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Haratins

Les Haratins, Haratines, Chouachins ou Chouachines (en arabe : حراطين ḥarâṭin, sing. حرطاني ḥârṭani ou شواشين šwašin, sing. شوشان šušan, en berbère isemghan, sing. asemgh), parfois appelés Maures Noirs, sont le groupe ethnique des Noirs vivant au Maghreb et dans l'Ouest du Sahara (du Maroc jusqu'en Libye), de statuts divers selon les régions.

Haratin, Chouachin
Description de cette image, également commentée ci-après
Haratine, 1955. Tropenmuseum
Populations importantes par région
Autres
Régions d’origine Soudan (région), Zanj
Langues Majoritairement arabe maghrébin, berbère
Religions Islam sunnite, soufi, ibadite
Ethnies liées Afro-Arabes, Akhdam, Zenci, Jalban, Siyah, Siddis

Dénominations

L'usage de l'appellation Haratin (sing. Hartani et Hartania) est cantonné à l'extrême-ouest saharien[1] : au Maroc, au Sahara occidental, en Mauritanie, en Algérie et dans l’extrême-nord du Mali (territoire maure et touareg), tandis qu'en Tunisie et en Libye, ils sont appelés Chouachin[2] (sing. Chouchan et Chouchana).

Étant donné que le Maghreb est un vaste territoire et les dialectes et parlers nombreux, les appellations pour désigner les autres Noirs, au Sahara et ailleurs au Maghreb, ainsi qu'en Orient, sont très diverses en arabe et en berbère : asmeg, ismeg ou asmegh en berbère, ‘abid en araben, akli plur. iklan (esclave noir) en berbère, khadem (serviteur noir), waṣif (valet), kahluš (mot hybride arabe et berbère), kafûr, ‘atrïya, akaouar (akwar) au Ghât, šušan (chouchane) au Fezzan, aherdan en Kabylie, ahardan en berbère du Moyen-Atlas, du Haut-Atlas, du Tafilalet, du Sud marocain et zenaga de Mauritanie[3], ḥirthan (ḥirṯan) au Hadramaout, agnaw (agnaou) dans la majeure partie de l'aire d'extension berbérophone[4] - [5], ğanew (djanew, djaneou)[6] ou adjanaw (adjanaou) en berbère de Ghadamès[4], akhdam dans tout le Yémen (population d’origine éthiopienne)[7], suqqey, abercan, adeghmum, abexxan, admam à Figuig, assuqi/assuqʷi plur. issuqin dans le Souss[8], abukan (au Mzab)[9], askiw (askiou) en chaoui de l'Aurès[10] et berbère de l'Ouarsenis[11], aččiw (atchiw, atchiou) à Djerba, ismij au Djerid[11], ijmij au Touât, Tementit[11], imuccan (imouchchan) en chelha[11], azetaff/azotaffSiwa), edegen en zenaga[11].

Dans le dialecte berbère zénète parlé dans la région du Gourara, les Haratins sont appelés isemghan (sing. asemgh).

Certains auteurs ont voulu faire dériver la racine ḤRṬ de l’arabe ḤRT “labourer” (tel E. Mercier, 1989 ou E.-E Gautier, 1946) ; d’où leur conclusion : ḥartâni = laboureur. Non seulement cette hypothèse ainsi formulée, n’a pas de fondement linguistique (voir F-J. Nicolas, 1977 et Ph. Marçais, 1951), mais comme l’a remarqué ce dernier auteur “le hartani ne laboure pas et n’emploie pas la charrue” (idem p. 13). Quant au calembour arabe de ḥorr tâni “noble de second rang”, il exprime seulement le mépris de l’aristocratie nomade à l’égard de ces Noirs[7].

Le terme shwashin (singulier : shushan) est dérivé du mot arabe désignant le réglisse en raison de sa couleur noire.

Les Touaregs de l’Ahaggar emploient le mot azeggaγ, qui par ailleurs veut dire “rouge” (plur. izeggaγ en, fém. tazeggaq/tizeggâγin) pour désigner cette population en fonction de la couleur de leur peau et de leur statut social[7].

Les Touaregs emploient aussi d’autres mots pour nommer les Noirs situés au sud du Sahara : ésedîf (plur. isédîfen) désigne un Noir en général concuremment avec aounnan (plur. iounnanen) parlant une langue soudanaise : la taounant (langue songhai, voir J. Clauzel, 1962, pour plus de détails et Foucauld, Dict. touareg-français III, p. 1510) ou etîfen (plur. itîfenen), ébenher, éhati (plur. ihatan), Noir ne parlant ni l’arabe ni le berbère, alors que le mot akli (plur. iklân) désigne l’esclave asservi, bella l’esclave vivant librement et iderfan, ighawellan, les affranchis[7].

Usage contemporain

Au Maroc, les mots hartani et hartania (son équivalent féminin) comportent une connotation péjorative puisqu'ils sont associés à l'esclavage et le fait d'être subalterne[12] - [13].

En février 2021, Azzouha El Arrak, députée du Parti de la justice et du développement et conseillère municipale de Dakhla, a été traitée publiquement de hartania par un autre conseiller municipal pour avoir dénoncé ses actions et ses propos racistes. En effet, celui-ci s'est approprié la terre d'un Sahraoui noir en prétextant qu'il y avait droit parce qu'il était l'esclave de sa famille et un hartani[14]. Azzouha El Arrak a répondu en déclarant: « Nous avons la peau noire, mais nous ne sommes les esclaves ou les Hartanis de personne et nul ne peut nous asservir » en rajoutant que ses propos appartenaient à la période antéislamique[15].

Géolocalisation

On les retrouve au, Maroc, au Sahara occidental, en Algérie, en Tunisie, en Libye, en Mauritanie, dans l'Azaouad et l'Azaouagh.

Origine

G. Camps qui s’est particulièrement penché sur l’origine des Noirs sahariens (voir G. Camps, 1960, 1970, 1985) classe “en simplifiant à l’extrême” les différentes opinions en deux séries : “pour les uns, les Haratin, actuels cultivateurs des oasis, seraient surtout les descendants d’esclaves noirs non musulmans amenés du sud par les marchands arabes, et c’est l’opinion la plus répandue. Pour les autres, le Sahara fut primitivement peuplé de Noirs occupant la totalité du désert et qui furent progressivement réduits à une sorte de servage par les conquérants blancs, nomades cavaliers puis chameliers ” (G. Camps, 1970, p. 35)[1].

La génétique et l’anthropologie modernes montrent que les Haratins se distinguent des Touaregs et des peuples ouest-africains, tels que les Wolofs et les Peuls[16] - [17]. .

Selon Rachid Bellil, la population du Sahara se composait durant l'Antiquité d'une part de Libyens (Gétules à l'ouest et de Garamantes au sud-est (ancêtres des Berbères), et d'autre part d'Éthiopiens, ancêtres d'une partie des Haratins[18], qui furent razziés et déportés par les Berbères dans les territoires subsahariens. Des peintures rupestres du Maghreb dépeignent en effet des scènes de razzias effectuées par les Libyens sur des populations congoïdes vivant plus au Sud.

Chez les populations berbères chleuhes du sud marocain, et selon la transmission orale, les populations négroïdes sont réputées allogènes (d'origine étrangère et non autochtones). Ainsi, le terme amazigh y désigne uniquement l'homme blanc, d'origine locale, par opposition à l'homme noir, déporté[19].

La transmission orale des populations berbères et arabes du Sahara Occidental et de la Mauritanie , les noirs(dont Bafours ) y seraient autochtones, les Berbères et Arabes ayant migré vers le Sud tour à tour[20].

Histoire

Les plus vielles représentations artistiques humaines recensée au Sahara maghrébin sont dans les sites Tadrart Acacus et le Tassili dans la période de l'Épipaléolithique. Plus tard, apparaissent dans les représentations artistiques des chasseurs Bubalins mélanodermes et des chasseurs leucodermes. Entre le 7e et 2e millénaire du néolithique, lors de la venue d'un climat plus humide et du développent de l'élevage de bœufs, les représentations d'individus dits « mélanodermes », dénommées Bovidiens, sont majoritaires. Vers la fin du 2e millénaire avant notre ère, les Protoberbères venus du nord-est de l'Afrique prédominent le Sahara maghrébin grâce à l'introduction du cheval. Les populations dites « mélanodermes » commencent à disparaître du Tassili et à migrer vers le Sahel. Selon l'historienne algérienne Malika Hachid[16].

« Toutefois, une partie importante de ce peuplement noir s’est retrouvée peu à peu subjuguée par les Paléoberbères, nouveaux maîtres du Sahara... Ces groupes noirs que l’on retrouve çà et là en Afrique du Nord ce sont ces Tzzaggaren’ou ‘Harratines’ des oasis, une population préhistorique devenue résiduelle mais gonflée plus tard du flot de l’esclavage des temps modernes au point qu’on ne peut plus distinguer aujourd’hui les uns des autres. »

Ses membres étaient spécialisés dans l'agriculture mais exercent aujourd'hui divers métiers, comme forgerons, tanneurs, bijoutiers, menuisiers ou encore propriétaires de terrain.

Ils parlent arabe dialectal ou berbère selon la communauté linguistique dans laquelle ils vivent.

Au Maroc la communauté la plus importante est située dans la vallée du Drâa.

Dans le Sahara algérien, les Haratins qui étaient marginalisés durant la colonisation, connaissent une promotion sociale et politique après l'indépendance du pays[21]. Cette intégration avait commencé durant la guerre de libération ; un discours d'émancipation et l'absence d'un racisme d'État, qui constitue une tradition du nationalisme algérien avaient réussi à mobiliser cette catégorie sociale[21]. La réussite sociale par l'enseignement a permis aux anciens Haratins d'être représentés dans les collectivités locales et d'accéder aux postes les plus influents modifiant ainsi la hiérarchie sociale existante[21].

Notes et références

  1. M. Gast, « Harṭâni », dans Encyclopédie berbère, vol.22, Aix-en-Provence, Edisud, 2000, p. 3414-3420
  2. Stéphanie Pouessel, Noirs au Maghreb: enjeux identitaires, (lire en ligne)
  3. M. Gast, « Harṭâni », Encyclopédie berbère, no 22, , p. 3414–3420 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.1704, lire en ligne, consulté le )
  4. Rachid Agrour, « Contribution à l’étude d’un mot voyageur : Chleuh », Cahiers d’études africaines, vol. 52, no 208, , p. 767–811 (ISSN 0008-0055, DOI 10.4000/etudesafricaines.17161, lire en ligne, consulté le )
  5. Gabriel Camps, « Recherches sur les origines des cultivateurs noirs du Sahara », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 7, no 1, , p. 35–45 (DOI 10.3406/remmm.1970.1056, lire en ligne, consulté le )
  6. M. A. Haddadou. Dictionnaire des racines berbères communes. Suivi d'un index français-berbère des termes relevés. Haut Commissariat à l'Amazighité.
  7. M. Gast, « Harṭâni », in Gabriel Camps (dir.), 22 | Hadrumetum – Hidjaba, Aix-en-Provence, Edisud (« Volumes », no 22) , 2000.
  8. Catherine Taine-Cheikh. ’Hartani’: une enquête au pays des mots. L’Ouest Saharien: Cahiers d’Etudes Pluridisciplinaires, 2020, Devenir visibles dans le sillage de l’esclavage : la question ḥarāṭīn en Mauritanie et au Maroc, 10–11, pp.73-94. halshs-03087902
  9. William-Frederic Edwards, Sabin Berthelot, Gustave “d'” Eichthal et Marie Armand Pascal “d'” Avezac, Memoires De La Societe Ethnologique, Veuve Dondey Dupre, (lire en ligne)
  10. Gustave Mercier, La Chaouia de l'Aurès: (dialecte de l'Ahmar-Khaddou) Étude grammaticale, texte en dialecte chaouia, Ernest Leroux, (lire en ligne)
  11. (fa) Luqmān, Loqmân berbère: avec quatre glossaires et une étude sur la légende de Loqmân, E. Leroux, (lire en ligne)
  12. Jaouad Mdidech, « Les Marocains sont-ils racistes ? », La Vie éco, (lire en ligne, consulté le ).
  13. (en) Christen M. Allen, Generational Differences Between Beur and North African Francophone Literatures: The New Stories of Immigrants in France, Logan, Utah State University, (lire en ligne), p. 12.
  14. (ar) جمال أمدوري, « مستشار بالداخلة يصف برلمانية من الـPJD بـ”الحرطانية”.. والعراك: ألفاظ جاهلية (فيديو) », Al3omk, (lire en ligne, consulté le ).
  15. Yassine Benargane, « Les élus du PJD solidaires avec Azzouha El Arrak, victime d'injures raciales », Yabiladi, (lire en ligne, consulté le ).
  16. M. Gast, « Harṭâni », Encyclopédie berbère, (lire en ligne, consulté le ).
  17. (en) Georges Séraphin Colin, « ḤARĀṬĪN », dans Georges Séraphin Colin, Encyclopaedia of Islam, vol. 3, B. Lewis, V.L. Ménage, Ch. Pellat et J. Schacht, , 230-232 p. (lire en ligne).
  18. Rachid Bellil, Les oasis du Gourara, page 63)
  19. S. Chaker, « Amaziɣ (le/un Berbère) », Encyclopédie berbère, no 4, , p. 562–568 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.2465, lire en ligne, consulté le )
  20. A.J Lucas, « Considérations sur l'ethnique maure et en particulier sur une race ancienne : les Bafours », Journal des Africanistes, nos 1-2, , p. 151-194 (lire en ligne)
  21. Badreddine Yousfi, « Les territoires sahariens en Algérie. Gouvernance, acteurs et recomposition territoriale », L’Année du Maghreb [Online], 16 | 2017, Online since 05 July 2017, connection on 22 December 2019. URL ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.2951

Voir aussi

Bibliographie

  • Chouki El Hamel (trad. de l'anglais par Anne-Marie Teewissen, préf. Catherine Coquery-Vidrovitch), Le Maroc noir : Une histoire de l'esclavage, de la race et de l'islamBlack Morocco: A History of Slavery, Race, and Islam »] [« Le Maroc noir, une histoire de l’esclavage, de la race et de l’islam »], La Croisée de Chemins., (ISBN 978-9920-769-04-4).
  • (en) Anthony G. Pazzanita, « Haratine », in Historical dictionary of Mauritania, Scarecrow Press, Lanham (Maryland) ; Toronto, Plymouth (Royaume-Uni), 2008 (3e éd.), p. 240-242 (ISBN 9780810855960)
  • Ould Saleck El Arby, Le paradoxe de l'abolition de l'esclavage et l'enjeu politique de la question haratine en Mauritanie, Université Paris 1, 2000, 312 p. (thèse de doctorat de Science politique)
  • Ould Saleck El Arby, Les Haratins : le paysage politique mauritanien, L'Harmattan, Paris ; Budapest ; Torino, 2003, 153 p. (ISBN 2-7475-4779-5)
  • M. Gast, « Harṭâni », Encyclopédie berbère, (lire en ligne, consulté le )

Articles connexes

Liens externes

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