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Cycle du combustible nucléaire au thorium

Le cycle du combustible au thorium décrit l'utilisation du thorium 232, un élément abondant dans la nature, comme matériau fertile permettant d'alimenter un réacteur nucléaire.

Le cycle du thorium présente de nombreux avantages théoriques par rapport à un cycle à l'uranium : le thorium est trois à quatre fois plus abondant que l'uranium, notamment dans les pays qui sont susceptibles de construire des réacteurs dans le futur, comme l'Inde, le Brésil et la Turquie[1]. Ce cycle produit beaucoup moins de plutonium et d'actinides mineurs, engendrant moins de déchets à vie longue. De plus, sa matiÚre fissile, l'uranium 233, est trÚs peu propice à une prolifération nucléaire du fait de la faible quantité d'uranium 232 qu'elle contient : un descendant trÚs fortement irradiant de cet isotope rend cet uranium trÚs facile à détecter et dangereux à manipuler sans moyens élaborés.

Le thorium a Ă©tĂ© testĂ© comme combustible nuclĂ©aire aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni, et est en projet en Inde et en Chine, mais jusqu'Ă  ce jour, il manque de rentabilitĂ© car est plus coĂ»teux Ă  extraire que l'uranium[2] ; son principal inconvĂ©nient est que, contrairement Ă  certains isotopes naturels de l'uranium, le thorium impose pour atteindre le stade d'exploitation industrielle deux Ă©tapes intermĂ©diaires : accumulation de plutonium 239 ou d'uranium 235, puis production d'uranium 233 en rĂ©acteur pour initialiser le cycle du thorium proprement dit.

Historique

Le cycle du thorium a été caractérisé au laboratoire canadien de recherches nucléaires pendant la Seconde Guerre mondiale, par T.E. Cranshaw, P. Demers, A.C. English, J.A. Harvey, E.P. Hincks, J.B. Jelley et A. Nunn May[3].

Pendant la Guerre froide

Des études de réacteurs au thorium avaient été lancées dÚs le milieu des années 1950, motivées par la crainte d'une pénurie d'uranium, et des réacteurs expérimentaux au thorium avaient été construits[1]. Différentes voies ont été proposées pour exploiter l'énergie du thorium. Les combustibles au thorium ont alimenté différents types de réacteurs, comme le réacteur à eau légÚre, le réacteur à eau lourde, le réacteur nucléaire à trÚs haute température, le réacteur rapide refroidi au sodium, et le réacteur nucléaire à sels fondus[4].

Avant 1960, l’énergie nuclĂ©aire est essentiellement orientĂ©e vers un usage militaire : avion Ă  rĂ©acteur embarquĂ©, sous-marin, bombe A. Parmi les nombreuses dĂ©cisions menant Ă  la poursuite de la filiĂšre uranium, la plus dĂ©cisive a probablement Ă©tĂ© prise par l’amiral amĂ©ricain Rickover, directeur de Naval Reactors : il dĂ©cida dans les annĂ©es cinquante que le troisiĂšme sous-marin du type USS Nautilus serait alimentĂ© avec de l’uranium 235 solide enrichi utilisant de l’eau pour refroidissement, car ce combustible peut parallĂšlement ĂȘtre utilisĂ© pour produire du plutonium militaire. Le premier rĂ©acteur commercial a, en effet, Ă©tĂ© construit sur le mĂȘme principe que celui du sous-marin, et les recherches scientifiques ont Ă©tĂ© orientĂ©es par ce choix politique. Le projet de bombardiers Ă  rĂ©acteur embarquĂ© est arrĂȘtĂ© par l’avĂšnement des missiles intercontinentaux, mais l’inertie de l’usage de l’uranium est en place et le thorium est « ignorĂ© », selon les termes de Robert Hargreaves[5].

Dans les annĂ©es soixante, Alvin Weinberg, alors directeur du laboratoire national d’Oak Ridge, rĂ©alise le potentiel des rĂ©acteurs Ă  combustible liquide (sel fondu) et leur compatibilitĂ© avec une forme liquide de thorium : le tĂ©trafluorure de thorium. Weinberg pousse Ă  expĂ©rimenter cette voie et obtient le financement nĂ©cessaire pour mettre en place le programme Molten Salt Reactor Experiment (MSRE). Ce rĂ©acteur fonctionne entre 1965 et 1969 et est le premier Ă  ĂȘtre testĂ© avec les trois types de combustibles d’alors : l’uranium 233, l’uranium 235 et le plutonium 239. En particulier, l’uranium 233 avait Ă©tĂ© obtenu par transmutation de thorium. Le projet est dĂ©finitivement abandonnĂ© en 1973 car il ne permettait pas de fabriquer du plutonium de qualitĂ© militaire. Weinberg est limogĂ© par l’administration Nixon, car il militait en faveur d’un usage civil plus sĂ»r utilisant les rĂ©acteurs Ă  sels fondus (selon de nombreux auteurs)[5] - [6] - [7].

En 1977, l’administration Carter prĂ©sente un intĂ©rĂȘt pour les rĂ©acteurs Ă  sels fondus en raison des prĂ©occupations du moment concernant le risque de prolifĂ©ration nuclĂ©aire. L’expĂ©rience Shippingport devient le premier rĂ©acteur commercial au thorium et fonctionne avec succĂšs durant 5 ans. Ceci dĂ©montre la faisabilitĂ© de l’usage du thorium comme Ă©lĂ©ment fertile pouvant ĂȘtre converti en uranium 233 fissile[6].

IntĂ©rĂȘts actuels

RĂ©cemment, un intĂ©rĂȘt a vu le jour dans le dĂ©veloppement de technologies basĂ©es sur ce cycle afin de prĂ©venir la prolifĂ©ration des dĂ©chets nuclĂ©aires[8] - [9] - [10]. En outre, l'abondance de la ressource profiterait Ă  certains pays, comme l'Inde qui, avec environ un tiers des rĂ©serves mondiales, s'est clairement engagĂ©e dans la voie du thorium dans le cadre de son ambitieux programme de dĂ©veloppement nuclĂ©aire civil[1].

Des recherches complĂ©mentaires ainsi que des moyens financiers et industriels importants sont encore nĂ©cessaires pour la rĂ©alisation de rĂ©acteurs commerciaux. Il reste en particulier Ă  affiner les procĂ©dĂ©s chimiques de retraitement en ligne du combustible, et Ă  dĂ©velopper des cuves en alliages spĂ©ciaux capables de rĂ©sister Ă  la corrosion pendant les dĂ©cennies que durera l'exploitation des rĂ©acteurs. La faisabilitĂ© de la technologie paraĂźt cependant presque acquise, l'horizon 2025 Ă©tant avancĂ© par les Ă©quipes de dĂ©veloppement les plus en pointe, bien que cela dĂ©pende trĂšs certainement du niveau des investissements et de l'intĂ©rĂȘt que les États, les industriels et les sociĂ©tĂ©s y porteront. En aoĂ»t 2010, trois Ă©minents physiciens français[11] ont rĂ©digĂ© une tribune contestant le programme ITER de recherche sur la fusion nuclĂ©aire, jugĂ© hors de prix et irrĂ©alisable Ă  court ou moyen terme, et prĂ©conisant plutĂŽt l'intensification des recherches et des dĂ©veloppements concernant les rĂ©acteurs de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration, en particulier ceux Ă  sels fondus en cycle thorium. En janvier 2012, un avis de l'AcadĂ©mie des Sciences de Paris[12] souligne l'importance pour l'industrie nuclĂ©aire de soutenir les recherches sur les technologies Ă©mergentes telles que les rĂ©acteurs de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration et la filiĂšre du thorium.

Physique nucléaire

Production de l'uranium 233 Ă  partir du thorium

Dans le cycle du thorium, le combustible se forme lorsque le thorium 232 capte un neutron (dans un rĂ©acteur rapide ou dans un rĂ©acteur thermique) pour devenir thorium 233, qui servira de combustible nuclĂ©aire. En gĂ©nĂ©ral, aprĂšs avoir capturĂ© un neutron, le thorium Ă©met un Ă©lectron et un neutrino par Ă©mission bĂȘta pour se muer en protactinium 233, qui, dans une seconde Ă©mission bĂȘta, Ă©met encore un Ă©lectron et un neutrino pour devenir uranium 233, le combustible.

Cette formation du combustible est réalisée en pratique dans un réacteur.

Dans la chaĂźne de formation de l'uranium 233, la capture des neutrons a parfois pour effet d'Ă©jecter deux neutrons du noyau, conduisant en fin de compte Ă  la formation de uranium 232.
Cet uranium 232 faiblement fissile et fertile (σ~74b) s'accumule progressivement en rĂ©acteur, et accompagne donc Ă  l'Ă©tat de trace l'uranium 233 normalement formĂ© par le cycle. Ce marquage isotopique est important, parce que sa chaĂźne de dĂ©sintĂ©gration comprend un Ă©metteur gamma trĂšs Ă©nergĂ©tique, donc trĂšs pĂ©nĂ©trant. Ce rayonnement impose des protections radiologiques importantes dans toutes les opĂ©rations concernant l'uranium produit par ce cycle, mĂȘme quand il a Ă©tĂ© isolĂ© des produits de fission et des autres actinides, ce qui rend ces opĂ©rations techniquement plus complexes et Ă©conomiquement plus coĂ»teuses. Cet inconvĂ©nient est au contraire un avantage en ce qui concerne la lutte contre la prolifĂ©ration, parce que le rayonnement gamma produit par cet uranium est trĂšs facile Ă  dĂ©tecter, ce qui rend impossible toute dissimulation de cette matiĂšre Ă  des contrĂŽles officiels.

Initialisation du cycle

À la diffĂ©rence de l'uranium naturel, le thorium naturel ne contient pas de petites quantitĂ©s significatives de matiĂšre fissile, nĂ©cessaires pour amorcer une rĂ©action en chaĂźne. Il faut ajouter de la matiĂšre fissile ou une autre source de neutrons pour dĂ©clencher le cycle du combustible. Pour amorcer un cycle thorium, il faut donc de l'uranium ou du plutonium (issu de l'activitĂ© des centrales)[1].

Suivant l'isotope fissile utilisé, on peut donc schématiser les deux cycles de combustibles suivants[13]:

  • Consommation d'uranium 235 ou de plutonium 239 et irradiation de thorium, pour produire de l'uranium 233 : c'est un cycle de transition nĂ©cessaire pour amorcer un cycle du thorium ultĂ©rieur.
  • Consommation d'uranium 233 et irradiation de thorium rĂ©gĂ©nĂ©rant l'uranium 233 : c'est le cycle du thorium, Ă©galement surgĂ©nĂ©rateur, qui permet de valoriser tout le thorium comme ressource Ă©nergĂ©tique.

Selon la conception du rĂ©acteur et son cycle du combustible, soit le uranium 233 gĂ©nĂ©rĂ© se fissure en place, soit il se fait sĂ©parer chimiquement pour ĂȘtre re-transformĂ© en combustible nuclĂ©aire.

On peut remarquer que le passage aux cycles surgénérateurs n'est possible que si des stocks suffisants ont été constitués en uranium 235 hautement enrichi ou en plutonium 239 : ces matiÚres soulÚvent d'évident problÚmes de prolifération nucléaire potentielle, mais sont par ailleurs nécessaires pour le passage à des cycles surgénérateurs. Il faut plusieurs dizaines d'années pour accumuler suffisamment de matiÚre fissile pour pouvoir démarrer un cycle au thorium[1].

Signature Ă  l'uranium 232

Le cycle nucléaire au thorium produit des traces d'uranium 232, quand des neutrons rapides éjectent un neutron par réaction (n, 2n) des noyaux de thorium 232 (ou d'uranium 233, et de maniÚre trÚs marginale de protactinium 233)[14] - [15]. L'uranium 232, qui accompagne en réacteur l'uranium 233 formé, a une demi-vie relativement courte de 68,9 ans, et subit une désintégration alpha par laquelle il rejoint la chaßne de désintégration du thorium avec le thorium 228 :

Chaine de désintégration du thorium.

Certains de ses descendants Ă©mettent un rayonnement gamma significatif, comme le radium 224 (0,24 MeV), le bismuth 212 (0,78 MeV) ou le thallium 208 (2,6 MeV).

De ce fait, à cause de la présence de traces d'uranium 232, l'uranium produit dans le cycle est trÚs fortement irradiant, ce qui nécessite des usines beaucoup plus compliquées, avec des blindages pour respecter les rÚgles de radioprotection si on cherche à le séparer.

C'est un handicap pour l'exploitation des formules classiques, de type rĂ©acteur Ă  eau pressurisĂ©e, quand les Ă©lĂ©ments fissiles doivent faire l'objet d'un traitement industriel. En revanche, cet inconvĂ©nient reste minime dans le cas des rĂ©acteurs Ă  sel fondus, oĂč il n'est pas nĂ©cessaire d'isoler l'uranium 233 pour un traitement industriel indĂ©pendant.

C'est au contraire un avantage pour ce qui est de la lutte contre la prolifération, d'une part parce que ce rayonnement trÚs énergétique rend l'uranium 233 du cycle facile à détecter et donc à contrÎler, et d'autre part parce que ce rayonnement est susceptible d'endommager l'électronique d'un engin explosif, compliquant grandement son usage comme matiÚre fissile dans un engin explosif.

Production d'actinides supérieurs

Dans un rĂ©acteur, lorsqu'un neutron est capturĂ© par un atome fissile (comme certains isotopes de l'uranium), il peut soit entraĂźner une fission du noyau, soit ĂȘtre capturĂ©, provoquant la transmutation de l'atome. Dans le cas de l'uranium 233, la probabilitĂ© de fission est d'environ 92 %, un meilleur taux que celui de l'uranium 235 (environ 83 %), du plutonium 239 (environ 66 %) ou du plutonium 241 (environ 75 %). De ce fait, l'uranium 233 est consommĂ© de maniĂšre plus efficace, ce qui produit moins d'actinides supĂ©rieurs, et entraĂźne moins de perte de neutrons.

D'autre part, ces 10 % de transmutations tendent dans un premier temps Ă  produire des combustibles utiles au lieu de dĂ©chets transuraniens. En effet, lorsque l'uranium 233 absorbe un neutron, il se transforme dans un premier temps en uranium 234. Par une capture supplĂ©mentaire (σ=98b), celui-ci finit gĂ©nĂ©ralement par former de l'uranium 235. Cet isotope de l'uranium est la matiĂšre fissile du cycle de l'uranium, et sera lui-mĂȘme consommĂ© Ă  83 %.

Une autre maniĂšre de voir les choses est que le cycle du thorium superpose pour 92 % une consommation de thorium sans production d'actinides, pour 6 % une consommation d'uranium 235 sans production d'actinides, et pour les 1,7 % restant, un comportement identique Ă  celui de l'uranium 238, produisant les actinides de ce cycle. Du fait que le thorium initial ne contient pas d'uranium ni de plutonium, les seuls actinides produits par le cycle du thorium seront les 1,7 % de mĂ©tal lourd initial ayant Ă©chappĂ© deux fois Ă  la fission, sous forme de uranium 233 puis de uranium 235. Par la suite, de mĂȘme que pour le cycle de l'uranium, ces actinides pourront encore fissionner sous forme de plutonium.

Le résultat est une production de transuraniens beaucoup plus faible que dans un réacteur utilisant le cycle uranium-plutonium, ce qui est important parce que les actinides sont nuisibles à plusieurs points de vue :

  • En rĂ©acteur, les actinides supĂ©rieurs absorbent plus de neutrons qu'ils n'en produisent, ce qui dĂ©grade le bilan neutronique du rĂ©acteur nuclĂ©aire et ne permet pas d'atteindre un taux de combustion important.
  • S'ils sont rejetĂ©s en tant que dĂ©chets, les actinides prĂ©sentent une radioactivitĂ© relativement importante pendant plusieurs milliers d'annĂ©es (contrairement aux produits de fission), ce qui impose de prendre des dispositions de radioprotection complexes pour le stockage de ces dĂ©chets.

Déchets nucléaires

La fission nuclĂ©aire engendre des produits de fission rayonnants dont la demi-vie varie entre quelques jours et des dizaines de milliers d'annĂ©es. En ce qui concerne ces produits de fission, les quantitĂ©s produites sont sensiblement les mĂȘmes que pour des rĂ©acteurs Ă  l'uranium ou au plutonium.

L'avantage du cycle du thorium porte sur les actinides produits. Selon certaines Ă©tudes sur la toxicitĂ©[16] le cycle du thorium est capable de recycler entiĂšrement les dĂ©chets d'actinides et de rejeter uniquement les produits de fission. D'ailleurs, aprĂšs une centaine d'annĂ©es, les dĂ©chets produits par un rĂ©acteur Ă  thorium peuvent s'avĂ©rer moins toxiques que le minerai d'uranium qu'on aurait utilisĂ© pour produire de l'uranium faiblement enrichi destinĂ© Ă  un rĂ©acteur Ă  eau lĂ©gĂšre de la mĂȘme puissance. D'autres Ă©tudes supposent qu'il y aura des pertes d'actinides et trouvent que les dĂ©chets d'actinides domineront Ă  un certain moment l'activitĂ© rayonnante des dĂ©chets du cycle[17].

RĂ©acteurs au thorium

RĂ©acteurs Ă  l'uranium 233

En tant que produit fissile, l'uranium 233 prĂ©sente de meilleures propriĂ©tĂ©s que les deux autres isotopes fissiles utilisĂ©s dans l'industrie nuclĂ©aire, l'uranium 235 et le plutonium 239. Avec des neutrons lents, il fissionne en donnant plus de neutrons par neutron absorbĂ© (en revanche, dans les rĂ©acteurs Ă  neutrons rapides, le rendement neutronique du plutonium 239 augmente considĂ©rablement, dĂ©passant celui du thorium). À partir de matiĂšres fissibles (uranium 235 ou plutonium 239), il est possible de l'utiliser dans un cycle surgĂ©nĂ©rateur plus efficace que celui actuellement possible avec le plutonium ou l'uranium, y compris dans des rĂ©acteurs Ă  neutrons modĂ©rĂ©s.

RĂ©acteurs classiques

Préparation d'éléments combustibles mixtes thorium-uranium pour la Centrale nucléaire de Peach Bottom. Ce chargement de 682 éléments mixtes a divergé le 3 mars 1966.

Pour mĂ©moire, le thorium peut techniquement ĂȘtre utilisĂ© dans des rĂ©acteurs de type classique dans des conditions similaires Ă  l'utilisation d'uranium appauvri :

Les combustibles au thorium fondent Ă  une tempĂ©rature plus Ă©levĂ©e, retardant le risque de fusion du cƓur du rĂ©acteur en cas d'accident[1]. L'intĂ©rĂȘt du thorium ne prend tout son sens que dans des rĂ©acteurs trĂšs innovants, comme ceux Ă  sels fondus, qui sont encore Ă  l'Ă©tude papier[1].

Réacteur piloté par accélérateur

Différentes voies ont été proposées pour exploiter l'énergie du thorium. L'une d'entre elles, popularisée au début des années 1990 par Carlo Rubbia, consiste à utiliser une source externe de neutrons pour créer l'uranium 233 (réacteur hybride ou Réacteur nucléaire piloté par accélérateur, en anglais ADS « Accelerator driven system », ou encore « Rubbiatron »).

Cette voie, intĂ©ressante en raison de sa sĂ»retĂ© intrinsĂšque et de son grand potentiel pour « incinĂ©rer Â» les dĂ©chets nuclĂ©aires, comporte cependant encore un certain nombre de difficultĂ©s de mise au point :

  • le coĂ»t Ă©levĂ© de l'accĂ©lĂ©rateur et des infrastructures constituant la source de neutrons externe ;
  • des problĂšmes sĂ©vĂšres pour la rĂ©sistance des matĂ©riaux soumis Ă  des flux intenses de particules ;
  • des problĂšmes techniques dans le retraitement et dans le recyclage non encore rĂ©solus de façon satisfaisante, en raison du thorium hautement radioactif thorium 228 (qui n'est pas transformĂ© en uranium 233 et s'accumule au fil des cycles) ;
  • un caractĂšre prolifĂ©rant Ă©ventuel de uranium 233 (ce qui est le cas de toutes les matiĂšres fissibles), mais il serait toutefois difficile de le purifier suffisamment pour qu'il puisse servir Ă  la fabrication d'armes nuclĂ©aires.

RĂ©acteur Ă  sels fondus

Une autre voie possible pour l'exploitation du thorium consiste Ă  mettre en Ɠuvre des rĂ©acteurs Ă  sels fondus, oĂč ceux-ci jouent Ă  la fois le rĂŽle de combustible et de fluide caloporteur. Il s'agit principalement d'un mĂ©lange de sels de fluorures, en gĂ©nĂ©ral une proportion majoritaire de fluorures d'Ă©lĂ©ments stables tels le lithium et le bĂ©ryllium, le reste Ă©tant constituĂ© de fluorures de thorium fertile et d'autres Ă©lĂ©ments fissiles tels que l'uranium 233 ou l'uranium 235. La tempĂ©rature de fonctionnement Ă©levĂ©e (supĂ©rieure Ă  600 degrĂ©s) permet au mĂ©lange de sels de se prĂ©senter sous forme liquide, et Ă©limine en particulier le besoin de fabriquer des barreaux de combustibles.

L'un des premiers essais a eu lieu à Oak Ridge dans les années 1960. Un réacteur expérimental à sels fondus (MSRE, Molten Salt Reactor Experiment) a été construit pour étudier la faisabilité d'un tel cycle, en utilisant d'abord un mélange LiF-BeF2-ZrF4-UF4 (dans les proportion 65-30-5-0.1). L'expérience, qui a fonctionné de maniÚre satisfaisante de 1965 à 1969, a démontré la grande souplesse de fonctionnement de ce type de réacteurs, ainsi que la faisabilité du cycle thorium 232 - uranium 233.

Le programme industriel MSBR qui devait succĂ©der au MSRE Ă  partir de 1970 a Ă©tĂ© dĂ©finitivement interrompu en 1976, faute de crĂ©dits et faute d'intĂ©rĂȘt suffisant de l'AEC (Atomic Energy Commission) amĂ©ricaine, ainsi que des milieux militaires de l'Ă©poque.

RĂ©acteurs rapides Ă  sel fondu

L'exploitation du thorium par des rĂ©acteurs nuclĂ©aires Ă  sels fondus paraĂźt nĂ©anmoins aujourd'hui ĂȘtre la voie la plus prometteuse ; elle est Ă  l'Ă©tude dans plusieurs pays comme la France, les États-Unis, la Chine[18], l'Inde et le Japon. À l'exception de la France, tous ces pays ont rĂ©cemment dĂ©cidĂ© d'engager des efforts industriels significatifs dans cette direction. En France, des scĂ©narios thĂ©oriques prometteurs ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s intensivement par le CNRS depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000. En particulier, le Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble (LPSC) [19] a dĂ©veloppĂ© un concept de rĂ©acteur Ă  sels fondus « non modĂ©rĂ© », dit MSFR (pour Molten Salt Fast Reactor, un type de rĂ©acteur Ă  neutrons rapides), qui paraĂźt susceptible d'offrir des caractĂ©ristiques de fonctionnement trĂšs favorables remplissant tous les critĂšres des rĂ©acteurs de quatriĂšme gĂ©nĂ©ration (cf. Forum International GĂ©nĂ©ration IV) :

  • utilisation optimale du thorium comme matĂ©riau fertile abondant, permettant de faire de la surgĂ©nĂ©ration - compte tenu des rĂ©serves connues, les ressources Ă©nergĂ©tiques disponibles seraient au moins 500 fois supĂ©rieures Ă  celles que peuvent procurer les rĂ©acteurs actuels de deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration (PWR, filiĂšre canadienne CANDU Ă  uranium naturel, RBMK russes, 
). Au rythme actuel de production d'Ă©nergie nuclĂ©aire, les rĂ©serves potentielles se chiffrent en dizaines de milliers d'annĂ©es[20].
  • le cycle du combustible ne crĂ©e que peu de plutonium et d'actinides mineurs et gĂ©nĂšre par consĂ©quent des dĂ©chets radioactifs beaucoup plus faciles Ă  gĂ©rer ; certains groupes de promotion de la technologie[21] - [22] qualifient mĂȘme cette voie « d'Ă©nergie nuclĂ©aire verte », dans la mesure oĂč elle pourrait contribuer significativement Ă  la rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre sans prĂ©senter les inconvĂ©nients des rĂ©acteurs nuclĂ©aires actuels[23].
  • une grande sĂ»retĂ© intrinsĂšque de fonctionnement, du fait de coefficients de vide et de contre-rĂ©action thermiques trĂšs nĂ©gatifs empĂȘchant la rĂ©action de s'emballer d'elle-mĂȘme, dans la plupart des configurations possibles (en particulier la voie « rapide Â» non modĂ©rĂ©e) ;
  • le circuit primaire du rĂ©acteur Ă  sels fondus opĂšre Ă  la pression atmosphĂ©rique ambiante et ne met en Ɠuvre que des substances chimiquement stables ; le risque de contamination radioactive ou d'incendie en cas de fuite est donc trĂšs faible ;
  • l'utilisation de combustibles nuclĂ©aires liquides permet d'envisager un traitement chimique in situ des matiĂšres fissiles ; on Ă©vite ainsi d'avoir Ă  dĂ©charger le cƓur et Ă  effectuer un retraitement externe, avec comme corollaire la nĂ©cessitĂ© du transport des matiĂšres radioactives ;
  • la tempĂ©rature de fonctionnement Ă©levĂ©e garantit un bon rendement thermodynamique, nettement supĂ©rieur Ă  celui des centrales actuelles (pouvant avoisiner les 50 % avec l'utilisation de turbines Ă  gaz en cycle de Brayton) ;
  • l'absence de supports ou d'enveloppes solides au sein du combustible Ă©vite que ceux-ci ne puissent se transformer en dĂ©chets techniques par activation neutronique (c'est l'une des raisons pour lesquelles la prĂ©sence de graphite n'est par exemple pas souhaitable, car celui-ci gĂ©nĂšre peu Ă  peu par activation du carbone 14 dont la pĂ©riode de 5 730 ans en fait un dĂ©chet gĂȘnant). Il faut noter Ă©galement de ce point de vue les excellentes propriĂ©tĂ©s du fluor vis-Ă -vis de l'activation neutronique - alors que le sodium liquide utilisĂ© comme fluide caloporteur dans les surgĂ©nĂ©rateurs Ă  neutrons rapides de type Superphenix ou ASTRID (filiĂšre Uranium-Plutonium), outre les risques d'incendie, est susceptible de se trouver contaminĂ© par du sodium 22 fortement radiotoxique du fait de sa pĂ©riode de 2,6 annĂ©es ;
  • des caractĂ©ristiques reconnues de non-prolifĂ©ration nuclĂ©aire : du fait de l'occurrence de rĂ©actions nuclĂ©aires dites (n,2n), le combustible fissile uranium 233 se trouve rapidement contaminĂ© par des traces de uranium 232 quasiment impossible Ă  sĂ©parer du premier ; or l'un des descendants radioactifs de l'uranium 232 (le thallium 208) est un Ă©metteur de rayonnement gamma trĂšs Ă©nergĂ©tique et donc trĂšs destructeur pour les Ă©quipements Ă©lectroniques. De ce fait, la matiĂšre fissile devient presque impossible Ă  exploiter pour des armes nuclĂ©aires ; en mĂȘme temps de tels Ă©metteurs gamma sont facilement dĂ©tectables, ce qui faciliterait les contrĂŽles Ă©ventuels ;
  • en fonction des schĂ©mas retenus et de la composition du mĂ©lange de sels d'actinides utilisĂ©s comme combustible, le rĂ©acteur Ă  sel fondu est capable d'offrir une vaste plage de modes de fonctionnement ; il serait donc susceptible de valoriser comme combustible les matiĂšres nuclĂ©aires issues des centrales actuelles, alors qu'une partie importante de ces matiĂšres aboutit aujourd'hui en bout de chaĂźne de retraitement sous la forme de dĂ©chets de haute activitĂ© Ă  vie longue (HAVL), difficiles Ă  gĂ©rer. Le fonctionnement d'une fraction des rĂ©acteurs comme incinĂ©rateurs de dĂ©chets est envisageable, ce qui rĂ©duirait encore considĂ©rablement la quantitĂ© de dĂ©chets produite par l'ensemble du parc.

Liste de réacteurs fonctionnant au thorium

Nota : Pour ne pas confondre les unités MW(e), MWt... voir Watt électrique et Watt thermique.

Nom et pays Type Puissance Combustible PĂ©riode de mise en service
AVR, AllemagneRĂ©acteur nuclĂ©aire Ă  trĂšs haute tempĂ©rature, Experimental (RĂ©acteur Ă  lit de boulets)15 MW(e)Th+uranium 235 Driver Fuel, Coated fuel particles, Oxide & dicarbides1967–1988
THTR-300, AllemagneHTGR, Power (RĂ©acteur Ă  lit de boulets)300 MW(e)Th+uranium 235, Driver Fuel, Coated fuel particles, Oxide & dicarbides1985–1989
Lingen, Allemagneréacteur à eau bouillante Irradiation-testing60 MW(e)Test Fuel (Th,Pu)O2 pelletsCessation en 1973
Dragon, UK OECD-Euratom Ă©galement la SuĂšde, la NorvĂšge et la SuisseHTGR, Experimental (Pin-in-Block Design)20 MWtTh+uranium 235 Driver Fuel, Coated fuel particles, Oxide & Dicarbides1966–1973
Peach Bottom, États-UnisHTGR, Experimental (Prismatic Block)40 MW(e)Th+uranium 235 Driver Fuel, Coated fuel particles, Oxide & dicarbides1966–1972
Fort St Vrain, États-UnisHTGR, Power (Prismatic Block)330 MW(e)Th+uranium 235 Driver Fuel, Coated fuel particles, Dicarbide1976–1989
MSRE ORNL, États-UnisMSBR7.5 MWturanium 233 Molten Fluorides1964–1969
Shippingport & Indian Point 1, États-UnisLWBR PWR, (Pin Assemblies)100 MW(e), 285 MW(e)Th+uranium 233 Driver Fuel, Oxide Pellets1977–1982, 1962–1980
SUSPOP/KSTR KEMA (en), Pays-BasAqueous Homogenous Suspension (Pin Assemblies)1 MWtTh+HEU, Oxide Pellets1974–1977
NRU & NRX, CanadaMTR (Pin Assemblies)Th+uranium 235, Test FuelTest d'irradiation de quelques éléments combustibles
KAMINI; CIRUS; & DHRUVA, IndeMTR Thermal30 kWt; 40 MWt; 100 MWtAl+uranium 233 Driver Fuel, ‘J’ rod of Th & ThO2, ‘J’ rod of ThO23 rĂ©acteurs de recherche en service
KAPS 1 &2; KGS 1 & 2; RAPS 2, 3 & 4, IndePHWR, (Pin Assemblies)220 MW(e)ThO2 Pellets (For neutron flux flattening of initial core after start-up)Continu dans tous les nouveaux PHWR
FBTR, IndeLMFBR, (Pin Assemblies)40 MWtThO2 blanketEn service

IAEA TECDOC-1450 "Thorium Fuel Cycle - Potential Benefits and Challenges", Table 1. Thorium utilization in different experimental and power reactors.[24]

IntĂ©rĂȘts et projets de quelques pays

Certains pays ont initiĂ© des projets pour la mise en place de rĂ©acteurs nuclĂ©aire au thorium Ă  usage civil sur leur sol. Cependant l'utilisation de ces rĂ©acteurs reste marginale par rapport aux centrales utilisant de l'uranium enrichi. Cette section a pour but de faire une synthĂšse des projets en cours ou Ă  venir de certains pays, ainsi que des intĂ©rĂȘts en jeu.

Exemple de l'Inde

L’Inde possĂšde prĂšs du tiers des ressources connues de thorium, soit environ 500 000 tonnes, alors qu’elle n’a que 1,5 % des rĂ©serves d’uranium. Elle doit faire face Ă  une croissance importante de sa population, donc de sa consommation Ă©nergĂ©tique. N’ayant pas signĂ© le traitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes nuclĂ©aires, elle n’a pas accĂšs aux informations techniques relatives Ă  la technologie nuclĂ©aire et Ă  l’uranium jusqu'en 2009[6]. Cela explique pourquoi seulement 2,5 % de l’énergie indienne vient du nuclĂ©aire. Pour ces raisons, l’Inde prĂ©voit de mettre en marche deux centrales Ă  usage industriel au thorium en 2017, ce qui en fait une nation pionniĂšre de la filiĂšre[7]. Le programme vise Ă  servir 25 % des besoins de la population d’ici Ă  2050 avec une source pĂ©renne et locale.

Exemple de la Chine

En 2011, la Chine lance un programme de réacteurs à sel fondu (doté de 3 milliards de yuans, soit environ 500 millions de dollars)[2].

En mars 2012, le ministre Wen Jiabao indique dans un rapport gouvernemental que la Chine doit accĂ©lĂ©rer son dĂ©veloppement nuclĂ©aire et mettre fin Ă  l’expansion « aveugle » (selon ses termes) de l’industrie solaire et Ă©olienne pour rĂ©duire sa part de consommation de charbon qui s’élĂšve Ă  80 %[5]. La Chine lance alors un projet de rĂ©acteur Ă  sel fondu au thorium (qui est aussi un dĂ©chet de l'industrie miniĂšre des terres rares en expansion en Chine)[2]. La Chine collabore avec les centres de recherche des universitĂ©s de Berkeley, du MIT et de Wisconsin en ce qui concerne la sĂ©curitĂ© de ces rĂ©acteurs.

Le premier rĂ©acteur nuclĂ©aire expĂ©rimental au thorium chinois, construit Ă  Wuwei (province du Gansu, en bordure du dĂ©sert de Gobi) devait entamer ses premiers tests en aoĂ»t 2021 et ĂȘtre exploitĂ© par l'Institut de physique appliquĂ©e de Shanghai (SINAP)[2]. Il ne produira que deux mĂ©gawatts d'Ă©nergie thermique (correspondant au besoin de 1 000 foyers environ), mais pourrait prĂ©figurer, s'il fonctionne comme prĂ©vu, un second rĂ©acteur de 373 mĂ©gawatts (avant 2030), capable d'alimenter plusieurs centaines de milliers de foyers. La Chine espĂšre ensuite pouvoir les utiliser pour son objectif zĂ©ro Ă©mission de carbone avant 2050 et pour en commercialiser la technologie[2].

Comprendre la préférence pour l'uranium par rapport au thorium

Applications militaires

Les applications militaires de l'énergie nucléaire sont antérieures aux applications civiles. L'industrie nucléaire a d'abord été organisée pour produire des matiÚres nécessaires à la bombe atomique, l'uranium enrichi et le plutonium (Août 1945 : bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki).

Les rĂ©acteurs nuclĂ©aires servent au dĂ©part Ă  produire du plutonium, et la chaleur produite par la rĂ©action doit ĂȘtre Ă©vacuĂ©e. Toujours pour des besoins militaires, les premiers rĂ©acteurs non plutonigĂšne ont Ă©tĂ© des rĂ©acteurs de propulsion navale. Ce n'est qu'aprĂšs coup que la chaleur produite par les rĂ©acteurs militaires a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©e pour en mĂȘme temps produire de l'Ă©lectricitĂ©, en plus des besoins militaires.

Échecs de certains projets

Le thorium Ă©tait initialement utilisĂ© pour des projets de propulseur d’avion ou de sous-marin. L’abandon de ces projets aurait entraĂźnĂ© un dĂ©sintĂ©rĂȘt des scientifiques pour le thorium[6] - [7].

Le thorium est souvent prĂ©tendu inutilisable Ă  des fins militaires. En effet, l’uranium 233 produit lors de la transmutation du thorium est trĂšs radioactif et donc sa manipulation est difficile[5]. Cependant, cet Ă©lĂ©ment peut encore servir Ă  construire une bombe nuclĂ©aire aprĂšs enrichissement[5] - [24]. Le risque militaire n’est donc pas totalement Ă©cartĂ©, il est seulement limitĂ© par l’empĂȘchement de produire du plutonium fortement enrichi.

Le cycle du thorium ne prĂ©sente pas d'intĂ©rĂȘt militaire, ni pour faire des bombes atomiques, ni pour faire de la propulsion nuclĂ©aire, et n'a pas reçu les investissements de recherche et de dĂ©veloppement nĂ©cessaires Ă  son dĂ©marrage. Les moyens industriels et le savoir-faire technique se sont dĂ©veloppĂ©s uniquement autour de l'uranium et du plutonium.

Raison du maintien de la filiĂšre de l'uranium

L’utilisation du thorium demanderait une infrastructure plus coĂ»teuse[7].

Dans le cycle nuclĂ©aire au thorium, c’est principalement l’uranium 233 qui dĂ©gage l’énergie et non directement le thorium. Ceci en fait une filiĂšre plus complexe Ă  manipuler car il faut d’abord transmuter le thorium avant de pouvoir produire suffisamment d’énergie[5] - [24].

Les industriels du nucléaire sont réticents vis-à-vis des réacteurs au thorium, car ils impliqueraient beaucoup de changements[7] :

  • de nouvelles centrales, la gĂ©omĂ©trie du cƓur devant ĂȘtre adaptĂ© au combustible ;
  • de nouvelles formations du personnel, la technologie et la gestion de sĂ©curitĂ© Ă©tant diffĂ©rentes actuellement ;
  • du temps pour dĂ©velopper les techniques : plus de recherches, car le thorium n’est pas aussi connu que l’uranium. En particulier, les sections efficaces du thorium sont encore trop mal connues.

Ce n'est qu'en 1953 que le programme Atoms for Peace a été lancé, visant à promouvoir une utilisation de la technologie nucléaire à des fins pacifiques. L'industrie a continué sur la seule technologie qui était mûre à cette époque, parce que les gros investissements initiaux avaient déjà été faits par le domaine militaire, et qu'il n'était pas industriellement rentable d'investir dans un nouveau domaine.

De toute maniĂšre, pour initialiser un cycle nuclĂ©aire au thorium, il faut au dĂ©part de la matiĂšre fissible en quantitĂ© industrielle, pour pouvoir irradier le thorium dans un rĂ©acteur. Cette matiĂšre ne peut ĂȘtre que de l'uranium enrichi ou Ă©ventuellement du plutonium. Donc, il faut commencer par un cycle Ă  l'uranium, c'est le seul point de dĂ©part industriel possible.

Raisons de l'abandon du thorium

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les grandes puissances, en particulier les États-Unis, espĂšrent imposer leur hĂ©gĂ©monie sur le marchĂ© des combustibles nuclĂ©aires et en gĂ©nĂ©ral rester la premiĂšre puissance militaire via son avancĂ©e dans le nuclĂ©aire, surtout qu’il n’est pas exclu que le thorium puisse servir Ă  fabriquer du matĂ©riel militaire[25] - [26]. Les États-Unis tentent de racheter les combustibles uranium et thorium Ă  la province indĂ©pendante du Travancore, au BrĂ©sil, Ă  l’Afrique du Sud et au Congo[25]. L’Inde se rend Ă©galement compte des possibilitĂ©s Ă©nergĂ©tiques et militaires que pourrait lui offrir son rĂ©servoir de thorium et essaye de mettre sous son contrĂŽle les rĂ©serves de thorium du Travancore, devenues une ressource stratĂ©gique en 1944[25]. L’Inde annexe le Travancore en 1947[25].

Durant la guerre froide, l’énergie nuclĂ©aire est un argument politique trĂšs important. Il dĂ©finit en particulier un comitĂ© restreint de grandes puissances, qui ont tout intĂ©rĂȘt Ă  rester peu nombreuses[25]. Il est donc important de maintenir la possibilitĂ© de produire de l’énergie nuclĂ©aire de qualitĂ© militaire, tout en Ă©vitant le dĂ©veloppement de cette technologie dans les pays Ă©mergeant comme l’Inde ou la Chine par exemple. Pour ces raisons, la politique internationale concernant le thorium a principalement Ă©tĂ© le maintien des connaissances acquises par les grandes puissances, tout en Ă©vitant de financer les recherches sur le thorium qui auraient pu contribuer Ă  rendre autonomes en Ă©nergie et en armement les pays possĂ©dant des gisements importants : BrĂ©sil, Inde, etc.[27] - [6].

Notes et références

Notes

  1. Le thorium, combustible nucléaire du futur?, AFP, 15 février 2014.
  2. (en) Smriti Mallapaty, « China prepares to test thorium-fuelled nuclear reactor », sur Nature, (DOI 10.1038/d41586-021-02459-w, consultĂ© le ), p. 311–312.
  3. (en) George C. Lawrence. « Early Years of Nuclear Energy Research in Canada », Institute of Electrical and Electronics Engineers Canada, page 11.
  4. (en) Robert Hargraves, Thorium : Energy, Cheaper Than Coal, CreateSpace Independent Publishing Platform, , 482 p. (ISBN 978-1-4781-6129-5)
  5. Jean-Christophe De Mestral, L'atome vert : le thorium, un nucléaire pour le développement durable, Lausanne, Favre,
  6. Pellaud, B., Nucléaires : relançons le débat : Il y a de l'avenir, malgré Fukushima, Lausanne, Favre, , 214 p. (ISBN 978-2-8289-1285-7)
  7. (en) « IAEA-TECDOC-1349 Potential of thorium-based fuel cycles to constrain plutonium and to reduce the long-lived waste toxicity », International Atomic Energy Agency, (consulté le )
  8. (en) Brett Evans, « Scientist urges switch to thorium », ABC News,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  9. (en) Richard Martin, « Uranium Is So Last Century — Enter Thorium, the New Green Nuke », Wired,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  10. , Tribune dans le journal LibĂ©ration de Georges Charpak, Jacques Treiner et SĂ©bastien Balibar ; NuclĂ©aire : arrĂȘtons Iter, ce rĂ©acteur hors de prix et inutilisable
  11. , Avis de l'Académie des Sciences sur la filiÚre nucléaire française
  12. D'aprÚs Jacques Ligou, Introduction au génie nucléaire, Presses polytechniques et universitaires romandes.
  13. Cross section table for 90-Th-232
  14. Cross section table for 91-Pa-231
  15. [PDF] (en) C. Le Brun, L. Mathieu, D. Heuer and A. Nuttin, « Impact of the MSBR concept technology on long-lived radio-toxicity and proliferation resistance », Technical Meeting on Fissile Material Management Strategies for Sustainable Nuclear Energy, Vienna 2005 (consulté le )
  16. (en) Brissot R.; Heuer D.; Huffer E.; Le Brun, C.; Loiseaux, J-M; Nifenecker H.; Nuttin A., « Nuclear Energy With (Almost) No Radioactive Waste? »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?), Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC),  : « according to computer simulations done at ISN, this Protactinium dominates the residual toxicity of losses at 10 000 years »
  17. , China bets on thorium, brand new nuclear programme within 20 years
  18. , publications du Laboratoire de Physique Subatomique et Cosmologie (LPSC, CNRS/IN2P3 Grenoble), sur les réacteurs à sels fondus en cycle thorium (MSFR)
  19. China blazes trail for 'clean' nuclear power from thorium
  20. , Nucleargreen blogspot
  21. « illustre.ch/Ecologie-Jean-Chri
 »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?).
  22. http://www.the-weinberg-foundation.org/
  23. [PDF] (en) « IAEA-TECDOC-1450 Thorium Fuel Cycle-Potential Benefits and Challenges », International Atomic Energy Agency, (consulté le )
  24. (en) Hecht, Gabrielle, Entangled Geographies : Empire and Technopolitics in the Global Cold War, MIT Press, , 337 p. (ISBN 978-0-262-51578-8, LCCN 2010030321, lire en ligne), pp 101-123
  25. (en) Hecht, Gabrielle, Being Nuclear : Africans and the Global Uranium Trade, MIT Press, , 480 p. (ISBN 978-0-262-30067-4, lire en ligne)
  26. (en) Hecht, G. et Callon, M., The Radiance of France : Nuclear Power and National Identity after World War II, MIT Press, , 496 p. (ISBN 978-0-262-26617-8, lire en ligne).

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Voir aussi

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