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Drag en France

Le drag en France est aussi ancien que la culture LGBT : d'abord limité aux cabarets tels que Madame Arthur et le Carrousel, les spectacles de travestissement se diffusent au cours de la seconde moitié du XXe siècle, au point de connaître un premier âge d'or au tournant du XXIe siècle. La pratique drag devient alors beaucoup plus confidentielle mais aussi beaucoup plus engagée politiquement, avec la création des Soeurs de la Perpétuelle Indulgence, avant de redevenir populaire dans les années 2020, accompagnant le succès de RuPaul's Drag Race et de Drag Race France.

Histoire

Les origines : le cabaret travesti et trans (début du XXe siècle)

Si la culture drag stricto sensus naît aux États-Unis et gagne en particulier en popularité dans les années 1980, la France connaît tout au long du XXe siècle des formes de travestissement théâtralisé, que ce soit dans la culture cabaret du Paris du début du siècle ou par les actions des Mirabelles et des Gazolines dans les années 1970[u 1] - [u 2]. Dans cette culture cabaret, en particulier au Madame Arthur, au Carrousel, se mêle le travestissement aux premières visibilités de femmes transgenres en France[note 1] - [o 1]. Un autre cabaret, le Elle et Lui, vise quant à lui un public lesbien, et s'y mêlent femmes travesties, lesbiennes masculines et hommes trans[u 1]. La loi de 1949 interdisant aux artistes de cabaret de se produire avec des perruques, des faux seins, des robes ou des chaussures à talons fait que les femmes trans se retrouvent à avoir plus d'opportunités de travail que les hommes travestis[u 1].

Les reines et les tantes : des années 1950 aux années 1970

Michou, directeur du cabaret éponyme et figure du spectacle de travestis français de la seconde moitié du XXe siècle.

Le passage de « travesti » à « drag queen » se fait au cours de la seconde moitié du XXe siècle, par l'intermédiaire de « reine », terme utilisé à la fois pour désigner un homme homosexuel et comme partie récurrente des noms des personnages de drag : ainsi, Jean Genet, dans son œuvre, crée les personnages de la « Reine de Roumanie » et de la « Reine-Oriane »[u 3]. Le changement permet aussi d'affranchir le vocabulaire de l'identité de l'artiste : un travesti est forcément un homme, tandis qu'une drag queen peut être une femme, telle que La Briochée, drag queen et femme trans[p 1].

À la suite du succès de La Cage aux folles dans les années 1970, Alain Marcel décide de créer la comédie musicale Essayez donc nos pédalos afin de peindre un portrait plus fidèle et collectif de la réalité de l'homosexualité masculine et de la transidentité via un spectacle de travestissement[o 2]. La pièce devient culte et est représentée des centaines de fois en France, mais aussi au Canada, en Belgique et en Suisse[1]. La troupe Les Mirabelles fait elle-aussi des spectacles de travestissement au cours des années 1970, que Frédéric Martel décrira plus tard comme des drag shows[o 3].

Premier âge d'or des drag queens : années 1980 et 1990

Si des cabarets travestis continuent à exister dans la seconde moitié du XXe siècle, dont le plus célèbre est le cabaret Michou de Montmartre[p 2], le développement du drag des années 1980 et 1990, en particulier à Paris, correspond à l'esprit libertaire qui règne alors dans le monde dans la nuit : les drags queens s'organisent avec leur réseau local d'amis coiffeurs, stylistes... puis se présentent aux soirées gays de la capitale : Mercedes aux soirées French Kiss du Palace, Tonya au Banana Café, La Chose au Gibus[p 3]. Le très grand succès du film Priscilla, folle du désert, sorti en 1994, provoque une explosion de la popularité des drag queens : celles-ci peuvent recevoir jusqu'à 1500 francs par soirée et sont invitées à la télévision ; le groupe Sister Queen crée le titre Let me be a Drag queen et Mylène Farmer chante Sans contrefaçon en concert avec des danseurs en drag[p 3] - [o 4] - [u 1].

La sortie de Trouble dans le genre, où Judith Butler utilise l'exemple de la drag queen pour théoriser la performativité du genre, correspond à un virage où le drag prend un aspect plus directement politique : ainsi, les sœurs de la Perpétuelle Indulgence, groupe militant international présent en France depuis 1991, sont présentes à toutes les marches des fiertés françaises[o 4]. Chez les Sœurs, comme chez les drag queens des années 1990, les questions de la visibilité et de la lutte contre le VIH sont centrales à la pratique drag[u 1]. En 1994, Marianne James crée la comédie musicale L'Ultima Récital, où elle incarne la drag queen Ulrika von Glott, une diva nazie ; ce personnage lui sert notamment à dénoncer la montée de l'extrême-droite en France, en particulier du Front national[p 4]. En raison de la forte corpulence d'Ulrika, de son « langage châtié » et de sa popularité auprès du public gay et donc d'une confusion entre la pratique drag et le travestissement, des rumeurs circulent qu'Ulrika est en réalité jouée par un homme[p 4]. Cette visibilité n'est pas bien vue de toutes les personnes homosexuelles : des hommes gays, dans une optique d'homonormativité, reprochent ainsi aux drag queens de donner une image caricaturale et efféminée de l'homosexualité[p 4].

Toutefois, cette augmentation de la popularité des drag queen provoque un essoufflement du marché : de plus en plus de personnes s'investissent dans le drag, en réalisant parfois gratuitement des spectacles, provoquant un effondrement du cachet des artistes[p 3]. Des spectacles, destinés à de riches hommes hétérosexuels, utilisent ainsi des artistes drag pour les soumettre à l'homophobie de ce public[p 3]. Plusieurs drag queen profitent de cette période de faibles revenus pour arrêter temporairement les spectacles afin de réaliser leur transition[p 3].

Cookie Kunty au dragathon Paris, le 14 avril 2019. Elle porte une tenue inspirée d'un costume de scène de Madonna réalisé par Jean-Paul Gaultier, qui servira aussi d'inspiration au premier défilé de la saison 1 de Drag Race France.

Apparue en France au milieu des années 1990, la scène drag king reste dans le pays assez limitée par rapport à ce qu'elle peut être à Londres ou aux États-Unis[o 5]. Le premier atelier drag king en France a lieu à Paris en juin 2002 à l'nitiative de Paul B. Preciado, qui sera ensuite rejoint par Sam Bourcier, Louis(e) de Ville, Camille Delalande, Victor Le Maure et Viktor Marzuk à Paris et Rachele Borghi et Arnaud Alessandrin à Bordeaux[a 1]. Ces ateliers sont souvent liés au milieu lesbien et féministe, avec en 2004 la tenue d'un atelier drag king à Violette and Co suivi d'un défilé à Cineffable[a 1]. Chriss Lag consacre dans les années 2010 deux documentaires aux drag kings de France, le premier spécifiquement à Louis(e) de Ville, portrait d’une bad girl !, le suivant, Drag Kings, plus généraliste[a 1].

Renaissance dans les années 2020s

La scène française de la culture drag renaît ensuite grâce à la visibilité que permet l'émission RuPaul’s Drag Race, diffusée en France par Netflix[p 5]. En 2020, Nicky Doll est la première drag queen française à y participer, permettant une médiatisation plus importante de l'univers des drag queens en France[p 6] - [p 7]. Certaines chaines de télévisions, telles qu'Arte ou Canal+ proposent des programmes originaux avec des artistes drag françaises, mettant ainsi en lumière les drag queen venues d'ailleurs que des hauts lieux du drag français (Lille, Paris ou Lyon), permettant ainsi le développement de la scène drag sur une plus grande partie du territoire, en particulier Toulouse, Bordeaux et Marseille[p 8] - [u 1]. Ce développement vient aussi d'un besoin de la communauté LGBT+ de proposer une visibilité forte, en réaction à la place médiatique prise par La Manif pour tous ; d'une manière plus complexe, il s'agit aussi d'un besoin d'avoir des espaces festifs, positifs, afin de ne pas limiter la sociabilité LGBT+ aux manifestations, que ce soit pour le mariage pour tous ou l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes[u 1].

La diffusion de la culture drag s'accompagne de son institutionnalisation : des municipalités, telles que Bordeaux, financent des spectacles drag lors du mois des fiertés[u 1].

La pratique drag des années 2010 est aussi politisée autour de la théorie queer, en particulier de la notion de performance de genre : Teresa de Lauretis, Judith Butler ou le Français Sam Bourcier sont invoqués par les drag queens comme des références et, réciproquement, les drag queens qui commencent le drag par jeu du travestissement trouvent dans le milieu une circulation d'idées politiques qui influencent ensuite leur pratique[u 1]. Ces idées sont ensuite partagées à un public plus large, par l'organisation de lectures DragQueer[u 1].

« [Ru Paul Drag Race] c’est joli, ça fait rêver. Mais la vie d’une Drag française de province c’est pas les contrats de RuPaul pour Netflix »
M.B., drag queen française en 2019.

Malgré la visibilité croissante, le milieu drag français reste très précaire : à peine une poignée de drag queens françaises arrivent à faire du drag leur source principale de revenus, mais la majorité doivent cumuler un travail alimentaire en plus de leurs performances. Ce cumul est rendu difficile par le temps nécessaire pour faire du drag (déplacements, répétitions, conception des scenarii et réalisation des costumes) mais aussi la peur d'être reconnu comme drag queen par son employeur et de subir alors de l'homophobie au travail[u 1].

En juin 2022, France Télévision lance Drag Race France, animée par Nicky Doll, Kiddy Smile et Daphné Bürki et où participent 10 drag queens : La Kahena, Lova Ladiva, La Briochée, Kam Hugh, Elips, La Big Bertha, Lolita Banana, La Grande Dame, Soa de Muse et Paloma[p 9]. L'édition française est la première à inclure des drag kings.

Notes

  1. Maxime Foerster met en garde contre la confusion existant, dans de nombreuses sources, entre les performances de femmes trans et celles d'hommes travestis.

Références

Publications universitaires

  1. Arnaud Alessandrin, « Drag in the city : éléments pour une analyse du paysage Drag Queen français », Le sujet dans la cité, vol. Actuels n° 12, no 2,‎ , p. 235–248 (ISSN 2112-7689, DOI 10.3917/lsdlc.012.0235, lire en ligne, consulté le ).
  2. Luca Greco et Stéphanie Kunert, « Drag et performance », dans Encyclopédie critique du genre, La Découverte, (lire en ligne), p. 254–264.
  3. Jean-Christophe CORRADO, « Portrait de Jean Genet en drag queen Modèle idéal du féminin et performance de genre dans l’œuvre de Jean Genet », sur http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques, (consulté le ).

Ouvrages

  1. Maxime Foerster, « Paris et l'âge d'or de la culture cabaret transgenre », dans Elle ou lui ? : une histoire des transsexuels en France, La Musardine, (ISBN 978-2-84271-400-0 et 2-84271-400-8, OCLC 798388722, lire en ligne).
  2. Jean-Yves Le Talec, Folles de France : repenser l'homosexualité masculine, La Découverte, (ISBN 978-2-7071-5257-2 et 2-7071-5257-9, OCLC 288915831, lire en ligne).
  3. Frédéric Martel, « The Militant Explosion », dans The pink and the black : homosexuals in France since 1968, Stanford University Press, (ISBN 0-8047-3273-6, 978-0-8047-3273-4 et 0-8047-3274-4, OCLC 42643256, lire en ligne).
  4. Elisabeth Lebovici, « Drag queen », dans Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, (ISBN 2-03-505164-9 et 978-2-03-505164-6, OCLC 300482574, lire en ligne).
  5. Pascal Le Brun-Cordier, « Drag king », dans Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, (ISBN 2-03-505164-9 et 978-2-03-505164-6, OCLC 300482574, lire en ligne).

Associatives

  1. Alexandre Alessandrin, Miroir/Miroirs : Genderfucking ! - Masculinités et féminités... et tout le reste ?, t. 2, (ISBN 978-1-291-69786-5).

Presse

  1. « Drag Race France La Briochée », (consulté le ).
  2. « Michou, figure de la nuit parisienne, est mort », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. Sébastien Barangé, « Que sont devenues les drag-queens ? », Têtu, no 97,‎
  4. François DEVINAT, « Marianne James, la diva d'«Ultima récital», à l'affiche à Paris. Boule de swing. », sur Libération (consulté le ).
  5. « Verra-t-on plus de drag queens à la télévision française en 2020? », sur Le HuffPost, (consulté le ).
  6. « Meet Nicky Doll, the first French queen in RuPaul's Drag Race | Get Ready With Me | Vogue Paris », sur YouTube, (consulté le ).
  7. « Nicky Doll (RuPaul's Drag Race): Qui est la délicieuse Française de l'émission ? », sur www.purepeople.com (consulté le ).
  8. Louise Guibert, « Drag-queens, les reines de la nuit au grand jour », sur Libération (consulté le ).
  9. « Et voici les dix drag-queens candidates de « Drag Race France » », sur www.20minutes.fr (consulté le ).

Autres références

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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