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Ousmane Sembène

Ousmane Sembène, né le à Ziguinchor, Sénégal et mort le à Dakar (Sénégal), est un écrivain, réalisateur et scénariste sénégalais, personnalité majeure de l'Afrique contemporaine, connu pour ses partis pris militants sur les questions politiques et sociales.

Il a grandi dans une famille pauvre et a dû abandonner l'école à un jeune âge. Plus tard, il a été soldat pendant la Seconde Guerre mondiale et a ensuite travaillé comme docker avant de s'engager dans la lutte pour l'indépendance du Sénégal. C'est à cette époque qu'il a découvert sa passion pour le cinéma et a commencé à réaliser des films. Ses premiers films ont été des documentaires qui ont attiré l'attention sur les problèmes sociaux et politiques en Afrique. Plus tard, il a réalisé des longs métrages de fiction, dont certains sont devenus des classiques du cinéma africain.

Biographie

Formation et jeunesse

D'après ses pièces d'état-civil, Ousmane Sembène est né le , mais dans un entretien paru dans Le Soleil en 1993, l'intéressé affirme que sa date de naissance réelle est le 1er janvier car son père s'est accordé un temps de réflexion avant de le déclarer[1] - [2]. Son lieu de naissance est Ziguinchor, une ville de la Casamance. Ses parents sont des Lébous ayant quitté la presqu'île du Cap-Vert pour la Casamance. À partir de 8 ans, il entre à l'école Escale, l'actuel collège d'enseignement général Malick-Fall, mais il n’y reste guère, soit à cause de son indiscipline, soit en raison d'une exclusion de l’établissement[3]. Il est alors envoyé chez son oncle maternel Abdourahmane Diop, qui ouvrit la première école en langue française à Marsassoum en 1922[4]. Il y fréquente également l'école coranique[5]. Vers 1936, il est envoyé préparer le certificat d'études à Dakar mais se trouve renvoyé après une altercation avec le directeur de l’école Pierre Péraldi, qui voulait leur enseigner le corse[6].

Pendant cette période, il exerce le métier de mécanicien et de maçon tout en s'intéressant au cinéma. Le film Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl provoque l'un de ses premiers chocs esthétiques. Il mène également une vie studieuse et spirituelle[7].

Après la visite du général de Gaulle au Sénégal en , il est mobilisé par l’armée française et intègre les tirailleurs sénégalais au sein du 6e régiment d'artillerie coloniale. La date précise de son incorporation reste incertaine. Il est de la classe de 1943, l'âge du service militaire étant fixé à 20 ans, et il est probable qu'il intègre l'armée le , comme son ami Djibril Mbengue. Cette expérience difficile le marque profondément et nourrit ses sentiments anticolonialistes[8]. Le personnage du tirailleur sénégalais revient d'ailleurs dans plusieurs de ses œuvres, notamment dans les films Camp de Thiaroye et Niaye, ainsi que dans sa nouvelle Vehi-Ciosane ou Blanche-Genèse[9].

Militantisme et débuts littéraires

En 1946, il embarque clandestinement pour la France et débarque à Marseille, où il vit de différents petits travaux. Il est notamment docker au port de Marseille, place de la Joliette, pendant dix ans. Il adhère à la CGT et au Parti communiste français, où il développe des convictions marxistes et militantes[10]. Il milite contre la guerre en Indochine et pour l’indépendance de l’Algérie[11]. Il joue d'ailleurs comme figurant dans Le Rendez-vous des quais de Paul Carpita, qui témoigne de la solidarité entre les indépendantistes indochinois et les dockers de la CGT[12], mais il sera coupé au montage[13].

C'est à cette époque qu'il commence à s'intéresser à l'écriture et à la littérature. Il fréquente alors les bibliothèques de la CGT et commence à suivre des cours offerts par le PCF[14]. En 1956, il publie son premier roman, Le Docker noir, qui relate son expérience de docker. Puis, en 1957, il publie Ô pays, mon beau peuple. En 1960, il publie un nouveau roman, Les Bouts de bois de Dieu, qui raconte l’histoire de la grève des cheminots en 1947-1948 du Dakar-Niger, la ligne de chemin de fer qui relie Dakar à Bamako. L’histoire se déroule parallèlement à Dakar, Thiès et Bamako sur fond de colonialisme et de lutte des cheminots pour accéder aux mêmes droits que les cheminots français.

En 1960, l’année de l’indépendance du Soudan français — qui devient le Mali — et du Sénégal, Ousmane Sembène rentre en Afrique. Il voyage à travers différents pays : le Mali, la Guinée, le Congo. Il commence à penser au cinéma pour atteindre les non lecteurs encore très nombreux en Afrique, et pour donner une autre image de l’Afrique, voulant montrer la réalité à travers les masques, les danses, les représentations.

Débuts cinématographiques

En 1961, il entre dans une école de cinéma à Moscou, la VGIK[15]. Il réalise dès 1962 son premier court-métrage Borom Sarret (Le Charretier), suivi en 1964 par Niaye qui gagnera le prix CIC du festival de court métrage de Tours et une mention spéciale au Festival international du film de Locarno[16]. Ce second film, adapté de sa nouvelle Vehi-Ciosane ou Blanche-Genèse, raconte l'histoire d'une famille noble des Niayes (régions rurales du Sénégal) qui se voit déshonorée après que le père a commis l'inceste sur sa fille[17].

En 1966 sort son premier long-métrage, qui est aussi le premier long métrage « négro-africain » du continent, intitulé La Noire de… et produit par André Zwobada[18] (prix Jean-Vigo de la même année). D'emblée, Ousmane Sembène se place sur le terrain de la critique sociale et politique avec l'histoire d’une jeune Sénégalaise qui quitte son pays et sa famille pour venir en France travailler chez un couple qui l’humiliera et la traitera en esclave, la poussant jusqu'au suicide.

Considéré comme l'un de ses chefs-d'œuvre et couronné par le prix de la critique internationale au Festival de Venise, Le Mandat (1968) est une comédie acerbe contre la nouvelle bourgeoisie sénégalaise, apparue avec l'indépendance.

En 1969, il est invité au premier Festival de cinéma africain de Ouagadougou (qui deviendra le Fespaco en 1972) par les fondateurs de ce festival, dont il ne fait pas partie[19]. En revanche, à partir de l'édition de 1970, il prend un rôle très important dans le festival et participe à son envol. Jusqu'à sa mort, il participera au Fespaco, tout en refusant de participer à la compétition, pour laisser émerger d'autres cinéastes[20].

En 1979, son film Ceddo est interdit au Sénégal par le président Léopold Sédar Senghor, qui justifie cette censure par une « faute » d'orthographe : le terme ceddo ne s'écrirait (selon lui) qu'avec un seul « d »[21]. Le pouvoir sénégalais avait en fait à cœur de ne pas froisser les autorités religieuses, notamment musulmanes. Sembène relate la révolte à la fin du XVIIe siècle des Ceddos, vaillants guerriers traditionnels aux convictions animistes qui refusaient de se convertir. Il attaque ainsi avec virulence les invasions conjointes du catholicisme et de l'islam en Afrique de l'Ouest et leur rôle dans le délitement des structures sociales traditionnelles avec la complicité de certains membres de l'aristocratie locale.

En 1988, malgré le prix spécial du jury reçu au Festival de Venise, son film Camp de Thiaroye ne sort pas en France. Il a acquis ainsi une réputation de film censuré. Ce long-métrage est un hommage aux tirailleurs sénégalais et surtout une dénonciation d'un épisode accablant pour l'armée coloniale française en Afrique, qui se déroula à Thiaroye en 1944. Le film sera finalement diffusé en France, mais seulement dans quelques salles, dix ans plus tard, en 1998[22]. Produit par une coproduction interafricaine réunissant le Sénégal, la Tunisie et l'Algérie, le film ne sera pas non plus diffusé en salle en Tunisie et en Algérie[23].

Le fils d'Ousmane Sembène et Mbissine Thérèse Diop, lors d'une soirée en hommage au réalisateur (Cinémathèque française, 2008)

Fin de carrière

Statue d'Ousmane Sembène à Ouagadougou.

En 2000, avec Faat Kiné, il commence un triptyque sur « l’héroïsme au quotidien », dont les deux premiers volets sont consacrés à la condition de la femme africaine (le troisième, La Confrérie des Rats était en préparation). Le second, Moolaadé (2003), aborde de front le thème très sensible de l'excision. Le film relate l’histoire de quatre fillettes qui fuient l’excision et trouvent refuge auprès d’une femme, Collé Ardo (jouée par la Malienne Fatoumata Coulibaly), qui leur offre l’hospitalité (le moolaadé) malgré les pressions du village et de son mari. Sembène a récolté à cette occasion une nouvelle kyrielle de récompenses en 2004 : prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine, prix Un certain regard à Cannes, prix spécial du jury au festival international de Marrakech entre autres.

Sembène revendique un cinéma militant et va lui-même de village en village, parcourant l'Afrique, pour montrer ses films et transmettre son message.

Le , quelques mois avant sa mort, il reçoit, à la résidence de l'ambassadeur de France à Dakar, les insignes d'officier dans l'ordre de la Légion d'honneur de la République française[24].

Malade depuis plusieurs mois, il meurt à l'âge de 84 ans à son domicile à Yoff le . Il est inhumé au cimetière musulman de cette même ville[25] - [26].

Ĺ’uvre

Romans

Filmographie comme réalisateur et scénariste

Courts métrages
Longs métrages

Documentaires sur Ousmane Sembène

  • Sembene! co-rĂ©alisĂ© par Samba Gadjigo et Jason Silverman, Galle Ceddo Projects 2015, projetĂ© au festival de Sundance.
  • Le docker noir, Sembène Ousmane, 54', 2009, rĂ©alisĂ© par Fatma Zohra Zamoum, productions Les films d'un jour, diffusĂ© sur CinĂ©cinĂ©ma, 2009 et au Fespaco.
  • « Ousmane Sembène, tout Ă  la fois », 52’, 1992, rĂ©alisĂ© par Christine Delorme, projetĂ© Ă  l’ouverture du 20e African Film Festival de New-York en 2011, diffusĂ© sur TV5 Monde[27] - [28].

Notes et références

Notes

  1. Le Dernier de l'Empire a été traduit en anglais par Adrian Adams, The Last of the Empire

Références

  1. Soumanou Vieyra 2012, p. 9.
  2. Gadjigo 2013, p. 35.
  3. Gadjigo 2013, p. 52.
  4. Gadjigo 2013, p. 54.
  5. Berty, p. 31.
  6. Soumanou Vieyra 2012, p. 11.
  7. Soumanou Vieyra 2012, p. 12-13.
  8. Gadjigo 2013, p. 107-109.
  9. Sembène 1993, p. 104-105.
  10. Gadjigo 2013, p. 143-149.
  11. Gadjigo 2013, p. 184-186.
  12. Gadjigo 2013, p. 187.
  13. « Camarade Sembene, l'aîné des anciens », sur L'Humanité, (consulté le )
  14. Gadjigo 2010, p. 157.
  15. « Ousmane Sembene », sur IMDb (consulté le ).
  16. Gadjigo 2010, p. 160.
  17. Diouf 1986, p. 12.
  18. « Ousmane Sembene - Cinémathèque française » (consulté le ).
  19. Une erreur très courante chez les journalistes consiste à dire qu'Ousmane Sembène est le fondateur de ce festival.
  20. Sembène et le FESPACO, in Hamidou Ouédraogo, Naissance et évolution du Fespaco de 1969 à 1973, Ouagadougou, 1995, 220 p.
  21. « Ceddo - Critique et avis par Les Inrocks » (consulté le ).
  22. « Camp de Thiaroye : une censure insidieuse », sur Lutte Ouvrière : Le Journal (consulté le ).
  23. Christine Delorme, « Camp de Thiaroye d'Ousmane Sembène, une coproduction sud-sud Â» in Produire des films. Afrique et Moyen orient, ouvrage collectif, Septentrion, , 386 p. (ISSN 1955-4893, lire en ligne), p 275-280.
  24. Source : Sembène Ousmane reçoit la Légion d’honneur française, Panapress, 10 novembre 2006, cité par Jeune Afrique.
  25. « Ousmane Sembène - LeMonde.fr », sur Le Monde, (consulté le ).
  26. Vincent Malausa, « Sembène, de guerre là. », Cahiers du cinéma,‎ , p. 71.
  27. Olivier Barlet, « Ousmane Sembène tout à la fois », Africultures,‎ .
  28. Caroline Pochon, « Sembène à la télévision », Clap noir,‎ (lire en ligne).

Annexes

Bibliographie

Monographies et recueils :

  • ValĂ©rie Berty, Sembène Ousmane (1923-2007) : un homme debout : Ă©crivain, cinĂ©aste et humaniste, Paris, PrĂ©sence Africaine, , 233 p. (ISBN 978-2-7087-0929-4)
  • (en) A call to action : the films of Ousmane Sembene / edited by Sheila Petty. Westport, Conn. : Greenwood, 1996.
  • Samba Gadjigo (prĂ©f. Amadou Mahtar M'Bow), Ousmane Sembène : une conscience africaine, Paris, PrĂ©sence Africaine, , 252 p. (ISBN 978-2-7087-0846-4)
  • (en) Samba Gadjigo et Moustapha Diop, Ousmane Sembène: The Making of a Militant Artist, Bloomington, Indiana University Press, 2010.
  • Bestman Martin T., Sembene Ousmane et l'esthĂ©tique du roman negro-africain, Sherbrooke, Éditions Naaan, 1981.
  • Diagne IsmaĂŻla, Les sociĂ©tĂ©s africaines au miroir de Sembène, Paris : L'Harmattan, 2004.
  • Diagne IsmaĂŻla Lire et relire Sembène Ousmane Paris : L'Harmattan, 2014.
  • (en) Dialogues with Critics and Writers / Ă©ditĂ© par Samba Gadjigo, Ralph Faulkingham, Thomas Cassirer et Reinhard Sander, Amherst, University of Massachusetts Press, 1993.
  • Gadjigo Samba, Ousmane Sembène: Une conscience africaine, Paris, Homnisphères (collection Latitudes noires), 2007.
  • (en) Gadjigo Samba et Moustapha Diop, Ousmane Sembène: The Making of a Militant Artist, Bloomington, Indiana University Press, 2010.
  • Paulin Soumanou Vieyra, Sembène Ousmane, cinĂ©aste, Paris, PrĂ©sence Africaine, coll. « Approches », , 244 p. (ISBN 978-2-7087-0847-1)
  • LittĂ©rature et cinĂ©ma en Afrique francophone : Ousmane Sembène et Assia Djebar / sous la direction de Sada Niang. Colloque Écrit/Ă©cran en Afrique francophone (1994 : University of Victoria), Paris : L'Harmattan, 1996.
  • Madior Diouf, Comprendre VĂ©hi-Ciosane et le Mandat de Sembène Ousmane, Issy les Moulineaux, Éditions Saint-Paul, coll. « Les classiques africains », 1986.
  • (en) Murphy David, Imagining Alternatives in Film and Fiction - Sembene, Oxford, Africa World Press Inc., 2001.
  • Niang Sada, LittĂ©rature et cinĂ©ma en Afrique francophone : Ousmane Sembène et Assia Djebar, Paris, L’Harmattan, 1996.
  • (en) Ousmane Sembène and the politics of culture / edited by Lifongo Vetinde and Amadou T. Fofana. Lanham : Lexington Books, 2015.
  • (en) Pfaff Françoise, The Cinema of Ousmane Sembène, New York, Londres, 1984.
  • Soumanou Vieyra Paulin, Ousmane Sembène, cinĂ©aste : première pĂ©riode, 1962-1971. Paris : PrĂ©sence Africaine, 2012.
  • (en) Tidiane Fofana Amadou The films of Ousmane Sembène : discourse, culture, and politics / Amadou T. Fofana. Amherst, N.Y. : Cambria Press, 2012.
  • (en) Tsabedze, Clara, African independence from francophone and anglophone voices : a comparative study of the post-independence novels by Ngugi and Sembène, New York : Peter Lang, 1994.
  • Vieyra Paulin Soumanou, Ousmane Sembène : cinĂ©aste. Première pĂ©riode 1962-1971, Paris, PrĂ©sence Africaine, 1972, 244 p.

Non publié :

  • Bonfenda Khonde, Le nĂ©o-bourgeois de Dakar, d'après Sembene Ousmane, UniversitĂ© de MontrĂ©al, 1991 (M.A.).
  • Lanthiez-Schweitzer Marie A., Ousmane Sembène, romancier de l'Afrique Ă©mergente, University of British Columbia, 1976 (thèse)
  • Rufa'i Ahmed, L'image de la femme africaine dans l'Ĺ“uvre d'Ousmane Sembène, UniversitĂ© de Sherbrooke, 1983 (M.A.).

Articles :

  • (en) Gadjigo Samba et Niang Sada, « Interview with Ousmane Sembene », Research in African Literatures, 26:3 (automne 1995), p. 174-178.
  • (de) Haffner Pierre, « Der Widerstandskämpfer: Sembène Ousmane », Revue pour le cinĂ©ma français, n° 27-28, Institut français de Munich, 1989, p. 76-92.
  • Lelièvre Samuel (dir.), « CinĂ©mas africains, une oasis dans le dĂ©sert? », CinĂ©mAction, n° 106, 2003. (ISBN 978-2854809800)
  • Francès Santiago-Torres, « Sembène, Ousmane », dans Christiane Chaulet Achour, avec la collaboration de Corinne Blanchaud, (dir.), Dictionnaire des Ă©crivains francophones classiques : Afrique subsaharienne, CaraĂŻbe, Maghreb, Machrek, OcĂ©an Indien, Éd. H. Champion, Paris, 2010, p. 406-411 (ISBN 978-2-7453-2126-8)
  • Serceau Daniel (dir.) « Sembène Ousmane », CinĂ©mAction, no 34, 1985.
  • Anthère Nzabatsinda, « La figure de l’artiste dans le rĂ©cit d’Ousmane Sembène », Études françaises, vol. 31, no 1,‎ , p. 51-60 (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

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