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Henri PĂ©lissier

Jean-Henri-Auguste Pélissier, dit Henri Pélissier, né le à Paris (18e arrondissement) et mort le à Dampierre (Yvelines), est un cycliste français. Vainqueur du Tour de France 1923, il s'est également classé deuxième de l'épreuve en 1914 et y a remporté dix victoires d'étape en huit participations. Il est aussi le seul vainqueur français du Tour entre 1911 et 1930.

Henri PĂ©lissier
Henri PĂ©lissier en 1919.
Informations
Nom de naissance
Jean Henri Auguste PĂ©lissier
Naissance
Décès
SĂ©pulture
Nationalité
Équipes professionnelles
1911
1912-1913
1914
1915-1918
1919-1921
1922-1923
1923-1925
1926-1928
Thomann et Bianchi
Alcyon
Peugeot-Wolber
Individuel
La Sportive
J.B. Louvet
Automoto
Dilecta-Wolber
Équipes dirigées
Principales victoires

Professionnel de 1911 à 1928, il est considéré comme l'un des meilleurs cyclistes français de la première moitié du XXe siècle, comme en témoigne son palmarès, riche de nombreux succès sur les classiques. Il compte notamment deux victoires sur Paris-Roubaix, en 1919 et 1921, trois victoires sur le Tour de Lombardie, en 1911, 1913 et 1920, ainsi que des succès sur Milan-San Remo en 1912, Bordeaux-Paris en 1919, Paris-Tours en 1922, ou encore Paris-Bruxelles en 1920. Il obtient également un titre de champion de France en 1919. Ses frères Francis et Charles mènent eux aussi une carrière de cycliste professionnel, avec succès.

Champion hors-norme, irascible, orgueilleux et susceptible, Henri Pélissier jouit d'une immense popularité auprès du public mais s'attire également des ennemis dans le monde du cyclisme, au premier rang desquels se trouve Henri Desgrange, dont les critiques acerbes suivent les fréquents abandons du coureur dans le Tour de France. Les frères Henri et Francis Pélissier marquent également l'histoire du Tour en 1924. Leurs propos recueillis par le célèbre journaliste Albert Londres dans un café après leur abandon à Coutances donnent naissance à la légende des « forçats de la route ». Ils y dénoncent l'autoritarisme de Henri Desgrange, le manque de considération et de respect envers l'intégrité physique des coureurs et mettent au jour les pratiques dopantes qui courent alors dans le peloton.

Henri Pélissier meurt en 1935 après une dispute conjugale. Il est abattu par sa compagne, Camille Tharault, qui souhaite protéger sa jeune sœur, balafrée au visage par le couteau dont Henri s'est servi pour la punir d'une réflexion qui l'avait rendu furieux.

Biographie

Jeunes années (1889-1906)

Jean-Henri-Auguste PĂ©lissier[1] naĂ®t le dans le 18e arrondissement de Paris. Il est le deuxième d'une famille de cinq enfants[Note 1]. Sa mère, Élisa-Augustine Cas, originaire de Revin dans les Ardennes[1], est orpheline et travaille un temps comme serveuse dans un cafĂ© de la rue Ramey Ă  Paris, avant de rencontrer son mari[A 1]. Jean PĂ©lissier, originaire de Polminhac dans le Cantal, arrive dans la rĂ©gion parisienne Ă  l'âge de 13 ans, oĂą il travaille dans un premier temps comme vacher dans une ferme de Levallois, avant de s'installer Ă  son compte, au no 10 de la rue Mesnil Ă  Paris, Ă  la « Vacherie de l'EspĂ©rance ». Dès l'âge de 10 ans, Henri participe aux travaux de la ferme : il trait les vaches chaque matin puis assure la livraison des bouteilles de lait aux clients du quartier avant de se rendre Ă  l'Ă©cole. En 1900, il reçoit son premier vĂ©lo de la part de son père, une bicyclette de femme achetĂ©e d'occasion qui ne correspond pas Ă  sa taille, mais qui tĂ©moigne de l'aisance de la famille : Henri est alors l'un des seuls enfants Ă  possĂ©der un vĂ©lo dans le quartier[A 2].

Il tombe malade peu après, atteint d'anĂ©mie, puis est envoyĂ© chez sa grand-mère paternelle, Ă  Polminhac, pour se soigner. LĂ -bas, il reçoit un nouveau vĂ©lo, plus adaptĂ© Ă  sa morphologie et Ă©quipĂ© de pneus dĂ©montables. Il rentre Ă  Paris en , Ă  l'âge de 13 ans, et son père dĂ©cide qu'il doit quitter l'Ă©cole. Dès lors, Henri se consacre pleinement aux travaux de la ferme, tandis qu'avec son frère Jean, ils occupent leur temps libre Ă  faire du vĂ©lo avec des camarades du quartier, parmi lesquels LĂ©on Comès et Maurice Schilles[A 3]. Il Ă©conomise peu Ă  peu pour s'offrir en secret son premier vĂ©lo de course Ă©quipĂ© de boyaux, de marque Labor, qu'il cache chez un ami. Avec LĂ©on Comès, il dispute sa première course en sur la piste du Parc des Princes, une Ă©preuve organisĂ©e par le Club des Tout-Petits et rĂ©servĂ©e aux coureurs âgĂ©s de moins de 17 ans. Il est Ă©liminĂ© dès la première sĂ©rie. L'annĂ©e suivante, il remporte son premier succès, une course disputĂ©e de Ville-d'Avray Ă  Coignières et retour[A 4].

Cycliste amateur et apprenti Ă©lectricien (1906-1910)

En 1906, Henri PĂ©lissier intègre le club de l'Union VĂ©locipĂ©dique du 16e arrondissement, puis la France AthlĂ©tique et Sportive, mais n'obtient pas, dans un premier temps, de rĂ©sultats notables. Il remporte sa première course interclubs en , le Grand Prix de Clichy, en profitant du dĂ©classement des douze premiers coureurs qui ont commis une erreur de parcours. Il reçoit en rĂ©compense un vĂ©lo de course qu'il revend aussitĂ´t, pour un montant de 150 francs. La mĂŞme annĂ©e, en conflit avec son père qui l'Ă©lève de manière autoritaire, il quitte le domicile familial. HĂ©bergĂ© pendant plusieurs mois chez un cousin Ă  Issy-les-Moulineaux, il est embauchĂ© comme apprenti Ă©lectricien chez un artisan de la rue de la Tour puis, avec ses Ă©conomies, loue une chambre de bonne de la rue Poussin. Dès lors, Henri PĂ©lissier court de manière plus rĂ©gulière, mais ses performances sont plutĂ´t discrètes, hormis une deuxième place sur le Prix J.O.G. et une sixième place dans le championnat de France des 100 kilomètres, disputĂ© entre Amiens et Beauvais[A 4].

Au début de l'année 1909, alors qu'il pose des fils électriques dans un bâtiment en construction, il est atteint d'un malaise. Les examens révèlent une congestion pulmonaire. Il passe plusieurs jours dans le coma, puis sa convalescence dure jusqu'au mois d'avril suivant. De retour à la compétition en mai, il se classe régulièrement dans les dix premiers tout au cours de la saison : troisième du Prix de Comte-Robert, de Paris-Maintenon et de Paris-Château-Thierry, septième du Prix de Lyon Républicain, huitième du championnat de Paris ou encore dixième de Paris-Dieppe. Pour la saison 1910, le président de son club décide de quitter l'Union vélocipédique de France et affilie sa société à une fédération concurrente, la Fédération cycliste et athlétique de France (FCAF). Le niveau des épreuves est sensiblement moins relevé et Henri Pélissier enchaîne les succès, notamment sur Villers-Meaux-Villers, Paris-Paris Plage et Paris-Le Havre, une épreuve organisée par la Société Sportive de Suresnes[A 5] - [2]. C'est lors de cette dernière épreuve qu'il fait la connaissance de Henri Manchon, le secrétaire général du club, qui devient alors son soigneur personnel[A 6].

Le Tour de France des Indépendants (1910-1911)

Photographie en noir et blanc montrant un cycliste debout à côté de son vélo, entouré de deux hommes.
Henri Pélissier à l'arrivée de la dernière étape du Tour des Indépendants.

Henri Pélissier prend la décision de quitter son emploi d'électricien et souhaite participer au Tour de France des Indépendants, organisé par Peugeot en quinze étapes d'août à septembre. Léopold Alibert, directeur sportif de Peugeot, refuse de l'engager, jugeant qu'il n'est pas assez solide physiquement. Il est finalement recruté par Alphonse Thomann, l'un des fondateurs de la Société Sportive de Suresnes et jeune constructeur de cycles qui monte une équipe de quatre coureurs pour cette épreuve, dont le Suisse Oscar Egg. Henri Manchon est alors désigné comme soigneur de l'équipe[A 6]. Henri Pélissier se classe deuxième de la première étape entre Paris et Reims, remportée par René Guénot, puis connaît des difficultés lors des deux étapes suivantes, vers Nancy et Belfort. Il fait son retour au premier plan en se classant cinquième à Chalon-sur-Saône, troisième à Valence et deuxième à Marseille. Il se distingue plus tard en gagnant la neuvième étape entre Toulouse et Bordeaux, ce qui lui permet de remonter au troisième rang du classement général, établi au point.

Henri se dit victime d'une injustice lors de l'étape suivante à La Rochelle, visant à favoriser les deux premiers du classement général, René Guénot et Léon Valloton, tous deux équipés par Peugeot. Il conteste son classement, sans succès, et envisage d'abandonner. Henri Manchon le convainc de poursuivre et après une deuxième place dans la dernière étape à Paris, Henri Pélissier monte finalement sur la troisième marche du podium de ce Tour des Indépendants, derrière Guénot et Valloton. Ses gains sur l'épreuve sont conséquents et Henri, de retour chez ses parents, se réconcilie avec son père[A 6].

Succès en Italie (1911-1913)

Henri PĂ©lissier en 1911.

Henri PĂ©lissier passe professionnel en 1911 au sein de l'Ă©quipe Thomann, filiale du groupe Alcyon, pour un salaire mensuel de 150 francs. Gustave Garrigou et François Faber, deux anciens vainqueurs du Tour de France, le conseillent lors de sa prĂ©paration hivernale et l'emmènent avec eux en AlgĂ©rie et en Tunisie. Ses premiers rĂ©sultats ne sont pas convaincants, hormis quelques places d'honneur sur les Ă©tapes du Tour de Belgique[A 7]. En consĂ©quence, son directeur sportif Alphonse BaugĂ© refuse de l'engager sur le Tour de France, estimant qu'il n'est pas assez expĂ©rimentĂ© pour dĂ©fendre ses chances sur une telle Ă©preuve. PĂ©lissier rĂ©pond alors Ă  l'appel de Lucien Petit-Breton qui lui propose de courir avec lui en Italie pour le compte de l'Ă©quipe Fiat[A 8].

Portrait en noir et blanc d'un homme vĂŞtu d'un costume et portant une casquette.
Lucien Petit-Breton entraîne Henri Pélissier sur des courses italiennes.

Le , il participe au Tour de Romagne-Toscane et s'Ă©chappe dès le premier col. Son directeur sportif Fabio Orlandini le convainc alors de couper son effort car il se trouve trop loin de l'arrivĂ©e. Sur les conseils de Lucien Petit-Breton, PĂ©lissier tente une nouvelle attaque dans le dernier col du parcours, ce qui le place seul en tĂŞte. Mais Ă  quelques kilomètres de l'arrivĂ©e, il chute lourdement dans la descente et doit abandonner. Après plusieurs jours de convalescence, il prend le dĂ©part le de la Course des Trois Capitales, une Ă©preuve en trois Ă©tapes dont le classement est Ă©tabli par points[Note 2]. Lors de la première Ă©tape qui s'achève Ă  Parme, il se classe troisième derrière Giovanni Micheletto et Luigi Ganna, puis termine deuxième Ă  Florence le lendemain derrière Micheletto. Il occupe alors le deuxième rang du classement gĂ©nĂ©ral avec 5 points, soit le mĂŞme total que Ganna, Ă  trois longueurs de Micheletto. Ce dernier est victime d'une crevaison peu après le dĂ©part de la troisième Ă©tape et PĂ©lissier en profite pour se dĂ©tacher. Rejoint par Dario Beni, il lui cède la victoire d'Ă©tape Ă  Rome en Ă©change de sa collaboration Ă  l'Ă©chappĂ©e. La deuxième place de l'Ă©tape suffit Ă  PĂ©lissier pour s'assurer la victoire au classement gĂ©nĂ©ral. Fort de ce succès, il remporte quelques jours plus tard une deuxième victoire sur les terres italiennes : il s'impose dans Milan-Turin en rĂ©glant au sprint un petit groupe d'Ă©chappĂ©s[A 8].

À son retour en France, les journalistes minimisent la performance de Pélissier car ils jugent que les succès qu'il a obtenus ne l'ont été que sur des courses de seconde zone. Piqué au vif, il souhaite montrer son talent sur des épreuves françaises et prend le départ de Paris-Menin. Après avoir tenté de s'échapper, il abandonne, exténué. En fin de saison, Henri Pélissier revient en Italie pour disputer le Tour de Lombardie, le . Il prend le départ de la course à Milan, de nouveau sous les couleurs de la marque Fiat, et s'impose au sprint devant Giovanni Micheletto et Cyrille Van Hauwaert. Il obtient ainsi sa première victoire dans une grande classique[A 8].

En 1912, Henri Pélissier rejoint les rangs de la formation Alcyon. Le , il confirme sa réussite sur les courses italiennes en s'imposant sur Milan-San Remo devant un autre coureur français, Gustave Garrigou. Sur le Tour de Belgique, il gagne deux étapes à Namur et Erquelinnes, et se trouve en tête du classement général avant le départ de la septième et dernière étape. Retardé par une série d'incidents mécaniques, il doit finalement laisser la victoire finale à son coéquipier belge, Odile Defraye[A 9]. Henri Pélissier figure ensuite parmi les entraîneurs de Gustave Garrigou dans Bordeaux-Paris, mais tous les deux tombent dans une descente à la sortie de Dourdan et Pélissier se fracture la cheville gauche. À peine rétabli, il est intégré à l'équipe Alcyon pour le Tour de France, mais abandonne dans la quatrième étape entre Belfort et Chamonix car sa cheville le fait toujours souffrir[A 9].

Du Tour de Lombardie au podium du Tour de France (1913-1914)

Portrait en noir et blanc d'un cycliste sur son vélo.
Henri PĂ©lissier en 1913.

Une chute à l'entraînement perturbe le début de la saison 1913 d'Henri Pélissier. Après un abandon sur le Tour de Belgique, il est engagé sur Bordeaux-Paris par Ludovic Feuillet, le nouveau directeur sportif de l'équipe Alcyon, mais les conditions météorologiques défavorables ont raison de lui et il se retire de la course au point de contrôle de Châtellerault[A 9]. Il remporte sa première victoire d'étape sur le Tour de France, à l'occasion de la troisième étape entre Cherbourg et Brest, où il règle au sprint un groupe de neuf coureurs[3]. Mais une nouvelle fois, Henri Pélissier ne termine pas l'épreuve : il se retire avec l'ensemble de l'équipe Alcyon après l'abandon de leur leader Odile Defraye à l'issue de la sixième étape à Luchon[4].

Au mois d'octobre, Henri Pélissier rejoint son ancien directeur sportif Alphonse Baugé au sein de l'équipe Peugeot[A 9]. Il dispute sa première course sous ses nouvelles couleurs le suivant, le Tour de Lombardie qu'il remporte devant deux autres français, Maurice Brocco et Marcel Godivier. Après l'arrivée, le coureur italien Costante Girardengo, favori de la course, accuse Pélissier de l'avoir fait tomber et d'avoir ainsi provoqué sa défaite. Les partisans de Girardengo se jettent alors sur Pélissier et le rouent de coups. Ce dernier, aidé par son coéquipier Jean Alavoine, parvient à se réfugier en hauteur dans la cabine du juge d'arrivée. Il n'est libéré qu'après l'intervention de plusieurs dizaines de carabinieri. À son retour en France, il souffre de douleurs persistantes dues à un coup reçu dans le ventre et doit subir une intervention chirurgicale ainsi qu'une hospitalisation d'un mois[A 10] - [5].

Alors que son directeur sportif Alphonse BaugĂ© hĂ©site Ă  le sĂ©lectionner pour le Tour de France 1914, jugeant son physique trop fragile, Henri PĂ©lissier est finalement retenu au sein de l'Ă©quipe Peugeot grâce Ă  l'appui de son coĂ©quipier François Faber, ancien vainqueur de l'Ă©preuve. Troisième du classement gĂ©nĂ©ral avant la sixième Ă©tape et l'entrĂ©e dans les PyrĂ©nĂ©es, il compte mettre Ă  profit les diffĂ©rentes ascensions pour s'emparer du maillot jaune. Il attaque sur les pentes du col d'Aubisque, en compagnie de son coĂ©quipier suisse Oscar Egg, il est seul en tĂŞte dans le col du Tourmalet mais subit une fringale. Quatrième Ă  l'arrivĂ©e de l'Ă©tape Ă  Luchon, il remonte au second rang du classement gĂ©nĂ©ral mais accuse alors un retard de 30 minutes sur le Belge Philippe Thys, leader de la course et Ă©galement coureur de Peugeot. Dès lors, Henri PĂ©lissier tente de refaire son retard et gagne la dixième Ă©tape Ă  Grenoble, puis la douzième Ă  Belfort. Il bĂ©nĂ©ficie de la pĂ©nalitĂ© de 30 minutes infligĂ©e Ă  Thys, qui a pris la roue d'un spectateur, dans l'avant-dernière Ă©tape entre Longwy et Dunkerque pour revenir Ă  moins de 2 minutes de celui-ci. Bien que vainqueur de la dernière Ă©tape Ă  Paris, Henri PĂ©lissier ne parvient pas Ă  renverser la situation et monte finalement sur la deuxième marche du podium[A 11].

Première Guerre mondiale

Réformé lors de son service militaire [Note 3] au 3e régiment du génie en 1910 pour faiblesse de constitution[A 12], Henri Pélissier n'est pas mobilisé après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, contrairement à ses frères Francis et Jean. Ce dernier meurt au combat près de Sainte-Menehould en , touché par un éclat d'obus à la carotide[6]. Henri souhaite alors s'engager mais son père l'en dissuade. Il se marie au mois de mai suivant, à la mairie du 16e arrondissement de Paris avec Léonie Jenin, la sœur d'un ami d'enfance. Henri Manchon, son soigneur, est témoin de leur mariage. Après le décès de son beau-frère Eugène, tué à Verdun en [7], Henri Pélissier s'engage. Il est affecté à un régiment de cyclistes à Paris, puis comme télégraphiste dans l'aviation à Dijon, au Bourget puis au Tréport[A 13].

Parallèlement, il obtient des permissions pour disputer quelques épreuves cyclistes organisées pendant le conflit. Il remporte notamment Trouville-Paris devant Marcel Godivier et Charles Deruyter au mois d'[A 13]. En novembre, il prend le départ du Tour de Lombardie à Milan et se classe deuxième au sprint derrière Philippe Thys. Considérant que ce dernier s'est appuyé sur lui, Henri Pélissier porte une réclamation qui est finalement repoussée par le jury[8]. Au mois de décembre suivant, il gagne une épreuve sur piste au Vélodrome d'Hiver, le jour de la naissance de sa fille[A 13]. Dans les derniers mois de la guerre, Henri Pélissier est affecté à Roulers, en Belgique, toujours en tant que télégraphiste. Il y retrouve plusieurs autres coureurs, parmi lesquels Paul Duboc. Renversé par un camion, il est blessé le jour de l'armistice le , touché à la tête. Toujours mobilisé en , il est muté à la réserve générale automobile du gouvernement militaire de Paris, grâce à l'influence d'Alphonse Baugé qui y rassemble plusieurs coureurs dont Francis Pélissier[A 14].

Paris-Roubaix, Bordeaux-Paris et le championnat de France (1919)

Portrait en noir et blanc d'un homme en tenue militaire.
Henri PĂ©lissier en 1919.

Les fabricants de vĂ©lo qui ont souffert de la Première Guerre mondiale doivent faire face Ă  d'importantes difficultĂ©s financières et ne sont plus en mesure de parrainer une Ă©quipe. Plusieurs entreprises dĂ©cident alors de crĂ©er une Ă©quipe commune, le consortium La Sportive, qui Ă©quipe la plupart des coureurs professionnels et supporte leurs salaires. Ă€ la fin du mois de janvier 1919, Henri Desgrange, le directeur du journal L'Auto, annonce la reprise de Paris-Roubaix dont la dernière Ă©dition a eu lieu en 1914. Le parcours traditionnel est modifiĂ© en raison de l'Ă©tat des routes, endommagĂ©es par quatre annĂ©es de guerre et qui rend impossible le passage par certains secteurs[9]. L'Ă©preuve se dĂ©roule le suivant. Ă€ partir de Breteuil, après 112 kilomètres de course, les coureurs doivent affronter une violente chute des tempĂ©ratures conjuguĂ©e Ă  un fort vent du nord. Plusieurs d'entre eux sont lâchĂ©s Ă  l'arrière et certains favoris abandonnent[10]. Ă€ la sortie de Saint-Pol-sur-Ternoise, un groupe de neuf coureurs dans lequel figure Henri PĂ©lissier prend la tĂŞte. Ce dernier peut notamment compter sur la prĂ©sence de son frère Francis au sein de ce groupe. Après Cambrin, les deux hommes s'isolent Ă  l'avant puis sont rejoints par Philippe Thys. Francis PĂ©lissier lâche prise, victime d'une fringale, tandis que HonorĂ© BarthĂ©lĂ©my rejoint Ă  son tour la tĂŞte de la course. Ă€ l'arrivĂ©e Ă  Roubaix, Henri PĂ©lissier lance le sprint et franchit la ligne en vainqueur devant Thys et BarthĂ©lĂ©my[A 15] - [11].

Photographie en noir et blanc de deux coureurs entourés par un gendarme et des officiels à l'arrivée d'une course, l'un tenant un bouquet de fleurs à la main.
Henri Pélissier tenant le bouquet du vainqueur à l'arrivée de Bordeaux-Paris.

Un mois plus tard, il fait figure de favori sur la classique Bordeaux-Paris et fait honneur à ce statut. Il arrive en tête à Orléans, où se tiennent les premiers entraîneurs dont Francis, son frère. Grâce au travail de ce dernier, il résiste au retour de ses poursuivants et s'impose finalement au Parc des Princes avec une demi-heure d'avance sur le deuxième, Louis Heusghem[A 16]. Il prend ensuite la sixième place de Paris-Tours, au début du mois de juin[A 17].

Ă€ l'inverse, le Tour de France 1919 constitue pour lui une grande dĂ©sillusion. Deuxième de la première Ă©tape au Havre, vainqueur de la deuxième Ă  Cherbourg, il possède une avance de 23 minutes sur son plus proche concurrent, Eugène Christophe, Ă  l'issue de la troisième Ă©tape[12]. Il affiche alors une confiance sans limite et dĂ©clare notamment Ă  son directeur sportif : « Je suis un pur sang et mes adversaires sont des chevaux de labour. »[13] La quatrième Ă©tape entre Brest et Les Sables-d'Olonne fait pourtant s'Ă©crouler tous ses espoirs, devant la coalition formĂ©e par ses rivaux. Alors que les coureurs quittent QuimperlĂ©, il s'arrĂŞte pour retirer son impermĂ©able et resserrer sa direction. Le groupe de tĂŞte, dans lequel figurent Eugène Christophe, Jean Alavoine et les Belges Firmin Lambot et Émile Masson, accĂ©lère l'allure. MalgrĂ© ses efforts, PĂ©lissier ne peut rentrer dans le peloton[12]. DĂ©semparĂ©, il s'arrĂŞte mĂŞme dans un village Ă  quelques kilomètres de l'arrivĂ©e pour acheter une bouteille de cognac[13]. Ă€ l'avant, Eugène Christophe ne mĂ©nage pas ses efforts et sa troisième place Ă  l'arrivĂ©e lui permet de prendre la tĂŞte du classement gĂ©nĂ©ral[12]. VexĂ©, Henri PĂ©lissier dĂ©cide d'abandonner au lendemain de l'Ă©tape, alors qu'il ne figure pourtant qu'Ă  une dizaine de minutes de Christophe[14]. Il s'attire les critiques acerbes du directeur de la course, Henri Desgrange, qui cible le caractère impulsif du coureur et considère qu'il ne de doit sa dĂ©faite qu'Ă  lui-mĂŞme[A 18].

En fin de saison, Henri PĂ©lissier enchaĂ®ne les succès : il remporte le Grand Prix de la Loire et le Circuit du Morvan, puis devient champion de France au dĂ©but du mois d'octobre, sur un parcours de 100 kilomètres derrière entraĂ®neurs, devant HonorĂ© BarthĂ©lĂ©my et Maurice Brocco[A 19].

Victoires dans les classiques (1920-1922)

Photographie en noir et blanc d'un groupe de cyclistes au sprint à l'arrivée d'une étape.
Henri Pélissier (à gauche) à la lutte avec Henri Suter à l'arrivée de Paris-Tours 1922.

Au dĂ©but de la saison 1920, Henri est engagĂ© par l'Ă©quipe Bianchi pour courir Milan-San Remo. Il favorise la victoire de son coĂ©quipier d'un jour, Gaetano Belloni, et prend la deuxième place au sprint devant Costante Girardengo[A 20]. Au mois de juin, il remporte la classique Paris-Bruxelles après le dĂ©classement de Louis Mottiat. ÉchappĂ© en solitaire Ă  25 kilomètres de l'arrivĂ©e dans la cĂ´te de Wavre, PĂ©lissier, pris de fringale, est rejoint puis dĂ©passĂ© par Mottiat. Retrouvant peu Ă  peu ses forces, PĂ©lissier revient sur l'homme de tĂŞte Ă  l'entrĂ©e du vĂ©lodrome de Schaerbeek, oĂą l'arrivĂ©e est jugĂ©e. Il lance le sprint mais Mottiat l'accroche par le maillot pour franchir la ligne en premier. ConspuĂ© par le public, il est logiquement dĂ©classĂ© au profit de PĂ©lissier[A 21]. Ce dernier Ă©choue ensuite dans la dĂ©fense de son titre de champion de France, devancĂ© d'une trentaine de mètres Ă  l'arrivĂ©e par Jean Alavoine[15]. Sur le Tour de France, Henri PĂ©lissier remporte la troisième Ă©tape Ă  Brest, puis la suivante aux Sables-d'Olonne, mais abandonne au cours la cinquième Ă©tape[A 20]. Il s'attire une nouvelle fois les critiques du directeur de la course, Henri Desgrange, qui dĂ©clare : « PĂ©lissier ne sait pas souffrir, il ne gagnera jamais le Tour de France ! »[16]. Dans une Ă©preuve entièrement dominĂ©e par les coureurs belges, il est l’un des deux seuls vainqueurs d'Ă©tape français (avec FĂ©lix Goethals, qui gagne Ă  Dunkerque)[A 21].

Henri PĂ©lissier enregistre plusieurs succès au mois de septembre. Il remporte pour la deuxième annĂ©e consĂ©cutive le Grand Prix de la Loire, puis avec son frère Francis dans Paris-Metz, une Ă©preuve courue par Ă©quipe de deux hommes, ils s'imposent devant le duo Romain Bellenger-Robert Jacquinot[17]. Henri gagne ensuite le Petit circuit des champs de bataille, disputĂ© sur 175 kilomètres autour de Compiègne[18]. Bien que professionnel, il dispute en octobre le challenge de l'Union vĂ©locipĂ©dique de France, une Ă©preuve contre la montre de 50 kilomètres par Ă©quipes sous les couleurs du Club athlĂ©tique des sports gĂ©nĂ©raux. AssociĂ© Ă  Francis, Charles Lacquehay et Marcel Godard, deux autres coureurs professionnels, il rĂ©alise le meilleur temps individuel, mais au classement gĂ©nĂ©ral, le CASG est battu par les amateurs du VĂ©lo Club de Levallois[19]. En novembre, Henri PĂ©lissier remporte son troisième Tour de Lombardie, en solitaire. Il se dĂ©tache Ă  15 kilomètres de l'arrivĂ©e, alors que son principal adversaire, Gaetano Belloni, s'arrĂŞte pour changer de roue[A 21].

En 1921, Henri Pélissier gagne Paris-Roubaix, deux ans après son premier succès dans l'épreuve. Il s'y impose devant son frère, Francis, avec lequel il attaque dans la côte de Doullens et qui protège sa fuite dans les derniers kilomètres alors que seul le Belge René Vermandel semble encore en mesure de leur contester la victoire[A 22]. Henri Pélissier ne compte qu'une autre victoire sur cette saison, la course de côte du mont Agel, qui se déroule deux semaines avant Paris-Roubaix[20]. Il obtient plusieurs places d'honneur en se classant notamment deuxième de Paris-Saint-Étienne derrière Honoré Barthélémy[21], deuxième du championnat de France derrière Francis Pélissier[A 23] et troisième du Critérium des As derrière les Belges Philippe Thys et René Vermandel[22], mais abandonne sur Bordeaux-Paris[23] et Paris-Tours[A 24].

Henri Pélissier entre en conflit avec Alphonse Baugé, directeur du consortium La Sportive, au sujet de sa rémunération, au début de la saison 1922. Rejeté par toutes les grandes marques affiliées au consortium, il s'engage finalement avec la modeste équipe J.B. Louvet, de même que son frère Francis. Sous ses nouvelles couleurs, Henri Pélissier se classe quatrième du Tour des Flandres puis remporte la course de côte du mont Agel devant deux de ses coéquipiers, Francis Pélissier et Charles Lacquehay[A 25]. Il remporte ensuite la classique Paris-Tours au terme d'un final houleux. Alors qu'il lance son sprint et déborde Henri Suter sur sa gauche, ce dernier se couche sur lui et provoque leur chute. À l'écart, au centre de la chaussée, Robert Jacquinot franchit la ligne d'arrivée en premier, mais les commissaires de la course, au regard de divers témoignages, décident de reclasser Henri Pélissier vainqueur et Suter deuxième[A 23]. Il obtient deux autres succès au cours de la saison, d'abord sur le Circuit de Paris au mois de juin[24], puis sur Paris-Nancy en septembre[25].

Vainqueur du Tour de France (1923)

« Henri Pélissier nous a donné tout le jour un spectacle qui vaut tous les spectacles d'art. Sa victoire a le bel ordonnancement, le classicisme des œuvres de Racine, elle a la valeur de beauté d'une statue parfaite, d'une toile sans défauts, d'un morceau musical destiné à demeurer dans toutes les mémoires. »

— Henri Desgrange, L'Auto du [A 26]

Photographie en noir et blanc d'un cycliste en course.
Henri Pélissier dans la dixième étape.

Henri et Francis Pélissier quittent avec fracas l'équipe J.B. Louvet au cours de la saison 1923. Leur directeur sportif René Maisonnas passe un contrat avec les Galeries Lafayette, dont les camions doivent transporter le matériel de secours des coureurs de l'équipe sur Bordeaux-Paris. Plus encombrants que les voitures utilisées traditionnellement, ces camions ne peuvent suivre le rythme de la course et les deux coureurs sont contraints d'attendre plusieurs minutes avant d'être dépannés lorsqu'ils sont victimes de crevaison. Ces incidents provoquent l'abandon d'Henri et prive Francis de ses chances de victoire. Après la course, les deux frères sont rappelés par leur ancien directeur sportif Alphonse Baugé, qui les engage au sein de la formation Automoto à la condition qu'ils courent le Tour de France[A 27].

Dans la première Ă©tape entre Paris et Le Havre, Henri PĂ©lissier est ralenti par plusieurs crevaisons. Il ne se classe qu'Ă  la dix-septième place de l'Ă©tape Ă  plus de 9 minutes de Robert Jacquinot, mais bon nombre de favoris de l'Ă©preuve se classent encore plus loin que lui, Ă  l'image de FĂ©lix Sellier, Philippe Thys ou encore Jean Rossius. Dans la deuxième Ă©tape, l'Italien Ottavio Bottecchia, jeune Ă©quipier de PĂ©lissier, s'impose Ă  Cherbourg et endosse le maillot jaune. Les frères PĂ©lissier font ensuite une dĂ©monstration Ă  Brest avec la victoire d'Ă©tape pour Henri et la deuxième place de Francis, tandis que Bottecchia se classe troisième, permettant Ă  l'Ă©quipe Automoto de rĂ©aliser le triplĂ©[A 28].

Photographie en noir et blanc de plusieurs hommes autour d'un trophée.
Henri Pélissier, au centre avec l'écharpe, après sa victoire dans le Tour.

En difficultĂ© dans la quatrième Ă©tape vers Les Sables-d'Olonne, Henri PĂ©lissier concède plus de 28 minutes au vainqueur du jour, le Belge Albert Dejonghe, mais recule surtout au neuvième rang du classement gĂ©nĂ©ral Ă  près d'une demi-heure de Romain Bellenger, le nouveau maillot jaune[A 29]. La traversĂ©e des PyrĂ©nĂ©es est favorable Ă  Jean Alavoine, vainqueur de deux Ă©tapes consĂ©cutives Ă  Luchon et Perpignan, tandis que PĂ©lissier, quatrième puis troisième de ces deux Ă©tapes, remonte au troisième rang du classement gĂ©nĂ©ral derrière Ottavio Bottecchia et Alavoine[A 30]. Dans la neuvième Ă©tape entre Toulon et Nice, il connaĂ®t une sĂ©rie d'incidents : après une crevaison dans la descente du col de Castillon, il est renversĂ© par un side-car et se blesse Ă  la main droite, puis crève Ă  nouveau dans la descente de La Turbie[A 29]. Il termine Ă  près de 8 minutes de Jean Alavoine alors que Bottecchia se classe dans le mĂŞme temps que le vainqueur de l'Ă©tape[26].

Lors de l'Ă©tape suivante, Henri PĂ©lissier attaque dans le col d'Allos et distance Alavoine et Bottecchia. Grâce au travail de son frère Francis, qui l'a rejoint dans la plaine avec quelques autres coureurs, il maintient l'Ă©cart avec ses rivaux et se dĂ©tache Ă  nouveau dans le col d'Izoard pour s'imposer en solitaire Ă  Briançon. Il endosse par la mĂŞme occasion le maillot jaune, repoussant Alavoine Ă  plus de 11 minutes et Bottecchia Ă  plus de 13. PĂ©lissier assoit encore sa domination le surlendemain en s'imposant Ă  Genève, après la journĂ©e de repos, alors qu'Alavoine abandonne. Il n'est plus inquiĂ©tĂ© par la suite et remporte finalement l'Ă©preuve avec plus d'une demi-heure d'avance sur Ottavio Bottecchia, deuxième, et plus d'une heure sur Romain Bellenger qui complète le podium. Henri PĂ©lissier devient ainsi le premier vainqueur français du Tour de France depuis 1911[A 31].

Les « forçats de la route » (1924)

Portrait en noir et blanc d'un homme.
Le journaliste Albert Londres recueille les confidences des frères Pélissier.
Abandon in Éclaireur de l'Est.

Alors que les étapes du Tour de France s'élancent la plupart du temps au milieu de la nuit, compte tenu de leur longueur, Henri Pélissier prend l'habitude de porter deux maillots pour lutter contre les températures nocturnes avant de se dévêtir en cours d'étape. Alphonse Baugé, devenu commissaire général de l'épreuve, soupçonne le coureur de se délester de son équipement en cours d'étape, ce que le règlement interdit[27] - [28]. À la suite d'un incident avec un commissaire, qui soulève son maillot afin de vérifier s'il porte ou non plusieurs maillots, Henri Pélissier fait part à Henri Desgrange de sa décision de quitter la course. Ce dernier propose à Pélissier de régler le différend à l'arrivée de l'étape à Brest. Le coureur prend ainsi le départ de la troisième étape, à Cherbourg, mais se retire à Coutances en compagnie de Francis, son frère, et de Maurice Ville, coureur exténué. Les trois hommes trouvent refuge au Café de la Gare, où se déroule alors un des épisodes les plus célèbres de l'histoire du Tour. Le journaliste Albert Londres, grand reporter, rapporte leur déclaration dans un article paru dans Le Petit Parisien[29] - [27] - [30].

L'affaire de la main du commissaire passée dans son dos prend des proportions dramatiques et Henri Pélissier profite de cette tribune pour fustiger l'organisation d'une épreuve qu'il compare à « un chemin de croix »[27]. Il accuse ainsi les organisateurs de mépriser la santé et l'intégrité physique des coureurs : « Un jour viendra où ils nous mettront du plomb dans les poches, parce qu'ils prétendront que Dieu avait fait l'homme trop léger. Si on continue sur cette pente, il n'y aura bientôt que des clochards et plus d'artistes. Le sport devient fou furieux. »[A 32] - [30]. Les frères Pélissier mettent également à jour les pratiques dopantes qui courent au sein du peloton. Ainsi Henri déclare : « Nous souffrons du départ à l'arrivée. Voulez-vous voir comment nous marchons ? [...] Ça, c'est de la cocaïne pour les yeux, ça c'est du chloroforme pour les gencives. », tandis que Francis affirme : « nous marchons à la dynamite »[A 32].

Les effets de cet article retentissant sont immĂ©diats. Il soulève un vif Ă©moi populaire, bien que plusieurs journalistes de la presse sportive voient dans l'abandon de Coutances un repli stratĂ©gique destinĂ© Ă  Ă©viter l'humiliation d'une dĂ©faite probable pour le tenant du titre[29]. Ă€ la suite de cette affaire, une amende de 600 francs est infligĂ©e Ă  Henri PĂ©lissier, ainsi qu'une demande de suspension temporaire, voire dĂ©finitive, sans succès[27].

Fin de carrière (1924-1928)

Photographie en noir et blanc d'un coureur debout à côte de son vélo portant un maillot marqué Dilecta.
Henri Pélissier au Critérium des As en 1926.

Malgré leur abandon sur le Tour, la popularité des frères Pélissier est immense[31]. Henri Pélissier obtient quelques résultats notoires au cours de la saison 1924. Il participe à la victoire de son frère Francis dans Bordeaux-Paris, en assumant pour lui le rôle d'entraîneur, de même que leur autre frère Charles[A 33]. Cinquième de Paris-Roubaix[32], Henri Pélissier franchit la ligne d'arrivée de Paris-Chauny en vainqueur, mais il est finalement déclassé au profit du coureur belge Armand Van de Casteele puis se classe troisième du Critérium des As derrière Jules Van Hevel et Henri Suter[33]. Lors du GP Wolber, il n'est devancé au sprint sur la piste du Parc des Princes que par l'Italien Costante Girardengo[A 34] - [34]. Il remporte sa seule victoire de la saison sur le Tour du Pays basque en s'adjugeant la deuxième étape à Saint-Sébastien. Il achève par ailleurs cette épreuve à la deuxième place du classement général, la victoire finale revenant à son frère Francis[35]. En 1925, Henri Pélissier chute lourdement dans le Circuit de Paris mais, bien que diminué, il prend le départ du Tour de France pour répondre à ses obligations contractuelles ainsi qu'à la demande populaire. Henri Desgrange, encore marqué par l'affaire de l'abandon des deux frères l'année précédente, souhaite lui aussi leur présence car il connaît l'impact de cette participation sur le succès de son épreuve et les ventes de son journal[31]. Pour autant, Henri Pélissier, hors de forme, abandonne dès la quatrième étape[A 35]. Henri Desgrange ne manque pas, une nouvelle fois, de critiquer l'attitude du coureur dans les colonnes de son quotidien : « Quel mal ne s'est pas donné Henri, l'année dernière, pour nous démontrer que les coureurs du Tour faisaient un métier de forçats et ne marchaient qu'à coups de drogue comme un troupeau d'esclaves. Il trouva, si ma mémoire est bonne, le moyen d'apitoyer L'Humanité, auquel il avait négligé d'apprendre qu'il s'était enrichi en courant. »[31]

Les frères PĂ©lissier quittent l'Ă©quipe Automoto Ă  la fin de l'annĂ©e 1925 et signent un contrat de trois ans avec la formation Dilecta[A 36]. Pour sa première course sous ses nouvelles couleurs, au dĂ©but du mois de , Henri PĂ©lissier termine deuxième du CritĂ©rium international de cyclo-cross derrière Francis, avant d'ĂŞtre dĂ©classĂ© pour avoir changĂ© deux fois de roues après crevaison, ce qui est interdit par le règlement[A 37]. Sur Paris-Roubaix, les frères PĂ©lissier attaquent tous les trois dès le dĂ©but de la course, mais seul Henri parvient Ă  se maintenir dans le peloton de tĂŞte. Il tente de se dĂ©tacher Ă  plusieurs reprises mais une crevaison Ă  8 kilomètres de l'arrivĂ©e le retarde. La victoire revient Ă  Julien Delbecque et PĂ©lissier doit se contenter de la sixième place. Il connaĂ®t ensuite une longue sĂ©rie de dĂ©ceptions : une chute sur Paris-Tours le prive de compĂ©titions pendant plusieurs mois, tandis qu'il tombe Ă  nouveau et abandonne pour son retour sur le CritĂ©rium des As. EngagĂ© sur le GP Wolber, il subit quatre crevaisons.

Il fait de Paris-Roubaix son principal objectif de la saison 1927, mais il se blesse à la jambe lors d'une chute à l'entraînement, trois jours avant le départ, et ne peut participer à la classique. Un mois plus tard, alors qu'il prépare Paris-Tours, il chute au même endroit lors d'un nouvel entraînement et subit de lourdes blessures : il se fracture un doigt de la main gauche, souffre d'une commotion cérébrale et perd beaucoup de sang au niveau de la tête. Il doit subir une opération pour arrêter l'hémorragie. Après de longs mois de convalescence, il reprend la compétition et s'aligne au départ de Paris-Roubaix 1928. Hors de forme, il abandonne[A 38].

Après carrière et mort tragique

Photographie en noir et blanc d'une maison en campagne.
La maison d'Henri PĂ©lissier Ă  Dampierre.

Après la fin de sa carrière, Henri Pélissier publie en feuilleton dans le Miroir des Sports son autobiographie, qui est reprise sous la forme d'un livre intitulé Roman de ma vie. Il devient directeur sportif du Club Sportif International en 1933 et participe également à des épreuves sur piste en jouant le rôle d'entraîneur à moto dans des courses de demi-fond[A 39]. Il entraine notamment Hilaire Bertellin[36].

Photographie d'une tombe entourée d'une grille en fer et surmontée d'une croix.
La tombe d'Henri PĂ©lissier.

Henri Pélissier se retire dans une maison du hameau de Fourcherolles, à Dampierre dans les Yvelines. En 1933, sa femme Léonie se suicide et Henri Pélissier entame une liaison avec Camille Tharault, de vingt ans sa cadette. Le , une dispute éclate : la sœur de Camille adresse une réflexion à Henri qui le met en fureur. Alors qu'ils se trouvent dans la cuisine, il sort un couteau et lui balafre le visage. Camille se saisit d'un revolver et tire cinq fois. Une des balles atteint Henri à la carotide, le tuant sur le coup[37] - [A 39]. Au terme de son procès, Camille Tharault écope d'un an de prison avec sursis[38], son avocat ayant plaidé la légitime défense[29]. Henri Pélissier repose au cimetière Pierre-Grenier à Boulogne-Billancourt, tout comme son frère Francis[39] - [40].

Style et personnalité

Coureur fier et rebelle, personnage excessif et violent, Henri Pélissier est reconnu pour son caractère bien trempé. Le journaliste Jacques Augendre le décrit comme « orgueilleux, cabochard, arrogant, provocateur, susceptible »[29]. Son tempérament lui vaut de s'opposer à de nombreuses personnalités du monde du cyclisme et notamment à Henri Desgrange, directeur du Tour de France, qui lui adresse des critiques acerbes, voire blessantes, après ses différents abandons dans l'épreuve, tout en reconnaissant son talent exceptionnel : « en cyclisme, il aura été le plus grand homme que le Sport ait produit »[A 40]. En course, celui qu'on surnomme « la Ficelle »[41] fait preuve d'une volonté et d'une détermination sans borne pour atteindre ses objectifs, « une boule de nerfs, tendue par une volonté de fer, prêt à mourir ou à tuer » selon le journaliste Christophe Penot[42]. Alors qu'il se compare lui-même à « un pur-sang », il ne supporte ni les critiques ni les provocations et ses fréquentes sautes d'humeur le poussent parfois à l'abandon[29]. Il se montre parfois dédaigneux à l'encontre de ses concurrents, comme sur le Tour de France 1919 où, sûr de son fait, il les traite de « chevaux de labour »[13].

Henri Pélissier jouit d'une popularité immense dans les années 1920, comparable à celle du boxeur Georges Carpentier. Ses différents exploits sur la route l'élèvent au rang d'idole[29] - [42]. Il se distingue également de ses contemporains par sa conception du métier de cycliste, élaborant avec son frère Francis une « véritable science de la bicyclette »[29]. Il apparaît comme un précurseur dans les domaines de la diététique et de l'entraînement, et porte un soin particulier au choix de son matériel. Spécialiste du Tour de France, Pierre Chany précise que Pélissier « fut le premier à utiliser les roues légères, les boyaux fins, les rayonnages diminués »[43].

Palmarès

Palmarès année par année

RĂ©sultats sur le Tour de France

Henri Pélissier fait partie des coureurs ayant remporté au moins deux étapes du Tour de France sur plus de dix années.

  • 1912 : abandon (4e Ă©tape)
  • 1913 : abandon (6e Ă©tape) et vainqueur d’une Ă©tape
  • 1914 : 2e du classement gĂ©nĂ©ral et vainqueur de trois Ă©tapes
  • 1919 : abandon (5e Ă©tape) et vainqueur d’une Ă©tape, leader pendant 3 jours
  • 1920 : abandon (5e Ă©tape) et vainqueur de deux Ă©tapes
  • 1923 : Leader du classement gĂ©nĂ©ral Vainqueur du classement gĂ©nĂ©ral et de trois Ă©tapes, maillot jaune pendant 6 jours
  • 1924 : abandon (3e Ă©tape)
  • 1925 : abandon (4e Ă©tape)

Notes et références

Notes

  1. Henri Pélissier eut une sœur aînée, Augustine, née le , et trois frères tous plus jeunes que lui : Jean, né le , Francis, né le , et Charles, né le . Ce dernier, contrairement aux autres enfants de la famille, est né dans le 16e arrondissement de Paris. Voir Bastide et Leducq 1981, p. 7.
  2. Ă€ cette Ă©poque, plusieurs Ă©preuves adoptent ce type de classement. C'est notamment le cas du Tour de France entre 1905 et 1912. Le vainqueur de l'Ă©tape reçoit 1 point, le suivant reçoit 2 points et ainsi de suite. Le classement gĂ©nĂ©ral est Ă©tabli par l'addition des points obtenus lors de chaque Ă©tape. Le vainqueur de l'Ă©preuve est ainsi celui qui totalise le moins de points.
  3. Matricule au recrutement no 4999, Tables des états signalétiques : 4e bureau de la Seine, Paris, Archives de Paris, coll. « cote D3R1 212 », , 12 p. (lire en ligne), p. 8.

Références

  • Ouvrage de Roger Bastide et AndrĂ© Leducq
  • Autres rĂ©fĂ©rences
  1. Augendre 2014, p. 303-304.
  2. René Bierre, « Nos clubs cyclistes : la S.S. de Suresnes », Match l'intran,‎ , p. 12 (lire en ligne).
  3. « Le Tour de France », L'Ouest-Éclair,‎ , p. 3 (lire en ligne).
  4. (en) Bill McGann et Carol McGann, The Story of the Tour de France, vol. 1 : How a Newspaper Promotion Became the Greatest Sporting Event in the World, Dog Ear Publishing, , 304 p. (ISBN 978-1-59858-180-5, lire en ligne), p. 41.
  5. Sylvie Lauduique-Hamez, Les Incroyables du cyclisme, Calmann-Lévy, , 192 p. (ISBN 978-2-7021-4613-2, lire en ligne), « La roue de l'infortune ».
  6. « Fiche de Jean Pélissier », sur http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr, Ministère de la défense (consulté le ).
  7. « Fiche de Eugène Jenin », sur http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr, Ministère de la défense (consulté le ).
  8. Claude Degauquier, « Le centenaire du Tour de Lombardie, la classique des feuilles mortes », Coups de Pédale, no Hors-série no 17,‎ , p. 29.
  9. Bourgier 2014, p. 36.
  10. Bourgier 2014, p. 43-44.
  11. Bourgier 2014, p. 45-48.
  12. Bourgier 2014, p. 105.
  13. Jean-Paul Ollivier, « Le pur-sang », dans Claude Eymard, La vie secètre du Tour, Jungle, (ISBN 978-2822204019).
  14. Jacques Seray et Raphaëlle Jessic, Eugène Christophe : de la forge de Sainte-Marie-de-Campan au maillot jaune, Betpouey, De plaines en vallées, , 144 p. (ISBN 979-10-90466-01-2), p. 80-82.
  15. « Championnat de France sur route des 100 kilomètres », L'Ouest-Éclair,‎ , p. 4 (lire en ligne).
  16. Chany 2004, p. 182.
  17. « Les frères Pélissier se classent premiers dans la course Paris-Metz », Le Petit Parisien,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  18. « H. Pélissier gagne le Petit circuit des champs de bataille », Le Petit Parisien,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  19. Raoul Graby, « Le challenge de l'U.V.F. », La Vie aérienne,‎ , p. 176 (lire en ligne).
  20. « La course du mont Agel », Le Petit Parisien,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  21. « Barthélémy gagne la course Paris-Saint-Étienne », Le Petit Parisien,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  22. « Une course de 100 kilomètres s'est disputĂ©e autour de Longchamp », Le Petit Parisien,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  23. « Christophe gagne Bordeaux-Paris », Le Petit Parisien,‎ , p. 1 (lire en ligne).
  24. « Henri Pélissier gagne le Circuit de Paris », Le Petit Parisien,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  25. « Henri Pélissier vainqueur de Paris-Nancy », Le Petit Parisien,‎ , p. 4 (lire en ligne).
  26. « Tour de France - Année 1923 - Étape 9 Toulon > Nice », sur letour.fr, Amaury Sport Organisation.
  27. Eclimont 2013, p. 65-67.
  28. Jacques Augendre, « La loi des fédérations », Les cahiers de médiologie, no 5,‎ , p. 254 (lire en ligne).
  29. Augendre 2014, p. 306-308.
  30. « Les frères Pélissier et leur camarade Ville abandonnent », Le Petit Parisien,‎ , p. 1-2 (lire en ligne).
  31. Eclimont 2013, p. 68-69.
  32. « Le Belge Van Hevel est le vainqueur du 25e Paris-Roubaix », Le Petit Parisien,‎ , p. 1-2 (lire en ligne).
  33. « Le critérium des as », Journal de Genève,‎ , p. 10 (lire en ligne).
  34. « Le prix Wolber gagné par l'Italien Girardengo », Le Petit Parisien,‎ , p. 4 (lire en ligne).
  35. « Francis Pélissier vainqueur du Tour d'Espagne », Le Petit Parisien,‎ , p. 4 (lire en ligne).
  36. « L'Auto-vélo », sur Gallica, (consulté le )
  37. « La fin tragique d'Henri Pélissier n'a surpris personne à Dampierre », Paris-Soir,‎ , p. 1 (lire en ligne).
  38. « Camille Tharault est condamnée à un an de prison », Le Petit Dauphinois,‎ , p. 1 (lire en ligne).
  39. Bertrand Beyern, Carnet de Dalles, Le Cherche midi, , 224 p. (ISBN 978-2-7491-2620-3, lire en ligne), « Frères ».
  40. Jérôme Tronc, Les Miscellanées de Monsieur Sport, Saint-Denis, Édilivre, , 126 p. (ISBN 978-2-332-84464-4), p. 109.
  41. Claude Sudres, Dictionnaire international du cyclisme, Marolles-en-Brie, 4, , 435 p. (ISBN 2-9512421-0-7), p. 230.
  42. Christophe Penot, « Henri Pélissier, l'instinct fait champion », sur lncpro.fr, La France cycliste, Ligue nationale de cyclisme (consulté le ).
  43. Christophe Penot, Pierre Chany, l'homme aux 50 tours de France, Cristel, , p. 16.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Jacques Augendre, Petites histoires secrètes du Tour..., Paris, Solar, , 423 p. (ISBN 978-2-263-06987-1). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Roger Bastide et AndrĂ© Leducq (prĂ©f. Michel Droit), La lĂ©gende des PĂ©lissier, Paris, Presses de la CitĂ©, , 328 p. (ISBN 2-258-00886-7). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Jean-Paul Bourgier, 1919, le Tour renaĂ®t de l'enfer : De Paris-Roubaix au premier maillot jaune, Toulouse, Le Pas d'oiseau, , 158 p. (ISBN 978-2-917971-38-3). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Thierry Cazeneuve, 1903-1939 L'invention du Tour, L'Équipe, coll. « La Grande histoire du Tour de France » (no 1), , 62 p. (ISBN 978-2-8152-0293-0)
  • Pierre Chany, La fabuleuse histoire du Tour de France : livre officiel du centenaire, Genève/Paris, Minerva, , 959 p. (ISBN 2-8307-0766-4).
  • Christian-Louis Eclimont, Le Tour de France en 100 Histoires Extraordinaires, Paris, First, , 380 p. (ISBN 978-2-7540-5044-9). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article

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