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Festival panafricain d'Alger

Le Festival panafricain d'Alger (Panaf) est l'une des plus grandes manifestations culturelles d'Afrique. Elle regroupe des artistes et des intellectuels africains, ou issus de la diaspora africaine. Elle s'est déroulée en 1969 puis 40 ans aprÚs en juillet 2009 à Alger.

Logo du Festival panafricain d'Alger.

Le festival comprend des concerts, des spectacles de rue, des expositions, des projections, des concours ainsi que des confĂ©rences. Les disciplines reprĂ©sentĂ©es sont : la musique, la danse, le thĂ©Ăątre, la littĂ©rature, le cinĂ©ma et les arts visuels. Son ouverture est fĂȘtĂ©e par une parade dans les rues d'Alger au cours de laquelle dĂ©filent tous les pays participants.

Le premier festival s'est déroulé sept ans aprÚs la décolonisation de l'Algérie. Le contexte politique africain était assez mouvementé. C'était l'époque des Indépendances. Les leadeurs africains de mouvements de libération et les Black Panthers des USA étaient présents. Le film documentaire réalisé par William Klein, Festival panafricain d'Alger 1969, le montre assez bien.

Festival culturel Panafricain d'Alger 1969

Contexte historique général

Ayant lieu du 21 juillet au 1er aoĂ»t 1969, le FCPA se dĂ©roule Ă  un moment charniĂšre de l’histoire de la dĂ©colonisation[1]. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les grands empires europĂ©ens font face Ă  des demandes soutenues pour l’égalitĂ© et l’autodĂ©termination menant parfois Ă  des rĂ©voltes de la part des peuples sous occupation. Cette rĂ©alitĂ© occupera une place prĂ©pondĂ©rante sur la scĂšne internationale durant le XXe siĂšcle[2].

La victoire Vietnamienne Ă  Dien Bien Phu en 1954 face Ă  l’armĂ©e française encouragera le peuple algĂ©rien Ă  commencer sa propre guerre de libĂ©ration. Celle-ci durera prĂšs de 8 ans, sera marquĂ©e par la mort de 300 000 Ă  1 000 000 d’algĂ©riens(p. 157-158)[3] et se soldera par l’accĂšs Ă  l’indĂ©pendance officielle de l’AlgĂ©rie le 5 juillet 1962.

Menant d’un cĂŽtĂ© sa guerre d’indĂ©pendance, le Front de LibĂ©ration Nationale n’hĂ©sitera pas Ă  appuyer les mouvements de libĂ©rations des autres territoires du continent africain. Il aidera Ă  la formation de combattants dans ses camps et fournira un appui sur la scĂšne internationale au travers les ramifications de son gouvernement provisoire. Nelson Mandela sera un de ses activistes qui recevront une formation militaire Ă  cette Ă©poque[4]. Une fois l’indĂ©pendance acquise, le FLN prend le pouvoir et ne lĂ©sine pas. Son aide est renforcĂ©e. Le prĂ©sident Ahmed Ben Bella se rapproche des grandes figures du mouvement des non-alignĂ©s tels que Fidel Castro, Gamal Abdel Nasser et Che Guevara. Ben Bella et Guevara voient en l’Afrique « le maillon faible de l’impĂ©rialisme »[5]. Ce dernier se servira d’Alger comme d’une arriĂšre base pour appuyer des mouvements rĂ©volutionnaire, notamment lors de son implication dans le conflit du Congo-Kinshasa.

MalgrĂ© l’éviction de Ben Bella, le gouvernement menĂ© par Houari Boumediene Ă  partir de juin 1965 continuera son appui indĂ©fectible aux guĂ©rilleros et activistes du monde. En 1969, la capitale algĂ©rienne regroupe 27 mouvements de libĂ©ration d’à travers le monde, dont 7 issus du continent africain[6]. Ceci vaudra Ă  Alger le titre de Mecque des rĂ©volutionnaires ou de Capitale du Tiers-Monde.

L’AlgĂ©rie elle-mĂȘme a Ă©tĂ© appuyĂ©e matĂ©riellement et diplomatiquement par nombre de pays lors de sa lutte pour l’indĂ©pendance. La libertĂ© acquise, plusieurs pays continuent d’envoyer leur aide[7]. Le peuple algĂ©rien s’en souviendra longtemps et malgrĂ© sa situation Ă©conomique prĂ©caire, il restera solidaire des mouvements de libĂ©rations planĂ©taires[8].

Le rĂŽle du Panafricanisme

Le Panafricanisme est un mouvement qui tire ses origines Ă  la fin du XIXe siĂšcle et qui s’ancre dans l’histoire avec la tenue d’une premiĂšre confĂ©rence panafricaine Ă  Londres en 1900[9]. Durant les dĂ©cennies suivantes, grĂące Ă  la tenue de divers congrĂšs, les leaders de la diaspora africaine font pression sur les puissances mondiales pour que soit reconnus des droits Ă©gaux aux personnes de couleurs. Ils en viendront plus tard Ă  prĂŽner l’indĂ©pendance et l’union politique des peuples d’Afrique. Cette prise de conscience engagĂ©e par des leaders tel W.E.B. Dubois et Jean-Price Mars[10] encouragera des mouvements intellectuels comme celui de la NĂ©gritude, vĂ©hiculĂ© par des auteurs comme LĂ©opold SĂ©dar Senghor et AimĂ© CĂ©saire[11]. Les Ă©crits de Frantz Fanon, tels Peau Noire, masques blancs et Les damnĂ©es de la terre, marqueront quant Ă  eux les mouvements rĂ©volutionnaires du monde[12].

En 1957, le Ghana accĂšde Ă  l’indĂ©pendance, et son premier prĂ©sident Kwame N’Krumah est un promoteur du panafricanisme et d’unitĂ© continentale. Il convoque Ă  Accra en 1958 un congrĂšs qui rĂ©unit officiellement des reprĂ©sentants des 7 autres pays africains indĂ©pendants de l’époque : l’Éthiopie, la Libye, le Maroc, le Soudan, le LibĂ©ria, la Tunisie et l’Égypte. Des dĂ©lĂ©gations d’autres territoires y sont prĂ©sentes, notamment l’AlgĂ©rie reprĂ©sentĂ©e par Frantz Fanon et le Congo par Patrice Lumumba[13].

De 1958 Ă  la crĂ©ation de l’Organisation de l’unitĂ© africaine (OUA), en 1963 Ă  Addis-Abeba, il y aura plusieurs confĂ©rences panafricaines oĂč se polarisent deux visions : celle des « rĂ©formateurs » du groupe de Monrovia et celle des « rĂ©volutionnaires » du groupe de Casablanca[14].

La dissension est marquĂ©e au sein du groupe de Casablanca et c’est l’influence du groupe de Monrovia, groupement plus prĂšs des intĂ©rĂȘts occidentaux, qui aura prĂ©sĂ©ance. Cet ascendant marquera la charte de l’OUA, ratifiĂ©e au terme de la confĂ©rence.

Les pays africains s’entendent alors sur la nĂ©cessitĂ© de lutter pour l’élimination du colonialisme en Afrique, sur le renforcement de l’unitĂ© et de la solidaritĂ© africaine, l’amĂ©lioration des conditions de vies et la coordination de leurs politiques. Au lieu de pencher vers une union, les « rĂ©formateurs » s’assurent que le respect des souverainetĂ©s sera le fondement de l’organisation[15].

Le dĂ©but des annĂ©es 1960 voient les « modĂ©rĂ©s » prendre l’avant-place des dĂ©bats sur la scĂšne africaine. À cette Ă©poque, les nations indĂ©pendantes sont pleines des espoirs que leur confĂšre leur nouveau statut et croient que leur dĂ©veloppement suivra naturellement[16].

À l’étĂ© 1969, lors de la tenue du Panaf, un changement s’est opĂ©rĂ© et ce sont maintenant les « rĂ©volutionnaires » menĂ©s par le leadership algĂ©rien entre autres qui ont le vent en poupe et qui influencent la politique africaine[16] en faisant la promotion d’un panafricanisme rĂ©volutionnaire[17].

L'organisation du festival

C’est sous l’égide de l’Organisation de l’unitĂ© africaine que sera promue l’idĂ©e d’un festival culturel panafricain. Le PrĂ©sident algĂ©rien Houari Boumediene est aussi le prĂ©sident de l’OUA. L’AlgĂ©rie, symbole de la lutte anti-impĂ©rialiste, invitera donc l’Afrique entiĂšre et sa diaspora Ă  venir cĂ©lĂ©brer l’africanitĂ© sur son territoire[18].

Pour les organisateurs, le festival doit faire la promotion de l’indĂ©pendance africaine. Plusieurs pays d’Afrique vivent encore colonisĂ©s Ă  l’époque[19]. Ce festival se veut aussi une vitrine de la rĂ©ussite des indĂ©pendances dĂ©jĂ  acquises. C’est pourquoi l’AlgĂ©rie finance la majeure partie de l’évĂ©nement grĂące aux revenus des hydrocarbures exploitĂ©s par sa compagnie nationale Sonatrach[20].

Cet Ă©vĂ©nement est vu comme une opportunitĂ© pour tisser des liens entre les peuples des diffĂ©rents pays. L’AlgĂ©rie souhaite devenir un pĂŽle Ă©conomique d’importance[21] et espĂšre que le festival encouragera le dĂ©veloppement du commerce avec de nouveaux partenaires africains. Seulement 1% de ses Ă©changes commerciaux sont rĂ©alisĂ©s avec le continent Ă  l'Ă©poque, contre deux tiers avec l’ancienne mĂ©tropole, la France[22]. Cette dĂ©pendance envers les anciennes mĂ©tropoles est une rĂ©alitĂ© pour la majoritĂ© des pays Africains des annĂ©es 1960[16].

Le défilé d'ouverture

C’est Ă  16 heures, le 21 juillet 1969 que le coup d’envoi du dĂ©filĂ© est donnĂ© par un baroud de la dĂ©lĂ©gation algĂ©rienne. Le dĂ©filĂ© franchit une dizaine de kilomĂštres au total et sera joint par 200 000 AlgĂ©riens. Des troupes de danseurs, des musiciens, des acrobates de toutes les rĂ©gions du continent sont prĂ©sents et participent Ă  cette grande fĂȘte. On observe la richesse culturelle du continent de par la multitude d’habits, d’apparats, les diffĂ©rentes danses, chants, le tout supportĂ© par les instruments de musique traditionnels d’Afrique. La marche se ferme par des dĂ©lĂ©gations de diffĂ©rents mouvements de libĂ©ration nationale africains qui paradent avec leurs habits militaires. Plus de 4000 participants dĂ©fileront sous les yeux des foules d’Alger[23]. Les journaux nationaux et les dirigeants algĂ©riens parleront d’une rĂ©ussite qui rappelle la liesse de la proclamation d’indĂ©pendance algĂ©rienne le 5 juillet 1962. Ce dĂ©filĂ© sera utilisĂ© par l’establishment africain comme preuve de l’unitĂ© africaine lĂ©gitimant sa lutte pour la libĂ©ration et le dĂ©veloppement[24].

Le "Panaf"

Des artistes et des troupes venus de toute l'Afrique et de la diaspora africaine ont participé à cette premiÚre édition. Parmi les artistes figurent : Demagh Mohamed ,Tayeb Saddiki, Miriam Makeba, Archie Shepp, Choukri Mesli, Barry White, Manu Dibango, Nina Simone, Ousmane SembÚne, Aminata Fall, André Salifou, Albert Memmi, Grachan Moncour III, Sunny Murray, Cal Massey (en), Clifford Thornton (en), Alan Silva, Dave Burell (en), Oscar Peterson, Marion Williams (en), Maya Angelou, Don Lee, Ted Joans. On assiste à des spectacles en amphithéùtre, mais plusieurs performances sont aussi offerte à ciel ouvert et accessible à toute la population. Musique, théùtre et danses feront la joie des festivaliers.

Plusieurs de ces performances ont marquĂ© les esprits. Les performances de Miriam Makeba, chanteuse Sud-africaine en exil pour son militantisme face au rĂ©gime d’apartheid sont de ceux-ci. Durant une de ses performances, Mme. Makeba chantera en arabe pour la foule « Ana Houra fi El Djazair »[25], « Je suis libre en AlgĂ©rie » une vibrante ode Ă  la libĂ©ration des peuples africains et au peuple algĂ©rien, qui, Ă  cette Ă©poque, supporte les combats de libĂ©ration africains toujours en cours. La chanteuse se verra octroyer la citoyennetĂ© algĂ©rienne Ă  la conclusion du festival pour faciliter ses dĂ©placements Ă  l’étranger[26].

En fin de festival, Archie Shepp, Ă©toile amĂ©ricaine du jazz, montera sur scĂšne avec ses musiciens et une large troupe de musiciens et danseurs Touaregs. C’est un moment d’anthologie qui dĂ©montre bien le rapprochement des cultures de la diaspora africaine prenant place durant le festival. Un enregistrement en direct du concert a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© et publiĂ© en 1969, Live at the Pan-African Festival (en). On peut y entendre un mĂ©lange de musique traditionnelle du Sahara accompagnĂ©e d’une improvisation free jazz. Shepp proclamera « We are still Black and we have come back
 Jazz is a Black Power! Jazz is an Africain power. Nous sommes revenus! “ [27]Les Touaregs inviteront par la suite Shepp et ses musiciens Ă  les visiter dans les dĂ©serts du sud pour d’autres performances. Il confiera plus tard y avoir vĂ©cu « une des expĂ©riences les plus profondes de sa vie. » [traduction libre][28].

Durant le festival a Ă©tĂ© tenue la Semaine du CinĂ©ma Africain, dans la salle Ibn Khaldoun. Le symposium des cinĂ©astes se dĂ©roule le matin, en aprĂšs-midi et en soirĂ©e on assiste Ă  la projection de films africains, on engage des dĂ©bats et des tables-rondes avec les diffĂ©rents auteurs des Ɠuvres. Par des ratĂ©s organisationnels, la plupart des cinĂ©astes anglophones d’Afrique n’ont pas participĂ© au festival[29].

C’est dans le ThĂ©Ăątre National AlgĂ©rien, fraĂźchement rĂ©novĂ©, qu’a eu lieu une compĂ©tition thĂ©Ăątrale entre les diffĂ©rentes dĂ©lĂ©gations. Chaque pays avait le droit de faire la reprĂ©sentation d’une Ɠuvre pour l’occasion. Le SĂ©nĂ©gal remportera le premier prix avec la piĂšce L’exil d’Albouri[30].

Le festival panafricain et les colloques qui s'y déroulent sont l'occasion pour l'Afrique de démontrer que sa culture n'est pas figée dans l'exotisme de ses traditions, en s'affirmant comme une culture consciente de ses racines et tournée vers la modernité et l'universalisme.

La clĂŽture du festival donna lieu Ă  un autre dĂ©filĂ© rassemblant artistes et spectateurs dans une ambiance joyeuse. Des feux d’artifice d’une grande ampleur illuminent la ville[31]. Le film rĂ©alisĂ© par William Klein rend compte de la vitalitĂ© de l'Ă©vĂ©nement[26].

Parmi les personnalités françaises, Jack Lang, alors directeur du Théùtre universitaire de Nancy, est présent.

Le Manifeste Culturel Panafricain

Le symposium du festival qui rĂ©unit des dĂ©lĂ©gations de toute la diaspora africaine et des africanistes du monde produira, au bout d’une semaine d’échange, un manifeste. Il se base sur les suggestions du discours inaugural de Houari Boumediene qui souhaitait engager un dĂ©bat de fond sur les trois points suivants[19] :

  •  Les rĂ©alitĂ©s de la culture africaine
  • Le rĂŽle de la culture africaine dans les luttes de libĂ©ration nationale et dans la consolidation de l’unitĂ© africaine
  • Le rĂŽle de la culture africaine dans le dĂ©veloppement social de l’Afrique

Le manifeste stipule que les diffĂ©rents peuples africains ont souffert grandement du colonialisme qui a implantĂ© une domination politique et a tentĂ© d’éradiquer les cultures et les personnalitĂ©s africaines. L’unitĂ© des peuples africains prend existence dans le destin partagĂ©, la lutte fraternelle de libĂ©ration contre la mĂȘme oppression et donc d’un avenir qui doit ĂȘtre assumĂ© en commun. En rĂ©ponse Ă  leur situation, les auteurs du manifeste encouragent la libĂ©ration totale du continent et le ressassement de l’esprit africain. Sans tendre vers un repli sur soi, un retour aux sources est souhaitĂ©, l’inventaire des valeurs africaines et de celles qui ont Ă©tĂ© imposĂ©s par des Ă©lĂ©ments Ă©trangers est Ă  faire. La colonisation laisse des marques qui peuvent inhiber et aliĂ©ner les peuples. Les auteurs appellent donc Ă  laisser tomber les schĂ©mas qui ne servent plus, tout en enrichissant la culture africaine des acquis sociaux, scientifiques et techniques rĂ©cents pour amener la population vers la modernitĂ© et l’universalisme[32].

La culture africaine, souvent considĂ©rĂ©e comme exotique, un objet d’intĂ©rĂȘt pour les musĂ©es occidentaux, doit rĂ©affirmer sa place dans le monde en tant qu’entitĂ© vivante. L’éthique africaine, sa solidaritĂ©, son hospitalitĂ©, sa fraternitĂ©, sa spiritualitĂ© et sa sagesse tous vĂ©hiculĂ©es par voie orale et Ă©crite, au travers le conte, les lĂ©gendes, les dictons et proverbes se doivent d’ĂȘtre une inspiration pour les artistes et artisans de cette culture en marche[33].

Par une lutte totale pour la dĂ©colonisation, les masses africaines pourront se rĂ©approprier leurs cultures et leurs ressources nationales. GrĂące aux apports de ces richesses et des technologies le continent aura finalement la chance de se dĂ©velopper Ă©conomiquement et de se joindre au concert d’une civilisation universelle[34].

Plusieurs suggestions seront faites notamment : le rapprochement interculturel, une assistance Ă©conomique et technique intra-africaine, l’échange d’information, la rĂ©forme du systĂšme d’enseignement et l’éducation des masses, un rĂ©tablissement vĂ©ridique de l’histoire africaine, la protection de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, le rapatriement des Ɠuvres et archives pillĂ©es par les occidentaux, l’usage des instances internationales pour faire avancer le combat africain, etc.[35]

Conclusions générales des cinéastes

Le Panaf fut l’occasion pour les cinĂ©astes du continent de dialoguer, rĂ©flĂ©chir sur leur situation et de prendre des dĂ©cisions pour encourager la production cinĂ©matographie africaine et son rayonnement. Les cinĂ©astes se servent de la plateforme pour faire des recommandations aux chefs d’états du continent et Ă  l’Organisation de l’UnitĂ© Africaine. Les acteurs du symposium conviennent de la crĂ©ation de l’Union Panafricaine des CinĂ©astes lors d’une prochaine rencontre Ă  Addis-Abeba. Cette organisation deviendra la FEPACI, aujourd’hui situĂ©e Ă  Nairobi au Kenya[36].

Constatant que le cinĂ©ma africain est encore majoritairement produit et distribuĂ© par des sociĂ©tĂ©s venant de l’étranger, les cinĂ©astes s’entendent pour dire que l’Afrique doit mettre en place des structures facilitant les industries cinĂ©matographiques nationales. Ces structures doivent faciliter la coordination et la coopĂ©ration au niveau continental. L’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale du symposium est consciente du potentiel de l’industrie cinĂ©matographique dans le processus de rĂ©habilitation de la culture africaine. Elle souhaite aussi en faire le vecteur du progrĂšs social et dĂ©veloppement Ă©conomique[36].

On commence dĂ©jĂ  Ă  dĂ©finir le cadre de la future Union Panafricaine des CinĂ©astes. On crĂ©e un Bureau de presse Ă  Alger, la GuinĂ©e se voit confier la rĂ©daction d’un rapport sur les problĂšmes de distribution, production et d’exploitation. Un comitĂ© de coordination sera Ă©lu pour organiser la rencontre d’Addis-Abeba et le SĂ©nĂ©gal accueillera son secrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral. Ils ont la vision d’une future cinĂ©mathĂšque continentale qui sauvegardera les films africains tout en protĂ©geant les droits des producteurs. On encourage la crĂ©ation d’un festival du film africain. Cet Ă©lan consolidera le Festival de cinĂ©ma africain de Ouagadougou qui prĂ©pare sa deuxiĂšme Ă©dition[36].

Pour ces cinĂ©astes, l’Organisation de l’UnitĂ© Africaine doit faire du cinĂ©ma une prioritĂ©. Ils demanderont donc aux diffĂ©rents Ă©tats d’assurer le financement des diffĂ©rentes structure dont ils font la promotion et de mettre en place des lois facilitant la protection et l’expansion cinĂ©ma africain[36].

DĂ©claration des Ă©diteurs

Des officiels, artistes, historiens et publicistes sont rĂ©unis Ă  la SociĂ©tĂ© Nationale d’Édition et de Diffusion durant le festival. Tout comme les cinĂ©astes, ils conviennent que leur industrie est toujours dĂ©pendante d’un systĂšme mis en place par des intĂ©rĂȘts Ă©trangers. Ils sont consternĂ©s par l’absence d’entreprises de publication locales. BasĂ©es Ă  Londres, Paris et New York les compagnies actuelles sont intĂ©ressĂ©es par le profit. Leur manque de sensibilitĂ© aux rĂ©alitĂ©s du continent sont un frein Ă  ses aspirations[37].

Cette rencontre souligne qu’il est primordial de donner les outils pour que l’industrie du livre puisse jouer son rĂŽle dans la dĂ©colonisation culturelle africaine. Sous l’impulsion du panel prĂ©sent la Commission d’Édition et de Diffusion du Livre Africain (C.E.D.L.A.) est crĂ©Ă©. Elle sera situĂ©e Ă  Alger et aura pour but d’assurer entre autres la crĂ©ation de maisons d’éditions, la vente et la diffusion de livres Ă  caractĂšre culturels sur les territoires des États de l’Afrique et dans le reste du monde[37].

La section internationale du Black Panther Party

Plusieurs leaders du Black Panther Party avaient Ă©tĂ© invitĂ©s pour la tenue du Festival Panafricain. Entre autres le chef du cabinet David Hilliard (en), le ministre de l’éducation Raymond Masai Hewitt et le ministre de la culture Emory Douglas[23].

Quelques semaines avant le Panaf, le ministre de l’information du BPP, Eldridge Cleaver, en exil Ă  Cuba depuis un an s’envole vers l’AlgĂ©rie. Il atterrit Ă  Alger et est mis en contact avec Elaine Mokhtefi, nĂ©e en sol amĂ©ricain[38], Mokhtefi participe Ă  cette Ă©poque Ă  l’organisation du festival et a des connexions avec des poids lourds du gouvernement AlgĂ©rien. Elle aidera les Black Panthers Ă  s’établir Ă  Alger[39].

Durant le festival, l’Afro-American Center, situĂ© sur une des principales artĂšres de la ville, attirera la jeunesse algĂ©rienne. « Le centre devient trĂšs vite un endroit incontournable pour les festivaliers et les Ă©tudiants algĂ©rois »[40]. On y tient des sessions d’informations, des expositions, on projette des films[23].

Le centre est situĂ© en face de celui dĂ©diĂ© Ă  la cause Palestinienne, ce qui amĂšnera un rapprochement entre les deux mouvements. À un tel point que durant son discours Ă  l’ouverture du festival, Eldridge Cleaver proclamera « al Fath will win! »[le Fatah vaincra][40].

Le gouvernement algĂ©rien avait confiĂ© la production du documentaire Le Premier festival culturel Panafricain Ă  l’amĂ©ricain William Klein. Ce dernier prendra cette occasion pour produire un autre documentaire financĂ© par l’AlgĂ©rie sur Eldridge Cleaver et son combat[41].

À la suite de ce festival, l’arrivĂ©e de Cleaver et d’autres figures de proue du mouvement des Black Panther mĂšnera Ă  la crĂ©ation de la section internationale du BPP. Le gouvernement algĂ©rien leur fournira les mĂȘmes avantages qu’aux autres organismes de libĂ©rations reconnus et prĂ©sents sur son sol. Ils auront droit Ă  un Ă©tablissement, une allocation financiĂšre et des identifications diplomatiques permettant l’entrĂ©e et la sortie du pays sans demande de visa leur seront attribuĂ©s[42]. Cette premiĂšre « ambassade » du peuple afro-amĂ©ricain sera inaugurĂ©e le 13 septembre 1970[43].

Controverse

En 1966 a eu lieu Ă  Dakar au SĂ©nĂ©gal le premier Festival Mondial des Arts NĂšgres. C’est un festival d’envergure, mis en place en partie par l’Unesco et la SociĂ©tĂ© Africaine de culture. Le prĂ©sident du SĂ©nĂ©gal Ă  l’époque est LĂ©opold SĂ©dar Senghor, penseur du mouvement de la NĂ©gritude. Ce festival vise Ă  faire la promotion de la culture noire et de sa diaspora. Les pays du Maghreb sont absents de l’évĂ©nement[44].

La situation est diffĂ©rente Ă  Alger en 1969. Le Panaf veut tisser des liens culturels et tente de faire la promotion d’une africanitĂ© commune. La promotion d’un panafricanisme rĂ©volutionnaire y est palpable. Lors des diffĂ©rents colloques, des critiques sont soulevĂ©s Ă  l’endroit de la NĂ©gritude. Selon SĂ©kou TourĂ©, cela encourage la discrimination raciale alors que d’autres croient que la nĂ©gritude et cette catĂ©gorisation raciale sert l’intĂ©rĂȘt des colonialistes. Plusieurs acteurs du symposium reconnaissent l’apport de la mouvance dans la rĂ©habilitation de la personnalitĂ© africaine, mais appellent maintenant Ă  la transcender[45].

Ce dĂ©bat entre promoteurs de la nĂ©gritude et ceux ayant une vision Ă©largie de l’AfricanitĂ© affecte aussi la tenue de FESTAC_77 en 1977. LĂ©opold SĂ©dar Senghor et le SĂ©nĂ©gal s’opposent Ă  la participation des nations arabes au festival. Ils menacent de ne pas y participer. Le NigĂ©ria, pays hĂŽte, dĂ©fend la prĂ©sence de tous les membres adhĂ©rent Ă  l’Organisation de l’UnitĂ© Africaine. Selon ses diplomates, le contraire serait du racisme pur et simple. Cet Ă©pisode mĂšne Ă  une courte crise diplomatique qui voit le prĂ©sident sĂ©nĂ©galais perdre en prestige[46].

Festival panafricain d'Alger 2009

La deuxiĂšme Ă©dition du festival s'est dĂ©roulĂ©e en juillet 2009, soit 40 ans aprĂšs celle de 1969[47]. Elle a rassemblĂ© 49 pays africains ainsi que les États-Unis, le BrĂ©sil et HaĂŻti. Parmi les artistes invitĂ©s figurent : Biyouna, Youssou N'Dour, Gnawa Diffusion, Alpha Blondy, Magic System, CesĂĄria Évora, Khaled, Danny Glover, Sami Tchak, Tierno MonĂ©nembo, Abou Lagraa, Louis-Philippe Dalembert, Steven Moussala et entre autres. Cette Ă©dition porte sur la diffusion des Ɠuvres africaines. Elle comprend des rĂ©Ă©ditions de livres d'auteurs africains ou traitant de l'Afrique, des concours (de nouvelles, de BD...) et elle est divisĂ©e en plusieurs festivals spĂ©cialisĂ©s : Festival de littĂ©rature et de livre jeunesse, Festival de thĂ©Ăątre, Festival de la Bande dessinĂ©e, Festival Diwane et Jazz, Festival de danses populaires...etc.

  • Logo du Panaf 2009.
    Logo du Panaf 2009.

Notes et références

  1. Khellas 2014, p. 14.
  2. Decraene 1964, p. 5.
  3. Prashad, Vijay. (trad. de l'anglais), Les nations obscures : une histoire populaire du tiers monde, MontrĂ©al (QuĂ©bec)/Escalquens, Éditions ÉcosociĂ©tĂ©, , 357 p. (ISBN 978-2-923165-60-8 et 2923165608, OCLC 458727200, lire en ligne)
  4. L'Asnami 2017 (6 m 50 s).
  5. L'Asnami 2017 (5 m 57 s).
  6. Khellas 2014, p. 28.
  7. L'Asnami 2017 (18 m 18 s).
  8. Mokhtefi 2018, p. 95.
  9. Decraene 1964, p. 12.
  10. Decraene 1964, p. 14-20.
  11. Decraene 1964, p. 37.
  12. Khellas 2014, p. 35.
  13. Michel 2005, p. 205.
  14. Michel 2005, p. 206.
  15. Michel 2005, p. 209-210.
  16. Michel 2005, p. 218.
  17. Khellas 2014, p. 21.
  18. Khellas 2014, p. 39.
  19. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 14.
  20. Khellas 2014, p. 41.
  21. Khellas 2014, p. 45.
  22. Khellas 2014, p. 47.
  23. Mokhtefi 2018, p. 91.
  24. Khellas 2014, p. 53-70.
  25. Said Bouchelaleg, « Miriam Makeba « Mama Afrika » Chanson Ana Houra fi El Jazair ŰŁÙ†Ű§ ۭ۱۩ في Ű§Ù„ŰŹŰČۧۊ۱ »,‎ (consultĂ© le )
  26. Ahmed Bedjaoui, « Once Upon a Time, There was PANAF », Nka Journal of Contemporary African Art, vol. 2018, nos 42-43,‎ , p. 173 (ISSN 1075-7163 et 2152-7792, DOI 10.1215/10757163-7185821, lire en ligne, consultĂ© le )
  27. Fayçal ZOUMHANE, « We Have Come Back - Archie Shepp Part I », (consulté le )
  28. Mokhtefi 2018, p. 93-94.
  29. Paulin Soumanou VIEYRA, « Le cinĂ©ma au 1 er Festival culturel panafricain d'Alger », PrĂ©sence Africaine, no 72,‎ , p. 190–201 (ISSN 0032-7638, lire en ligne, consultĂ© le )
  30. Bakary TRAORE, « Le thĂ©Ăątre africain au Festival culturel panafricain d'Alger », PrĂ©sence Africaine, no 72,‎ , p. 179–189 (ISSN 0032-7638, lire en ligne, consultĂ© le )
  31. Mokhtefi 2018, p. 94.
  32. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 178.
  33. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 180.
  34. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 182.
  35. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 185-186.
  36. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 188.
  37. La Culture africaine : le symposium d'Alger, 1969, p. 191.
  38. Mokhtefi 2018, p. 83.
  39. Mokhtefi 2018, p. 88.
  40. Khellas 2014, p. 34.
  41. Mokhtefi 2018, p. 92.
  42. Mokhtefi 2018, p. 106.
  43. Mokhtefi 2018, p. 108.
  44. Khellas 2014, p. 24.
  45. Apter 2016, p. 315.
  46. Apter 2016, p. 316.
  47. HervĂ© Bourges, L'Afrique n'attend pas, Éditions Actes Sud, , 184 p. (ISBN 978-2-330-00305-0, lire en ligne), p. 56.

Annexes

Bibliographie

  • Andrew Apter, « Beyond NĂ©gritude: Black cultural citizenship and the Arab question in FESTAC 77 », Journal of African Cultural Studies, vol. 28, no 3,‎ , p. 313–326 (ISSN 1369-6815, DOI 10.1080/13696815.2015.1113126, lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Philippe Decraene, Le Panafricanisme, Paris, Les Presses Universitaires de France, , 124 p.
  • MĂ©riem Khellas, Le premier Festival culturel panafricain : Alger, 1969 : une grande messe populaire, Paris, l'Harmattan, , 82 p. (ISBN 978-2-343-04344-9 et 2343043442, OCLC 898457512).
  • Marc Michel, DĂ©colonisations et Ă©mergence du tiers monde, Paris, Hachette, , 271 p. (ISBN 2-01-145697-5 et 9782011456977, OCLC 424218095).
  • (en) Elaine Mokhtefi, Algiers, Third World Capital : Freedom Fighters, Revolutionaries, Black Panthers, , 256 p. (ISBN 978-1-78873-000-6 et 1788730003, OCLC 1005113844)
  • Festival culturel panafricain, La Culture africaine : le symposium d'Alger, 21 juillet-1er aoĂ»t 1969 : premier festival culturel panafricain., Alger, S.N.E.D. SociĂ©tĂ© nationale d'Ă©dition et de diffusion, , 402 p.

Articles connexes

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