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Théorie des collisions

La théorie des collisions est une théorie qui explique qualitativement comment se produisent les réactions chimiques élémentaires en phase gazeuse et qui rend compte de la dépendance de leur vitesse avec la concentration[1]. Elle suppose que pour qu'une réaction se produise, les molécules des réactifs doivent entrer en collision. Seule une fraction des collisions se traduisent par la transformation effective des réactifs en produits (on les appelle collisions efficaces). Cela est dû au fait que seule une partie des molécules ont une énergie suffisante, dite énergie d'activation, et la bonne orientation au moment de l'impact pour rompre les liaisons existantes et en former de nouvelles. La théorie des collisions est ainsi trÚs intimement liée à la théorie cinétique des gaz et constitue un des fondements théoriques de la cinétique chimique.

La théorie des collisions à elle seule ne donne pas une interprétation claire de l'énergie d'activation, pas plus qu'un moyen de la calculer en théorie. En revanche, en dépit de sa simplicité, elle fournit une base pour définir un comportement cinétique « typique » des molécules, permettant ainsi de caractériser des cas plus particuliers.

En phase gazeuse, la vitesse d'une réaction élémentaire bimoléculaire est proportionnelle au produit des concentrations des réactifs, un phénomÚne expliqué par la théorie des collisions.

Coefficient de vitesse

Le coefficient de vitesse[2] d'une réaction bimoléculaire en phase gazeuse est donné selon la théorie par :

Et la fréquence de collision est donnée par :

Survol qualitatif de la théorie

Fondamentalement, la thĂ©orie des collisions est fondĂ©e sur la thĂ©orie cinĂ©tique des gaz et ne peut donc ĂȘtre appliquĂ©e strictement qu'aux gaz parfaits. Son extension Ă  d'autres Ă©tats de la matiĂšre (liquides, solutions) prĂ©suppose d'autres approximations. Qualitativement, la thĂ©orie considĂšre les molĂ©cules des rĂ©actifs comme rigides, neutres et sphĂ©riques. La base de la thĂ©orie est que, pour pouvoir rĂ©agir, les molĂ©cules de rĂ©actifs doivent entrer en collision, d'oĂč son nom. De plus, elle postule que la majoritĂ© des collisions ne conduisent pas Ă  une rĂ©action ; pour que la transformation soit effective, il faut que les deux espĂšces qui entrent en collision aient :

  • une Ă©nergie cinĂ©tique supĂ©rieure Ă  une certaine Ă©nergie, appelĂ©e l'Ă©nergie d'activation, notĂ©e ;
  • une orientation spatiale convenable (le facteur stĂ©rique) l'une par rapport Ă  l'autre.

Ces collisions qui mÚnent à une réaction sont nommées collisions efficaces. La vitesse de réaction est donc proportionnelle au nombre de collisions efficaces par unité de temps.

La théorie des collisions permet de comprendre l'influence de deux facteurs significatifs qui déterminent la vitesse des réactions en phase gazeuse :

  • la concentration : la frĂ©quence des collisions est proportionnelle au produit des concentrations des rĂ©actifs ;
  • la tempĂ©rature : elle a deux effets sur la vitesse. D'une part, une augmentation de la tempĂ©rature augmente la vitesse moyenne des molĂ©cules donc le nombre de collisions, et d'autre part, l'Ă©nergie cinĂ©tique moyenne des molĂ©cules suit la statistique de Maxwell-Boltzmann. La proportion de molĂ©cules ayant une Ă©nergie supĂ©rieure Ă  l'Ă©nergie d'activation augmente donc avec la tempĂ©rature.

Par contre, la théorie ne permet pas d'estimer directement la valeur du facteur stérique puisqu'elle considÚre les molécules comme sphériques.

Aspect quantitatif de la théorie

La thĂ©orie des collisions ne peut ĂȘtre appliquĂ©e quantitativement qu'aux rĂ©actions bimolĂ©culaires en phase gazeuse, du type[5] :

A + B → C

Les molĂ©cules sont considĂ©rĂ©es comme des sphĂšres rigides. Une molĂ©cule du rĂ©actif A et une molĂ©cule du rĂ©actif B entreront en collision lorsque la distance entre leurs centres devient infĂ©rieure Ă  la somme de leurs rayons respectifs. La surface autour d'une molĂ©cule de A dans laquelle il peut se produire une collision avec une molĂ©cule de B approchante est appelĂ©e la section efficace (σAB) de la rĂ©action. Elle est, en principe, la surface correspondant au cercle dont le rayon (rAB) est la somme des rayons des deux molĂ©cules rĂ©actives.

L'hypothĂšse de sphĂ©ricitĂ© de la molĂ©cule permet de dire qu'une molĂ©cule en mouvement couvrira un volume de par seconde, oĂč est la vitesse moyenne de la molĂ©cule.

La thĂ©orie cinĂ©tique des gaz conduit Ă  l'expression de la vitesse moyenne d'une molĂ©cule : , oĂč est la constante de Boltzmann et la masse de la molĂ©cule et la tempĂ©rature.

La solution du problĂšme Ă  deux corps nous dit que deux corps diffĂ©rents en mouvement peuvent ĂȘtre assimilĂ©s Ă  un seul corps possĂ©dant la masse rĂ©duite de ces deux corps et se dĂ©plaçant Ă  la vitesse du centre de masse. Ainsi, dans l'expression prĂ©cĂ©dente on doit utiliser la masse rĂ©duite au lieu de .

Donc, la fréquence de collision de toutes les molécules de A avec toutes les molécules de B, est donnée par :

oĂč est le nombre d'Avogadro, et sont respectivement les concentrations des rĂ©actifs A et B.

De la statistique de Maxwell-Boltzmann il peut ĂȘtre dĂ©duit que la fraction des collisions ayant une Ă©nergie supĂ©rieure Ă  l'Ă©nergie d'activation est . Il s'ensuit que vitesse d'une rĂ©action bimolĂ©culaire pour un gaz parfait sera :

que l'on réécrit :

oĂč :

  • (voir ci-dessus) ;
  • , facteur stĂ©rique, dont il sera question dans la section suivante ;
  • , Ă©nergie d'activation de la rĂ©action ;
  • T, tempĂ©rature ;
  • R, constante des gaz parfaits.

Le produit est équivalent au facteur pré-exponentiel de la loi d'Arrhenius.

Validité de la théorie et facteur stérique

Lorsqu'une thĂ©orie est formulĂ©e, sa validitĂ© doit ĂȘtre vĂ©rifiĂ©e. C'est-Ă -dire qu'il faut comparer ses prĂ©dictions avec les rĂ©sultats observĂ©s expĂ©rimentalement. On peut identifier le produit au coefficient de vitesse d'une loi de vitesse du second ordre (). Selon la thĂ©orie des collisions on a donc :

Cette expression est similaire Ă  la loi d'Arrhenius et donne la premiĂšre interprĂ©tation thĂ©orique de l'Ă©quation d'Arrhenius d'un point de vue molĂ©culaire. La dĂ©pendance du facteur prĂ©-exponentiel avec la tempĂ©rature est si faible comparĂ©e Ă  celle du facteur exponentiel qu'il ne peut ĂȘtre mis en Ă©vidence expĂ©rimentalement. C'est-Ă -dire qu'« on ne peut pas Ă©tablir expĂ©rimentalement, par le biais d'Ă©tudes sur les tempĂ©ratures ou sur les coefficients de vitesse, la dĂ©pendance TÂœ du facteur prĂ©-exponentiel»[5].

Si l'on compare les valeurs des coefficients de vitesse calculés par la théorie des collisions avec les valeurs des coefficients de vitesse obtenus expérimentalement, on constate que la théorie échoue à les estimer correctement, et qu'elle échoue d'autant plus que les molécules sont complexes. D'une part, les valeurs obtenues pour une réaction donnée sont beaucoup trop élevées (parfois d'un facteur de plusieurs puissances de 10), d'autre part, les valeurs obtenues pour différentes réactions sont trop proches les unes des autres. En effet, les ordres de grandeurs des vitesses de réactions varient dans des proportions énormes (de 1 à 105), alors que la taille et la masse des molécules ne varient que de 1 à 102).

La raison à ceci est que les particules sont supposées sphériques et capables de réagir quelle que soit leur orientation l'une par rapport à l'autre (en fait pour une sphÚre toutes les directions sont équivalentes). Cela n'est pas vrai, car l'orientation des molécules les unes par rapport aux autres n'est pas toujours la bonne. Par exemple, dans le cas de la réaction d'hydrogénation de l'éthylÚne, la molécule de dihydrogÚne H2 doit approcher la zone de liaison entre les atomes d'éthylÚne, et seulement une faible proportion de toutes les collisions qui se produisent sont effectivement dans ce cas.

Un nouveau concept doit ainsi ĂȘtre introduit, celui de facteur stĂ©rique, . Il est dĂ©fini comme le rapport entre la valeur expĂ©rimentale et la valeur prĂ©dite (ou le rapport entre le facteur prĂ©-exponentiel et la frĂ©quence de collision), et vaut la plupart du temps moins que 1[4] :

Ce facteur est parfois appelé facteur de probabilité ou facteur d'Hinshelwood du nom du physico-chimiste anglais Sir Cyril Norman Hinshelwood qui l'a introduit en 1935.

GĂ©nĂ©ralement, plus les molĂ©cules rĂ©actives sont complexes, plus le facteur stĂ©rique est faible. NĂ©anmoins, certaines rĂ©actions montrent des facteurs stĂ©riques valant plus de l'unitĂ©, comme les rĂ©actions Harpon[6], qui impliquent des Ă©changes d'Ă©lectrons et qui produisent des ions. La dĂ©viation par rapport Ă  l'unitĂ© du facteur stĂ©rique peut avoir diffĂ©rentes causes : les molĂ©cules ne sont pas sphĂ©riques, donc il existe diffĂ©rentes gĂ©omĂ©tries envisageables ; seulement une partie de l'Ă©nergie cinĂ©tique des molĂ©cules est fournie au bon endroit; la prĂ©sence de solvant peut ĂȘtre un problĂšme dans le cas des solutions


Malheureusement, le facteur stĂ©rique, de par sa dĂ©finition, ne peut ĂȘtre calculĂ© thĂ©oriquement. L'intĂ©rĂȘt pratique d'un point de vue expĂ©rimental de la thĂ©orie des collisions est ainsi grandement diminuĂ©.

Coefficients de vitesse obtenus expérimentalement comparés à ceux prédits par la théorie des collisions pour des réactions en phase gazeuse
Réaction A (Facteur pré-exponentiel de l'équation d'Arrhenius) Z (Fréquence de collision) Facteur stérique
2ClNO → 2Cl + 2NO9.4 1095.9 10100.16
2ClO → Cl2 + O26.3 1072.5 10102.3 10-3
H2 + C2H4 → C2H61.24 1067.3 10111.7 10-6
Br2 + K → KBr + Br10122.1 10114.3

La thĂ©orie des collisions peut ĂȘtre appliquĂ©e aux rĂ©actions en solution ; dans ce cas, l'effet de cage a une incidence sur les molĂ©cules rĂ©actives et plusieurs collisions peuvent se produire au cours d'un seul choc, ce qui amĂšne le facteur prĂ©-exponentiel Ă  avoir une valeur plus importante que prĂ©vu[7]. Les valeurs ρ plus grandes que l'unitĂ© peuvent ĂȘtre attribuĂ©es Ă  des contributions entropiques favorables.

Coefficients de vitesse mesurés expérimentalement et comparés à ceux prédits par la théorie des collisions pour des réactions en solution[8].
Réaction Solvant A 10-11 Z 10-11 Facteur stérique
C2H5Br + OH−C2H5OH4.303.861.11
C2H5O− + CH3IC2H5OH2.421.931.25
ClCH2CO2− + OH−eau4.552.861.59
C3H6Br2 + I−CH3OH1.071.390.77
HOCH2CH2Cl + OH−eau25.52.789.17
4-CH3C6H4O− + CH3Iethanol8.491.994.27
CH3(CH2)2Cl + I−(CH3)2CO0.0851.570.054
C5H5N + CH3IC2H2Cl4--2.0 10-6

Voir aussi

Références

  1. (en) « collision theory », IUPAC, Compendium of Chemical Terminology [« Gold Book »], Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1997, version corrigée en ligne : (2019-), 2e éd. (ISBN 0-9678550-9-8).
  2. Voir Cinétique chimique.
  3. (en) « collision frequency », IUPAC, Compendium of Chemical Terminology [« Gold Book »], Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1997, version corrigée en ligne : (2019-), 2e éd. (ISBN 0-9678550-9-8)
  4. (en) « steric factor », IUPAC, Compendium of Chemical Terminology [« Gold Book »], Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1997, version corrigée en ligne : (2019-), 2e éd. (ISBN 0-9678550-9-8)
  5. (en) Kenneth Connors, Chemical Kinetics, 1990, VCH Publishers.
  6. (en) « harpoon mechanism », IUPAC, Compendium of Chemical Terminology [« Gold Book »], Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1997, version corrigée en ligne : (2019-), 2e éd. (ISBN 0-9678550-9-8).
  7. Cours de cinétique chimique, Université du Québec à Chicoutimi.
  8. Moelwyn-Hughes
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