Zoé de Gamond
Zoé Charlotte de Gamond, née le à Bruxelles où elle est morte le , est une éducatrice et féministe belge qui a écrit sous le pseudonyme de « Marie de G*** ».
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Biographie
Issue d’une famille libérale aisée, son père, Pierre-Joseph de Gamond était également avocat-avoué au Barreau de Bruxelles et a fini conseiller à la Cour d'appel de Bruxelles. Pierre-Joseph de Gamond a également enseigné le cours intitulé « Code de la procédure civile et ordre des Juridictions » à l'Université libre de Bruxelles[1]. Sa mère, Isabelle-Angélique de Lados, d’origine noble, tenait, dans les années 1820, des salons politiques et philosophiques. Elle décèdera en 1829[2]. Zoé de Gamond était donc issue d'un milieu d'une très grande intellectualité, ce qui lui a permis de cultiver son intelligence et d'avoir un esprit critique très développé[3]. Elle a mené une vie faite d'études et de publications théoriques[4].
Vie privée
Le , Zoé de Gamond se marie avec Jean Baptiste Gatti, un peintre italien, avec qui elle aura trois enfants[5]. Ses parents étant contre cette union, elle dut attendre leur mort pour se marier. Etant orpheline au moment de son mariage, elle recevra alors le consentement au mariage de sa grand-mère paternelle Marie Anne Florentin. Zoé de Gamond s’est mariée relativement tard. Cependant, elle n’est pas célibataire par vocation contrairement à d’autres féministes. Zoé estime que « les femmes sont faites pour être épouses et mères ». Zoé de Gamond est d'ailleurs mère de trois filles, dont Isabelle Gatti de Gamond qui poursuivra l’œuvre de sa mère et deviendra, plus tard, une éducatrice et féministe belge d’une grande importance[6]. À la fin des années 1830, le couple Gatti-de Gamond quitta Bruxelles pour Paris. À ce moment, Zoé devient la commentatrice reconnue de Fourier dans un ouvrage appelé « Fourier et son système », paru à Paris et traduit en anglais. Ce rôle a notamment participé de sa notoriété.
Avec le soutien d'un riche fouriériste anglais, Arthur Young, elle acheta, en , un monastère en Bourgogne, à Saint-Nicolas-lès-Cîteaux, l'abbaye de Cîteaux, afin d'y établir un phalanstère dont elle avait imaginé l’aspect théorique dans la réalisation d’une commune sociétaire, d’après la théorie de Charles Fourier. Ce phalanstère qui fonctionna jusqu'en 1846, s'avéra être un désastre financier. En effet, le phalanstère était conçu pour accueillir 600 personnes, mais, début 1843, il n’en abritait que 167. Le couple De Gamond ainsi ruiné, retourne à Bruxelles où il vivra une vie de gêne et de privation. Zoé sera même amenée à demander de l’aide à son entourage pour subvenir à ses besoins essentiels. Néanmoins, elle n’abandonnera pas son projet de réformer la condition des femmes[7].
Grâce au soutien de Charles Rogier, Zoé de Gamond fut nommée inspectrice des écoles maternelles, primaires et normales. Cette fonction mettra temporairement fin à ses difficultés financières.
Vie politique
Avec sa sœur Élisa, Zoé s'initie à la politique à une époque où les femmes en étaient exclues, notamment en participant aux salons tenus par leur mère. Ce début de vie politique était en accord avec les événements révolutionnaires de 1830[2]. Plus tard, Zoé et Élisa tiendront des salons deux fois par semaine comme le faisait leur mère[8].
Zoé fut d'abord partisane de Saint-Simon. En effet, John Bartier la décrit, ainsi que sa sœur Élisa, comme « deux saint-simoniennes prêtresses » répandant la doctrine « avec zèle et succès »[9]. Cependant les théories d'émancipation sexuelle prônées par les saint-simoniens leur paraissaient bien trop audacieuses.
« Si les saint-simoniens ou plutôt les enfantinistes ont abordé pleinement le sujet de la condition actuelle des femmes et se sont montrés justes et solides dans la partie critique de leurs théories, ils se sont montrés inhabiles et grossiers dans la partie créatrice et affirmative. Leurs principes n'ont abouti qu'à faire monter la rougeur au front des femmes, et à leur faire souhaiter que l'on ne s'occupât point de leur sort plutôt que de s'en occuper pour un tel scandale. »
— Marie de G*** (pour Zoé de Gamond), « De la condition sociale des femmes au XIXe siècle[10] »
Zoé de Gamond se détourna du saint-simonisme au profit de théories plus utopistes de l'économiste Fourier[5]. Zoé de Gamond se rallia donc aux idées de l'utopiste socialiste Charles Fourier, auteur d'une doctrine utopique basée sur l'égalité des personnes.
Au début des années 1830, elle soutint activement des exilés politiques italiens et polonais, en s'impliquant au sein des comités pour réfugiés politiques institués par Bartels. Dans cette optique, elle mit sur pieds une exposition d'objets d'art et ouvrages de dames mis en loterie au profit des réfugiés politiques aux abords de la Grand'Place de Bruxelles[11]. Cette première exposition tenue à Bruxelles aura un tel succès que les dames de plusieurs villes de Flandre prêteront main-forte à Zoé en organisant une nouvelle exposition à Gand. De nombreuses femmes touchées par cette cause soutiendront Zoé de Gamond qui deviendra alors, pour certains, un symbole de l'engagement politique[12].
Enseignement
Zoé de Gamond prône l'émancipation des femmes par l'éducation : elle est persuadée que l’éducation des femmes est un facteur de leur émancipation. En effet, les lois ne suffisent pas à les rendre égales aux hommes. Il faut donc agir sur les mentalités[13]. Ainsi, elle écrira : "C’est au système d’éducation qui régit aujourd’hui l’éducation des femmes que je crois pouvoir, rapporter tous les mots qui, dans l’état actuel de la société, se réunissent pour aggraver encore leur condition."[14] L’instruction a pour elle un rôle primordial dans l’épanouissement de la condition féminine.
Zoé de Gamond favorise en particulier l’artisanat comme lieu possible d’émancipation, étant donné que les artisanes sont placées à égalité avec les hommes par leur travail. Cependant, elle ne prône pas l’égalité parfaite entre hommes et femmes. En effet, elle écrit : "Il est absurde de dire ou penser que la femme pour devenir l’égale de l’homme, doive partager ses fonctions ou devenir semblable à lui, car il est bien évident que c’est précisément de cette disparité dans sa nature et dans ses fonctions que naît l’harmonie sociale et la sympathie des deux sexes"[14].
Néanmoins, elle considère qu'une complémentarité harmonieuse entre hommes et femmes nécessite une réelle instruction. C'est dans la continuité de cette idée que Zoé de Gamond veut réformer le système éducatif, et elle fera appel à la société féminine pour ce faire. Là apparaissent les premières ébauches du féminisme[15]. Dans son livre De la condition sociale des femmes au XIXe siècle et de leur éducation publique et privée, elle appelle à la solidarité féminine en écrivant : "C’est avec les femmes de toutes les conditions et de toutes les classes, que je veux que les femmes s’associent de cœur et d’esprit. (…) Je veux que le pacte social, cessant d’être un mot vide de sens pour les femmes, leur devienne obligatoire, qu’elles se soutiennent en toute chose, que les riches partagent avec les pauvres, que les puissantes sympathisent avec les humbles."[16].
Dans le cadre de son projet d'éducation féminine, Zoé de Gamond préconise deux types d'écoles pour les filles. L'un serait pour les filles de la classe populaire où l'enseignement sera donné gratuitement. L'autre, payant, serait réservé aux écolières dont les parents ont plus de moyens financiers. Les bénéfices rapportés au sein du deuxième type d'école serviront à financer le premier type d’école[17]. Zoé de Gamond prévoit trois niveaux différents au sein de ces écoles : premièrement les enseignements de pure surveillance pour les enfants de deux à six ans, au sein desquels des bonnes et douces personnes auraient l'occasion de les mettre en adéquation avec la présence divine. Deuxièmement, les écoles élémentaires où la préoccupation principale serait de donner des cours de morale afin de développer les facultés intellectuelles. Troisièmement, le dernier niveau serait consacré aux écoles d'industrie. Dans ce type d'établissement, les heures d'apprentissage seraient consacrées aux exercices religieux, aux enseignements moraux à la lecture, à l’écriture, au calcul et aux exercices physiques nécessaires, puis aux travaux manuels[18]. Grâce à cette formation, les filles pourront exercer divers métiers tels que "lingère, modiste, coiffeuse, fleuriste, brodeuse, dentellière, repasseuse, lavandière, cuisinière, etc. "[19] En 1835, Zoé de Gamond ouvre une école pour les filles de la classe ouvrière et une école normale destinée à former des institutrices, avec sa grande amie Eugénie Poulet. Ce type d'école connaîtra un franc succès.
Le programme de l’école pour filles de la classe ouvrière se limite à la lecture, au calcul à l'écriture et à la morale[20]. Zoé de Gamond se penche également sur l’éducation des femmes pauvres de la classe élevée, pour qui elle pense une éducation leur permettant d’enseigner. Elle préconise dans ce cadre une école normale supérieure dispensant les sciences morales, les sciences humaines et les sciences physiques qui étaient jusque-là réservées aux hommes. Le programme de ce type d’école comprendra des cours d’histoire, de géographie, de chronologie, de littérature, de grammaire, de logique de style, de composition littéraire et d’arithmétique, ainsi qu’un cours spécifique de science de l’enseignement[21]. Zoé de Gamond enseigne la littérature française, la composition et l'italien. Eugénie Poulet enseigne les cours d’histoire, de géographie et « de sphère ». Giovanni Gatti, quant à lui, enseigne les cours de dessin, alors que Mademoiselle Abas enseigne les mathématiques et la « tenue des livres »[22].
Zoé de Gamond mettra tout en œuvre pour mener à bien son projet mais sera tout de même limitée par un manque de moyens financiers, notamment en raison du manque de secours et d’appui du gouvernement et de la régence[23]. Ce problème de fonds sera entre autres résolu par la Reine, qui offrira un subside de 200 francs, ce qui permettra de payer quelques monitrices principales[24].
Par arrêté royal du , Zoé est nommée inspectrice générale des écoles gardiennes, des écoles primaires de filles, et des établissements destinés à former les institutrices de l’Etat belge. C'est la première fois qu'une femme occupait ce poste[25]. Mais, après sa mort, cette fonction est simplement supprimée[26];
Publications
Zoé de Gamond publia de nombreux articles dans le Recueil encyclopédique belge, dans la revue de littérature italienne L'Exilé ou encore dans L'Artiste, essentiellement comme critique artistique et littéraire. Elle écrivit également sur le féminisme au milieu des années 1830. Elle écrivit Fourier et son système, un ouvrage sur la philosophie de Fourier qui sera réédité cinq fois et également traduit en anglais. Cet ouvrage lui a valu un grand succès. À Paris, elle retrouva Jan Czyński, qu'elle avait rencontré alors qu'elle était directrice d'un comité de dames, et avec qui elle écrivit un roman consacré à l'émancipation rurale appelé Le Roi des paysans (Paris, 1838)[5]. Elle édita, toujours avec Czyński, la revue Le Nouveau Monde de 1839 à 1840. Elle publia plusieurs manuels d'enseignement, ainsi qu'un ouvrage au sujet des asiles d'aliénés. En 1840, paru encore à Paris « Réalisation d’une commune sociétaire d’après la théorie de Charles Fourier ». Elle y développe la thèse selon laquelle notre milieu social nous précède, « ni la propriété, ni la famille peuvent être supprimées ». En 1846, paru à Bruxelles « le Monde Invisible », qui est un roman dans lequel Zoé de Gamond développe ses pensées morales, et y rajoute également ses conceptions religieuses relativement fortes. La même année, la Société des Sciences, des Lettres et des Arts du Hainaut avait mis en place un concours qui soulevait la question suivante : « Quels sont les droits et les devoirs du prolétaire dans une société bien organisée ? » Elle répondit à cette question par son ouvrage « Paupérisme et association ». En 1850, elle publie « Les Notions les plus pratiques des sciences naturelles appliquées aux usages de la vie » à Bruxelles. En 1851, Zoé de Gamond publie « Des lectures historiques belges » également à Bruxelles[3].
Mort et héritage
Zoé de Gamond meurt le , à l'âge de 48 ans, dans un relatif anonymat. Le journal L'Étoile belge annonce son décès le : « Mme Gatti de Gamond était une de nos femmes les plus instruites et elle a publié un grand nombre d’écrits dont plusieurs très recommandables. »[27]
La pensée de Zoé de Gamond peut être résumée par la phrase suivante : « La science ne doit pas être précisément le but de l’instruction, mais l’instrument avec lequel on exerce l’esprit à penser, observer, juger, raisonner, réfléchir enfin à toutes les fonctions qui lui sont propres et qui lui assurent son entier développement »[28].
Références
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- Sous la direction d'E. GUBIN et. al., avec la collaboration de M-S DUPONT-BOUCHAT et J-P NANDRIN, Dictionnaire des femmes belges XIXe et XXe siècles, Bruxelles, Racine, 2006, p. 154
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- E. GUBIN et V. PIETTE, Isabelle Gatti de Gamond 1839-1905 - La passion d'enseigner , Bruxelles, GIEF, 2004, p.12
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- Histoire de l'émancipation de la femme en Belgique, Bruxelles, Canbinet du Secrétaire d'état à l'émancipation sociale M. Smet, , p. 17
- E. Gubin et V. Piette, Isabelle Gatti de Gamond 1839-1905 - La passion d'enseigner, Bruxelles, GIEF, 2004, p.23
- R. VAN NUFFEL, Gatti de Gamond (Zoé-Charlotte), Bruxelles, Biographie nationale, 1973-1974, p. 249
Bibliographie
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- Sous la direction de GUBIN (E.), JACQUES (C.), PIETTE (V.) et PUISSANT (J.), avec la collaboration de DUPONT-BOUCHAT (M-S.) et NANDRIN (J-P.), Dictionnaire des femmes belges XIXe-XXe siècle, Bruxelles : Racine, 2006, p. 153-155
- GUBIN (E.), PIETTE (V.) et JACQUES (C.), « Gatti de Gamond Zoé, Charlotte, née de Gamond, dite Marie de G*** », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris : Atelier, 1997,
- GUBIN (E.), PIETTE (V.), « Isabelle Gatti de Gamond 1839-1905 – La passion d’enseigner », Bruxelles, GIEF, 2004, p. 10-24
- JACQUES (C.), « Le féminisme en Belgique de la fin du 19e siècle aux années 1970 », Courrier hebdomadaire du CRISP 2009/7, p. 5-54
- PIETTE (V.), « Zoé Gatti de Gamond ou les premières avancées féministes ? », Revue belge de philosophie et d’histoire, Bruxelles, 1999, p. 402-415
- VAN NUFFEL (R.), « Gatti de Gamond (Zoé-Charlotte) », Biographie nationale, Bruxelles, 1973-1974, p. 241-250
- VOET (Thomas), La colonie phalanstère de Cîteaux, 1841-1846. Le fouriérisme aux champs, Dijon, Editions de l'Université, 2001.
Ĺ’uvres
- De la condition sociale des femmes au XIXe siècle, Bruxelles, 1834
- Esquisse sur les femmes, Bruxelles, 1836
- Des devoirs des femmes et des moyens les plus propres Ă assurer leur bonheur, Bruxelles, 1838
- Le Roi des Paysans, Paris, 1838
- Fourier et son système, Paris, 1840.
- Réalisation d'une commune sociétaire d'après la théorie de Charles Fourier, Paris, Capelle, 1840.
- Fièvres de l'âme, Paris, 1844
- Abrégé d'histoire sainte, Bruxelles, 1845
- Le monde invisible, Bruxelles, [s.n.], 1846.
- Paupérisme et association, Bruxelles, Méline, Cans et Co, 1846.
- L'organisation du Travail par l'Ă©ducation nationale, Bruxelles, 1848
- Lectures historiques belges, Bruxelles, 1851
- Manuel des salles d'asile et des écoles primaires, avec un questionnaire, d'après la méthode de Pestalozzi, Bruxelles, Deprez-Parent, 1851.
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :