ChĂąsse des rois mages
La Chùsse des rois mages de Cologne (en allemand Dreikönigenschrein) est un reliquaire conservé dans la cathédrale de Cologne. Il fut réalisé de 1180 à 1230 par l'atelier de Nicolas de Verdun et ses successeurs colonais[1].
Artiste |
Atelier de Nicolas de Verdun |
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Date |
entre 1180 et 1230 |
Technique |
Bois de chĂȘne restaurĂ©, argent et cuivre repoussĂ© et dorĂ©, Ă©mail champlevĂ©, cloisonnĂ© et mixte, vernis brun, filigranes et pierreries |
Dimensions (H Ă L Ă l) |
153 Ă 110 Ă 220 cm |
Mouvement |
Style 1200 |
Localisation | |
Coordonnées |
50° 56âČ 29âł N, 6° 57âČ 32âł E |
Fonction sacrée
La chĂąsse de Cologne joue un grand rĂŽle dans le culte rendu aux rois mages. En effet, l'empereur germanique FrĂ©dĂ©ric Barberousse, en campagne militaire Ă Milan, avait confiĂ© leurs reliques Ă l'Ă©vĂȘque Rainald von Dassel. Ils les apportent ensuite Ă Cologne en 1164, oĂč ils dĂ©veloppent le culte des rois mages[2].
Son enveloppe, qui cache pour la plus grande partie de lâannĂ©e les reliques aux yeux des fidĂšles, retranscrit de nombreux attributs de la saintetĂ©. Ses matĂ©riaux, sa forme et son iconographie sont des constants rappels de son contenu ; quant Ă sa mise en scĂšne, elle rappelle le pouvoir mystique qui sâen dĂ©gage. LâauthenticitĂ© de la relique qui lui confĂšre ses pouvoirs est Ă©galement retranscrite dans le reliquaire. Cette enveloppe de mĂ©tal inaltĂ©rable rĂ©habilite les ossements dans leur statut de corpus inccoruptum, de mĂȘme que le rĂ©emploi des pierres antiques sont la preuve de leur origine ancienne.
La pratique couramment attestĂ©e entre le XIe et le XIIe siĂšcle, consistant Ă se placer sous les reliques afin dâespĂ©rer bĂ©nĂ©ficier de leur flux miraculeux, est un bon exemple de lâimportance du reliquaire. Cette pratique Ă©tait une reconstitution du miracle dit de lâimposition des mains durant lequel le saint parvenait Ă guĂ©rir en se plaçant au-dessus du malade. En se tenant au-dessous du reliquaire, et donc des reliques, le suppliant recrĂ©ait ainsi la mĂȘme relation avec le corps du saint, par une sorte de transposition de consciemment ressentie. La chĂąsse de Cologne a fait lâobjet de telles pratiques comme le prouve la description de la procession organisĂ©e en 1322 Ă lâoccasion de la translation des reliques dans le nouveau chĆur gothique. Durant la procession, le reliquaire Ă©tait prĂ©cĂ©dĂ© de seize autres chĂąsses et de nombreuses haltes furent faites pour permettre aux fidĂšles de vĂ©nĂ©rer la relique et notamment de passer en dessous. Dans cette situation, et plus quâĂ nâimporte quelle autre, le reliquaire avait pour fonction de signifier le saint.
Les matériaux
Comme de nombreux reliquaires mĂ©diĂ©vaux, la chĂąsse des rois mages de Cologne est faite dâune alliance de multiples matĂ©riaux prĂ©cieux. Son Ăąme de bois est recouverte dâor, dâargent, de cuivre repoussĂ© et dorĂ© ainsi que dâĂ©maux champlevĂ©s et cloisonnĂ©s. Dâabondantes pierres prĂ©cieuses ou semi-prĂ©cieuses garnissent avec les gemmes et les camĂ©es antiques lâensemble de la chĂąsse. Seuls ces matĂ©riaux Ă©taient jugĂ©s dignes de contenir son prĂ©cieux dĂ©pĂŽt. Mais, si l'on exprimait ainsi lâestime que lâon portait Ă la dĂ©pouille dâun saint, lâusage de lâor est bien moins anodin quâil nây parait.
MĂ©tal fabuleux, mĂ©tal fĂ©tiche, lâor remplissait deux fonctions sociales au Moyen Ăge : il Ă©tait un instrument dâĂ©change de mĂȘme quâun objet confĂ©rant prestige et puissance. Le prestige social Ă©tait naturellement liĂ© Ă sa possession et aux largesses que celui-ci permettait. Il Ă©tait la marque du pouvoir, il rehaussait la beautĂ© et glorifiait la vaillance. Son rĂŽle symbolique Ă©tait donc capital. Dans lâart mĂ©diĂ©val en particulier, il Ă©tait le synonyme de la spiritualitĂ©. Lâor Ă©tait le symbole du sacrĂ©. Il traduisait la splendeur dâun monde divin, figurait le ciel, aurĂ©olait les saints, symbolisait un lien de perfection, de richesse et dâĂ©ternitĂ©. Dans le cas de la chĂąsse de Cologne, cela crĂ©ait une sorte de distanciation montrant que ce nâĂ©tait pas totalement les restes dâhommes terrestres, mais surtout ceux de saints faisant partie du royaume de Dieu.
La chĂąsse des rois mages possĂ©dait au XIIIe siĂšcle 222 pierres prĂ©cieuses, semi-prĂ©cieuses et camĂ©es antiques, dont seulement 138 sont encore en place. Aujourdâhui, câest 304 qui y sont enchĂąssĂ©s. Les 166 pierres de diffĂ©rence correspondent Ă des rajouts effectuĂ©s tout au long des siĂšcles et dont la plupart (152) proviennent de restaurations rĂ©centes (1961 et 1973). Le premier plan dâinterprĂ©tation de ces pierres prĂ©cieuses voit gĂ©nĂ©ralement en elles de simples ornements contribuant Ă la prĂ©ciositĂ© de lâĆuvre. Or, elles entretiennent aussi des relations Ă©troites avec la notion mĂȘme de saintetĂ©. TrĂšs souvent de maniĂšre mĂ©taphorique, les saints sont dĂ©signĂ©s comme les « pierres vives » (lapides vivi) de la foi en Dieu. Les pierres prĂ©cieuses, le cristal de roche nâĂ©taient pas des masses inertes. Elles Ă©taient porteuses de sens : leur couleur changeante, leur transparence ou la force de leur Ă©clat Ă©taient pour les hommes du Moyen Ăge autant de propriĂ©tĂ©s qui leur confĂ©raient des vertus surnaturelles. Par ces pouvoirs, de nombreuses lĂ©gendes leur furent rattachĂ©es et les pierres devinrent ainsi semblables aux saints. Comme eux, elles avaient obtenu leurs vertus de Dieu. Leur utilisation sur cet objet liturgique Ă©tait donc, au mĂȘme titre que lâor, un Ă©lĂ©ment qui signifiait aux fidĂšles le caractĂšre sacrĂ© voir mystique de la relique.
LumiĂšre et mise en situation
DâaprĂšs un des documents recensĂ©s par R. Kroos, on apprend quâen 1164, juste aprĂšs leur arrivĂ©e, les reliques Ă©taient fort probablement dĂ©posĂ©es au milieu de la nef de lâancienne cathĂ©drale, oĂč un nouvel autel avait Ă©tĂ© Ă©rigĂ© pour elles. Quand la chĂąsse fut terminĂ©e aux alentours de 1230, un lustre-couronne fut suspendu au-dessus. Bien plus volumineux que celui des cathĂ©drales dâHildesheim ou dâAix-la-Chapelle, il pouvait supporter jusqu'Ă quatre-vingt-seize chandelles. Lâexplication de ce chiffre est trouvĂ©e dans lâHistoria Scholastica de Petrus Comestor ; les 96 chandelles correspondent Ă la somme des douze ApĂŽtres, des douze ProphĂštes et des soixante-douze disciples envoyĂ©s par JĂ©sus pour rĂ©pandre la Parole de Dieu (Luc, X, 1). Il est dĂ©licat de savoir si ce nombre avait un rapport iconographique avec sa position au-dessus de la chĂąsse. Le lustre fut dĂ©truit par lâincendie qui ravagea lâancienne cathĂ©drale en 1248.
Depuis 2004, ces conditions primitives dâĂ©clairement ont Ă©tĂ© restaurĂ©es, permettant aux touristes de sâidentifier aux croyants dâautrefois. La chasse s'observe actuellement en pĂ©nĂ©trant par le portail ouest de la cathĂ©drale.
Tous les spĂ©cialistes du culte sâaccordent Ă dire que les saints, perçus comme des crĂ©atures du ciel, sont trĂšs souvent qualifiĂ©s dâĂȘtres de lumiĂšre. Depuis des siĂšcles, les artistes symbolisent la saintetĂ© chrĂ©tienne grĂące Ă la lumiĂšre Ă©manant des corps et des visages. LâaurĂ©ole ou le nimbe est la marque concrĂšte de leur Ă©lection divine. Dans le langage courant, on dit dâun saint que sa vie, ses paroles ou ses actions sont lumineuses et quâil reflĂšte la lumiĂšre de Dieu. Les rĂ©cits tirĂ©s des piĂšces des procĂšs de canonisation sont prĂ©cis et circonstanciĂ©s. Globalement, ils rapportent le fait suivant : un ou plusieurs tĂ©moins ont observĂ© une lumiĂšre Ă©clatante, parfois aveuglante, Ă©maner du corps dâune personne. Le sujet semble enveloppĂ© de lumiĂšre comme le reliquaire dâor enveloppe de lumiĂšre ses restes.
Les trois rois mages, en tant que saints, possĂ©daient, eux aussi, la lumiĂšre comme attributs. Les Ăcritures canoniques dĂ©livrent peu d'informations au sujet de ces trois personnages. Leur existence repose sur un seul texte extrĂȘmement court dans lâĂvangile de saint Matthieu (II, 7-16). A partir du VIe siĂšcle, la lĂ©gende embellit le texte Ă©vangĂ©lique trop sobre. Des miracles relatĂ©s dans diffĂ©rents manuscrits furent mis Ă lâactif des mages. Jean dâHildesheim en rĂ©alisa la synthĂšse au milieu du XIVe siĂšcle, en Ă©crivant Historia Trium Regum. Il expose que le trĂ©pas de chacun des trois rois fut annoncĂ© par une lumiĂšre aveuglante provenant dâun astre extraordinaire. La dialectique de la lumiĂšre est Ă©galement trĂšs prĂ©sente sous la forme de lâĂ©toile qui guida les mages vers le lieu de naissance du Christ. DĂ©crite dans tous les rĂ©cits de la NativitĂ©, elle est qualifiĂ©e comme Ă©tincelante, autant dans lâĂvangile de Mathieu que dans les diffĂ©rents rĂ©cits apocryphes de lâĂpiphanie : « Nous avons vu une Ă©toile Ă©norme qui brillait parmi ces Ă©toiles-ci et qui les Ă©clipsait au point que les autres Ă©toiles nâĂ©taient plus visibles. » (ProtĂ©vangile de Jacques (XXI, 2). Si le statut de lâĂ©toile, symbole crĂ©e et transitoire, fait lâobjet de discussions, son caractĂšre lumineux, quelle que soit sa forme, nâest jamais remis en question.
Dans ces conditions, lâutilisation de lâor et de ses propriĂ©tĂ©s rĂ©flectrices, ainsi que sa mise en situation dans la nef de la cathĂ©drale donnent au reliquaire une dimension particuliĂšre. Tout dâabord, ce mĂ©tal permet de signifier au fidĂšle quâil est dĂ©sormais en prĂ©sence du sacrĂ©, mais il habille aussi littĂ©ralement de lumiĂšre les restes miraculeux afin de rappeler celle qui Ă©manait des saints, comme celle qui guida les rois mages.
La forme
La forme de la chĂąsse apporte, elle aussi, des Ă©lĂ©ments Ă la fonction du reliquaire. Sa forme architecturale nâest pas sans rappeler celle dâun Ă©difice religieux chrĂ©tien. Elle se prĂ©sente en quelque sorte comme une basilique miniature Ă trois nefs. La plupart du temps, cette forme est interprĂ©tĂ©e comme lâimage de la Ville Sainte par excellence, la JĂ©rusalem cĂ©leste. Cette notion chrĂ©tienne, issue du judaĂŻsme, fait rĂ©fĂ©rence Ă lâĂglise qui descendra du ciel aprĂšs la rĂ©surrection des morts pour le rĂšgne millĂ©naire. Une sorte de JĂ©rusalem nouvelle, comme lâimage dâune Ă©glise accueillant les croyants de toutes les races. Jean la dĂ©crit dans le chapitre XX de son apocalypse : « Et il mâa emportĂ© en esprit sur une grande et haute montagne, il mâa montrĂ© la Ville sainte, JĂ©rusalem qui descendait du ciel, dâauprĂšs de Dieu, avec la gloire de Dieu. Son Ă©clat pareil Ă une pierre trĂšs prĂ©cieuse comme du jaspe cristallin. [...] La muraille est construite en jaspe et la ville en un or pur pareil Ă du verre pur. Les assises de la muraille sont faites de toutes pierres prĂ©cieuses. [âŠ] La ville nâa pas besoin que brillent le soleil ni la lune, car la gloire de Dieu lâa illuminĂ©e et sa lampe câest lâagneau. Les nations marcheront Ă sa lumiĂšre, et les rois de la terre lui apportent leur gloire. » (Jean, XXI, 10-27). Lâaspect du reliquaire comme celui de nombreuses autres chĂąsses rhĂ©nanes fait rĂ©fĂ©rence Ă cette description. Cela crĂ©e un parallĂšle entre le reliquaire servant de sarcophage terrestre et la JĂ©rusalem CĂ©leste qui sera au jour du Jour du jugement la derniĂšre demeure des rois mages comme celle de tous les saints.
Cette notion de tombeau se retrouve Ă©galement dans une autre interprĂ©tation de la forme de la chĂąsse. En effet, le pignon du revers laisse entrevoir une autre structure architectonique composĂ©e de deux sarcophages placĂ©s cĂŽte Ă cĂŽte dont le faĂźte est surmontĂ© par un troisiĂšme. Cet agencement est sans Ă©quivalent Ă ce jour, car la majoritĂ© des grandes chĂąsses mĂ©diĂ©vales Ă©voquent seulement un seul sarcophage. Cette forme est trĂšs courante dans la rĂ©gion du Rhin et de la Meuse car quelle que soit sa taille, elle rappelle le statut du saint qui est un avant tout mort glorieux. Seul lâautel reliquaire de lâabbaye de Saint-Denis, aujourdâhui disparu, possĂ©dait une forme semblable et des dimensions aussi imposantes. Concernant la chĂąsse de Cologne, la cause de cette augmentation de volume serait peut-ĂȘtre dĂ» au contenu mĂȘme de la chĂąsse. En effet, selon une source des dĂ©buts du XIIIe siĂšcle, la chĂąsse ne renfermait pas seulement les reliques des mages, mais Ă©galement celles des saints FĂ©lix et Nabor ainsi que celles de GrĂ©goire de SpolĂšte. Selon la lĂ©gende, Felix et Nabor, soldats Maures dans lâarmĂ©e de Maximien, furent martyrisĂ©s aux environs de 303 apr. J.-C. Leur culte a Ă©tĂ© instaurĂ© Ă Milan, oĂč leurs restes furent prĂ©servĂ©s jusquâau jour de leur translation Ă Cologne en 1164. Ils sont anachroniquement reprĂ©sentĂ©s sur la chĂąsse en croisĂ©s du XIIIe siĂšcle vĂȘtus de cotte de mailles. Quant aux reliques de GrĂ©goire de SpolĂšte, prĂȘtre martyrisĂ© sous le rĂšgne du mĂȘme empereur aux alentours de 304 apr. J.-C., elles furent transportĂ©es Ă Cologne sous lâarchevĂȘque Bruno (953-965 apr. J.-C.) et transfĂ©rĂ©es dans la chĂąsse en mĂȘme temps que celle des trois rois. Selon la mĂȘme source du XIIIe siĂšcle, les reliques des rois mages Ă©taient conservĂ©es dans les petits sarcophages du bas et que celles d'autres saints dans celui du haut. De cette maniĂšre, la forme du reliquaire de Cologne entretient aussi un lien Ă©troit avec les reliques qui figure leur abondance ainsi que leur derniĂšre demeure, quâelle soit terrestre (les sarcophages) ou cĂ©leste (forme basilicale).
Programme iconographique
Le programme iconographique fait lui aussi partie de cet ensemble dâĂ©lĂ©ments qui donnent au reliquaire des rois mages une transcription visuelle de la saintetĂ©. Ce programme qui sâĂ©tend sur de grandes dimensions a Ă©tĂ© minutieusement dĂ©crit, identifiĂ© et analysĂ© par de nombreux historiens dâart.
La vierge Marie, MĂšre de Dieu trĂŽne au centre du pignon central. Ă sa gauche sont reprĂ©sentĂ©s les trois rois mages apportant leurs offrandes. Un quatriĂšme personnage non couronnĂ©, identifiĂ© comme Otton IVâŁâŁ, suit leur procession. Le baptĂȘme est reprĂ©sentĂ© Ă la droite de la Vierge. Le Christ du Jugement domine lâensemble du pignon. Il trĂŽne entourĂ© des deux anges portant les ustensiles eucharistiques et une couronne. Au-dessus, les archanges Gabriel, Michel et RaphaĂ«l (Michel a Ă©tĂ© remplacĂ© en 1684 par une topaze) portent les instruments de la Passion. Sur le premier niveau des deux bas-cĂŽtĂ©s sont reprĂ©sentĂ©s sous une sĂ©rie dâarcades trilobĂ©es douze prophĂštes de lâAncien Testament au milieu desquels les rois David et Salomon. Dans les Ă©coinçons Ă©taient autrefois placĂ©s des bustes des Vertus qui sâincarnent dans le Christ (aujourdâhui placĂ©s au second niveau). Sur les versants du toit qui les surmontent, Ă©taient autrefois reprĂ©sentĂ©s en complĂ©ment, des scĂšnes de la vie du Christ et de sa glorification. Elles ont aujourdâhui disparu. Au niveau supĂ©rieur, sous les mĂȘmes arcades, les douze apĂŽtres ainsi quâun chĂ©rubin et un sĂ©raphin forment une assemblĂ©e assistant le Christ lors du Jugement dernier et proclament la Bonne Nouvelle. Ils tiennent en leurs mains des villes miniatures symbolisant leur siĂšge Ă©piscopal. Les scĂšnes des versants du toit, elles aussi disparues, reprĂ©sentaient des visions relatives aux Ă©vĂ©nements de la fin du monde et du Jugement dernier. Le cycle se poursuit sur le second pignon avec au premier niveau Ă gauche, la Flagellation surmontĂ©e dâanges et dâune personnification de la Patienta. La scĂšne de droite reprĂ©sente la Crucifixion du Sauveur surmontĂ©e par Sol, Luna et un ange. Ces deux Ă©vĂ©nements sont sĂ©parĂ©s par lâeffigie du prophĂšte IsaĂŻe. Au-dessus, dans le triangle formĂ© par les deux pignons et lâĂ©tage supĂ©rieur, Rainald von Dassel, translator des reliques, apparaĂźt Ă mi-corps. Ă lâĂ©tage supĂ©rieur, au-dessus du Christ couronnant les deux martyrs Felix et Nabor, les trois vertus thĂ©ologales fides, spes et caritas.
Avant mĂȘme une signification thĂ©ologique, ce programme nâest que constant rappel du caractĂšre sacrĂ© de la relique. Ces images dĂ©signent le contenu du reliquaire et en nourrissent le commentaire liturgique, doctrinal ou dĂ©vot. Les diffĂ©rents Ă©pisodes de lâHistoire sainte, la reprĂ©sentation des anciens prophĂštes et des Ă©vangĂ©listes sont lĂ pour rappeler aux fidĂšles, au mĂȘme titre que lâor ou la lumiĂšre qui sâen Ă©chappent, le caractĂšre sacrĂ© de cette chĂąsse. Les reprĂ©sentations des rois mages, de saint FĂ©lix et de saint Nabor sont prĂ©sentes afin dâindiquer son contenu. Les scĂšnes de la Passion du Christ sont, quant Ă elles, une sorte dâarchĂ©type des martyrs endurĂ©s par les saints.
Il est cependant Ă©tonnant de constater Ă quel point, contrairement Ă la plupart des grandes chĂąsses rhĂ©nanes, les saints contenus dans le reliquaire sont peu prĂ©sents dans ce programme iconographique. En effet, les rois mages et les saints FĂ©lix et Nabor nâapparaissent quâune seule fois sur lâensemble du programme et Gregor de Spoleto en est absent. On constate habituellement sur la plupart des chĂąsses que les longs cĂŽtĂ©s sont certes rĂ©servĂ©s aux figures bibliques, mais que les pans du toit contiennent des scĂšnes de la vie du saint et plus particuliĂšrement ses faits miraculeux. Les pignons sont quant Ă eux frĂ©quemment rĂ©servĂ©s au Christ ou Ă Marie ainsi quâau(x) saint(s) dont les ossements sont sauvĂ©s, mais ils ne sâĂ©tendent pas autant que sur le reliquaire de Cologne. Câest le cas, par exemple, du reliquaire de Saint HĂ©ribert conservĂ© dans lâĂ©glise Saint-HĂ©ribert Ă Cologne (1160-1170) ou encore de la chĂąsse de Charlemagne conservĂ©e dans la cathĂ©drale dâAix-la-Chapelle (1185-1215). Lâabondance du programme iconographique de la chĂąsse des rois mages est due Ă une volontĂ© marquĂ©e de magnificence. Durant les siĂšcles dâapogĂ©e de lâorfĂšvrerie rhĂ©nane, une forte concurrence existait entre les diffĂ©rentes villes pour la possession du plus beau reliquaire. La ville de Cologne, carrefour commercial, centre Ă©conomique et important lieu de pĂšlerinage, se devait de possĂ©der un reliquaire Ă sa mesure.
Cependant, la complexitĂ© du programme iconographique, et notamment lâabsence de reprĂ©sentation hagiographique, est une des consĂ©quences du rĂŽle « politique » attribuĂ© aux reliques.
Construction visuelle de lâauthenticitĂ© (potentia)
Tant quâil reste anonyme, un ossement en vaut un autre. Ce qui fait de lui une relique (et lui donne donc son pouvoir mystique), câest son authenticitĂ©. Elle lâidentifie en garantissant son origine divine. AttestĂ©e en premier lieu par une reconnaissance sociale, lâauthenticitĂ© de la relique est confortĂ©e ensuite par une reconnaissance institutionnelle, celle de lâĂ©vĂȘque du lieu. Dans le cas de la chĂąsse de Cologne, il est fort probable que les ossements quâelle contient ne sont pas ceux des mages. Il ne sâagit pas ici de savoir si ces reliques sont authentiques ou non, mais de savoir comment elles pouvaient passer pour telles aux yeux des hommes du Moyen Ăge.
Incorruptibilité
Avant dâĂȘtre une qualitĂ© de lâĂąme ou un Ă©tat spirituel, la saintetĂ©, dans la mentalitĂ© commune mĂ©diĂ©vale, est dâabord une Ă©nergie (virtus) qui se manifeste Ă travers un corps. Sa prĂ©sence est perçue dâaprĂšs un certain nombre dâindices dâordre physiologique. Le signe le plus important est lâincorruptibilitĂ© du corps et des restes du saint, soit le corpus incorruptum. Une fois que la vie sâest retirĂ©e du corps, celui-ci devient « tendre comme une chair dâenfant », en opposition bien sĂ»r avec la raideur naturelle des cadavres. Ceci constitue un premier signe de leur Ă©lection divine. Et, une fois inhumĂ©, il ne se dĂ©compose pas.
Les rois mages, en tant que saints, nâĂ©chappent pas Ă cette rĂšgle. Plusieurs sources Ă©crites, contemporaines de la translation des reliques, parlent de lâincorruptibilitĂ© des corps des trois rois mages. Lâhistorien Guillaume de Newburg, mort en 1208, rapporte dans Rerum anglicarum libri quinique une version de la dĂ©couverte des reliques. Pendant le siĂšge de Milan par FrĂ©dĂ©ric Barberousse, les Milanais dĂ©cidĂšrent de raser les faubourgs de la ville dans la crainte quâils ne soient utiles aux assiĂ©geants. En dĂ©molissant un antique monastĂšre situĂ© hors les murs, ils dĂ©couvrirent, parmi les ruines de lâabbatiale, les reliques identifiĂ©es comme celles des trois rois qui avaient adorĂ© le Christ au moment de sa naissance. Il dĂ©crit leurs corps comme intacts et leurs cercueils entourĂ©s dâun cercle dorĂ©, comme si l'on avait voulu ne jamais les sĂ©parer. Un autre rĂ©cit contemporain de la translation fait Ă©tat de la mĂȘme conservation des corps. Il sâagit de la chronique de Robert de Thorigny rĂ©digĂ©e aux environs de 1182 : « En 1164, Renaud transfĂ©ra les corps des trois rois mages de Milan Ă Cologne. Les corps qui avaient Ă©tĂ© embaumĂ©s Ă©taient intacts, mĂȘme la peau et les cheveux ». Le chroniqueur qui affirme les avoir vus ajoute que les mages semblaient ĂȘtre ĂągĂ©s de quinze, trente, et soixante ans.
Mais, cette reconnaissance unanime exigeait une mise en scĂšne matĂ©rielle et imagĂ©e. Câest ici que le reliquaire intervient une fois de plus. En lui offrant une enveloppe de mĂ©tal « inaltĂ©rable » il donne Ă la notion corpus incorruptum une dimension esthĂ©tique concrĂšte, prĂ©sente devant les yeux du fidĂšle et qui ne relĂšve plus seulement du monde des idĂ©es, de visions ou simplement dâune narration hagiographique.
Origine
Nous avons dĂ©jĂ vu que les pierres prĂ©cieuses recouvrant la chĂąsse lui donnaient non seulement un aspect prĂ©cieux, mais entretenaient Ă©galement des liens Ă©troits avec la saintetĂ©. Nous allons voir Ă prĂ©sent que certaines dâentre elles, les camĂ©es antiques apportent aussi des Ă©lĂ©ments Ă lâauthenticitĂ© nĂ©cessaire aux cultes des reliques.
Le trapĂšze richement orfĂ©vrĂ© qui surmonte les trois scĂšnes du pignon central est la partie de la chĂąsse qui possĂ©dait les plus beaux et les plus prĂ©cieux camĂ©es. Au centre du trapĂšze, se trouvait autrefois le cĂ©lĂšbre camĂ©e dit de PtolĂ©mĂ©e qui est aujourdâhui conservĂ© au Kunsthistorischen Museum de Vienne. Ce camĂ©e en agate est datĂ© de 278 av. J.-C. Il reprĂ©sente deux profils, probablement celui de PtolĂ©mĂ©e II et de sa femme ArsinoĂ© II. Il Ă©tait flanquĂ© autrefois de deux autres pierres antiques toujours en place : Ă gauche un camĂ©e dâagate (54-59 apr. J.-C.) reprĂ©sentant lâempereur NĂ©ron et lâimpĂ©ratrice Agrippa ; Ă droite, une intaille (vers 75 apr. J.-C.) avec la dĂ©esse VĂ©nus et le dieu Mars. Dâautres gemmes moins grosses sont placĂ©s sur les cĂŽtĂ©s. On peut notamment reconnaĂźtre des hĂ©ros antiques, des portraits dâempereurs ou encore des danseuses. Il est fort probable que le sens de cette iconographie avait Ă©tĂ© rĂ©interprĂ©tĂ© en fonction des besoins chrĂ©tiens de lâĂ©poque.
Mais, l'anciennetĂ© des pierres avait plus dâimportance que lâiconographie. En effet, les rois mages Ă©taient des saints qui avaient vĂ©cu durant l'AntiquitĂ© en mĂȘme temps que le Christ. Ces pierres Ă©taient sans doute, pour les hommes du Moyen Ăge comme pour nous aujourdâhui, identifiĂ©es par leur style comme antiques ou en tout cas comme trĂšs anciennes. Leur prĂ©sence sur le reliquaire attestait ainsi de lâanciennetĂ© des reliques, et donc de leur authenticitĂ©.
Fonction politique
Si le rĂŽle de la chĂąsse de Cologne au sein du culte des rois mages est Ă prĂ©sent plus clair, il nous faut aussi nous pencher plus prĂ©cisĂ©ment sur le programme iconographique dont nous avons dĂ©jĂ relevĂ© la particularitĂ©. Ses Ă©tudes iconographiques ne manquent pas et aboutissent trĂšs souvent au mĂȘme rĂ©sultat. Le programme est complexe, centrĂ© autour du thĂšme de lâĂpiphanie et sur les notions plus larges de royautĂ© et de couronnement. En effet le programme iconographique, loin dâentretenir de seuls rapports avec les reliques des saints, est aussi la preuve de la rĂ©utilisation politique de cet objet liturgique par diffĂ©rentes personnalitĂ©s ou institutions allemandes.
Le rĂŽle politique de la translation des reliques
En premier lieu, il est intĂ©ressant de savoir que la translation des reliques des rois mages dans la ville de Cologne est, non seulement un acte religieux, mais aussi un acte politique fort. Câest Rainald von Dassel (vers 1120-1164), archevĂȘque de Cologne et chancelier de FrĂ©dĂ©ric Barberousse (1152-1190) qui amena dans la ville allemande, en 1164, les restes des rois mages. Ils les avaient obtenus de son roi en 1162, juste aprĂšs que FrĂ©deric Ier eut envahi Milan. La lĂ©gende qui entourait ces reliques racontait que JĂ©sus lui-mĂȘme avait, aprĂšs lâAdoration, certifiĂ© le titre de rois des trois mages. De cette maniĂšre, le Sauveur lui-mĂȘme certifiait le caractĂšre divin de la royautĂ©. Celui qui se trouvait en leur possession recevait Ă son tour la lĂ©gitimation de sa souverainetĂ© chrĂ©tienne. Il nâest donc pas Ă©tonnant que FrĂ©dĂ©ric qui souhaitait mettre en place une politique de restauration de lâEmpire romain chrĂ©tien ait fait appel au pouvoir symbolique de ces restes royaux. La notion dâEmpire, de Reich, riche de significations et dâambigĂŒitĂ©s, comporte une trĂšs noble et trĂšs haute idĂ©e de lâunitĂ© du peuple chrĂ©tien dont la paix et la puissance sont garanties par une structure impĂ©riale. Celle-ci sâĂ©tend, en thĂ©orie (et cette thĂ©orie fut surtout Ă©laborĂ©e par les chancelleries de FrĂ©dĂ©ric Barberousse et de FrĂ©dĂ©ric II) Ă lâunivers tout entier, le droit particulier de chaque personne, de chaque peuple et de chaque royaume Ă©tant garanti par lâuniversalitĂ© mĂȘme de lâautoritĂ© impĂ©riale. Câest une conception dâun empire « saint » parce que directement issu de la volontĂ© divine. Certains mĂ©diĂ©vistes allemands pensent mĂȘme que la translation des reliques des mages fut un des Ă©lĂ©ments principaux de cette politique.
Les reliques des rois mages jouĂšrent aussi un rĂŽle de premier plan dans lâhistoire de la ville de Cologne. Tout dâabord, parce que leur translation entraina la crĂ©ation dâun pĂšlerinage de renommĂ©e internationale et de lĂ une Ă©conomie florissante, mais aussi parce que leur prĂ©sence dans la ville permettait Ă lâarchevĂȘque de consolider et de sanctifier son droit de sacre du roi Allemand. En effet, c'est lâarchevĂȘque de Cologne qui, assistĂ© de lâarchevĂȘque de Mayence, Ă©tait chargĂ© de lâacte liturgique du couronnement du roi et plus particuliĂšrement de lâonction royale. Le pouvoir de lĂ©gitimation et de sanctification des reliques pouvait donc non seulement aider la politique de Barberousse mais Ă©galement sacraliser le privilĂšge des archevĂȘques de Cologne.
Mais, c'est incontestablement Othon von Braunschweig, couronnĂ© Otton IV en 1198, qui participa le plus au culte rendu aux rois mages et qui laissa sur le reliquaire de Cologne les traces les plus nettes de la rĂ©utilisation politique des reliques. Ă sa mort, lâempereur Henri VI (fils de Barberousse) laisse Ă lâempire un enfant unique, appelĂ© FrĂ©deric ĂągĂ© seulement de quelques mois. LâidĂ©e dâune minoritĂ© de plus de dix ans parut intolĂ©rable Ă tous. Tandis que la domination allemande sâĂ©croulait en Italie, une partie des princes germaniques se rallia au frĂšre du dĂ©funt empereur, Philippe von Schwaben. Lâautre partie, dĂ©cidĂ©e Ă rompre avec la tendance Ă lâhĂ©rĂ©ditĂ© du trĂŽne, choisit comme roi un grand du royaume, Otton IV qui, par sa mĂšre, Ă©tait neveu des rois dâAngleterre (Richard CĆur de Lion et Jean sans Terre). AprĂšs une pĂ©riode de rivalitĂ© entre les deux prĂ©tendants au trĂŽne, Philippe von Schwaben fut assassinĂ© en 1208 par un des proches dâOtton IV, laissant Ă ce dernier lâempire allemand. Otton IV avait Ă©tĂ© Ă©lu roi Ă Cologne et couronnĂ© Ă Aix-la-Chapelle le 12 juillet 1198. Il fut plus tard couronnĂ© empereur Ă Saint-Pierre de Rome le 4 octobre 1209 par le pape Innocent III. Il tenta tout au long de son rĂšgne de lĂ©gitimer sa couronne obtenue peu scrupuleusement. Son association aux reliques des rois mages est sans doute une consĂ©quence de cette quĂȘte de lĂ©gitimitĂ©.
Le programme iconographique
Pour ces hauts dignitaires politiques, le plus grand intĂ©rĂȘt des reliques des rois mages Ă©tait donc la lĂ©gitimitĂ© divine quâelle leur confĂ©rait. Il nâest alors pas Ă©tonnant que lâiconographie hagiographique retentisse dans le programme de la chĂąsse avec moins dâintensitĂ© que les thĂšmes de la royautĂ© et du couronnement. Ces derniers sont prĂ©sents sur lâensemble de la chĂąsse et en particulier sur le pignon central. Nous nâallons pas dĂ©crire en dĂ©tail les nombreuses significations thĂ©ologiques de ce programme, mais simplement en donner les grandes lignes afin de prouver que lâiconographie de cet objet ne sert pas seulement des fins religieuses, mais Ă©galement politiques.
Câest le successeur du translateur des reliques, Philippe Iá”Êł de Heinsberg, qui est Ă lâorigine de la commande du reliquaire passĂ© Ă Nicolas de Verdun vers 1181. Câest sans doute ce dernier qui a crĂ©Ă© les plans primitifs de la chĂąsse, mais il nâest pas Ă lâorigine de lâensemble de la rĂ©alisation. Les spĂ©cialistes sâaccordent sur le fait que ce cĂ©lĂšbre orfĂšvre a seulement crĂ©Ă© les figures dâapĂŽtres et de prophĂštes placĂ©es sur les cĂŽtĂ©s de la chĂąsse. La prĂ©sence au milieu dâelles du roi David et du roi Salomon nâest pas due au hasard puisque ces deux rois sont de multiples fois citĂ©s (960 fois) dans les oraisons et priĂšres des couronnements royaux et quâils sont Ă©galement reprĂ©sentĂ©s sur la couronne qui fut utilisĂ©e pour le couronnement dâOthon I en 962.
Le plan primitif de Nicolas de Verdun a certainement Ă©tĂ© plus ou moins respectĂ©, mais en 1200, le pignon principal fut modifiĂ© sous lâinfluence dâOthon IV qui avait offert aux reliques lâensemble des matĂ©riaux nĂ©cessaires Ă lâachĂšvement du reliquaire. Il marqua son dĂ©vouement aux reliques des rois mages en sâincrustant pour lâĂ©ternitĂ© dans le pignon principal de la chĂąsse. Il est reprĂ©sentĂ© comme quatriĂšme roi dans la scĂšne de lâAdoration situĂ©e dans le registre infĂ©rieur. Une inscription au-dessus de lui lâidentifie : OTTO REX . Barbu, sans couronne et vĂȘtu dâune ample tunique, il est reprĂ©sentĂ© plus petit que les mages. Il tient dans ses mains une boite en or qui a sans doute Ă©tĂ© remplacĂ©e Ă lâĂ©poque baroque. Sa prĂ©sence dans cette scĂšne religieuse a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e de maniĂšres diffĂ©rentes. Lâobjet dont il sâapprĂȘte Ă faire don peut faire rĂ©fĂ©rence Ă ses propres offrandes aux reliques. En effet, il leur avait non seulement offert des matĂ©riaux prĂ©cieux mais Ă©galement trois couronnes qui furent placĂ©es sur les crĂąnes des mages le jour de lâĂpiphanie de lâannĂ©e 1200. Une autre interprĂ©tation voudrait que, de cette maniĂšre, lâempereur Othon IV place son propre couronnement sous la protection de la vierge Marie et sous la figure du Christ du Jugement dernier placĂ© dans le registre supĂ©rieur. En effet, ce geste dâoffrande pourrait Ă©galement symboliser les propres gestes liturgiques effectuĂ©s lors de son couronnement Ă Aix-la-Chapelle. De cette maniĂšre, Othon IV lĂ©gitime son trĂŽne en le plaçant sous protection et donc volontĂ© divine.
Dans ce contexte, la scĂšne du BaptĂȘme du Christ situĂ©e Ă la gauche de la Vierge Marie peut avoir une signification supplĂ©mentaire. Durant les messes de couronnement, il nâĂ©tait pas rare quâune association soit faite entre la descente de lâEsprit Saint sur le roi et son apparition lors du BaptĂȘme du Christ. PlacĂ© dans ce programme iconographique, le BaptĂȘme devient un Ă©lĂ©ment de cette symbolique royale et est de nouveau un rappel du caractĂšre sacrĂ© de la royautĂ©.
Le mĂȘme thĂšme est prĂ©sent dans le registre supĂ©rieur oĂč le Christ du Jugement porte le Livre dans sa main gauche et fait de la main droite le geste du Jugement. Il est encadrĂ© par deux anges offrant de la vaisselle liturgique et une couronne. Comme lâa dĂ©jĂ Ă©tudiĂ© L. V. Ciresi, aucune rĂ©fĂ©rence directe du Canon n'explique pas lâoffrande de cette couronne. Mais, la tradition mĂ©diĂ©vale du aurum coronarium, dans laquelle un ange offre au Christ une couronne, est commune. Une autre tradition consistant Ă suspendre une couronne votive au-dessus dâun autel est Ă©galement frĂ©quente au Moyen Ăge. Dans le cas de la chĂąsse des rois mages, le donateur est Othon IV et la couronne offerte est peut-ĂȘtre la sienne, ce qui expliquerait quâil ne soit pas reprĂ©sentĂ© couronnĂ© dans la scĂšne de lâAdoration. La prĂ©sence Ă cet endroit de cette couronne monterait que les insignes royales dâOthon IV lui ont Ă©tĂ© accordĂ©es par le Christ. De cette maniĂšre, un parallĂšle est construit entre Othon IV et les rois mages dont les royautĂ©s ont toutes les deux Ă©tĂ© placĂ©es sous la protection de Dieu.
Dâautres Ă©lĂ©ments de cette chĂąsse comportent une iconographie faisant rĂ©fĂ©rence Ă cette liturgie du couronnement royal ; il sâagit des deux camĂ©es du trapĂšze amovible. En effet, ils reprĂ©sentent tous les deux le triomphe dâun personnage assis, couronnĂ© par un second debout. Dans le cas de lâiconographie de Venus et Mars, câest aux pieds de la dĂ©esse que sâagenouille le Dieu, pendant quâun petit ĂȘtre ailĂ© la couronne dâune tresse de laurier. Le symbolisme du laurier peut sâapparenter Ă celui du diadĂšme. Dans le second camĂ©e, c'est une couronne identique quâAgrippa Ă©lĂšve au-dessus de son mari assis. La rĂ©utilisation de ces deux pierres nâest donc pas seulement due Ă une volontĂ© de rappeler les origines antiques des reliques mais fait aussi partie du thĂšme iconographique du couronnement. Le thĂšme du triomphe antique possĂšde par bien des aspects des similitudes avec le celui de lâaurum coronarium mĂ©diĂ©val et ceci nâa pas dĂ» passer inaperçu aux crĂ©ateurs de la chĂąsse.
Quand on sait que bien des penseurs mĂ©diĂ©vaux Ă©taient convaincus quâils Ă©taient eux-mĂȘmes citoyens de lâillustre Empire fondĂ© par Auguste et que toute la politique allemande entre FrĂ©dĂ©ric Barberousse et FrĂ©dĂ©ric II visait Ă sa restauration, lâensemble des camĂ©es de la chĂąsse est porteur de sens. Par eux, lâancien Empire romain, si cher aux hommes politiques de l'Ă©poque, Ă©tait symbolisĂ© sur la chĂąsse et une continuitĂ© Ă©tait crĂ©Ă©e entre les deux Ă©poques.
Conclusion
La chĂąsse de Cologne, et en particulier le pignon principal modifiĂ© par Otton IV, possĂšde une iconographie riche qui est un constant rappel du caractĂšre sacrĂ© des reliques comme de la souverainetĂ©. La chĂąsse en elle-mĂȘme est donc une reprĂ©sentation visuelle de la saintetĂ© mais peut Ă©galement sâinterprĂ©ter (et sans que cela sâoppose) comme la reprĂ©sentation du royaume terrestre dâOthon, soit lâEmpire romain allemand qui a rĂ©uni tous les empires de la chrĂ©tientĂ© sous un mĂȘme « toit ». De plus, lâiconographie de la chĂąsse est un constant rappel de la volontĂ© dâOtton IV dâinsister sur le caractĂšre divin de son couronnement et de lĂ©gitimer ainsi son accĂšs au trĂŽne. Peut-ĂȘtre peut-on y voir aussi, ses futures ambitions Ă©tant donnĂ© qui nâĂ©tait pas encore couronnĂ© empereur romain par le Pape lorsque la chĂąsse fut terminĂ©e.
La chĂąsse de Cologne a donc clairement ici Ă©tĂ© employĂ©e comme un mĂ©dia servant Ă la propagande du futur empereur. Câest Ă travers le reliquaire quâOtton IV faisait passer son message politique. Le choix de cet objet est judicieux au vu de la renommĂ©e internationale du pĂšlerinage de Cologne et de la vĂ©nĂ©ration du reliquaire par des milliers de pĂšlerins. Maintenant, il serait intĂ©ressant de savoir dans quelle mesure les fidĂšles venus adorer les reliques percevaient ce message politique inscrit dans lâiconographie religieuse. En effet, avaient-ils la capacitĂ© (et la volontĂ© ?) de dĂ©crypter ce message politique relativement cachĂ© alors quâils venaient avant tout pour les bienfaits miraculeux de la relique ? Ce message ne sâadressait-il pas quâĂ une seule catĂ©gorie de fidĂšles, celle de la classe dirigeante et cultivĂ©e du pays ? Nous pouvons ainsi penser que ce reliquaire nâa pas vĂ©ritablement plusieurs rĂŽles prĂ©alablement dĂ©finis, mais des rĂŽles changeants intrinsĂšquement suivant le spectateur.
Notes et références
Références
- (de) « Geschichte », sur Kölner Dom (consulté le )
- Anne Prache, « CathĂ©drale de Cologne », EncyclopĂŠdia Universalis,â consultĂ© le 5 mars 2023 (lire en ligne)
Voir aussi
Bibliographie
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Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- (de) Bildindex
- (de) Kulturelles Erbe Köln
- Le « Maßtre de la chùsse des rois mages », Louis Grodecki dans Bulletin monumental, tome 123, no 2, année 1965. p. 135-138.
- « Le style 1200 », Cécile Dufour, Narthex (2013)