si ÎŒ est une suite alĂ©atoire de "1" et de "−1", alors pour tout Δ > 0, les sommes partielles (dont les valeurs sont les positions d'une marche alĂ©atoire) satisfont presque sĂ»rement . L'hypothĂšse de Riemann est Ă©quivalente Ă  ce rĂ©sultat pour la fonction de Möbius ÎŒ et pour la fonction de Mertens M correspondante ; en d'autres mots, l'hypothĂšse de Riemann est en un certain sens Ă©quivalente Ă  dire que la fonction de Möbius se comporte comme une suite de tirages au sort Ă  pile ou face, et compte tenu de la dĂ©finition de cette fonction, Ă  dire que la paritĂ© du nombre de facteurs premiers d'un entier se comporte au hasard. En thĂ©orie des nombres, des arguments de ce genre donnent souvent la bonne rĂ©ponse, mais s'avĂšrent difficiles Ă  rendre rigoureusement , et Ă©chouent parfois, comme dans le cas du thĂ©orĂšme de Maier (en).
  • Les calculs faits par Odlyzko[20] montrent que les zĂ©ros de la fonction zĂȘta se comportent comme les valeurs propres d'une matrice hermitienne alĂ©atoire, suggĂ©rant que ce pourraient ĂȘtre les valeurs propres d'un opĂ©rateur auto-adjoint (ce qui impliquerait l'hypothĂšse de Riemann). Cependant, toutes les tentatives de construire un tel opĂ©rateur ont Ă©chouĂ©.
  • Plusieurs thĂ©orĂšmes, comme la conjecture faible de Goldbach, d'abord dĂ©montrĂ©s Ă  l'aide de l'hypothĂšse de Riemann (gĂ©nĂ©ralisĂ©e), furent par la suite dĂ©montrĂ©s inconditionnellement. Cela peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une indication de ce que l'hypothĂšse est vraie.
  • L'existence de paires de Lehmer (en)[21] (deux zĂ©ros trĂšs proches) est parfois vue comme indication de ce que l'hypothĂšse est fausse. Mais cela se produirait mĂȘme si elle Ă©tait vraie, comme le montrent les calculs d'Odlyzko confirmant la conjecture de Montgomery (en).
  • Samuel James Patterson (en) suggĂšre que pour la plupart des mathĂ©maticiens, l'argument le plus fort en faveur de l'hypothĂšse est l'espoir que les nombres premiers soient distribuĂ©s le plus rĂ©guliĂšrement possible[22].

Pseudo-démonstrations

De nombreuses preuves supposĂ©es de l'hypothĂšse de Riemann sont rĂ©guliĂšrement proposĂ©es, principalement sur Internet, ainsi que quelques infirmations, souvent le fait d'amateurs en marge du systĂšme universitaire traditionnel, mais parfois aussi de mathĂ©maticiens professionnels, mais s’éloignant de leur domaine d’expertise (les plus cĂ©lĂšbres de ces derniĂšres tentatives Ă©tant dues Ă  Louis de Branges en 2004 et Ă  Michael Atiyah en 2018). Aucun de ces travaux n'a pour le moment reçu l'assentiment de la communautĂ© mathĂ©matique.

Le site du mathĂ©maticien britannique Matthew R. Watkins[23] recense quelques-unes de ces supposĂ©es preuves — y compris des « preuves » que l'hypothĂšse serait fausse —, en plus de quelques parodies.

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Riemann hypothesis » (voir la liste des auteurs).
  1. (en) Enrico Bombieri, « The Riemann Hypothesis ».
  2. Le texte de Bombieri a été mis à jour en 2004 par Peter Sarnak : (en) Problems of the Millennium: The Riemann Hypothesis (2004), une analyse des travaux récents.
  3. Leonhard Euler. Variae observationes circa series infinitas. Commentarii academiae scientiarum Petropolitanae 9, 1744, pp. 160-188, ThéorÚmes 7 et 8.
  4. Pour d'autres mĂ©thodes, voir Fonction zĂȘta de Riemann#Extension Ă  ℂ-{1}.
  5. Mais si 0 < Re(s) < 1, la convergence (Ă©videmment non absolue) est excessivement lente ; cette sĂ©rie, sous cette forme, ne permet absolument pas le calcul numĂ©rique de zĂȘta ; il est heureusement possible de la transformer grĂące Ă  la formule d'Euler-Maclaurin pour obtenir une convergence rapide.
  6. Voir Fonction zĂȘta de Riemann#Relation fonctionnelle pour une dĂ©monstration de cette identitĂ©.
  7. (en) Peter Borwein, The Riemann Hypothesis : A Resource for the Afficionado and Virtuoso Alike, Springer, (lire en ligne), p. 16.
  8. Le manuscrit original, sur le site du Clay Institute, et sa traduction en français par L. Laugel, sur wikisource.
  9. (en) Richard Bellman, A Brief Introduction of Theta Functions (Holt, 1961) p. 33-34
  10. (en) Enrico Bombieri, « New progress on the zeta function: From old conjectures to a major breakthrough », PNAS,‎ (lire en ligne).
  11. (en) Michael Griffin, Ken Ono, Larry Rolen et Don Zagier, « Jensen polynomials for the Riemann zeta function and other sequences », PNAS,‎ (lire en ligne).
  12. Article de Riemann : manuscrit, transcription en allemand et traduction en anglais.
  13. (en) Aleksandar Ivić, The Riemann Hypothesis: A Resource for the Afficionado and Virtuoso Alike, New York, Springer, coll. « CMS Books in Mathematics », (ISBN 978-0-387-72125-5, arXiv math.NT/0311162), « On some reasons for doubting the Riemann hypothesis », p. 131–160.
  14. (en) J. E. Littlewood, The scientist speculates: an anthology of partly baked idea, New York, Basic books, , « The Riemann hypothesis »
  15. (en) Peter Sarnak, « Problems of the Millennium: The Riemann Hypothesis (2004) », Institut de mathématiques Clay, (consulté le ).
  16. (en) J. B. Conrey, « More than two fifths of the zeros of the Riemann zeta function are on the critical line », J. Reine Angew. Math., vol. 1989, no 399,‎ , p. 1–26 (DOI 10.1515/crll.1989.399.1, MR 1004130, S2CID 115910600, lire en ligne)
  17. Pierre Deligne, « La conjecture de Weil. I », Publications mathĂ©matiques de l'IHÉS, vol. 43,‎ , p. 273–307 (DOI 10.1007/BF02684373, MR 0340258, S2CID 123139343, lire en ligne)
  18. (en) Edward Charles Titchmarsh, The theory of the Riemann zeta-function, The Clarendon Press Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-853369-6, MR 882550)
  19. (en) H. M. Edwards, Riemann's Zeta Function, New York, Dover Publications, (ISBN 978-0-486-41740-0, MR 0466039)
  20. Odlyzko 1987.
  21. Lehmer 1956.
  22. (en) S. J. Patterson, An introduction to the theory of the Riemann zeta-function, vol. 14, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Advanced Mathematics », (ISBN 978-0-521-33535-5, DOI 10.1017/CBO9780511623707, MR 933558), p. 75
  23. (en) Matthew R. Watkins, « proposed (dis)proofs of the Riemann Hypothesis », sur Exeter University's School of Engineering, Computing and Mathematics (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Albert E. Ingham, The Distribution of Prime Numbers, Cambridge University Press, Cambridge Tracts in Mathematics and Mathematical Physics vol. 30, . RĂ©impression 1990, (ISBN 978-0-521-39789-6).
  • (en) Aleksandar Ivić, The Riemann Zeta Function, John Wiley & Sons, New York, , 517 p. (ISBN 978-0-471-80634-9) (RĂ©impression Dover 2003).
  • (en) Edward Charles Titchmarsh, The theory of the Riemann zeta-function, The Clarendon Press Oxford University Press, , 412 p. (ISBN 978-0-19-853369-6, lire en ligne)

Ouvrages de vulgarisation

  • John Derbyshire (en), Dans la jungle des nombres premiers, Dunod, , 390 p. (ISBN 978-2-10-050046-8 et 2-10-050046-5)
    traduction de (en) John Derbyshire, Prime Obsession, Joseph Henry Press, Washington, DC, , 446 p. (ISBN 978-0-309-08549-6, lire en ligne)
  • (en) Karl Sabbagh, The Riemann Hypothesis : The Greatest Unsolved Problem in Mathematics, Farrar, Straus and Giroux, (ISBN 0-374-52935-3).
  • Rossana Tazzioli, Riemann, le gĂ©omĂštre de la nature, Belin (ISBN 978-2-84245-106-6 et 2-84245-106-6)
  • Marcus du Sautoy (trad. de l'anglais), La Symphonie des nombres premiers, Paris, Éditions HĂ©loĂŻse d'Ormesson, 491 p. (ISBN 978-2-35087-011-3 et 2-35087-011-1)

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